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Introduction

Les demandes d’accompagnement au changement professionnel sont de plus en plus nombreuses. Dans le champ des métiers adressés à autrui, l’éducation thérapeutique (ET) demande à être étayée par de nouvelles approches sollicitant, entre autres, les Sciences Humaines et Sociales (Tourette-Turgis, 2015 ; Chalmel, 2015). L’éducation thérapeutique des patients constitue un champ nouveau d’études dans le domaine de la santé. La rencontre avec d’autres champs théoriques offre à cette éducation des moyens d’évolution. C’est ainsi que lors d’un rapprochement avec des chercheurs de sciences humaines et sociales proposant un regard analytique prenant appui sur les cadres de la didactique professionnelle, les pratiques d’éducation thérapeutique adressées à de jeunes patients favorisent une transformation du dispositif bénéfique aux patients et à leurs familles.

L’un des résultats de cette rencontre est la transformation d’un dispositif d’éducation thérapeutique composé d’une rencontre plénière sur deux jours en un dispositif mieux adapté à l’âge et aux attentes des jeunes patients. L’analyse de cette évolution est interprétée en termes de retombées sur l’évolution du métier d’infirmières d’éducation thérapeutique. Cet article présente donc une observation directe des pratiques effectives d’ET adressée à de jeunes patients et à leur famille. Il discute également les formes de collaboration scientifique entre chercheures de domaines scientifiques différents et professionnelles du corps médical conduisant ces dernières à transformer leurs pratiques en créant des instruments pédagogiques nouveaux. Les conceptions inventives issues de ces échanges s’appuient sur les expériences et compétences construites antérieurement et s’articulent pour faire évoluer les dispositifs.

Nous présentons l’apport, à la réflexion sur l’évolution du métier de l’infirmière d’éducation (IDE), d’une recherche-action collaborative (2012-2016) entre l’équipe d’ET du service de cardiologie pédiatrique à l’hôpital Necker (Bajolle et al, 2012 ; Bui Quo et al, 2012 ; Bajolle, Lasne & Cheurfi, 2013) et des chercheures issues de disciplines scientifiques distinctes (sciences de l’éducation, psychologie-ergonomie, sociologie).

Notre contribution présente et discute à travers ces analyses les transformations du métier de l’IDE vers des actions qui ne visent pas seulement le soin du corps, mais une forme d’enseignement d’une hygiène de vie, incitant à contourner la iatrogénie structurelle que dénonçait Illich (1975), c’est-à-dire les troubles provoqués par le système de soins lui-même. Le moment étudié est celui de la passation et de la transmission de l’expérience et de la responsabilité d’animer les séances d’éducation de la cardiologue vers l’infirmière d’éducation.

1. L’Éducation Thérapeutique du Jeune Patient et les savoirs de l’infirmière

L’éducation thérapeutique du patient constitue depuis quelques années un champ de pratiques et un champ d’études qui est interrogé par différentes disciplines et non plus seulement par le domaine médical (Tourrette-Turgis, 2015). Nous présentons et discutons quelques résultats d’une recherche action collaborative entre l’équipe médicale de Necker[1] (service de cardio pédiatrie) et une équipe de chercheures du CNAM[2] et de l’Université Paris 8[3], membres de l’association ARDéCo[4]. Cette collaboration vise à rechercher les savoirs d’expérience incorporés dans la pratique des professionnelles de l’ETP adressée aux jeunes (patients de la naissance à 18 ans) dans l’objectif de théoriser ces pratiques en vue de les transmettre.

Nous avons choisi d’inscrire cette recherche dans le paradigme de la didactique professionnelle (Pastré, 2011). L’analyse de l’activité y est considérée à partir de l’observation des pratiques effectives (Numa-Bocage, Marcel, Chaussecourte, 2014) des professionnelles (observations papier-crayon, vidéo, audio). Notre méthode qualitative s’appuie sur différents recueils de données : observations filmées des séances d’ETP, enregistrement audio des séances, entretiens semi-structurés (auprès de familles, des professionnels de l’ETP, entretiens rétrospectifs de débriefing et entretien en auto-confrontation à visée de didactique professionnelle).

Les interprétations issues de nos analyses conduisent à faire évoluer le dispositif d’ETP vers un dispositif plus spécifique de la prise en charge de sa maladie dans le cours quotidien de sa vie par le jeune : l’ETJP (Éducation thérapeutique du Jeune Patient). Nous présentons plus particulièrement une analyse de deux moments particuliers : la tutelle de l’infirmière et l’évolution du dispositif. L’étude de cas que nous proposons s’appuie sur les observations, entretiens.

Le retour réflexif sur les pratiques à travers des entretiens de débriefing ou des entretiens en auto-confrontation cherchant à identifier les compétences des professionnelles dans cette éducation a permis d’identifier des savoirs d’expérience propres aux infirmières.

Dans cet article, après avoir décrit le dispositif d’ETJP spécifique du service de cardio-pédiatrie de l’hôpital Necker, nous montrons comment, à la suite de nos échanges lors des analyses croisées (Numa-Bocage, El Amdouni, Gouedard, & Bajolle, 2016 ; Gouedard, Bajolle, Gazielli 2016), le dispositif évolue et entraine des changements dans les pratiques. L’analyse compréhensive de ces changements met à jour, dans l’activité d’éducation de l’infirmière d’éducation (IDE), des processus de médiation et de tutelle (Bruner, 1987) favorisant l’apprentissage d’un geste technique. L’IDE utilise un concept pragmatique qui est repris, après analyse et théorisation, ensuite par les autres professionnelles dans les séances d’ETJP. L’IDE n’est plus seulement la soignante du corps. Elle cherche à recréer les conditions, pour chaque patient, d’une harmonie de vie avec sa maladie, dans son environnement habituel. Dans les séminaires communs aux deux équipes, nos analyses qualitatives croisées nous permettent de saisir les processus collaboratifs en jeu dans l’accompagnement en ETJP, le poids des instruments en situation, la question des représentations vécues et des ressentis des professionnelles et des familles, actrices et sujets dans un programme en constante évolution. Ceci nous conduit à repérer certaines des dimensions centrales de l’activité d’éducation avec ce public spécifique et d’envisager des éléments dans la perspective de formation : importance des tutelles et actes de médiation dans l’éducation à la maîtrise des gestes techniques, importance de la confiance réciproque entre les personnes dans la gestion du dispositif à travers la notion de « personnes-ressources ».

Des moments critiques (importants dans le projet d’éducation selon l’équipe médicale) ont été analysés par le collectif constitué par les chercheures et l’équipe médicale. Les analyses et discussions à visée compréhensive et formative ont mis en évidence l’importance de l’expérience antérieure dans l’évolution des pratiques. Nous présenterons dans cet écrit les analyses et les échanges sur certains moments qui ont donné lieu à l’émergence de l’expérience antérieure dans la situation présente. Ce sera l’occasion de discuter du processus d’instrumentation (Rabardel, 2005) qui peut alors être envisagé.

2. Méthodologie

Cette recherche collaborative entre une équipe médicale et une équipe de sciences humaines et sociales a concerné les professionnelles de l’équipe d’éducation thérapeutique du service de pédiatrie cardiaque de l’hôpital Necker et une trentaine de familles (parents et enfants). La dimension collaborative dans cette recherche souligne le fait que la mise à jour des savoirs et des compétences des professionnelles (cardiologue, infirmières d’éducation) se réalisent avec leur participation effective.

Nous utilisons dans cet article les observations des pratiques effectives (observations papier-crayon, avec enregistrement audio et/ou vidéo), d’une séance d’ETJP initiale et de renforcement. Nous avons complété ces premières observations par des entretiens de débriefing et en auto-confrontation à visée de didactique professionnelle avec l’équipe médicale. Dans l’entretien en auto-confrontation à visée de didactique professionnelle (EACDP, Numa-Bocage, 2016), il s’agit d’être à l’écoute du professionnel pour identifier dans son activité les éléments déterminants pour l’efficacité de l’action réalisée.

Ces gestes peuvent appartenir à la classe générique des gestes professionnels du métier, à celle du genre professionnel ou appartenir au répertoire de gestes qui déterminent le style propre du professionnel. Tous ces gestes sont sous-tendus par des schèmes, c’est-à-dire par des organisations invariantes de l’activité du professionnel pour une classe donnée de situations professionnelles. L’échange dans l’EACDP cherche à mettre à jour les composantes de ces schèmes afin de se rapprocher au plus près de ce qui fonde la réussite de l’action. L’analyse des traces recueillies de ces entretiens vise à identifier les buts et sous-buts de l’action qui orientent l’activité, mais aussi les règles d’action ou de prise d’informations qui la guident ou toute autre composante du schème (invariants opératoires, inférence). D’autres entretiens ont été menés auprès des familles. Les jeunes étaient rencontrés avec leurs parents.

Les observations ont été menées de décembre 2012 à septembre 2016. Un retour sur l’effet des évolutions du programme est en cours. Les entretiens avec les familles et les enfants ont été conduits à partir de 2013. La méthode d’analyse retenue est qualitative et mixte, guidée par la recherche des savoirs et des compétences sous-jacents à l’action observée. Pour cela, nous nous appuyons sur les dimensions analytiques du schème : organisation invariante de l’activité des sujets pour une classe donnée de situations, structure composée de quatre dimensions essentielles que sont les buts et sous-buts, les règles d’action et de prise d’information, les invariants opératoires et les inférences en situation (Vergnaud, 1996). L’analyse de l’activité alors instrumentée, comme le propose Pastré (2002), recherche les buts et les intentions qui guident l’action du sujet dont on analyse la pratique effectivement observée, les invariants opératoires (savoirs d’expériences, concepts-en-acte…) sur lesquels se développe l’action, ou encore les règles de prises d’informations, d’action ou les inférences que font les acteurs dans la situation (Pastré, Mayen, Vergnaud, 2006). Une telle recherche a nécessité la prise en compte de considérations éthiques strictes. Tous les recueils de données ont été autorisés par le service de communication et d’éthique de Necker-Enfants Malades et les accords des personnes donnés aux équipes et signés. Une dimension fondamentale s’est développée au cours de la recherche : une relation de confiance réciproque et un respect mutuel entre les personnes des deux équipes. Une telle qualité de la relation et l’implication des chercheures expliquent en grande partie la richesse des données recueillies.

3. Le dispositif d’éducation Thérapeutique du Jeune Patient du service de cardio pédiatrie (hôpital Necker)

Le dispositif d’Éducation Thérapeutique du Jeune Patient a pour finalité de développer l’expérience du patient et de ses parents plus que leurs connaissances afin d’autonomiser les enfants et les accompagner vers l’âge adulte. Il s’adresse à des patients de la naissance à l’âge de 18 ans ayant été opérés cardiaques ou devant prendre des anti-vitamines K (AVK). Il s’agit aussi de maintenir un lien souple entre la ville et l’hôpital, mais suffisamment efficace, permettant d’agir rapidement si nécessaire. Un taux de fluidité du sang est un facteur vital pour ces jeunes patients. Le projet de recherche-action collaborative visait la recherche d’une forme de contrôle de qualité du point de vue de l’équipe d’éducation thérapeutique : s’évaluer en se laissant observer dans l’action effective de sa pratique « d’éducateur ».

Cette problématique du jeune enfant en ET s’adresse à des enfants qui peuvent être pris en charge dès la naissance et jusque l’âge de 18 ans. C’est également un élément de la problématique qu’il faut prendre en compte pour créer des outils éducatifs permettant au sujet de se développer et visant à maintenir le lien entre ce qui se passe effectivement dans la vie à l’extérieur de l’hôpital et ce qui se passe dans l’hôpital. Le dispositif que nous étudions concerne les jeunes ayant des problèmes cardiaques. Au début de notre recherche (2012), il n’existait pas à notre connaissance de dispositif d’éducation thérapeutique pour un tel public.

La grande majorité des indications pour un traitement anticoagulant par anti-vitamines K (AVK) chez l’enfant concerne les pathologies cardiaques. Il s’agit essentiellement de la prévention des accidents thromboemboliques chez les enfants ayant une prothèse valvulaire mécanique en position mitrale ou aortique, ou la prévention des accidents thromboemboliques dans les dérivations cavo-pulmonaires totales (DCPT) et d’autres malformations cardiaques. On évalue actuellement à environ 500 le nombre d’enfants sous AVK en France pour 900 000 adultes. Ces traitements nécessitent une surveillance rapprochée par un contrôle sanguin INR (International Normalized Ratio), tout au long de la vie.

En France, depuis juin 2008, les enfants traités par AVK peuvent bénéficier d’un dispositif d’auto-mesure de l’INR selon des règles strictes fixées par la Haute Autorité de Santé (HAS), dont l’obligation de mise en place d’un programme d’éducation thérapeutique du patient, avant toute prescription d’un dispositif d’auto-mesure. L’équipe d’éducation thérapeutique a donc créé, avec la pharmacienne référente en hémostase à Necker, un programme d’éducation thérapeutique des patients sous AVK pour répondre à ces obligations offrant la possibilité d’évaluer le taux d’INR chez soi. Le 25 septembre 2008, a été organisée la première séance d’éducation thérapeutique du patient sous AVK en présence de cinq familles, à ce jour plus de 300 familles ont été formées. Depuis décembre 2012, l’équipe de chercheures en sciences humaines et sociales étudie le dispositif en collaboration avec l’équipe médicale de Necker.

En 1998, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit l’éducation thérapeutique de la manière suivante : « L’éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients d’acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les aident à vivre de manière optimale leur vie avec la maladie.

Il s’agit, par conséquent, d’un processus permanent, intégré dans les soins et centré sur le patient. L’éducation implique des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage de l’autogestion et de soutien psychologique concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, le cadre hospitalier et de soins, les informations organisationnelles et les comportements de santé et de maladie. Elle vise à aider les patients et leurs familles à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie ».

Le programme d’ETJP a été conçu en faisant référence à cette définition qu’il développe et adapte à la singularité de son public. Il comprend un contrat éducatif établi entresoignant esoigné et la signature d’un consentement. L’objectif est d’améliorer la qualité de vie du patient tout en lui prodiguant des soins de qualité. Il s’organise en différentes séances dont une journée d’éducation initiale, des séances de renforcement téléphoniques individuelles pluri-mensuelles, des séances de renforcement collectives et des séances individuelles de reprise, en cas de difficultés. Il s’appuie sur différents outils matériels (diaporama, film, photos, jeu, maquettes et matériel réel de chirurgie tel que les valves). Nous nous centrons, dans cet écrit, sur le déroulement des journées collectives.

La première journée dite journée initiale d’ETJP vise différents points : 1/Faire le diagnostic éducatif : ceci revient à évaluer les compétences et les connaissances déjà acquises sur les AVK, à établir les objectifs, aider le patient à les atteindre en conciliant les contraintes de la vie quotidienne et celles de la maladie. Dans le cas des jeunes patients, la vie scolaire est concernée ; 2/Fournir aux patients une connaissance théorique sur les différents processus concernant la maladie (coagulation, anticoagulation, AVK, INR, prises médicamenteuse, carnet de relevé d’INR, maladies intercurrentes, interactions médicamenteuses, alimentation, pratique du sport, organisation de la scolarité et des vacances) ; 3/Fournir aux patients et à leur famille une formation pratique sur l’utilisation des dispositifs d’auto-mesure de l’INR, la rigueur de la transmission des résultats de l’INR, l’information de l’entourage et du milieu médical (rôle du médecin traitant et autonomisation des familles, organisation du suivi téléphonique entre les familles et le médecin responsable du programme d’ETJP à l’hôpital) ; 4/Évaluer la qualité de vie des enfants sous AVK, à l’aide d’un questionnaire ; 5/Favoriser les rencontres et les échanges entre les familles confrontées aux mêmes pathologies et au même traitement anti-coagulant.

Les séances d’ETJP de renforcement (6 mois après la première journée) ont des objectifs complémentaires : 1/Fournir l’occasion de rappels sur les AVK, l’INR et les signes évocateurs de sous et de surdosage, partage des expériences entre familles, infirmières d’éducation et médecins ; 2/Mettre en place une séance de jeu éducatif collectif permettant le contrôle des connaissances, le suivi du diagnostic éducatif, le contrôle des objectifs fixés lors de la séance initiale et la mise en place de nouveaux objectifs (ils sont adaptés à chaque patient) ; 3/Organiser et animer des ateliers pratiques : exercice de prise de l’INR avec le coaguchek, de préparation d’un pilulier-semainier, exercice de gestion du carnet d’AVK, informations sur les cardiopathies congénitales avec un mannequin en plastique et un coeur « démontable », 4/Évaluer la qualité de vie séquentielle.

L’ensemble des éléments de chaque journée d’ETJP est colligé dans un dossier d’éducation thérapeutique spécifique et consultable par le patient et l’équipe. Un courrier est systématiquement envoyé au médecin traitant pour maintenir le lien « ville-hôpital ».

Une évaluation du programme d’éducation thérapeutique aux AVK a été faite en 2011. Une première évaluation de l’efficacité du programme d’éducation thérapeutique non sélectif (en termes de niveau social, économique ou d’éducation) a été faite en analysant notamment le temps passé dans la fenêtre thérapeutique, la compliance au traitement, le respect des prescriptions et des contrôles d’INR, et les complications. Ce travail concerne 104 enfants sous AVK (âge médian 8 ans [3 mois-17 ans]), inclus entre septembre 2008 et mars 2011. Les patients réalisaient eux-mêmes les INR. Mais les ajustements de dose étaient faits par un médecin référent, selon trois fenêtres thérapeutiques d’INR en fonction de la maladie sous-jacente. La durée de suivi médiane était de 481 jours [70-1001]. Ces résultats étaient stables pendant toute la durée de l’étude. Une seule complication est survenue. Les patients ont fait leur INR à la date demandée dans 86.9 % des cas. L’anticipation du contrôle de l’INR était appropriée dans 86.2 % des cas. Plus de 90 % des familles ont trouvé le programme d’éducation thérapeutique très adapté et voulaient participer, au long cours, au programme de renforcement. En conclusion, ce programme d’éducation thérapeutique pédiatrique non sélectif, basé sur l’implication des enfants et de leurs parents, permet le maintien de l’efficacité, de la sécurité et de la compliance à l’anti-coagulation et à son contrôle.Selon l’équipe de Necker, l’éducation thérapeutique aux AVK permet ainsi de réaliser une prise en charge globale du patient en le remettant dans son contexte psychosocial. Il s’agit d’une pratique de soin « humanisée » qui prend en charge un patient et non une maladie. Nous rapprochons cette description des propositions d’une hygiène de santé telle que la propose Illich (1975), dans laquelle le patient est partie prenante du dispositif de soin qui lui est proposé.

Une première évolution du dispositif a pu être notée à la suite des échanges avec l’équipe de SHS. En effet, la présentation du dispositif observé initialement (en 2012) a évolué suite aux interprétations des observations issues des analyses croisées entre les équipes. Ainsi en 2013, la précision dans les informations et les processus de tutelle lors de l’éducation des patients et de leur famille sont renforcées dans la séance elle-même. Ceci conduit à une individualisation plus forte du dispositif et à développer des séances d’ET individuelles. Mais le retour des observations et des analyses des chercheures en SHS (2014) complétées par le contenu des entretiens faits avec les familles, soulignent deux points importants : l’intérêt du collectif et une organisation en fonction de l’âge du patient. Les séances collectives sont alors reprises en 2015 et 2016. La séance n’est plus magistrale, mais organisée par ateliers. Chaque groupe de patients (le groupe des bébés et très jeunes enfants, celui des enfants de l’école primaire et le groupe des adolescents) passe environ 40 mn dans chaque atelier avant une rotation des groupes. En 2016, les entretiens avec les familles ont révélé deux éléments. On relève d’une part la présence d’une psychologue mise à la disposition des familles et des enfants et rattachée spécifiquement à cette ETJP en cardiologie pédiatrique. D’autre part, on note une nouvelle activité parmi les ateliers. Dans la séance de renforcement, en plus de la prise d’informations et de l’analyse de l’évolution de l’INR avec le coaguchek, les parents et les enfants apprennent à se piquer pour refaire le geste de s’injecter de la coumadine, si cela est nécessaire. Certains parents avaient en effet exprimé lors des entretiens leur capacité à piquer leur enfant si nécessaire, s’ils n’avaient pas le temps de les conduire à l’hôpital.

Les explications et les exercices proposés suivent de vrais processus de médiation didactique (Numa-Bocage, 2015) prenant en compte l’environnement des jeunes, le désir des familles de piquer ou pas et l’âge des enfants. Les parents sont reconnus dans leur compétence. « Vous êtes maintenant éduqués » leur dit souvent la cardiologue, renforçant ainsi leur confiance dans leurs compétences de parents vis-à-vis de l’enfant malade.

4. Analyse de l’activité de l’IDE

L’activité d’éducation de l’infirmière est observée puis analysée lors de deux interactions entre elle et de jeunes patients et leur famille, à trois périodes différentes, suivant l’évolution du dispositif. L’observation et l’analyse nous conduisent à rapprocher cette activité de la notion de tutelle définie par Bruner (1987 ; Wood, Bruner & Ross, 1976). Nous développons l’observation de l’action de tutelle de l’IDE lors de l’apprentissage de l’utilisation de l’appareil permettant l’auto-mesure (le coaguchek) et la prise en charge par l’enfant de sa propre spécificité médicale.

4.1 Le concept pragmatique de « belle goute »

En 2013, Lina est une jeune patiente âgée de 6 ans, elle est suivie pour une cardiopathie nécessitant des AVK sur une période indéterminée. Le but de l’ETJP est de réaliser au mieux le suivi post opératoire et la prise en charge à distance (elle habite hors de la région parisienne). Ceci nécessite de bien utiliser l’appareil (le coaguchek) pour un suivi à distance efficace.

L’extrait d’interaction que nous présentons et étudions ici est issu de l’observation effective de l’action spécifique de l’infirmière d’éducation dans l’apprentissage de l’utilisation de l’appareil par l’enfant lui-même, lors de la première journée d’ETJP. Il s’agit donc d’un moment de l’éducation qui vise la maîtrise d’un geste technique. Trois temps sont identifiés dans ce geste technique de prélèvement du taux de coagulation avec l’appareil (figure n° 1) : 1/une piqure au bout du doigt bien préparé au préalable pour avoir du sang et produire une « belle goute » de sang ; 2/le rapprochement de la goute de la bandelette dans laquelle le sang va par capillarité diffuser, permettant d’évaluer la durée de progression ; 3/le taux d’INR est calculé et le résultat affiché électroniquement. Le patient doit alors noter dans son livret le nombre qui apparait sur l’appareil et le communiquer ensuite via la permanence téléphonique à l’hôpital.

Figure n° 1

Les trois temps de l’auto-mesure de l’INR (International Normalized Ratio) avec le coaguchek.

-> Voir la liste des figures

Nous observons dans l’exemple de Lina, que l’infirmière adresse un discours général donnant l’ensemble des explications. Elle parle et montre les gestes dans le même temps. Puis elle demande aux parents de faire à leur tour la suite de gestes, tout en rappelant oralement la suite de mouvements à effectuer : « préparation du matériel, lavage des mains, préparation du doigt qui sera piqué en frottant pour ramener le sang au bout du doigt, on se pique, vous avez 120 secondes, on place le doigt au bord, “bip”, la goutte diffuse, “bip”, lecture du taux ».

À la suite de ce rappel, le père de Lina se pique à trois reprises et ne parvient pas à avoir une « belle goutte ». L’appareil signale à chaque fois une erreur (de type 5 : pas suffisamment de sang) et ne donne pas le résultat chiffré attendu. La mère essaie à son tour et ne parvient pas d’avantage. Une erreur de type 5 se produit. Les parents décident alors de faire l’essai en piquant Lina. La petite fille se met à pleurer. Elle refuse que ses parents essaient de la piquer, demandant que ce soit l’infirmière qui la pique. Pour calmer la petite, nous semble-t-il, A (l’infirmière) prend Lina sur ses genoux. Les parents sont à sa gauche. A est légèrement tournée vers eux. Elle tient dans ses mains celles de la fillette. Elle guide les mains de la petite, en faisant les gestes nécessaires et en scandant oralement chacun de ses gestes par le discours donnant la suite des gestes à effectuer et qu’elle avait précédemment décrite aux parents.

Tout en réalisant la séquence de gestes techniques pour faire l’évaluation du taux d’INR, A demande à Lina si cela va bien, si elle sent le bout du doigt prêt, si elle le voit bien rouge avant la piqure. À chaque demande, elle regarde aussi les parents, s’assurant de leur approbation. L’action de l’infirmière peut aisément être comparée à une action d’étayage telle que la propose Bruner (1985). Cherchant à opérationnaliser le concept vygotskien de « zone proximale de développement » (espace psychique compris entre le niveau de résolution d’un problème seul atteint par un sujet et le niveau de résolution atteint avec l’aide d’autrui), Bruner a identifié six fonctions de l’aide apportée par une enseignante aidant un enfant à construire une pyramide. Ces fonctions constituent les différentes dimensions de l’étayage (« scaffolding theory », Wood, Bruner et Ross, 1976), ou tutelle dans les traductions françaises : l’enrôlement, la signalisation des caractéristiques déterminantes, la réduction des degrés de liberté, la monstration stylisée, le maintien de l’orientation vers le but et enfin la gestion de la frustration. Nous relevons ainsi dans l’exemple d’interactions entre l’infirmière, la petite Lina et ses parents, différentes fonctions de tutelle : 1/L’enrôlement, lorsque l’infirmière prend sur ses genoux la petite fille. Elle la rassure en la prenant dans ses bras, ce qui a pour effet de calmer la petite fille qui arrête de pleurer. Elle lui rappelle aussi le déroulement de l’ensemble des gestes et le fait qu’elle va la piquer, mais qu’elle n’aura pas vraiment mal, qu’elle ne va pas s’en rendre compte ; 2/La signalisation des caractéristiques déterminantes, lorsqu’elle précise que le bout du doigt doit être bien rouge et bien préparé avant la piqure pour obtenir une « belle  goute » ; 3/La démonstration stylisée, lorsqu’elle montre les gestes tout en expliquant oralement et dans le même temps en proposant l’image symbolique de « la belle goute » constituant, selon nous un concept pragmatique (Pastré, 2002). Le concept pragmatique « est représentatif d’un champ professionnel, mais aussi d’un type de stratégie qu’un acteur est capable de mobiliser » pour une action efficace (Pastré, Mayen, Vergnaud, 2006, p. 5). Il est construit pour l’action et dans l’action. Il offre la possibilité d’articuler la pratique à la théorie et la possibilité de poursuite de ces développements à travers des modifications en retour sur la pratique, c’est-à-dire la possibilité de créer de l’innovation. Pour A, la taille de la goutte est un indicateur de la réussite du prélèvement avant même le rapprochement du doigt vers le coaguchek. C’est ce qu’elle exprime par l’expression « la belle goute ». Cette expression est reprise par les autres membres de l’équipe comme nous avons pu le constater dans les observations suivantes. Dans les séances de juin 2016, nous avons noté que le terme est repris par toutes les professionnelles impliquées dans le dispositif, pour aider les parents et jeunes patients dans la réalisation du calcul d’INR.

Dans la situation de Lina, l’infirmière développe une argumentation dans son discours qui s’adresse aux parents (pour convaincre et montrer), tout en apprenant le geste à Lina, en manipulant les mains et les doigts de l’enfant dans la même action. Le but visé est l’éducation au « bon geste », celui qui permettra l’usage correct de l’appareil à la maison. Ainsi, le discours et les gestes de l’infirmière sont adressés tout à la fois à la petite fille et à ses parents. Nous avons qualifié cette action de tutelle multi-adressée.

Cette analyse de l’interaction entre une infirmière d’éducation, une jeune patiente et sa famille, centrée sur la personne à laquelle s’adresse l’infirmière, sur les moyens qu’elle utilise pour transmettre l’information, sur ce qu’elle dit et ce qu’elle fait, nous invite à rapprocher l’action de l’infirmière d’une forme de médiation didactique. La médiation didactique est l’ensemble des moyens et conduites d’aide mis en oeuvre par l’enseignant (ou le formateur) pour favoriser l’apprentissage et le développement, chez l’apprenant, dans les situations d’enseignement-apprentissage (Numa-Bocage, 2015).

15 jours après cette observation, nous avons réalisé avec A un entretien de débriefing (Pastré, 2011). L’entretien de débriefing en didactique professionnelle vise à offrir au sujet les conditions d’un retour réflexif sur son action pour en comprendre les finalités, les modalités et les conditions de réalisation. Lors de l’entretien, A nous apprend qu’elle avait préparé son mode d’interaction avec cette famille, car elle présentait un style qui correspondait à d’autres familles qu’elle avait rencontrées depuis cinq ans qu’elle pratique l’ETJP. Elle avait prévu de les laisser agir et d’intervenir à leur demande, en réponse à une sollicitation venant de la famille. Le père est préparateur en radiologie. A a anticipé des difficultés à communiquer avec la famille. En effet, le père travaille dans le milieu médical et connait certaines choses du milieu. Elle a donc anticipé le fait d’avoir du mal à se faire écouter par les parents.

Nous avons pu repérer les différentes « formes d’adresse » utilisées par la professionnelle pour transmettre son message. La négociation se fait avec les parents. L’enrôlement est réalisé avec la jeune malade, mais les parents ne sont pas écartés de l’interaction et A s’adresse également à eux. Il s’agit surtout de convaincre les parents du bienfondé de l’acte (préparer le doigt et piquer) puis de leur montrer comment faire. Il s’agit d’apprendre à Lina à faire le bon geste à partir des sensations kinesthésiques. Elle devra à terme se piquer seule.

L’analyse des différentes formes d’adresse, dans la même interaction, en utilisant différents registres de communication et de fonction de la tutelle, souligne l’adaptation des modes de communication qui tiennent compte de la connaissance qu’a l’infirmière de son interlocuteur. Nous identifions dans cet accompagnement à la maîtrise du geste technique d’auto-mesure de l’INR. Il s’agit d’un accompagnement très maîtrisé. C’est le schème d’accompagnement de l’infirmière A. Ce schème d’accompagnement est constitué d’un but d’information et d’enseignement du bon geste, des savoirs techniques de l’infirmière, mais aussi des savoirs issus de l’expérience comme « la manière d’agir avec des familles du milieu médical ». Avec la pratique, A a construit des savoirs issus de son expérience qui sont des invariants sur lesquels elle s’appuie pour guider ses interventions auprès des familles et pour animer les séances d’éducation thérapeutique. Les résultats de ces observations et de ces analyses ont été présentés et discutés lors d’un séminaire regroupant les deux équipes.

4.2 Que nous apprennent les familles ?

Le développement de cette coopération à l’ETJP implique de la part des soignants des compétences spécifiques qui s’ajoutent aux compétences médicales. L’accompagnement des familles à l’ETP s’ajuste selon la prise en compte de tout un environnement à la fois psychologique, social et culturel. De ce fait, agir auprès des parents des jeunes patients pour les rendre autonomes par rapport à la maladie mobilise de la part des professionnelles des configurations d’actions singulières (Tourette-Turgis, 2015). Le positionnement du soignant est de faire prendre conscience aux parents « que c’est possible », qu’ils ont aussi des compétences pour gérer la santé de leur enfant. Cette prise de conscience se réalise à partir de ce que les parents savent déjà faire pour leur enfant, à partir des ressources reconnues des parents, et de la réélaboration avec l’équipe médicale des incidents critiques évoqués par les parents lors du suivi téléphonique.

Nous avons adopté une démarche méthodologique à visée compréhensive qui a permis de recueillir une trentaine d’entretiens auprès des familles (entretiens semi-directifs biographiques). Ces entretiens nous ont permis d’identifier les représentations, le vécu des patients autour de deux dynamiques d’interaction.

Cette éducation thérapeutique, centrée sur le fait que la famille doit vivre avec la maladie appuyée sur une approche participative des familles, cherche à accentuer le développement de leurs propres ressources (psychologique, sociale, et technique). Elle fait des familles et du patient un partenaire, autrement dit, une personne ressource dans le traitement thérapeutique. Cette éducation est très appréciée des familles comme des jeunes patients. En effet, à titre d’exemple, lors des entretiens, un couple explique qu’au début de l’utilisation du coaguchek, ils faisaient les mesures et les rapportaient sur le répondeur téléphonique de l’hôpital sans les noter dans leur carnet. Ils ont vécu un incident très grave ayant conduit à l’hospitalisation d’urgence dans un état comateux de leur petit garçon. L’enfant a été sauvé. Mais en discutant avec la cardiologue, ils ont compris que s’ils avaient noté sur leur carnet les mesures, ils auraient vu l’évolution de la courbe et auraient d’eux-mêmes proposé un ajustement de la prise de coumadine. Au moment de l’entretien, quelques années après, ils n’oublient plus, même s’ils ont en tête l’évolution de la courbe. À chaque fois qu’ils notent, ils voient les autres mesures. Lors du séminaire, en revenant sur cet exemple, la cardiologue explique : « on cherche à leur mettre le carnet dans la tête ». Nous avons rapproché cette expression imagée du concept d’instrument psychologique de Vygotski. Un objet matériel (le carnet) devient un support psychologique pour le raisonnement et l’action ultérieure. À la suite de cette analyse, la nouvelle intelligibilité de l’action de la cardiologue est devenue un savoir propre à l’équipe qui devient un objet et un objectif des séances d’ETJP.

4.3 ETJP et hygiène de vie

Le fait de rendre compte de ces exemples et de les asseoir théoriquement par rapport à des concepts issus notamment de la didactique professionnelle a permis à l’équipe thérapeutique d’avoir du recul sur sa propre pratique et, en particulier, de la théoriser. C’est-à-dire que les membres de l’équipe ont compris autrement ce qu’elles étaient en train de faire, et comment elles pouvaient agir avec certains parents. Cette compréhension distanciée de la pratique a vu le jour lors des séminaires d’échanges entre les deux équipes. En effet, la confrontation organisée des analyses des équipes (SHS et Necker) sur les descriptions argumentées des gestes observés a produit des éléments (compréhension, théorisation de la pratique, action d’amélioration du dispositif) correspondant à des conceptions inventives (Sonntag, 2007). C’est-à-dire que le savoir et le savoir-faire technique de l’équipe médicale et les savoirs et méthodes d’analyse de l’équipe de SHS se sont articulés pour créer de nouvelles organisations à l’intérieur du dispositif, le rendant plus formateur, plus éducatif.

Par exemple, l’analyse du travail de A et de son activité renseigne sur les dimensions d’une formation possible de professionnels intervenant en ETJP. La constitution de catégories de famille implique des classes de situations particulières qu’il faudrait chercher à identifier. L’adressage des gestes professionnels concerne tout autant les familles que les patients, mais présente des formes différentes. Les professionnels ont construit des concepts pragmatiques qui s’avèrent efficaces dans cette éducation thérapeutique. Ce qui intéresse la didactique professionnelle dans le savoir-faire, c’est le savoir dans le faire, c’est l’intelligence de l’action que nous avons pu identifier pour en faire par la suite des situations de formation. À travers cette démarche d’investigation sur l’étude et l’analyse de cas, nous participons à la création du savoir de référence de la didactique des professionnels de l’intervention thérapeutique adressée à des jeunes.

Ce faisant, nous relevons que le rôle de l’IDE s’appuie sur une connaissance des réactions possibles des familles en fonction de leur environnement, de leur profession, de leur culture ou de leur langue maternelle. Nous pouvons identifier une évolution du métier qui replace le malade, avec sa maladie dans son environnement de vie quotidienne. Nous pouvons ici faire référence à la notion d’outil convivial d’Illich (1975). Pour cet auteur, un outil est ce qui est mis au service d’une intentionnalité, un moyen au service d’une fin. Il considère la médecine en tant qu’institution. Pour qu’un outil soit convivial, il ne faut pas d’inégalités entre les individus. C’est un outil qui renforce l’autonomie. C’est un outil qui permettra d’accroître le champ d’action de chacun sur le réel, autrement dit, un outil convivial permettant des utilisations multiples. L’outil doit permettre l’expression libre de celui qui l’utilise. Nous pouvons faire un parallèle entre cette notion d’outil convivial chez Illich (dimension matérielle et ses potentialités de développement), et la notion d’outil chez Rabardel (2005) correspondant au processus psychique d’instrumentation. L’accent est mis sur l’élaboration d’instruments psychologiques. Dans notre recherche, l’expression, que reprennent la cardiologue puis l’infirmière après elle (« on cherchera à leur mettre le carnet dans la tête »), correspond à cette double notion d’outil.

Une autre notion semble avoir sa place dans ce dispositif d’ETJP : la notion de santé. Elle est définie comme un état général de bien-être et suppose une nouvelle culture dans les activités productrices plus tournées vers la recherche de l’harmonie avec l’environnement. Ces activités cessent, selon Illich, de dépendre des obligations extérieures pour retrouver leur autonomie, leur diversité, leur rythme. Elles permettent de devenir joie, de favoriser la communication, une forme d’« hygiène », c’est-à-dire un art de vivre. Être en bonne santé, c’est avoir les capacités d’assumer la maladie comme la puberté, comme un changement dans sa propre vie. Pour Illich, la médicalisation dispense ou empêche l’individu d’assumer tout cela. Il fait appel à la iatrogénie structurelle, c’est-à-dire à l’engendrement structurel de la maladie par l’institution médicale. Être en bonne santé dépend de la capacité de l’individu de pouvoir maintenir un rapport relativement stable avec son environnement. Sans s’exprimer en termes de professionnalisation de la médecine comme le fait Illich, nos observations mettent en évidence une transformation des pratiques professionnelles du soin vers la prise en compte de l’individu gérant sa maladie dans son environnement habituel, comme un contournement de cette iatrogénie structurelle.

Conclusion

La situation d’ETJP est équivalente à une situation d’apprentissage au sens de Vygotski (1934/1985). Elle présente une dimension triadique incontournable enfant-parents-soignants. Ceci dans une forme plus évoluée dans laquelle la maladie et les invariants qu’elle permet de construire chez l’enfant placent d’emblée ce dernier, accompagné de sa famille, en acteur fondamental et incontournable dans cette éducation. Le corps médical travaille aussi dans l’éducation thérapeutique à la valorisation des capacités d’agir de ces personnes-ressources pour le personnel médical et dans l’efficacité de son action thérapeutique.

La rencontre avec d’autres champs théoriques offre des moyens d’évolution de cette éducation particulière. C’est ainsi que le rapprochement avec des chercheures de sciences humaines et sociales proposant un regard analytique appuyé sur les cadres de la didactique professionnelle dans les pratiques d’éducation thérapeutique adressée à de jeunes patients favorise une transformation du dispositif bénéfique aux patients et à leurs familles d’une part et fait évoluer les pratiques professionnelles d’autre part. L’un des résultats de cette rencontre est la transformation d’un dispositif d’éducation thérapeutique composé d’une rencontre plénière sur deux jours en un dispositif mieux adapté à l’âge et aux attentes des jeunes patients. L’analyse de cette évolution est interprétée en termes de retombées formatives à travers l’évolution du métier d’infirmière d’éducation thérapeutique.