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Introduction

Dans la liste des dilemmes qui parcourent les processus de formation, ceux qui entourent la notion d’évaluation sont multiples et récurrents. Liés à la variété des fonctions de cette dernière ou à sa compatibilité avec la diversité des contraintes et objectifs, le formateur (de terrain ou universitaire) réalise des arbitrages pour tenter de concilier ses fonctions parfois hétérogènes voire « en opposition ». Avec l’émergence et le développement de l’accompagnement dans les formations, ces dilemmes ont pris une teneur et une importance particulière. Dans ce cadre, le présent article se veut une exploration du rapport entre accompagnement et évaluation et plus précisément de sa dimension certificative et de contrôle. L’étude de ce rapport reposera sur la réexploitation de données recueillies dans le cadre d’une recherche réalisée il y a quelques années. Ces travaux portaient sur l’analyse des effets d’un dispositif de formation visant le développement de la pratique réflexive d’enseignants stagiaires débutant leur carrière. Ils nous avaient permis de mettre en lumière des modifications du rapport de ces enseignants à leur pratique et à leur formation. A travers l’analyse des données recueillies à l’époque, nous tenterons aujourd’hui de répondre aux questions suivantes : le vécu dans le dispositif d’analyse de pratiques professionnelles (APP dans la suite) proposé a-t-il des conséquences sur le rapport des participants à l’évaluation ? Si oui de quelles natures sont ces conséquences et quels sont les éléments relatifs au processus d’accompagnement qui permettraient de les expliquer ? La définition des concepts d’accompagnement et d’évaluation constituera le coeur de notre première partie ainsi que le point de départ de notre réflexion pour fonder notre recueil des données et leur étude et ainsi tenter de répondre à nos questions de recherche.

1. Accompagnement et évaluation : quelles définitions et liens possibles entre les concepts ?

1.1 Accompagnement

Le processus d’accompagnement qui apparaît de façon importante dans les offres de formations aux « métiers de l’humain » se décline de façons multiples (Paul, 2004 ; Boucenna, 2014). Son apparition est le probable témoin d’un changement de paradigme aboutissant à une transformation de la façon de penser la place du sujet en formation mais dans des orientations hétérogènes (Ardoino 2000). De la littérature relative à ce sujet, nous retenons quatre dimensions récurrentes et structurantes : l’autonomie de l’acteur, la dimension sociale du processus, la composante éthique du processus et enfin l’imprévisibilité de la dynamique et de ses objets. Nous détaillerons chacun de ces éléments pour éclairer le cadre problématique de notre question de recherche.

Dans l’accompagnement àla verticalité présente dans les formations traditionnelles succède l’horizontalité (non la symétrie cf Boucenna dans ce même numéro) des relations entre acteurs (Paul, 2009) et « l’accompagnement suppose la reconnaissance de l’autonomie du sujet » (Jorro 2012, p. 5). Cette autonomie se traduit par la nécessité pour le formateur de miser « sur la potentialité de l’autre de se développer » (Charlier et Biémar, 2012, p. 155). Cette tension potentielle entre autonomie et dépendance à l’accompagnateur nécessite un dosage du positionnement de ce dernier. Jorro précise ainsi que « L’interventionnisme de l’accompagnateur est difficilement conciliable avec les finalités de l’accompagnement » (2012, p. 6). Pourtant entre ces différentes formes d’apparition (guidage, conseil, tutorat, Ce dosage met en évidence le caractère relationnel du processus (Paul, 2004 ; Biémar, 2012) qui constitue la deuxième composante de l’accompagnement que nous retenons. « L›accompagnement suppose, encore, une relation subjective, ou mieux intersubjective, entre des personnes, des sujets, et non seulement des rapports, qui pourraient être entendus comme plus objectifs, plus «neutres», dépourvus d›affectivité ou d›émotionnalité. Ces relations sont interactives. » (Ardoino 2000, p. 11). Outre ce caractère relationnel, le statut des accompagnateurs confère une dimension sociale au processus. En tant que moment de rencontre et d’échange avec le représentant d’une corporation (l’accompagnateur de terrain ou universitaire), l’accompagnement joue un rôle de socialisation professionnelle (Wittorski 2007). L’accompagné ayant une opportunité de construction d’un style professionnel en perspective avec le genre professionnel. Le croisement de ces deux dimensions relationnelle et sociale met en lumière la potentielle dimension éthique du processus. Ainsi, le registre de l’accompagnement se traduit par une série « d’interrogations axiologiques mobilisant des systèmes de valeurs. Une telle philosophie de la relation serait, alors, celle d’une réciprocité entre des partenaires, qui ne seraient pas, pour autant, conçus à l’identique, mais explicitement reconnus comme « autres «, témoignant entre eux d’un pluriel, de différences et d’hétérogénéités » (Ardoino 2000, p. 11-12).

La dernière des dimensions que nous positionnons comme au coeur de l’accompagnement est la nature imprévisible du chemin de formation dans le processus d’accompagnement (Paul, 2004). Dans une option socioconstructiviste de l’accompagnement, l’absence de destination initiale normée[1] implique une co-responsabilité du formé et du formateur dans la construction adaptative du cheminement (Vial et Caparros-Mencacci, 2007). Cette co-construction nécessite un travail de négociation, de contractualisation et de gestion du parcours. Cependant, ce travail de construction ne se limite pas à la forme de l’accompagnement, il touche aussi ses objets. Ainsi, à l’existence d’une norme extérieure au sujet et à atteindre présente dans les formations traditionnelles, se substitue l’émergence contextualisée des objets sur lequel porte l’accompagnement. Nous y reviendrons lors de notre définition de l’évaluation.

Ces quatre dimensions de l’accompagnement sont au coeur de la conception du dispositif APP dont nous présenterons l’évaluation des effets par la suite.

Cependant, les quatre critères que nous avons retenus bien que récurrent dans les définitions de l’accompagnement ne saurait recouvrir l’ensemble des déclinaisons pratiques de l’accompagnement. Ainsi, l’usage d’indicateurs variés permettrait « de repérer et de distinguer entre certaines formes d’accompagnement plus autoritaires, plus modélisantes, axées vers l’imitation, le mimétisme, la reproduction du même (guidance, tutorat, dressage, conditionnement, maîtrise...), et d’autres, plus respectueuses de l’altérité et de ses potentialités d’originalité et de création » (Ardoino 2000, p. 13). Dans chacune des pratiques qui découlent de ces orientations, les périmètres et rôles des accompagnateurs (formateur de terrain ou universitaire) et de l’accompagné se précisent et établissent une « carte » des compétences des formateurs (Biémar 2012). Cette complexité n’est cependant pas la seule, dans le cas de formations institutionnalisées, notamment celle des enseignants débutants en France qui constitue le cadre de cet article, le processus d’accompagnement n’est pas isolé. Le système complexe au coeur duquel se trouve l’accompagnement repose sur l’équilibre entre plusieurs logiques et sa « performance » est en partie déterminée par la cohérence de la tenue des différents rôles et le respect du périmètre contractualisé par les différents acteurs. La mise en cohérence de l’accompagnement avec les autres éléments de formation et processus constitue à ce titre l’un des facteurs de réussite de l’entreprise de formation. Dans le cas contraire, en cas de distance ou d’incohérence partielle, la situation peut en effet aboutir à des tensions cognitives contreproductives chez le formé (Wittorski 2007). Le principe de complémentarité des interventions notamment entre ceux qui sont chargés du suivi de terrain et les formateurs universitaires (Saussez et Allal 2007, Boucenna 2012) constitue à ce titre un élément essentiel. Cette complémentarité interroge à la fois le contenu des interventions des formateurs (qu’ils soient accompagnateurs ou qu’ils utilisent une autre modalité de formation) et les attendus de formation. Ainsi, l’inscription dans une double logique d’évaluation (formative et certificative) pourrait à ce titre constituer un facteur de complexité voir d’incompatibilité entre les modalités de formation. Les processus d’évaluation certificative et de contrôle pourraient en effet entrer en contradiction avec les logiques de l’accompagnement tel que nous l’avons défini (Perrenoud 1998, Jorro 2007). Mais avant d’aller plus loin sur cet élément qui sera au coeur de nos hypothèses, nous proposerons des éléments de définition de l’évaluation susceptibles d’éclairer notre problématique.

1.2 Evaluation

Perrenoud propose de distinguer deux logiques de l’évaluation (Perrenoud 1998a) qui peuvent être complémentaires ou indépendantes mais présentent des visées différentes. La première, le plus souvent lié à un appareillage de mesure, permet le contrôle d’une production et peut donner lieu à la certification de l’atteinte d’un niveau ou d’une performance, on parlera dans la suite de l’article d’évaluation certificative et de contrôle. Cette évaluation se fonde sur la détermination ou l’existence d’un attendu qui est la plupart du temps une norme extérieure au sujet en formation (référentiel de compétence par exemple). Dans ce type d’évaluation, la sanction certificative (De Peretti, 1998) aboutit parfois à la possibilité de décider de l’avenir du formé. Dans ce cas, il s’enclenche potentiellement un certain nombre de processus psychologiques de défense et de sécurisation de leur parcours scolaire chez le formé (Fabre, 2009) pouvant aboutir à la production en surface d’un attendu sans réellement se transformer telle qu’on les retrouve dans les stratégies d’apprentissage en surface (Parmentier et Romainville 1998). La reproduction ou l’application de normes-recettes, extérieures au sujet, mais correspondant aux attentes de l’institution (consignées dans les référentiels), devient une stratégie potentielle pour le formé et que Jorro identifie dans la posture de retranchement/évitement du formé (2005). La question du positionnement et du rôle du sujet trace ici une ligne nette de démarcation entre l’évaluation certificative et l’évaluation formatrice (De Peretti, 1998 ; Perrenoud, 1998a ; Vial 2001). Ainsi, par exemple « La notation est une réduction statistique qui abolit très largement « la valeur » pour la remplacer par « la comparaison » qui dit à chacun comment il se situe par rapport aux autres, alors que l’important est qu’il puisse se situer par rapport à lui-même » (Meirieu 2004, p. 169). Dans le cas d’une évaluation formative, deux dimensions apparaissent. En premier lieu, celle d’une évaluation de positionnement, dans laquelle il s’agirait de savoir là où se situe le formé par rapport à des valeurs et non de donner une valeur à là où le sujet se trouve. Ainsi, les dimensions formatrice et formative de l’évaluation correspondraient à un processus de rapport à la valeur et non à un jugement de la valeur, jugement qui correspondrait pour sa part à une évaluation contrôle à visée certificative. En second lieu, celle d’une recherche de compréhension des fondements et causes de ce positionnement. La question des valeurs ne peut cependant être abordée sans définition préalable du point de référence choisi. Si ce point est relatif à une norme extérieure on pourra parler d’évaluation-contrôle, c’est-à-dire qui contrôle et certifie la conformité d’une pratique à un modèle collectif de référence et la juge en la positionnant par rapport lui. Ces normes externes qui définissent le métier, instituées ou non, sont socialement conçues, admises collectivement et désignées comme souhaitables. Elles correspondent au genre professionnel décrit par Clot (1999). Dans le cas d’une référence à une norme personnelle (interne à soi) le processus d’évaluation s’inscrit la plupart du temps (mis à part les motifs personnels de dépassement) dans une démarche de construction de soi et l’on pourrait alors parler d’évaluation formatrice, visant une régulation ou un développement professionnel plutôt qu’un contrôle (Perrenoud, 1998a ; Vial, 2001). Ces normes internes sont le produit d’une transaction entre l’identité de l’acteur, son expérience et les normes extérieures. Elles sont les représentations personnelles du « normal souhaitable » qui se fondent sur l’émancipation ou l’interprétation des normes extérieures et s’incarnent dans le style professionnel (Clot 1999). Canguilhem affirme que « tout homme veut être sujet de ses normes » (Canguilhem 1947, p. 135). Dans chacun de ces deux cas (valeur en référence à des normes externes ou internes), la fonction de l’accompagnateur est spécifique : plutôt ami critique (Jorro 2006) lorsqu’il est porteur d’une norme à faire atteindre et qu’il participe à la vérification de son atteinte éventuelle et plutôt compagnon réflexif, médiateur, passeur (Donnay & Charlier 2008, Bronckart 2008) dans le second cas lorsqu’il s’agit de favoriser le travail de renormalisation par l’accompagné (Schwartz 2000).

1.3 Liens et tensions possibles entre accompagnement et évaluation

Nous avons proposé, en synthèse d’un article à paraître, une définition de l’accompagnement qui positionne le sujet au centre des processus de formation, plutôt qu’une norme extérieure à lui, offrant la possibilité au formé de construire « avec le formateur (contractualise, négocie et réoriente) un chemin singulier de formation, tout en s’autonomisant » (Vacher 2017, p ?). Cette définition de l’accompagnement nous permet de saisir des tensions potentielles entre accompagnement et évaluation certificative et de contrôle. En effet, dans la définition que nous donnons de l’accompagnement, chacune des dimensions (Autonomie, dimension sociale/relationnelle, éthique et imprévisibilité) est une source potentielle de déstabilisation de l’accompagné. La référence à la norme extérieure et l’étayage psychologique qui en découle (rassurer le formé sur les buts, les activités à produire ou à reproduire)[2], est majoritairement absente du processus d’accompagnement tel que nous l’avons défini. Ce processus constitue alors un facteur potentiel d’insécurité pour l’accompagné car il est porteur d’inconnu et l’engage non seulement à réfléchir son chemin mais aussi à se réfléchir en cheminant (Donnay & Charlier 2008). Dans ce cadre, le développement d’une pratique réflexive constitue tout autant un élément déstabilisant (Perrenoud 2001, Kelchtermans 2001) que de restabilisation a posteriori lorsqu’il produit des leviers d’appréhension et d’acceptation de la complexité (Vacher 2015). Cette entrée dans la réflexivité, enclenchée par l’accompagnement, s’inscrit dans une logique d’activité constructive (Samurçay & Rabardel, 2004) qui participe au développement professionnel. Or ce développement s’envisage non dans une temporalité courte de l’évaluation certificative mais bien à l’échelle de la construction d’une maturité professionnelle à long terme. Ardoino affirme que l’accompagnement implique ainsi « beaucoup plus encore une initiation-réitération, une altération, une maturation et une appropriation, qui, elles, ne peuvent être que temporelles. L’accompagnement s’effectue donc à la fois dans le temps et dans l’espace. » (Ardoino 2000, p. 11). Dans ce cadre, on comprend que la logique de production (Perrenoud 1998a) dans laquelle les enseignants stagiaires sont « embarqués » (Fabre 2009) du fait des échéances certificatives et de la nécessité d’agir sur le terrain du stage face à leurs classes, les éloigne potentiellement de l’engagement dans un accompagnement structuré par une logique de formation et de réflexivité (Perrenoud 1998a, 2001) à visée constructive (Samurçay & Rabardel, 2004). Les conflits de temporalités (court terme versus long terme) et de contenu (norme extérieure-recette versus contenu non planifié en émergence) qui peuvent naître sont de nature à rendre difficilement conciliable pour le formé et le formateur les procédures d’évaluation certificative de contrôle et les processus d’accompagnement.

Dans ce contexte et face à la nécessité de construire un espace sécurisant pour tenter une conciliation entre ces éléments, la confiance de l’accompagné dans l’accompagnateur semble une condition nécessaire à la viabilité du processus d’accompagnement et à son efficience. Cette possibilité se fonde sur une contractualisation formelle du fond et de la forme de l’accompagnement mais aussi (surtout ?) sur son « enveloppage » humain, sur l’épaisseur psychosociale du processus (Ardoino, 2000 ; Paul, 2004). Ainsi, la clarification des liens entre le processus d’accompagnement et celui d’évaluation certificative et de contrôle apparaît comme un point central de cette démarche de contractualisation. La démarche éthique en cohérence avec la gestion de la teneur humaine du processus constituent les conditions complémentaires de la « réussite » de l’accompagnement.

L’hypothèse que nous développerons au cours de cet article est que le dispositif d’APP vécu, par sa sécurisation de l’activité de chacun des acteurs permet aux participants d’effectuer une bascule d’une logique d’action à une logique de formation (Perrenoud 1998a). Ce passage d’une activité productive à une activité constructive (Samurçay & Rabardel, 2004) aboutit à un changement de relation à leur pratique et à leur formation notamment en rapport avec les normes et l’évaluation certificative et de contrôle. L’enjeu de notre recherche et d’éclairer ces modifications.

Pour cela, la suite de cet article se structure en trois parties. Nous présenterons dans la prochaine partie le dispositif d’accompagnement sur lequel portent nos travaux, son contexte de mise en oeuvre et les outils de recueil de données que nous avons conçus dans notre recherche. La partie suivante de l’article se centrera sur l’étude des résultats de ses travaux susceptibles d’éclairer notre problématique. Enfin, la dernière partie discutera ces résultats pour tenter d’en faire sortir les ressorts de la modification du rapport à la norme et à l’évaluation.

2. Contexte, dispositif support et outil de la recherche

2.1 Contexte de la recherche

Les résultats que nous présentons dans cet article sont extraits de travaux de thèse réalisés entre 2008 et 2010. Ces travaux portaient sur l’évaluation des effets d’un dispositif d’APP visant la construction d’une pratique réflexive chez des professeurs stagiaires[3].Ces derniers suivent, durant l’année qui suit leur recrutement par concours, une formation se déroulant pour mi ou tiers temps en établissement scolaire et pour mi ou deux tiers de temps en institut de formation. Les données que nous analysons ont donc pour contexte la formation initiale des enseignants en France avant que celle-ci ne soit « mastérisée ». Ce contexte est particulier car il offrait une souplesse dans la structuration des formations et ce notamment par rapport à l’obligation de certification.

Dans ce contexte, nous avions conçu un dispositif d’analyse de pratiques professionnelles qui tente de prendre en compte les caractéristiques du public dont nous retenons pour cet article deux grandes tendances que l’on retrouve dans la littérature à ce sujet et que nous détaillons ici :

- Les PS sont pour la grande majorité en demande de contenus de formation directement utilisables sur le terrain de la classe (ou avec une moindre transposition) (Note DEP 2006 ; Rayou 2008). Cette demande de « recettes » répond à deux exigences. La première est relative à l’économie du travail à fournir dans une année ou les contraintes (évaluations, formations en institut, classe en responsabilité) et la découverte d’un nouveau milieu professionnel (variété des publics, fonctionnement de l’établissement) sont déjà très chronophages. Les demandes de recettes et de conseils aboutissant à la construction de représentations qui « permettent aux acteurs de comprendre et d’agir sur la réalité selon un principe d’économie cognitive favorable à la résolution de problèmes quotidiens au moindre coût» (Roux-Perrez 2004, p. 1), sont ainsi les plus nombreuses. Le deuxième principe est celui de l’augmentation du sentiment de sécurité par le report sur l’expertise du formateur (Dubois, Gasparini & Petit 2007). Nous avions mis en évidence dans nos travaux que pour fonctionner, et lorsqu’il n’y avait que peu d’interaction avec les formateurs chargés de leur suivi, les PS adoptent une stratégie de mobilisation des ressources déjà maîtrisées, reproduisent leur propre mode de socialisation scolaire (Rayou & Van Zanten, 2004 ; note DEP 2006) pour répondre aux principes d’économie et de sécurisation. Ces deux principes se traduisent lors des interactions de formation par une demande de conseils (Chalies 2002) et ce quel que soit le module de formation (disciplinaire ou transdisciplinaire). Ainsi, « les praticiens expriment d’emblée une conception déficitaire de leur pratique professionnelle en faisant référence à une approche idéaliste » (Jorro 2005, p. 38) et se sécurisent par la demande de recettes et conseils leur permettant de tenter de se conformer à cet idéal-typique ou de résoudre leur difficulté par l’application des solutions mises en oeuvre par l’expert idéalisé qu’est le formateur.

- Les comportements qui apparaissent lorsque les PS sont en situation d’analyse d’une pratique (la leur ou celle d’autrui) prennent la plupart du temps la forme d’un « réflexe » de jugement et/ou de comparaison des actes d’autrui avec leur propre pratique. Ce réflexe pourrait s’expliquer à la fois par le manque d’expérience mais aussi par la nécessité d’affirmation de leur identité professionnelle en construction dans cette phase de transition identitaire (Dubois, Gasparini & Petit 2007).

Notons enfin, pour compléter le panorama du contexte, deux éléments particulier. En premier lieu, L’offre d’un module d’APP était nouvelle dans l’institution et se présentait sous la forme d’un choix entre deux dispositifs. Le module de formation était présenté aux PS qui avaient ainsi le choix de s’inscrire au dispositif étudié ou à un autre que les PS qualifient comme nécessitant un « engagement moindre ». En conséquence, les PS n’avaient pas de références autres que les présentations des dispositifs pour effectuer leur choix. Précisons que les réactions des PS, à l’issue de la présentation des deux dispositifs et en vue de leur choix, traduisent leur doute quant à l’efficacité de l’APP en général et du dispositif que nous proposions en particulier. Ils affirmaient le décalage des objectifs par rapport à leurs attentes de formations qui étaient tournées vers l’efficacité directe en classe et la validation de leur année. Les témoignages qui illustrent cette attitude sont présents de façon égale chez ceux qui choisiront de participer à ARPPEGE. Les extraits suivants, que nous avons recueillis lors de la présentation du module d’APP aux PS en vue de leur inscription à l’un des deux dispositifs, traduisent ces demandes « nous ce que l’on veut c’est réussir, pas besoin d’analyser », « Je n’ai pas de recul sur ce que je fais pour l’instant alors quel intérêt à prendre du temps pour analyser», « on veut des réponses pas des questions».

Le second élément est relatif au fait qu’à l’époque de cette recherche nous étions à la fois chercheur, animateur du dispositif d’APP et évaluateur (certificatif) présent dans le jury final de validation de leur année de stage[4]. Cette singularité nous avait poussé à l’époque de la recherche à explorer dans nos outils de recueil la question du cumul des fonctions mais aussi l’impact plus spécifique des interférences éventuelles de l’accompagnement et de l’évaluation certificative.

2.2 Dispositif de formation conçu et étudié

Le module de formation APP/ARPPEGE se compose de cinq séances de trois heures réparties tout au long de l’année et espacées au maximum de deux mois et au minimum de trois semaines. Le dispositif Analyse Réflexive de Pratiques Professionnelles En Groupe d’Echange (ARPPEGE) que nous avons conçu en nous fondant sur les caractéristiques[5] du public, avait pour objectif principal l’accompagnement de l’entrée dans la réflexivité. Notons que contrairement à certains dispositifs d’accompagnement ou d’APP, tel que le codéveloppement ou dans le modèle d’apprentissage expérientiel de Kolb (1984), l’enjeu d’ARPPEGE n’est pas la résolution de problème, le retour à l’expérimentation directe ou la conception de pistes d’action mais bien le développement de la réflexivité par l’amélioration des capacités d’analyse. Cette perspective inscrit la construction du « savoir analyser » dans une logique de développement professionnel plutôt que dans une logique d’action, instrumentale et productive (Altet 1996). Deux sous-objectifs sont ainsi visés pour atteindre ce but. La recherche, dans une logique d’accompagnement du passage d’étudiant à enseignant débutant, d’une prise de conscience et d’une ouverture des perspectives pour « penser autrement » face un mode de socialisation scolaire dominant et reproductif (Rayou & Van Zante n 2004). Ce processus se fonde sur  l’émergence du contradictoire ou du différent dans les analyses produites puis du  maintien et du développement de l’activité réflexive par l’intégration des éléments conscients de l’analyse multiréfléchie. Le second sous objectif portait sur la construction d’une compréhension commune des pratiques analysées (mutualisation, co-construction de modèles de lecture des situations et d’un langage commun, analyse du processus d’analyse). Deux processus cognitifs, potentiellement déclenchés par le vécu du dispositif, permettaient l’atteinte de ces sous objectif :

- la recherche de l’émergence de décalages de natures diverses (parfois de dissonance cognitive) qui favorise la prise de conscience et de recul des participants. Cette prise de conscience constitue aussi potentiellement une source de déstabilisation que nous tentons de contenir par la stratégie d’accompagnement que nous mettons en place. Ainsi, nous avons conçu un cadre sécurisant pour favoriser l’acceptation des contenus « dérangeants » et améliorer l’environnement de la transition du statut d’étudiant à celui d’enseignant débutant. Les décalages qui sont provoqués par le dispositif sont de nature plurielle : synchronique, diachronique, interne et externe. Dans le cas des décalages internes, ils sont personnels et individuels, ils surviennent chez un participant entre ses analyses « spontanées » ou réactives qui sont produites à propos d’un récit et ses analyses réfléchies qui émergent à l’issue d’un temps de questionnement en groupe. Les décalages externes sont le produit de l’expression par les différents participants du groupe de réflexions diverses (dissonantes ou divergentes).

- la formalisation/modélisation écrite et commune de la compréhension. Ce processus qui ne correspond pas aux habitudes « scolaires » des PS implique de leur part une clarification de leur compréhension en vue d’une synthèse collective mais aussi de co-construire un langage susceptible de favoriser cette compréhension commune.

Le dispositif se déroule en deux grandes étapes et huit phases[6] conçu autour d’une progressivité permettant de sécuriser l’engagement des participants dans le contenu de travail mais aussi de les mettre en confiance par rapport à l’animateur/accompagnateur. La première étape (phase 1 à 5 bis) est centrée sur une construction et une analyse […] individuelle  permettant une décentration proximale) alors que la seconde étape (phase 6 à 8) est collective (co-construction et décalage interne/externe) et permet aux participants de rentrer dans un mode nouveau de fonctionnement qui est rendu possible parce que ces phases succèdent à la première étape. Les participants sont donc accompagnés au cours des deux étapes dans le passage d’une approche auto-référencée à une approche multiréfléchie. Un ensemble de stratégie d’accompagnement est déployé tout au long de la séance pour ne pas mettre en difficulté « sociale » et cognitive le participant. Ainsi les décalages déstabilisants sont au départ réalisés à partir de l’étude de ses propres analyses et dans un travail articulant de façon progressive phases individuelles et collectives. La décentration qui en découle permet potentiellement d’accepter et de travailler sur les décalages externes qui apparaîtront dans la suite du dispositif. Cet accompagnement progressif constitue l’un des éléments centraux de la sécurisation du cadre. Lors de ces deux étapes, les règles de non jugement, de non proposition de pistes d’action et de non interprétation implicite sont organisatrices des prises de parole. Tout au long de la séance, elles sont garanties par les régulations de l’animateur. Ces règles intangibles constituent la ligne de conduite éthique du dispositif et, pour le participant, une sécurisation supplémentaire de son engagement. Le contrat qui est posé au démarrage de chacune des séances clarifie ces principes/règles et constitue le « filet de sécurité » de ce dispositif accompagnant. Le dispositif ARPPEGE est donc conçu pour partir de ce qu’est le sujet en formation et l’accompagner vers une démarche réflexive initialement en rupture avec ses attentes et habitudes « scolaires ».

2.3 Outils de recueil des données[7]et méthodologie de traitement

Notre recherche est empirique et nos outils s’ils ont fait l’objet d’études quantitatives sont majoritairement traité de façon qualitative. Différentes formes d’outils ont été conçues pour recueillir les données : des questionnaires, des enregistrements vidéos des observations en cours de protocole et des séquences d’entretien après visionnage avec les 9 participants PS au module de formation au cours des deux années[8]. Ces outils permettent de recueillir à la fois des informations sur l’activité réelles lors des séances ainsi que les représentations et analyses « à froid ».

2.3.1 Questionnaires « séance » et « bilan »

Les questionnaires sont remplis par les participants à l’issue de chaque séance. Il permet, à partir de questions fermées et semi ouvertes (de type « si oui veuillez préciser la nature-pourquoi… ») de recueillir des informations sur :

- les effets déclarés et perçus du dispositif lors de la séance. Le questionnaire demande aux participants, lorsqu’ils déclarent la présence d’effets, d’identifier trois temporalités d’effet potentiel, court terme (la période proche qui suit la séance), le moyen terme qui correspond à l’année de formation et enfin le long terme qui correspond à la poursuite de la carrière. Cette stratégie d’interrogation de la temporalité correspond à notre souhait de percevoir les éventuels déplacements des enjeux de formation pour le participant (logique d’action immédiate versus logique de formation, Perrenoud 1998a). Ces données sont analysées et codées à partir d’un travail de catégorisation conceptualisante (Paillé & Mucchielli 2005) ;

- les causes perçues et déclarées de ces effets. Nous cherchons à savoir si des phases particulières du dispositif sont tenues pour responsable de ces effets. La mise en perspective des objectifs de chacune d’elle avec ces effets déclarés nous permet de tenter de cerner les causes des éventuels déplacements de posture, représentation et capacité des participants ;

- le lien aux autres modules de formation est interrogé. Les questions portent d’une part sur la complémentarité (apport ou travail sur des contenus qui se complètent) entre les différents modules de la maquette de formation et d’autre part sur leur continuité (apport ou travail sur les même contenus).

Un questionnaire bilan est rempli à l’issue des cinq séances du module, il reprend les thèmes des questionnaires après séances et comporte un domaine complémentaire qui porte sur le rôle de l’animateur et du cadre dans les effets et le fonctionnement du dispositif. Une question spécifique est relative au rapport entre leur vécu dans le dispositif et les interférences éventuelles avec l’évaluation certificative. Cette question est formulée de façon ouverte. Une série de questions à choix multiples de graduation portant sur les limites perçues dans le dispositif ainsi qu’une appréciation générale sur le dispositif (intérêt, réinvestissement, modification du rapport à la pratique) est présente en conclusion du questionnaire bilan.

Dans les résultats qui suivent les données issues de ces questionnaires apparaîtront sous le codage QS (séance) et QB (bilan).

2.3.2 Enregistrements vidéo et observations directes

Lors de chacune des séances nous avons récoltés des données relatives aux prises de parole (thème abordés, durée, réseau et posture de communication, intervention de l’animateur…), à la durée des différentes phases (données codées OS dans la suite), à la photographie des modélisations ainsi qu’à une retranscription des questions posées lors de la phase 3 et des échanges de la phase 8 d’analyse méta (données codées VP8 dans la suite). Ces éléments nous permettent d’identifier des changements réels de posture, d’attitude et de faire l’inférence sur d’éventuels développements de capacités. Un traitement quantitatif (nombre d’intervention, durée des phases…) est réalisé ainsi qu’une analyse qualitative des données à partir du recoupement de plusieurs grilles de décrypteurs utilisés dans les approches mutliréférentielles, multiréfléchies ou psychophénoménologiques (Ardoino 1993, Vermersch 1994, Etienne & Fumat, 2014, Lamy 2014, Vacher 2015)

2.3.3 Entretiens après visionnage

Ces entretiens sont réalisés lors de N2 et porte sur l’enregistrement vidéo des séances 3 et 4. Le choix s’est porté sur ces séances car, comme lors de N1, le maximum de changement de posture des participants s’opérait à ce moment du module. L’entretien semi directif se fonde sur une série de questions relatives aux moments critiques (changement de posture ou attitude, silence, apparition de modélisation ou thématique inédite…) que nous avions repérés en amont. A l’issue d’un visionnage les participants sont invités à commenter de façon libre ces moments. Ces données (EAP dans la suite) sont analysées et codées à partir d’un travail de catégorisation conceptualisante (Paillé & Mucchielli 2005).

L’objectif de l’usage de ces outils de recueil est de multiplier les opportunités d’identification et de compréhension des éventuels déplacements opérés par les participants notamment dans leur rapport à la norme, à la sécurisation du cadre et à l’évaluation certificative. Le tableau suivant reprend l’ensemble des outils de recueil de données.

Tableau 1

Synthèse des outils de recueils

Synthèse des outils de recueils

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Les résultats que nous présentons dans la partie suivante sont à la fois sous forme de verbatim et sous forme de données quantitatives.

Effets du dispositif ARPPEGE : des indicateurs de changement de rapport à la pratique et à la formation

L’exploitation des données recueillies fait apparaître plusieurs résultats qui traduisent globalement une transformation du rapport des accompagnés à leur pratique et à leur formation et ainsi une évolution des rapports entre accompagnateur et accompagné et une baisse des tensions autour de la question de l’évaluation certificative et de contrôle. Cette partie est l’occasion de la présentation des résultats qui seront interprétés et mis en perspective avec ces transformations dans la partie suivante.

Appréciation générale sur le dispositif, appréciation du lien aux autres modules et déclaration de modification du rapport à la pratique.

De façon générale, les participants s’accordent tous sur l’intérêt du dispositif et son impact sur leur pratique et leur rapport à cette dernière (analyse QB). Ainsi, sur les huit réponses obtenues (N1 et N2), 7 le jugent « très intéressant » et 1 « intéressant ».

En ce qui concerne le lien avec les autres modules de formation (QS et QB), les participants affirment qu’ils perçoivent tous le lien fort avec leur vécu en stage aussi bien en matière de continuité que de complémentarité. Pour ce qui est des modules « théoriques » de formation la proportion des participants qui perçoivent ce lien est de deux tiers.

Lorsque l’on est l’interroge sur la modification de leur pratique sur le terrain, liée au vécu dans le dispositif, la moitié des participants répond « oui totalement » et l’autre moitié « oui probablement ». Enfin à la question de savoir si leur rapport à leur pratique est positivement modifié ils répondent « oui totalement » pour 5 des 8 et « oui probablement » pour les 3 autres. Ces éléments généraux d’appréciation sont précisés dans l’analyse plus fine des données et se traduisent par plusieurs tendances que nous détaillerons dans les points suivants.

2.4 L’évolution de la demande : du conseil à l’analyse

Dès la fin de la première séance (VP8, QS de N1 et N2), les remarques des participants témoignent d’une première évolution de leur appréciation. Nous avions vu que leur posture initiale se situaient dans la demande de « recettes » ou de conseils directement utilisables dans leur pratique et conformes à leur représentation de l’idéal professionnel. Si la demande de solutions n’est plus présente pour la moitié d’entre eux, l’autre moitié envisage que la compréhension participe aussi probablement à leur formation : « je comprends maintenant pourquoi vous vouliez d’abord nous faire comprendre mais je ne comprends toujours pas pourquoi on ne peut pas proposer de solution », « est-ce que l’on pourrait dire quoi faire la prochaine fois après l’analyse» (Extraits VP8). Ces demandes n’apparaissent plus à partir de la seconde séance pour l’ensemble des participants. Lors des séances 4 et 5 des deux années, plusieurs participants affirment même qu’il y a « une nécessité à ce qu’il n’y ait pas de solution », « si on réfléchissait aux solutions on s’empêcherait d’analyser » (QB et QS). Ce résultat s’inscrit dans la cohérence des objectifs du dispositif à savoir l’entrée dans la réflexivité par l’amélioration des capacités d’analyse et non les transformations directes de la pratique.

Lors des séances 3 de chacune des années, des participants s’interrogent sur les cadres d’analyse qu’utilise l’accompagnateur qui pourtant n’intervient que rarement sur le fond et seulement pour éventuellement poser des questions de relance lors de la phase 3 d’ARPPEGE. Lors de la phase méta n°8 de N2, une participante demande ainsi explicitement si l’animateur peut fournir une grille d’analyse soit en termes d’indicateurs, soit en termes de champs de référence. Lors de l’échange qui s’en suit, l’animateur précise qu’il ne le fournira pas dans le cadre d’ARPPEGE puisque cela ne rentre pas dans les objectifs et stratégies de conception du dispositif pour laisser la possibilité à chacun de construire ses propres grilles mais aussi de réaliser cette demande dans d’autres modules de formation susceptibles d’avoir une approche plus normative. La PS concernée précise que cette demande traduit plus une curiosité qu’une volonté de suivre une méthode intangible d’analyse. Les autres participants confirment qu’ils ont eux aussi cette curiosité.

Cette bascule des demandes s’accompagne d’effets déclarés par les participants.

2.4.1 Des effets de formation 

Le traitement quantitatif des données recueillies dans les questionnaires d’après séances et bilan (QB) met en évidence la présence importante d’effets du dispositif déclarés par les participants. Ainsi, la totalité des participants affirme que la participation apporte des bénéfices importants qui se répartissent de la façon suivante (cf tableau 2) en termes de nature et de temporalité :

Tableau 2

Nature et temporalité des effets du dispositif ARPPEGE (En pourcentage par temporalité à partir de QS et QB)

Nature et temporalité des effets du dispositif ARPPEGE (En pourcentage par temporalité à partir de QS et QB)

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Une première analyse de ces résultats porte sur leur diversité. Si l’amélioration des capacités d’analyse et du bien-être professionnel apparaissent comme les effets prioritaires, selon les temporalités, l’amélioration des capacités communicationnelles ou la transformation concrète des pratiques d’analyse sont aussi visibles dans les observations réalisées (dans OS, développement de l’écoute, augmentation des champs d’analyses, stratégies de questionnement…). L’ensemble de ces effets traduit le changement du rapport à la pratique. Les catégories mises en lumières nous montrent que ce changement peut être d’ordre cognitif avec la transformation des capacités d’analyse (appréhension et compréhension de la pratique), opérationnel (évolution des pratiques sur le terrain), affectif (bien-être et psychologique, acceptation de la complexité de la pratique) ou encore psychosocial avec l’amélioration des capacités de communication. Dans les réponses produites lors des entretiens et dans les questionnaires (EAP, QS et QB), les termes les plus fréquemment utilisés (plus d’une réponse sur deux dans QSB) sont ceux de la « mise à distance » et de la « prise de recul ». Cette distanciation est permise par la combinaison des différents effets que certains des participants verbalisent, « de bons échanges permettent forcément une meilleure analyse. En plus lors de l’écoute, on réfléchit, donc plus ces temps sont respectés plus la réflexion et donc l’analyse sont favorisées.» (Extrait EAP). Globalement on pourrait résumer ces effets perçus par les participants en proposant la formule suivante : la mise en place d’un processus en interaction d’amélioration de la compréhension du vécu professionnel et d’une baisse des tensions lors de l’exercice du métier.

2.4.2 Une responsabilité du cadre et de l’animateur dans ces effets

Lorsque les participants sont interrogés sur les conditions d’apparition de ces effets, la responsabilité de l’animateur et la sécurisation du cadre sont évoqués en premier lieu. Pour tous les participants le cadre formel du dispositif constitue une nécessité car il permet de « ne pas s’éloigner du sujet ne pas tomber dans le conseil ou la justification » et d’ « ordonner la réflexion et les pistes qui en ressortent » (Extrait QB). Ce cadre possède donc pour les participants un intérêt psychologique et didactique. Ce fonctionnement n’est rendu possible que par l’animation de l’accompagnateur et la structuration formelle et intangible du cadre qui permet de « faire respecter le cadre, rendre plus vivante la séquence » (QB), mais l’impact du cadrage du déroulement et de l’intervention du formateur ne se limite pas à cela, cet ensemble protège car il « permet de développer une écoute et un respect » (QB) ainsi l’animateur permet de « cadrer le temps, pour cadrer les questions » (QB). Le rôle de l’accompagnateur est donc aussi bien d’ordre affectif, qu’éthique ou cognitif. Ces éléments sont considérés par les participants comme sécurisant et les mettant en confiance. Une participante précise ainsi lors d’un entretien qu’elle a choisi de participer au module car l’animateur donnait « vraiment l’impression de savoir » où il allait, et de poursuivre, « Je me suis donc dit que cela allait forcément nous mener quelque part. » (QB).

3. Une secondarisation de l’évaluation

La question de l’évaluation (certificative/contrôle ou formative/développement) n’apparaît jamais formellement dans les échanges au cours des séances du dispositif (VP8) ou dans les réponses aux questionnaires d’après séance(QS). Avec la disparition de la demande de solution à l’issue des deux premières séances, la totalité des participants affirme que leur engagement est tourné vers l’analyse. Cependant, dans notre étude, nous constatons que l’amélioration visible et perçue des capacités d’analyse (augmentation des dimensions explorées, enrichissement des modèles de compréhension…OS) ne donne pas lieu à la conception ou la conscience de cadres d’analyse structurée (VP8). Ainsi, l’évaluation qualitative des effets déclarés de formation reste générale et même lorsque les participants sont interrogés lors des entretiens (EAP) ils ne parviennent pas à mettre en mot ce qu’ils réalisent concrètement lors des séances. Les extraits des verbatim que nous avons cités précédemment attestent de cette généralité du propos (« Un éclairage nouveau sur ma pratique », « Analyser les causes des situations » QS). Ceci ne remet pas en cause la réalité de l’augmentation des capacités des participants que nous avons mesurée avec d’autres outils [9] lors des séances (OS) mais semble plutôt attester d’un faible niveau de conscience ou d’une incapacité temporaire à verbaliser une pratique réflexive nouvelle et en décalage avec leurs habitudes scolaires (Vacher 2015).

A la question que nous avons posée à l’issue du vécu dans le module (QB) « est-il important que l’animateur ne participe pas aussi à l’évaluation certificative ? », les trois quarts (6/8) des participants répondent que cela n’est pas important. Ils affirment que dans le cas contraire « il y aurait une retenue qui n’est pas compatible avec les objectifs d’analyse » (QB). Lorsqu’ils affinent leur réponse les participants précisent que ce n’est pas important car ils n’ont « pas de craintes de sortie du cadre » (QB) et que les contenus de l’analyse lors des séances « ne remettent pas en cause nos [leurs] compétences professionnelles » (QB). Les participants qui pensent que c’est important que l’animateur ne participent pas aux évaluations contrôle de certification ne justifient en revanche pas leur réponse (QB). Des échanges informels sur cette question avec les PS qui n’ont pas choisi de suivre le module ARPPEGE montrent le décalage entre eux et les participants au dispositif. Les premiers, comparant leur vécu avec celui des participants à ARPPEGE, s’interrogent sur la possibilité de « se livrer » autant en formation, comme l’ont fait les participants à ARPPEGE sans que cela nuise à l’appréciation que se faisaient d’eux le(les) formateur(s). Nous rappelons ici que nous étions évaluateurs de ces PS dans le jury final de validation de leur année de stage.

3.1 Evolution du rapport à la norme et rôle de l’accompagnateur : interprétation des résultats

Notons en préalable que chez le participants la conscience fine des effets (déclaré dans QS, QB et EAP) du dispositif et de leurs causes ne semble que peu présente ou difficilement verbalisable par les participants. Si nous pouvons attribuer cette absence à la faiblesse du volume de formation (5 fois 3h) nous pouvons aussi faire l’hypothèse que la nouveauté de la perspective vécue du développement professionnel perturbe la conscience, ceci étant amplifié par la dissonance perçue entre les enjeux initiaux d’efficacité et la recherche finale de compréhension. En conséquence les analyses qui suivent sont issues de la mise en perspective de l’ensemble de nos résultats et d’inférences/hypothèses. Cette limite méthodologique est liée au fait que nous retravaillions sur des matériaux qui n’avait pas l’époque cette vocation, des entretiens complémentaires (impossibles aujourd’hui) auraient permis d’affiner nos données.

3.2 Le déplacement de la norme

Les résultats que nous avons obtenus nous montrent en premier lieu que la norme à poursuivre qui portait initialement une double valence pour les participants, celle de l’efficacité avec les élèves (faire classe) et celle de la reconnaissance par l’institution (être validé) évolue. Le dépassement du conseil (QS, QB et EAP) ou la demande « par curiosité » de grilles d’analyse (VP8) traduisent, selon nous, ce déplacement. Les enjeux de compréhension deviennent prioritaires dès les séances 3 alors que la volonté de résolution directe des problèmes de terrain est même considérée comme éventuellement parasite de la possibilité de la compréhension[10]. La solution et/ou la recette sont ici perçues comme des freins potentiels au maintien de l’ouverture de la compréhension. A ce titre, les réponses fournies dans la rubrique « effets à long terme » en matière de transformation des pratiques (« si on réfléchissait aux solutions on s’empêcherait d’analyser » (QS) semblent corroborer ce processus. Nous pouvons émettre l’hypothèse que dans le cadre du dispositif que les participant procèdent à une priorisation des enjeux de développement professionnel, temporairement déconnecté des problématiques pratiques, traduisant une bascule vers le développement plutôt que vers une normalisation externe ou une conformisation à un référentiel attendu (logique d’action versus logique de formation Perrenoud 1998a). Se connaître, comprendre les pratiques et finalement se construire professionnellement sont des enjeux dans lesquels la norme extérieure est un objet d’analyse mais non une visée finalisante. La curiosité affirmée par les participants à partir des séances 3, témoigne aussi peut-être de la volonté de construction d’une norme interne, sorte de support heuristique du développement professionnel. Ce processus correspondrait à celui que conceptualise Schwartz à la suite de Canguilhem lorsqu’il parle de renormalisation (Schwartz 2000). Le sujet professionnel se construirait ainsi dans un dialogue entre les normes aboutissant à la possibilité de poser/construire à la fois les « briques » de son style professionnel et à la fois celles du genre professionnel. Le point suivant étudiera les conditions de ce déplacement en reliant les composantes du rapport accompagnateur/accompagné et du rapport à la norme.

4. Les conditions du déplacement : le rôle du cadre et de l’accompagnateur

Comme nous l’avons vu, le rôle du cadre et de l’animateur sont conçus comme essentiels par les participants, cependant leur perception est non discriminante. Un tiers environ des participants déclarent que la totalité du dispositif est responsable des effets produits mais identifient aussi à l’issue du module les phases et éléments du cadre qui sont responsables des effets. Le reste des participants attribuent de façon non discriminante la responsabilité des effets à la totalité du vécu dans le module (QS et QB). Cependant, si la perception consciente par les PS des processus en oeuvre dans l’accompagnement est peu affinée, nous pouvons tenter de dégager les éléments du cadre et du rôle de l’accompagnateur qui entrent en cohérence avec les quatre dimensions de l’accompagnement qui composent notre définition préalable (autonomie, dimension sociale et éthique et accueil de l’imprévu). Ainsi, nous proposons la mise en perspective suivante :

L’autonomie de l’acteur (Jorro 2012) est favorisée dans le dispositif par la possibilité pour lui de construire ses propres cadres d’analyse et sa norme personnelle. Le choix offert quant au suivi du module, les plages d’expression de la singularité de son cheminement tout au long du dispositif (phase de construction individuelle, phase méta…) ou encore la « confrontation » à la diversité des modes de pensées des autres participe au processus d’autonomisation dans l’accompagnement. Le déplacement de la norme, que nous constatons, participe aussi à cette autonomisation. La dépendance au garant de la norme qu’est le formateur (certificateur et/ou représentant de l’idéal professionnel), disparaît lorsque cette dernière devient un objet d’analyse et non plus un enjeu d’évaluation. Le processus de renormalisation est un indicateur de cette démarche d’autonomisation, attestant de la capacité de l’accompagné à repenser la norme en se dégageant du phénomène de dépendance (Demande de conseil, recette reproductible…). Nous émettons l’hypothèse que cette prise de distance par rapport à l’expertise du formateur est de nature à permettre la modification du rapport à l’évaluation certificative. Il nous semble que si l’expertise du formateur n’est plus un « modèle » idéal-typique à suivre ou reproduire la nature de l’évaluation certificative et de contrôle se modifie. De représentation du modèle idéalisé à atteindre, l’évaluation certificative peut devenir le moyen de contrôle d’un minimum exigible pour « faire » le métier. Ce passage semble rendu possible dans les résultats que nous obtenons par la mise en distance cognitive et affective de l’idéalisation et de la logique de conformisation.

Les dimensions sociale et éthique. Le dosage du caractère social de l’accompagnement est au coeur du processus de contractualisation qui est mis en place (Choix du module, règle de fonctionnement…) (Paul, 2004 ; Biémar, 2012). Cependant, nous percevons dans les témoignages recueillis que la confiance ne peut cependant se développer par la seule mise en place d’un cadre formel, l’incarnation des principes par une animation sécurisante semble une nécessité. L’accompagnateur fait ainsi vivre les principes éthiques au cours de ses animations (confidentialité, non jugement, accompagnement des reformulations…) pour éviter « la sortie du cadre », comme l’affirme l’une des participantes (QB). Les PS ont tous relevé la nécessité de l’incarnation en acte de cette éthique par l’animateur, seule garantie de la construction d’une confiance « sinon il y aurait une retenue » (QB) et de la transformation des attentes. La bascule du rapport à la norme constitue aussi un point important pour les composantes sociales de l’accompagnement, car avec ce déplacement, les attentes initiales envers le formateur porteur de la norme se transforment en échanges autour de la norme et de ses variations (externes, internes et co-construites). Ce phénomène est de nature à illustrer le fonctionnement du processus d’accompagnement tel que nous l’avons défini car, comme nous l’avons vu dans le point précédent, le « savoir » (dont le rapport à la norme) en jeu dans le processus d’accompagnement n’est plus détenu par l’accompagnateur, il est en développement chez l’accompagné et dans l’espace de co-construction. Cette nature émergente des contenus de l’accompagnement nous renvoi au caractère d’imprévisibilité.

L’imprévisibilité est au coeur même de notre dispositif ARPPEGE. Elle apparaît sous différentes formes telles que le choix de la situation analysée et de l’exposant, l’orientation en interaction des questionnements et co-construction ou encore lors de la phase méta au cours de laquelle les participants peuvent proposer des évolutions du dispositif. L’accueil et l’acceptation de l’imprévisibilité fruit de la complexité, constitue le coeur de la définition du praticien réflexif que nous proposons puisque ce praticien est celui qui est « capable d’affronter, d’accepter la complexité du métier et d’agir en assumant ses responsabilités, et ce par la médiation de la réflexion. » (Vacher 2015, p.51). Si les participants ne mettent pas clairement en mot cette acceptation de l’imprévu, les témoignages relatifs à leur changement de rapport à la pratique (« prise de recul », « mise à distance » dans les réponses aux questionnaires QS et QB) ainsi que les observations[11] (OS) que nous avons réalisées lors des séances semblent attester de ce nouveau statut de l’imprévu. Il devient un objet fondamental pour créer les déplacements de points de vue et nourrir ainsi une approche multiréfléchie (Vacher 2015).

Si nous voyons avec ces résultats que le dispositif ARPPEGE, en théorie et en pratique dans ses effets constatés (déclarés et observés), s’inscrit bien dans une logique d’accompagnement telle que nous l’avons définie, qu’en est-il du changement de rapport à l’évaluation certificative et contrôle ? Les témoignages recueillis montrent en premier lieu que si la question de l’évaluation était initialement prépondérante et liée à l’efficacité directe sur le terrain et à la validation de l’année, elle disparaît (sous cette forme) lors des séances d’APP du champ des préoccupations des PS. Cette bascule pourrait s’expliquer par la volonté des PS de sortir du processus « d’infantilisation » et de « chantage à la certification » que leur impose l’institution (Dubois, Gasparini & Petit, 2007 ; Fabre 2009). L’autonomisation, la centration sur la compréhension plus que sur la résolution/normalisation et la confiance (« sinon il y aurait une retenue » QB) contribuent selon nous à cette bascule dans les résultats présentés. Cependant, le module d’accompagnement n’est pas « en l’air » et il s’inscrit dans une offre complète de formation qui donne lieu à une certification. Dans les réponses obtenues dans les enquêtes (QS et QB), on constate que les participants ont une conscience de cela mais ils portent peu un regard réflexif sur cette question, l’évaluation certificative existe et si les participants ne le verbalisent pas explicitement comme tel, il semblerait que son statut dans l’accompagnement soit temporairement celui d’objet parmi d’autres. Ainsi, leur rapport à l’évaluation certificative et de contrôle serait de nature formative. Comme nous l’avons proposé dans la première partie de cet article, Il s’agirait dès lors de savoir là où se situe le formé par rapport à des valeurs et non de donner une valeur à là où le sujet se trouve.Cette bascule dans le dispositif traduirait le chemin des PS vers la dissociation (dont la conscience ne semble que peu formalisée) de leur développement professionnel et de la normalisation par leur intégration institutionnelle. Ce difficile processus (Dubois, Gasparini & Petit 2007) semble rendu possible par la mise à distance et le regard sur la nature des processus en jeu tel qu’en témoigne cette affirmation quant au travail d’analyse qui ne remet « pas en cause nos compétences professionnelles » (QB).

Si ce mécanisme de dissociation semble effectif et être la conséquence du cadre du dispositif et de l’animation de l’accompagnateur, ce dernier en est-il pour autant préservé des dilemmes ? Compte tenu des éléments précédents que nous avons analysés, la séparation formelle des fonctions et objet de formation (comprendre versus résoudre) serait de nature à préserver l’accompagnateur des dilemmes lors de son accompagnement même s’il intervient à la fois sur de l’accompagnement (tel que nous l’avons défini) et dans le processus de certification. Cependant, cette séparation n’a d’existence formelle que d’un point de vue institutionnel (dans les fonctions de l’accompagnateur). Si nous avons vu que la secondarisation des questions de certification s’effectue chez le PS, du côté de l’accompagnateur la problématique se développe sur le terrain éthique, cognitif et affectif. D’un point de vue éthique, deux dimensions apparaissent. La première est relative à la nécessité de confidentialité et d’étanchéité des séances d’APP. Ce qui est porté à la connaissance de l’animateur du dispositif lors des séances doit rester impérativement dans ce cadre afin de maintenir la confiance avec les participants, de favoriser l’ouverture de la compréhension et enfin de tenter de garantir la non interférence avec les processus d’évaluation certificative. Ces éléments s’inscrivent dans le respect des principes généraux du module à savoir le non jugement et la sécurisation de la parole. La seconde dimension éthique relève, à l’image du secret médical, de la réaction de l’accompagnateur s’il a connaissance de faits qui nécessitent pour des raisons de sécurité par exemple une intervention enfreignant le principe d’étanchéité.

D’un point de vue cognitif, le dilemme se traduit pour l’accompagnateur/évaluateur par la possibilité de « faire la part des choses », c’est-à-dire de dissocier, comme le fait le participant, ce qui relève du processus de développement de ce qui relève de la normalisation et donc de la confrontation à la norme dans l’évaluation contrôle. Dans l’évaluation certificative et de contrôle, la proposition d’une norme à atteindre reposant sur la définition d’un minimum exigible plutôt que la confrontation à la norme d’une expertise idéale semble de nature à faciliter le positionnement de l’accompagnateur. Au-delà de la mise à distance de la norme que nous avons constatée dans nos résultats, la conception des référentiels d’évaluation nous semble être un élément important de la convergence/compatibilité entre accompagnement et évaluation certificative et de contrôle.

Enfin, d’un point de vue affectif, les dilemmes nous apparaissent comme plus difficiles car le processus d’accompagnement fait naître un tissu complexe d’expériences dans lequel une complicité face à l’imprévu pourrait naître et empêcher une mise à distance de l’accompagnateur. La confusion entre la souffrance et l’incompétence ou la compréhension et l’excuse serait de nature à potentiellement faire bouger le curseur du minimum exigible. La forme groupale de l’accompagnement que nous avons étudiée dans cet article nous semble de ce point de vue plus protectrice que l’accompagnement individuel dans lequel nous éprouvons parfois ce dilemme en tant que formateur.

Les liens qui unissent les différentes tendances visibles dans nos données semblent se structurer autour d’une logique de progression au fur et à mesure de l’avancée du vécu des participants dans le dispositif. Le point suivant sera consacré à une tentative de modélisation de cette évolution.

5. Proposition d’un modèle de compréhension

Pour synthétiser cette évolution du rapport à la norme (dont l’évaluation) et le rôle de l’accompagnateur dans le dispositif, nous tentons de formaliser trois étapes qui la caractérisent :

Etat initial : il est dominant et se traduit par une demande de solutions qui permettent la réussite lors du face à face pédagogique et lors de l’évaluation contrôle. Se former correspondrait à une conformisation aux normes extérieures de réussite, dans la situation de classe par l’application de recettes et dans la certification par la mise en conformité avec les éléments du référentiel. Dans cet état, l’accompagnement permettrait de faciliter le rapport à ces normes, ce que traduit à notre sens la perspective de l’une des composantes de l’ami critique que développe Jorro (2006). L’évaluation contrôle participe donc de cet accompagnement vers la norme. On le voit ici, la proximité avec le guidage et le conseil, et au final le jugement par l’évaluation, est de nature à créer des dilemmes chez l’accompagnateur et à rendre ténu le fil de l’intervention. Dans la définition de l’accompagnement que nous avons donnée, nous ne trouvons pas dans cet état initial, et l’accompagnement réalisé, la prise en compte de l’imprévu et de l’incertitude et nous constatons une part limitée d’autonomisation du fait de la dépendance à l’expertise du formateur. L’étape 1 qui suit traduirait au contraire cette prise en compte.

Etape 1 : la modification du rapport à la norme que l’on constate lors de la participation au dispositif, se manifeste par une disparition de la demande de conseils et de solutions et la centration sur l’activité d’analyse et son développement. Les nouveaux enjeux pour les PS sont de comprendre ce qu’ils font et ce que font les autres, les réflexes de jugement et d’économie cognitive diminuent jusqu’à leur disparition. Ce passage semble s’effectuer du fait que l’accompagnement se traduit par la proposition d’un dispositif qui n’est plus en lien direct et immédiat avec la norme extérieure (contrairement aux dispositifs traditionnels) mais ouvre la perspective de la renormalisation, de la construction d’une norme personnelle ou co-construite. Pour rendre possible ce passage, l’accompagnateur sécurise le cadre, c’est-à-dire qu’ils les autorisent à se confronter à la complexité en diminuant les prises de risque[12]. Dans cette étape, les règles et principes instaurés pour sécuriser le travail, permettent « d’accueillir » l’imprévu et l’incertitude du PS, lui permettant ainsi de réfléchir et comprendre où et comment il se positionne. L’accompagnateur endosse le rôle de médiateur/compagnon réflexif (Donnay et Charlier 2008) qui vise le développement d’une pratique réflexive autonomisante (Vacher 2015). A ce stade l’évaluation certificative et de contrôle qui est produite dans d’autres modules par d’autres formateurs ainsi que l’évaluation générale de la formation n’est plus une préoccupation car au coeur du dispositif la perspective nouvelle de compréhension « prend toute la place ».

Etape 2 : lors de cette seconde étape, qui n’est pas systématiquement atteinte par les participants dans nos résultats, apparaissent deux phénomènes. En premier lieu, on note dans l’engagement et les des participants le retour de la norme à travers la demande ou la construction de cadres d’analyse pour enrichir la compréhension (et non pour juger). Cette apparition traduit le passage d’une norme de réussite « dans le face à face pédagogique » (Perrenoud 1998) à l’usage d’une norme pour enrichir ses capacités d’analyse et éventuellement sa construction identitaire dans une renormalisation (Schwartz 2000). En second lieu, on constate une mise à distance par rapport à l’évaluation contrôle qui accède potentiellement au statut d’objet d’analyse. La réussite et l’efficacité de la formation se décline en termes de compréhension des pratiques et s’inscrit alors dans une logique de développement professionnel. L’évaluation contrôle n’est alors plus considérée comme une sanction (cf état initial) mais comme un curseur à analyser et permettant de se positionner dans un système d’attendus institutionnels. Ce stade constitue dans nos définitions une étape supplémentaire dans l’autonomie du praticien réflexif mais que nous ne voyons que très peu apparaître dans nos données.

Limites et perspectives

Les résultats que nous avons analysés nous permettent d’identifier un certain nombre de déplacements dans les représentations, attentes et pratiques des PS, cependant plusieurs limites nous semblent à étudier pour envisager l’usage de ces résultats et la transposition de nos interprétations. Nous intégrons des éléments de perspectives au fur et à mesure de l’analyse de ces limites.

Nous présenterons ici ces limites et perspectives dans le registre méthodologique et institutionnel. D’un point de vue méthodologique nous ne pouvons faire l’impasse de l’hypothèse d’un éventuel impact de notre triple positionnement (chercheur, animateur et évaluateur). Si notre méthodologie nous a permis tout au long des recueils de tenter de nous préserver des interférences, il est possible que les résultats obtenus soient entachés de phénomènes en parasitant la validité. Notons par exemple la possibilité de l’obtention de données (QS, QB ou EAP) en partie déterminées par un processus de désirabilité sociale. Ce mécanisme ne serait pas forcément directement lié au statut de certificateur du chercheur-animateur mais pourrait être une conséquence du rapport positif au vécu dans le dispositif et à la relation accompagnateur-accompagné qui s’est développée. Les postures de questionnement (Jorro 2005) que nous mettons en lumière sont de nature à nous permettre de faire l’hypothèse qu’au-delà du déclaratif, les déplacements ont été réels et validés par nos observations directes[13]. Un second élément nous apparaît important dans le registre méthodologique, il est relatif à l’exploration du rapport à l’évaluation certificative et de contrôle. Nos matériaux recueillis ne nous permettent pas de faire l’étude de l’impact du vécu dans le dispositif sur la perception réelle de l’évaluation dans les autres modules de formation. Il nous semble intéressant d’interroger si le déplacement que nous avons mis en évidence se traduit par une modification « en acte » du rapport à la certification et au contrôle. Nos données nous permettent en l’état de percevoir une mise à distance affective et cognitive mais que nous ne pouvons valider que dans le cadre des temps et espaces du dispositif. Cet élément constitue à nos yeux une perspective pertinente de poursuite de la recherche. Enfin, une dernière perspective intéressante nous semble être de procéder à une étude longitudinale permettant de voir l’impact de ces déplacements dans les premières années de pratique.

Ces poursuites de recherche sur les objets étudiés nous paraissent pertinentes mais seraient impactées par l’évolution du contexte institutionnel. En effet la formation initiale des enseignants en France a été intégrée aux formations universitaires de niveau master. Avec ce processus, le module que nous avons étudié dans cet article a été impacté. Dans un premier temps il ne faisait plus l’objet d’un choix (obligatoire pour tous) il nous a été demandé de procéder à une évaluation certificative participant à l’évaluation finale. Nous avions à l’époque fait le choix de procéder à l’attribution d’un avis binaire (positif ou négatif) sur la base d’un référentiel proposé aux participants en début de module. Cette première évolution n’avait pas eu d’impact majeur[14] sur les effets de formation et les rapports à l’évaluation et à l’accompagnateur. La seconde étape a été la disparition du module dans l’offre de formation. Ce processus étant motivé par un choix local de «lecture » du cadrage national. Ces éléments institutionnels interrogent à nos yeux la question de la place de la norme et de sa définition. Si les logiques d’action et de formation semblaient être l’espace problématique de positionnement du stagiaire, nous émettons l’hypothèse qu’au niveau de l’institution, la tension se situe autour l’exigence de productivité et de conformisation face au logique de développement professionnel et au processus de renormalisation.Le chemin parcouru dans cet article ouvre quelques pistes d’éclairage de ces tensions et dilemmes qui ne peuvent cependant être pensés indépendamment de leur contexte et des dynamiques individuelles et collectives qui les accompagnent.