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C’est connu, depuis toujours les questions éducatives cristallisent des enjeux et des défis de société. On comprendra alors que, de nos jours, c’est-à-dire dans ce monde où le savoir est devenu un moyen de production incontournable et grandement convoité, les formations professionnelles font l’objet d’une attention particulière. Or, les sciences de l’éducation, en tant que productrices de savoirs sur l’enseignement et l’apprentissage, nourrissent les réflexions sur les objectifs et les contenus constitutifs des curricula de formation professionnelle. C’est dire que les sciences de l’éducation sont en quelque sorte au coeur des nombreux débats en formation universitaire. Pourtant, nos connaissances sur les savoirs qui président à la conception des pratiques professionnelles en général et en particulier, sur les savoirs professionnels transmis par les universités ou les divers instituts de formation, sont encore pour le moins lacunaires. Par ailleurs, malgré des avancées significatives, nous avons toujours besoin de bonifier notre compréhension du processus et des savoirs construits par les professionnels eux-mêmes que ce soit en formation initiale (on pense notamment aux stages) ou dans l’exercice de la profession. Il apparaît aussi capital d’identifier les différentes sources de ces savoirs afin de permettre une meilleure saisie de leurs logiques d’action et de leurs articulations ; sachant que ces savoirs forment en quelque sorte une culture plus ou moins explicite. Dans cette foulée, il s’avère notamment important de saisir la cohérence à l’oeuvre dans l’agir professionnel des formateurs.

L’objectif de ce numéro est justement d’ouvrir un espace de réflexion sur ce qui fonde les pratiques de formation professionnelle. Pour ce faire, les contributions regroupées ici investiguent en profondeur les savoirs en jeu dans divers contextes de formation professionnelle, en stage et en contexte de travail. Les auteurs s’interrogent tant sur les savoirs des professionnels eux-mêmes que sur ceux des formateurs. Plus spécifiquement, les contributions de ce numéro veulent favoriser une meilleure compréhension de ce qui se trouve en amont des postures professionnelles et des pratiques de formation mises en oeuvre par les praticiens. Les contributions de ce numéro font ainsi ressortir à la fois la complexité des problématiques en jeu et la richesse de certains dispositifs de formation. Elles n’oblitèrent toutefois pas les défis et les lacunes des formations actuelles et les apories de la recherche.

Les sept textes de ce numéro thématique mettent en évidence la diversité des objets de recherche et des méthodes d’investigation, de même que celle des espaces référentiels des chercheurs. La première partie est composée de quatre articles qui explorent les savoirs professionnels, sous un angle théorique ou à la lumière d’une recherche empirique, dans le but d’identifier des pistes d’amélioration de la formation des enseignants. Dans son texte titré « Entre expérience et savoir  : la forme. L’influence des formations antérieures sur les formations à l’enseignement au niveau réflexivité », Alexandre Buysse, cherche à comprendre le processus d’élaboration des savoirs professionnels par des étudiants en formation à l’enseignement en interrogeant l’influence des formations antérieures, notamment les concepts étudiés. Il relève différents types d’élaboration de savoirs qui varient en fonction, notamment, de la réflexivité mise à contribution dans le processus. L’auteur conclut que la subjectivation des concepts ne peut, à elle seule, expliquer les variations dans l’élaboration des savoirs professionnels, l’explicitation des représentations pouvant également y prendre part. Dans le texte suivant, « Le stage de “pratique accompagnée”. Analyse sociocognitive d’un dispositif de formation initiale des enseignants », les auteurs Jean-François Marcel et Audrey Garcia examinent le cas de l’enseignement agricole public français en contexte de stage. Ils s’appuient sur les théories de l’apprentissage social pour mettre à jour, au travers des pratiques, les apprentissages professionnels d’enseignants stagiaires. L’analyse des données donne lieu à une modélisation systémique du stage de pratique accompagnée représentée par un système social, un système d’activités et un système d’apprentissage professionnel. Les auteurs insistent sur l’influence des environnements humains et institutionnels. Le texte de Audrey Garcia, « L’apprentissage professionnel des enseignants stagiaires de l’enseignement agricole français durant le stage de pratique accompagnée », rend compte de la construction par les stagiaires des savoirs professionnels relatifs à la prise en charge des tâches professionnelles. L’article met en évidence que les interactions sociales avec le conseiller pédagogique sont au coeur de cette construction. Dans son analyse des résultats, l’auteure met en relation la nature des savoirs professionnels et les processus de construction à l’oeuvre, la construction des savoirs d’action et le sentiment d’efficacité professionnelle. Le texte de Grégory Munoz et Gaëtan Bourmaud s’intitule : « Une analyse des systèmes d’instruments chez les chargés de sécurité : proposition pour analyser la pratique enseignante ». Ce texte cherche à questionner les cadres théoriques exploités dans les recherches portant sur la formation des adultes pouvant être convoqués dans les recherches sur la formation des enseignants. L’article porte sur les activités instrumentées des enseignants et leurs systèmes d’instruments. L’auteur se demande si l’analyse de ces systèmes peut être utile à la formation des enseignants. Plus précisément, il interroge l’apport possible de l’analyse de situations de travail dans le contexte industriel à l’analyse de l’activité professionnelle des enseignants et la formation à l’enseignement.

Dans les trois textes suivants, les auteurs s’intéressent à la mission de l’école québécoise. Le texte de Louis Levasseur s’intitule « L’école québécoise et la “culture scolaire”  : développement intégral de l’enfant, développement cognitif de l’élève et contextes éducatifs ». L’auteur pose un regard critique sur la « culture scolaire » au regard du développement de l’enfant. À son avis, l’enseignement actuel ne permet pas, dans certains milieux, de concrétiser les orientations ministérielles de la formation de l’élève énoncées au début des années 2000. Au lieu de viser le développement intellectuel, les enseignants se concentrent sur la socialisation, et ce, au détriment de l’instruction. L’importance accordée à la subjectivité de la connaissance semble l’emporter sur sa justification épistémologique. Le point de vue de futurs enseignants du primaire est analysé par Araujo-Oliveira Anderson dans son texte Finalités éducatives sous-jacentes aux pratiques des futurs enseignants du primaire : le cas de l’enseignement des sciences humaines et sociales au Québec. Au sujet des sciences humaines et sociales, les étudiants stagiaires déclarent que l’enseignement des disciplines de ce domaine permet aux élèves de développer des attitudes socialement acceptables et de connaître et comprendre l’histoire et le fonctionnement de la société en vue de mieux s’y adapter. Ces résultats illustrant le fondement des pratiques d’enseignement, se distinguent notamment, constate l’auteur, du discours actuel de la didactique des sciences humaines et sociales qui met l’emphase sur la fonction critique et réflexive axée sur le développement intellectuel des élèves. Un troisième texte présente les résultats d’une recherche de terrain sur l’actualisation de la mission éducative de l’école. Liliane Portelance, Stéphane Martineau, Annie Presseau et Sébastion Rojo explorent l’agir professionnel d’enseignants du secondaire dans un texte intitulé « Naviguer entre l’instruction et la socialisation  : discours d’enseignants québécois du secondaire ». Le texte révèle l’importance que les enseignants de différentes disciplines accordent aux finalités éducatives dans leur pratique quotidienne de l’enseignement. Les enseignants se concentrent sur la mission d’instruction, se disant dans l’impossibilité de cibler davantage la socialisation. Les auteurs croient que les enseignants du secondaire disposent de peu de connaissances et de moyens susceptibles de favoriser la socialisation de leurs élèves.