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Introduction

Un nouveau modèle touchant la professionnalisation des activités d’enseignement, d’intervention et d’éducation a vu le jour avec la création des IUFM et des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (2013). La référence devient celle du praticien réflexif capable de s’adapter à toutes les situations, développant une plus grande autonomie et « invité à développer des pratiques efficaces sur le tas » (Roquet & Wittorski, 2013). L’essence de la pratique réflexive est cette posture intérieure de prise de recul et d’analyse de son propre fonctionnement. « Seul un développement réflexif véritable peut permettre au futur enseignant de se construire une culture professionnelle pertinente, mais aussi distanciée et critique » (Vanhulle, 2009). Ces écoles se positionnent en tant qu’acteurs de l’innovation pédagogique pour « garantir une professionnalisation progressive des étudiants dans le cadre des « métiers de l’humain » (Cifali, 2012) et pour amener l’individu à autodéfinir son identité professionnelle dans une logique de continuum entre le temps terrain et le temps en IUFM. Ce nouveau modèle introduit un changement épistémologique en proposant une formation non plus centrée sur la transmission des savoirs pour des futurs enseignants, mais sur une formation centrée sur le développement de compétences, de savoirs et sur l’acquisition de nouveaux comportements. On est face à un projet de soi à soi qui témoigne d’un engagement personnel dans une démarche pour se professionnaliser. Divers auteurs de l’alternance (Vanhulle, 2009 ; Wittorski, 2014) tout en soulignant l’importance de ce défi de penser le continuum, constatent que la professionnalisation par la formation ne va pas de soi et crée des difficultés chez l’étudiant stagiaire aux prises avec sa construction personnelle et son positionnement professionnel. Il est important de rappeler combien la recherche d’un développement de la pratique ne s’accompagne pas nécessairement d’un apprentissage professionnel (Pastré, 2008). Le professionnel en formation peut très bien se concentrer sur son intervention sans nécessairement donner sens à celle-ci selon les finalités d’une situation d’apprentissage. Au-delà de ces tensions, le processus d’auto-développement peut amener l’étudiant à faire émerger sa créativité en contexte. Le développement de cette capacité semble être un enjeu fondamental pour concevoir l’accompagnement des formés dans l’alternance et dans la saisie des savoirs et représentations divers qu’ils côtoient. Cela amène à un changement de forme de la pédagogie universitaire dans le « sens d’une mise à plat de ces savoirs et de la traversée des frontières qu’ils supposent » (Vanhulle, 2009, p. 206). Intéressée par ce questionnement et nous inscrivant dans la ligne de Cifali qui vise des dispositifs dépassant la pratique réflexive pour s’orienter vers un développement de la personne, nous avons voulu à travers nos expériences expliciter et illustrer le mouvement dynamique de ce changement en repérant la façon dont la personne professionnelle se construit. Cette idée permet d’illustrer la professionnalisation en tant que processus qui apparaît par définition inachevée et qui engage des temporalités complexes. Nous avons expérimenté cette démarche en tant que coordinatrice et intervenante dans le cadre du parcours Intervention en milieu éducatif  du master Enseignement, Education, Formation.

Le dispositif d’analyse de pratiques utilisé de manière créative nous a permis de reconnaître une simultanéité de trois temps. L’intérêt de cette communication est de montrer que certains temps du processus de professionnalisation apparaissent dans le cadre d’une approche clinique de l’analyse de pratiques. L’originalité consiste à faire un saut épistémologique en adoptant une posture de clinicien qui se doit d’établir avec ses partenaires les nécessités d’une relation dans le temps et d’utiliser la puissance de l’imagination créatrice dans une perspective bachelardienne de complémentarité avec la science. C’est en travaillant avec les concepts de la Pragmatique de la communication que nous avons découvert que le langage métaphorique, analogique pouvait être un outil facilitant la construction du projet personnel professionnel de l’étudiant. La reconnaissance de la simultanéité des trois temps semble liée à la posture et à la méthode utilisées par l’enseignant chercheur en Sciences de l’éducation que nous sommes, visant à transformer l’analyse de pratiques en un nouvel espace relationnel de coopération entre les formés et nous-mêmes. À cet effet, l’utilisation du langage métaphorique permet de « concevoir la situation d’apprentissage professionnel dans une discontinuité temporelle nourrie d’instants féconds conduisant à la construction de la connaissance » (Maubant & Roger, 2012). Le processus est comme un alliage de temps de formation qui nécessitent pour prendre sens un dialogue. Il est la personne dans l’écoulement du temps, et dans le temps expérientiel vécu. Dans cette articulation dynamique, pourra se jouer le temps de la rupture, de la distance ou de la continuité et le passage d’un temps à l’autre.

Pour repérer et illustrer la simultanéité de trois temps intervenant dans ce processus, nous questionnerons la temporalité, l’analyse de pratiques comme espace permettant de lire l’enchevêtrement des temps et nous essaierons d’identifier les traces à partir de l’utilisation du langage métaphorique. Nous discuterons les résultats et nous nous inscrivons dans des perspectives d’évolution de la formation.

1. Temporalité, professionnalisation : une mise en mouvement et en images

1.1 La professionnalisation, une temporalité complexe

Les participants à une formation professionnalisante sont en « rupture de quelque chose », rupture qui motive leur demande de formation et qui crée une situation d’entre-deux caractérisant le processus de formation. « L’expérience de la professionnalisation n’existe pour le sujet que par des mouvements, des rythmes, inter et intra individuels, collectifs qui sont l’expression de continuités et de discontinuités, de linéarités et de ruptures inhérentes à tout processus social ou individuel vécu par le sujet » (Roquet, 2013). Repérer le temps de ce processus et identifier des traces d’accès de transformation de la personne professionnelle, en situation de formation amène à considérer la formation comme un « milieu temporel » (Grossin, 1996) où les « niveaux macro/méso/micro temporels ne se construisent pas sur un principe de hiérarchisation, mais sur un principe de simultanéité » (Roquet, 2013). La question est de saisir le temps du processus en situation de formation comme un moment où vont s’enchevêtrer les temps internes de la formation, le rythme du vécu personnel, le rythme du collectif, le rythme du formateur. Appréhender la temporalité du processus de professionnalisation dans le cadre temporel d’une formation, suggère de mettre au travail la notion de temporalités éducatives (Lesourd, 2006). Le pluriel utilisé invite, de relativiser la représentation encore prégnante d’un temps chronologique, unique transcendantal; celui du temps de la culture industrielle qui donne à la formation un cadre temporel, structuré par un emploi du temps, qui se construit sur des mesures d’horloge (début et fin de la formation). C’est « un temps linéaire, homogène, continu et comptable » (Grossin, 1996). Ce temps donne l’effort et la règle. Il règne sans partage. Il engloutit les autres temps. La séquence de base est « l’heure de cours », uniformément admise par tous. Rigidité, coercition et régularité caractérisent ce cadre temporel pour devenir un élément d’un mode de vie structuré et sécurisant. Le temps de l’apprentissage professionnel est également organisé en durée et en périodicité. La mise en place d’un vécu personnel est englobée dans des cadres temporels collectifs, s’inféodant à une temporalité réduite au temps mesurable. L’alternance est appréhendée dans le passage entre un lieu de stage et un lieu de cours, en deux temps successifs. Elle s’inscrit dans une « logique applicative ou déductive ». L’approche inspirée de l’écologie temporelle (Grossin, 1996) nous permet de reconnaître qu’il existe non pas un, mais plusieurs temps, différant les uns des autres, caractérisés par des qualités propres à chacun. Loin de se fondre et de disparaître dans un grand temps unique, ils coexistent ou se succèdent. Ils naissent, durent et meurent comme les êtres qui les portent, comme les activités qui les rythment. Dans cette perspective, la formation devient un milieu temporel où les temps sont à la fois multiples et construits et où l’alternance est perçue dans une logique « intégrative ou itérative ».

La professionnalisation se construit alors dans une dynamique temporelle et une rythmique qui crée sens pour le sujet. Les travaux de Roquet (2010, 2013) vont nous permettre de mettre en évidence la participation des rythmes à l’alternance des processus de continuité/discontinuité pour donner sens aux différentes formes de temporalités. Le tissage et la résonance de ces temporalités plurielles vont intervenir dans la formation (Morin, 2005). De l’alternance des temps de travail, des cours, en passant par le rythme du groupe, la capacité du sujet de différer la décharge pulsionnelle occasionnée par la formation en tant que rupture de quelque chose, et le rythme du formateur qui travaille sa subjectivité,… ces formes du temps entrent en résonance les unes avec les autres. Elles constituent un vaste système de temporalités en désorganisation/réorganisation permanente qui sous-tend les situations éducatives. Nous verrons de quelle façon, après avoir été repérés, ces rythmes considérés dans leurs interactions ont des effets formateurs.

1.2 L’analyse de pratiques au coeur d’un enchevêtrement de temporalités

Depuis plus de vingt ans, le processus de réflexion sur la pratique professionnelle a fait l’objet de plusieurs modélisations sur la base de revues de la littérature anglo-saxonne. Par exemple, Wibaut & Paquay (2006) et Saussez & Allal (2007) s’appuient sur les travaux de Schön (1994) pour montrer l’importance de cette habitude de réflexion pour un enseignant professionnel. Pour autant, et en empruntant les travaux de Kelchtermans (2001), le concept de réflexion sur la pratique se limite trop souvent à des aspects techniques et instrumentaux. La réflexion ne contribue vraiment au développement professionnel que si elle transcende les questions du « comment faire » et aborde les questions plus fondamentales d’ordre éthique, politique et émotionnel : les questions du « pourquoi », du sens en référence aux valeurs ou aux exigences sociales. Le modèle du praticien réflexif semble bien loin des préoccupations centrées sur la réussite de leurs stages et sur la recherche d’outils immédiatement exploitables. Bien que les dispositifs d’alternance, d’analyse de pratiques soient mis en place par les universités pour développer la réflexivité, « les étudiants se sentent souvent déstabilisés par cette approche réflexive ou clinique et n’en perçoivent pas toujours l’intérêt pour la mise en oeuvre du développement d’une posture professionnelle » (Paquay, 2012). C’est en questionnant l’étudiant sur son projet professionnel que nous découvrons ses difficultés de parler de son projet personnel professionnel, de son orientation, de sa construction identitaire et de son sentiment d’embrasser une profession valorisée ou non. Ces constats nous ont amenés à concevoir l’analyse de pratiques en tant qu’espace clinique permettant de structurer le temps et l’espace de la construction de la pensée dans l’action. Pour soutenir ce travail d’élaboration psychique permettant d’apprendre à assumer ses fragilités sans être dans un clivage ou un cadrage trop rigide, pour que l’identité professionnelle puisse se modifier souplement sans crainte des remaniements possibles, ni être trop soumis à des identifications contraignantes, nous avons adopté la posture d’un « formateur, passeur d’entre-deux, à même de proposer des espaces transitionnels aménagés (...) acceptant pour un temps de ne pas avoir de solution, de suspendre le sens, de laisser place à la rêverie »( Blanchard-Laville (2004, p. 26),Se professionnaliser indique forcément un travail sur soi, quelque chose de l’ordre du processus, de l’ouverture de possibles, de l’assouplissement du soi. Selon nous, le contexte de l’approche clinique de l’analyse de pratiques (Blanchard-Laville & Fablet, 1996, 2005) permet d’appréhender la complexité de la temporalité de la professionnalisation et de mettre en relief le saut épistémologique. « Les paris épistémologiques et formatifs correspondent à une posture clinique et d’accompagnement, à une éthique de la parole, à la construction de la pensée dans l’action » (Cifali, 2012).

« Une démarche clinique est d’une grande exigence, qui vise principalement le développement d’une sensibilité qui intègre les savoirs expérimentaux dans la relation à l’autre. L’attitude clinique ne revient pas forcément aux psychanalystes ou psychologues. » (Cifali, 2012). Elle est le fait de tout formateur qui s’intéresse aux phénomènes de subjectivité et de l’intersubjectivité. Pour notre part, nos méthodes d’intervention s’inscrivent dans une vision systémique et nous adoptons la profonde sagesse du dire du grand poète espagnol Antonio Machado : « Marcheur, il n’y a pas de chemin, le chemin se construit en marchant ». Dans ces dispositifs d’analyse de pratiques vont se juxtaposer et s’opposer un contenant et un contenu, une chronologie et un évènement, un horaire et une durée » (Grossin, 1996). Tout en s’inscrivant dans la temporalité du cadre prescrit de la formation, les séances ne sont presque jamais à la journée : « il faut du temps; des intervalles entre les séances, de la patience face à ce qui résiste; avec un collectif qui devient lentement accompagnateur de chacun » (Cifali, 2012). Il faut du temps au formateur pour passer de la transmission d’un savoir disciplinaire à une posture clinique pour une qualité de l’agir et de la rencontre. Dans l’analyse de pratiques, les situations du vivant remettent en question notre savoir, nous avons à inventer sur le moment. Nous avons à accepter l’incertitude inhérente à l’action et à développer une capacité de jeu avec l’imprévu. Nous avons ainsi la nécessité de recourir à l’inventivité. À cet effet, l’analyse de pratiques devient « un espace qui mobilise une sagesse pratique « (Cifali, 2012) où le formateur est confronté à des situations sociales soumises au temps en ayant comme but premier, de permettre qu’un autre accède à une compréhension des situations où il est impliqué et de continuer lui-même à s’interroger. Dans l’analyse de pratiques, il y a un présupposé qui engage le formateur à reconnaître que la subjectivité dans l’action ne peut être éludée et que lui-même va travailler sa propre subjectivité. La démarche clinique se constate à travers une « présence de soi » et non une présentation de soi et des effets produits.

1.3 L’image, reflet d’un nouveau cadre relationnel

Dans sa temporalité, le formateur favorise la création d’un « espace transitionnel » (Kaës, 2004) pour instaurer, avec la coupure, le temps de la mise à l’épreuve et de la réalisation. Cet espace devient un champ d’expérimentation et de découverte partagé entre les formés et le formateur. Émergent ainsi un terrain de jeu, un espace vierge qui pourra se peupler de contenus importants dans la mesure où les interlocuteurs s’autoriseront à prendre conscience de leurs similitudes et de leurs altérités. Pour percevoir des ressemblances et le cheminement personnel parcouru dans ce parcours de formation, le langage métaphorique qui est par excellence, le langage du contact et de la relation nous semble intéressant à utiliser. Il permet de comprendre que les mots sont à la fois message et contexte. La communication affecte le comportement, et c’est là son aspect pragmatique. La relation humaine qui se veut pérenne nécessite que l’analyse de pratiques ne soit plus considérée comme une « dette » (Cifali, 2012), que les participants sortent du cycle du troc pour entrer dans celui du don (relation durable avec possibilité d’un type d’échange circulaire sans fin). On donne à l’autre parce que l’on a déjà reçu ou l’on sait que l’on recevra, sans jamais tendre à équilibrer immédiatement ce qui est donné ou reçu. « Quand on pense donner à l’autre, on donne dans le même temps et surtout à la relation » (Anspach 2002). Ce changement fondamental suppose que « toute communication suppose un engagement et définit par suite la relation » (Watzlawick, 1979 p. 49). C’est une autre manière de dire qu’une communication ne se borne pas à transmettre une information, mais induit en même temps un comportement. Les mots peuvent devenir des pièges. L’homme est le seul capable d’utiliser les deux modes de communication : digital et analogique. Notre préférence ira au langage analogique qui définit la nature de la relation au lieu de désigner des objets. La prise en compte de cette communication analogique s’inscrit dans la temporalité de ce nouvel espace relationnel qui permet d’inventer de nouveaux comportements, de se découvrir soi-même. Notre parti pris est de considérer que la mise en visibilité de la simultanéité des trois temps passe par l’utilisation d’une image abstraite qui est la métaphore, dans la mesure où « l’éducation, cette activité humaine primordiale n’a pas de langage qui lui soit propre » (Hameline, 1986) et que Bachelard accorde à la voie de l’imaginaire la même validité et la même actualité, c’est-à-dire la même pérennité spirituelle que celle qu’il décerne à la voie de la rationalité. La valeur d’une image ne tient aucunement pour Bachelard à son adéquation à ce que les choses sont censées dire « réellement ». « Percevoir et imaginer sont aussi antithétiques que présence et absence. Imaginer, c’est s’absenter, c’est s’élancer vers une vie nouvelle » (Bachelard, 1943, p. 10). L’acte poétique n’a pas de passé, du moins pas de passé proche le long duquel on pourrait suivre sa préparation et son avènement. L’imagination par la rêverie permet un détachement de l’épistémologie et marque l’autonomie de l’imaginaire humain, dépouillant l’image de toute forme de déterminisme. La variationalité de l’image poétique devrait pouvoir nous aider à illustrer le mouvement de professionnalisation des étudiants.

2. Un cadre de recherche pour des Intervenants en Milieu éducatif

2.1 Le cadre de la recherche

Ce parcours construit en 2010 a pour volonté politique de « travailler ensemble autrement », de décloisonner les statuts, les fonctions, les cultures, de relier les politiques sectorielles à une politique plus globale d’éducation. Il en est ainsi de la réforme des rythmes scolaires de l’enfant qui articule temps scolaire et temps des activités périscolaires; de la volonté de création d’un service public de la petite enfance et d’articuler les politiques sociales et de santé pour une meilleure prise en charge des enfants défavorisés…. et de répondre à une montée en puissance de la demande de qualification à un niveau bac+ 5 pour les intervenants éducatifs, sociaux, médiateurs sociaux, animateurs… qui formés normalement dans diverses écoles ou dispositifs au niveau 3, ne peuvent pas avoir un poste à responsabilité. Se dégagent divers principes que sont la prise en compte d’une connaissance pertinente (Morin, 2000, p.35) articulant le global au Local et d’une nécessité de développer des compétences transversales, une capacité d’employabilité par le biais d’une solide formation qui appréhende le savoir comme un processus, comme une relation dynamique et située empêchant de penser les connaissances et les savoirs construits en formation en tant que réalités objectives et figées.

2.2 Une approche méthodologique

Une approche composite a été mise en place pour pouvoir identifier des traces de la façon dont la personne professionnelle se construit. Dans un premier temps, une analyse a été faite des attentes recueillies auprès de 80 étudiants inscrits dans ce parcours, et ce sur trois années. L’élucidation clinique de la temporalité du mouvement de professionnalisation a pu être élaborée dans un second temps, à partir de la constitution d’un petit groupe et en prenant appui sur le cadre temporel de concrétisation d’un dispositif d’analyse de pratiques et de pragmatique de la communication. L’analyse des attentes nous a permis de dégager quelques grandes catégories de motivations à suivre ce parcours :

  • Pour la plupart, il s’agit d’une grande remise en question suite aux différents échecs au concours de professeur des écoles. Au départ, ils adoptent une posture de retranchement incarnée par une conception déficitaire de leur pratique professionnelle qui fait référence à une approche idéaliste. « Mon rêve, c’est de devenir professeur des écoles ». Ils sont confrontés à un problème de soi dévalorisé. La spécialité « enseignement primaire » avait été mûrement choisie et préparée en occupant des fonctions d’assistant d’éducation en collège, d’employée de vie scolaire ou d’auxiliaire de vie sociale.

  • Après cette phase, ils se situent dans une posture de questionnement pour confirmer leur orientation progressive et renouveler l’expérience du concours; ou d’exercer le métier d’enseignant dans le privé; en attendant, ils souhaitent découvrir d’autres activités autour de l’école;

  • Pour d’autres, il s’agit de se donner les moyens de rebondir pour entamer un déplacement vers des métiers qui leur offrent la possibilité de travailler en équipe, de monter des projets éducatifs pour des personnes en situation de vulnérabilité (enfants en difficulté physique ou mentale; jeunes en insertion. L’idée serait de devenir médiateur scientifique, culturel ou d’opérer un déplacement vers les métiers de la formation. Dans ce cas précis, certains éprouvent le désir d’occuper des fonctions d’encadrement ou de direction de service (direction service jeunesse).

  • Et pour d’autres, ce parcours en l’absence de toute expérience affirmée, la formation a valeur de formation initiale; elle est à la fois comprise comme le moyen d’apprendre et comme le moyen d’accéder à l’emploi par la reconnaissance qu’elle procure auprès des employeurs potentiels. L’existence de stages intégrés à la formation est souvent un facteur de choix. Ils insistent auprès des représentants institutionnels pour qu’il y ait un gros travail de communication et de valorisation auprès d’employeurs potentiels.

  • Enfin, pour les personnes en reconversion professionnelle, ce parcours est vécu comme une chance en vue d’obtenir un diplôme universitaire et de développer ses habiletés pour développer un projet auprès des enfants qui fassent sens. Une personne a créé sa propre association ayant pour ambition de sortir le livre de son contexte classique. L’équipe de l’association se présente comme étant « issue du monde de l’enseignement et des arts visuels. Sa spécialité en cinéma et en littérature de jeunesse lui permet d’élaborer des projets sur l’appréhension de l’image et une éducation du regard ».

Dans tous les cas, la formation est envisagée comme une ouverture, un repositionnement, une envie de découvrir, de continuer à apprendre, comme une autre façon de poser les relations et les rapports au travail : ainsi les personnes interrogées expriment leur impression que l’activité professionnelle suppose une réelle implication personnelle, un dynamisme perpétuel, des remises en question constantes. L’aspiration à devenir des « Intervenants en Milieu éducatif » est chargée d’enjeux personnels. Ce lien avec l’école est inédit. 

Il permet une reconnaissance et un respect mutuel entre enseignant et intervenant ». Devenir intervenant c’est exister autrement; c’est « construire son projet en connaissant le milieu de l’école, pour travailler avec les enseignants en complémentarité 

parole d’un étudiant

2.3 Création et organisation d’un nouvel espace relationnel

Il a d’abord été procédé à la constitution du groupe et à la constitution de l’espace de travail partagé (Caillé, 2004, p. 31-50),[1] à travers les 10 séances annuelles d’analyses de pratiques et de la pragmatique de la communication. Un protocole de recherche a été élaboré pour permettre de créer la dynamique collective dans une dynamique de confiance autour d’un ensemble disponible de critères que sont la recherche des atouts et des valeurs du groupe, des attentes et des inquiétudes concernant l’élaboration du projet professionnel. Des entretiens croisés ont permis d’orienter les étudiants dans les sens « présent-futur-passé » et non dans le sens linéaire du temps « passé-présent-futur ». Le futur est parcouru en quête d’étapes à atteindre. Aborder le présent autour de ces quatre items permet d’inscrire le projet professionnel à la fois dans un passé, un présent et un futur. Le présent devient un réceptacle de données en termes d’atouts c’est en associant étroitement l’intéressé qu’on construit un savoir sur le vécu au travail. L’énergie que ce dernier met à réaliser les tâches dans un contexte sans cesse changeant l’amène à être créatif, productif, à avoir des choses nouvelles à dire sur le travail dont il est question.

25 entretiens collectifs compréhensifs ont été menés et retranscris pour accueillir l’autre dans sa singularité, pour percevoir le mouvement d’individuation. Une analyse de contenu (Bardin, 2003) a combiné une analyse thématique et d’expression. On y accepte la communication dans toute son opacité, dans la recherche d’une relation démocratique ou égalitaire, d’une relation dans laquelle tous les participants ont une importance égale. Ces techniques initiatiques sont des instruments d’ouverture. Elles agissent sur les notions d’espace et de temps. L’observateur est réintégré dans le champ de l’observation. Le concept de neutralité du point de vue moderniste empiriste est abandonné. L’homme agit toujours pour atteindre des buts, des objectifs. La cause d’une action existe non dans le passé, mais téléologiquement dans l’avenir que l’on tente de créer. « L’organisme de l’homme est un ensemble de processus de transformation se déroulant dans le temps » (Caillé, 2004, p. 45). Aussi, le but de cet espace relationnel est de créer une situation d’apprentissage particulière où le groupe des formés retrouvera sa capacité d’être lui-même son propre formateur.

L’espace relationnel est, comme l’espace du groupe et celui du formateur, une métaphore illustrant la modélisation du cadre de rencontre souhaité. Il prend une dimension concrète dans la géométrie de la salle des séances. Les participants et le formateur prennent place autour de tables disposées en U permettant au groupe de formés d’affirmer sa capacité et de se mettre d’accord sur un changement de comportement de chacun de ses membres. Ces prémisses constituent l’étape que nous considérons comme essentielle pour que le groupe de formés se reconnaisse dès les premiers contacts un certain niveau de compétence et d’interdépendance dans la relation avec le formateur. Il y a une position de respect envers les formés. Le respect de l’asymétrie de fonctions et de statuts implique une pleine reconnaissance de la réciprocité. C’est à partir de cette reconnaissance que se fonde une véritable alliance basée sur une finalité acceptée par tous, que se tient une position éthique qui se manifeste par le refus de toute instrumentalisation, le refus de la dynamique dominant/dominé. Les mots peuvent devenir des pièges. Les étudiants auront à utiliser la métaphore pour permettre de « toucher » d’autant mieux l’autre que celui-ci se sentira compris et reconnu dans son expérience et sa sensibilité. La force de la métaphore va être étonnante. Elle va permettre au groupe de renvoyer des anecdotes qui ne sont pas menaçantes pour le formé qui va les écouter en opérant une dissociation.

Le décodage de signaux non verbaux, l’utilisation du langage analogique et métaphorique nous serviront de méthode d’accès de transformation de la personne professionnelle, en situation de formation. Un échantillon de population de 5 personnes a été élaboré en vue d’identifier quelques traces du cheminement personnel. Dans un premier temps, il a été demandé à chaque étudiant d’utiliser une métaphore lui permettant de se représenter en début, en milieu et en fin de formation afin de prendre conscience de son état d’esprit. Ce cheminement a été retranscrit par les étudiants et analysé. Dans un second temps, le groupe a réagi à cette image en ayant un regard positif sur le parcours de l’étudiant. L’utilisation du langage métaphorique permet de mettre en relief la temporalité du processus de professionnalisation et de son mouvement. L’art de la métaphore est un moyen de compréhension globale du processus de professionnalisation qui permet aux participants à la formation de verbaliser, leurs doutes, leurs inquiétudes, leurs souffrances, leurs plaisirs pour une redéfinition de la réalité.

3. Le repérage des temps intervenant dans le mouvement de professionnalisation

La formation perçue comme un milieu temporel selon Grossin (1996), nous aide à révéler certains temps réels qui existent, apparaissent, durent et disparaissent dans le processus de professionnalisation et qui ne ressemblent pas au temps de l’horloge. Le passage d’un temps à l’autre va pouvoir s’effectuer au fil des séances. L’espace relationnel devient un véritable enjeu. C’est lui qui par le jeu introduit, rend possible, le mouvement nécessaire du processus de professionnalisation et rend visible le temps du formateur, du collectif, le passage d’un temps à l’autre illustré par l’utilisation du langage métaphorique.

3.1 Le temps du formateur

Il faut du temps au formateur pour passer de la transmission d’un savoir disciplinaire à une posture clinique. Dans cet espace relationnel, le formateur travaille sa propre subjectivité. Il éprouve le désir de comprendre ce à quoi il est confronté, de nommer ce qu’il ressent, de saisir un élément qui surgit d’une évolution; de postuler l’intérêt à être alerté par la souffrance, la sienne et celle des autres. En travaillant sa subjectivité en lien avec les étudiants en présence et dans cette intersubjectivité où il s’engage, il s’implique, il invente. C’est parce qu’il accepte aussi que sa subjectivité soit impliquée, qu’il va contribuer à une possible évolution. Il apprend de sa difficulté comme de la leur. Il a accepté l’incertitude inhérente à l’action pour développer une capacité de jeu avec l’imprévu.

Tout en utilisant une méthodologie rigoureuse pour créer l’espace relationnel et une méthode créative, le formateur en devenant lui-même observateur fait sauter le boulon de la logique disjonctive et organise d’une certaine façon la coopération entre « l’ordre et le désordre nécessaire pour organiser l’univers » (Morin, 2005).

3.2 Le groupe et l’individu

3.2.1 L’organisation du temps du collectif

Le groupe s’est constitué lors de la première séance en expliquant le cadre dans ses moindres détails, en favorisant des conversations sur ce sujet afin d’aborder les doutes, les inquiétudes, les valeurs et les attentes par rapport à ce parcours. Il ne s’agit pas de triturer les valeurs des personnes, mais de s’y intéresser, de faire qu’elles existent dans le champ professionnel. Dans une épistémologie qui sous-tend le respect de l’autre, il a été demandé aux participants de faire des entretiens croisés pour présenter l’étudiant en fonction de ses atouts et de ses points de vigilance. Le groupe s’est constitué autour des valeurs de solidarité, de tolérance, d’échange et d’écoute. L’apprentissage du collectif s’est fait au fil des séances dans le cadre temporel du groupe et de la formation. Dans cet espace de « jeu » (Winnicott, 1972), a pu se rejouer la distribution des rôles, du pouvoir et de la mise en scène; et s’est amorcée une distance qui suscite un autre type de dialogue. Cet espace permet d’accéder aux coulisses de l’action, aux doutes, aux échecs, aux rêves, aux ambivalences, aux raisonnements intimes du praticien préconisé par Schön (1996). S’ouvre une dialectique entre l’histoire collective, le ressenti individuel et les positions personnelles.

3.2.2 Passé-Présent-Futur : Le micro temps du groupe

Le groupe d’étudiants a son propre micro temps et ses règles internes, ses rites, ses valeurs (pause-café, entraide, solidarité, covoiturage…). Être synchrone avec les rythmes de son groupe d’appartenance contribue en grande partie à l’adaptation et à l’intégration d’une personne dans la formation. Ne pas être synchrone dérange aussi bien la personne concernée que les autres membres du groupe. Cette dimension du temps ne peut que venir enrichir l’observation du formateur afin d’identifier la non-synchronie d’un membre du groupe. L’espace relationnel en tant que lieu de dynamisation et de régulation du mouvement de professionnalisation amène à reconnaître chacun des étudiants à la fois comme membre du groupe, mais aussi comme individu avec ses besoins propres, ses émotions, ses sentiments différenciés. Cette reconnaissance est favorisée par l’utilisation d’outils créatifs et métaphoriques qui permettent de se connaître autrement dans la mesure où ils restent une coproduction. Cette co-création n’appartient en propre ni au groupe, ni à l’un de ses membres, ni à l’intervenant.

3.3 Le passage d’un temps à l’autre

Le temps individuel, le temps du processus est celui qui porte essentiellement sur la façon dont l’individu placé dans différents contextes, cadres et états émotionnels perçoit le cours du temps. La perception va s’entrecroiser de ruptures, de continuité pour s’achever dans un temps spiral, celui du temps du processus de professionnalisation.

3.3.1 Entre coupure et continuité

Dans une lecture unique du temps de la formation, les étudiants conçoivent le rythme des stages en tant que coupure par rapport aux cours. C’est une coupure dans la mesure où l’environnement diffère de celui que connaît un étudiant avec un public différent. Le temps de travail n’est pas le même. Le stage permet d’être en action contrairement à la réflexion issue des cours. En même temps, ces deux mondes interagissent et  les séances d’analyse de pratiques permettent de faire lien, d’inscrire cette rupture dans le temps du projet professionnel. Alors que les aléas de la rigidité du cadre temporel de la formation ne sont pas bien perçus par les étudiants, le rythme du stage est appréhendé positivement. Dans ce cadre-là, les étudiants apprécient la diversité des rencontres, la variété dans l’action, la gestion des imprévus, et la participation à un travail d’équipe.

3.3.2 Le temps qui fait, le temps qui coule

Nous demandons toujours en début de séance, le temps qu’il fait en les questionnant sur leur état d’esprit suite au vécu du dernier stage pratique et sur les liens qu’ils auraient envie de développer avec la séance d’aujourd’hui.

Le temps qu’il fait est celui qui pousse à agir à l’acte et qui permet de réinscrire l’évènement dans un enchaînement temporel : arrivée au stage, rencontre avec le tuteur, les moments importants. Les moments difficiles avec les équipes, les moments d’angoisse avec les enfants ont pu être travaillés. L’utilisation du langage métaphorique et de dessins permet de dévoiler les constellations interrelationnelles pour sortir de la culpabilité, pour comprendre son positionnement et pour découvrir qu’au-delà de l’évènement, le temps est irréversible. Dessiner les modalités interrelationnelles de son lieu de stage permet de découvrir la posture d’accompagnement d’un tuteur qui se différencie de la relation maître-élève. Ces objets délimitent le temps et l’espace devant être pris en considération pour comprendre la relation. « Les renseignements donnés verbalement par les formés prétendent décrire la réalité, mais ce sont essentiellement des cartes pour tourner en rond » (Caillé, 2004). Ils établissent un jugement sur la relation et la structurent sur un mode linéaire introduisant des coupables et des victimes. En d’autres termes, réinscrire le temps qu’il fait dans le temps qui coule l’évènement/problème dans le processus, c’est également passer du « parce que » au « afin de ». Avec ces jeux créatifs, nous optons pour une esthétique du changement. L’histoire à venir est à réinventer. Ce qui nous paraît important pour des étudiants ne se destinant pas à devenir des professeurs des écoles.

4. Illustration de la participation du sujet au processus d’orchestration des temps

L’utilisation du langage métaphorique met en évidence les valeurs que les étudiants ont exprimées lors de ce parcours de formation. La mise en mouvement  de ces personnes semble se dessiner à travers l’acquisition d’une culture de l’autonomie, de l’efficacité, de la responsabilité et sont invités à devenir des « acteurs et des auteurs du changement ». L’espace relationnel a permis aux étudiants de concevoir et d’exprimer le processus d’apprentissage comme va-et-vient entre acquisition et création. L’apprentissage se fait dans une boucle « se faisant spirale » (Genthon, 1997). On perçoit la temporalité au sein de laquelle consécution et rupture coexistent. Les différentes métaphores expriment l’évolution du processus de professionnalisation de chacun (Figure 1) et l’enchevêtrement des temps individuel et collectif (Figure 2). Le groupe constitué a permis de jouer à plusieurs, le jeu réflexif.

4.1 Des images métaphoriques

Ils sont arrivés en formation méconnaissant l’identité professionnelle d’un intervenant en milieu éducatif. Les projets formulés à l’entrée de la formation étaient fondés sur un imaginaire des métiers dans lequel sont activées ou réactivées des projections fantasmatiques autour des fonctions de relation, d’écoute, d’aide, d’accompagnement qui repositionnent les enjeux de savoir dans l’univers de l’humain et du relationnel. N’ayant aucune certitude quant à leur avenir professionnel, ils se sont représentés en formation sans but précis tel un oiseau sur la branche, une feuille qui plane, un papillon ne sachant pas où aller, un parachute atterrissant dans un environnement inconnu et une étudiante se présentant en tant que personne sourde avec plein de doutes. L’espace relationnel a permis d’accéder à la construction du mouvement de professionnalisation en intégrant les doutes, les peurs concernant les débouchés de ce parcours, les ambivalences, les lassitudes et les joies. Dans une posture clinique, le formateur a favorisé le questionnement pour inventer un ordre utilisant le désordre fonctionnel des processus humains pour changer la manière de faire. Il lui revient non plus de disjoindre les temps et les espaces sociaux de travail et de la formation, mais au contraire de les penser en relation. Le formateur en ne jouant pas la comédie de la maîtrise, en renonçant à incarner une norme, un Surmoi, un modèle, leur permet de se mettre en jeu en tant que personne, d’accepter les erreurs comme des occasions de progresser; et d’avoir un regard positif sur soi. Ainsi, les étudiants en fin de formation expriment le mouvement à travers la légèreté de l’oiseau qui s’envole vers de nouveaux cieux; en devenant un lion prêt à affronter son avenir; la feuille ne plane plus, elle se stabilise pour s’orienter vers plus de créativité, et est prête à innover et à créer; le papillon se déplace de fleur en fleur pour se nourrir, s’épanouir et devenir un système ouvert sur son environnement; quant au parachute, il est devenu une araignée qui a tissé un réseau relationnel et qui est en attente d’une mutation; l’étudiante qui se disait sourde devient entendante.

Figure 1

Le temps du mouvement de professionnalisation

Le temps du mouvement de professionnalisation

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4.2 L’image et le mouvement

L’utilisation d’une image métaphorique reflète la création en tant qu’inventivité, d’un sentiment d’atteindre une nouveauté. De ce point de vue, les étudiants ont exprimé le désir et la capacité à se prendre pour objet de réflexion, de marcher et de se regarder marcher. Perrenoud (2001) situe la réflexion liée à la posture réflexive dans un contexte global de formation. La métaphore illustre le « temps spiral », celui qui introduit la boucle de régulation non pas comme une boucle fermée dans le processus d ‘apprentissage, mais comme « un circuit spiral qui se déplace à chaque fois qu’il revient sur lui-même » (Morin, 1986, p. 342). L’art de la métaphore résulte de la capacité de percevoir des ressemblances et d’établir des liens entre des idées et des situations au départ parfaitement différentes, voire antinomiques. La métaphore est un outil précieux de changement qui offre un moyen de compréhension globale et de redéfinition de la réalité. Dans ce dialogue, le groupe a contribué à renforcer l’estime de soi des individus. Il a renvoyé une image positive de la progression de chacun.

Dans la plupart des cas, le groupe en décrivant l’individu a repris sa propre métaphore et a caractérisé le processus de transformation professionnelle plus sous l’angle des mécanismes d’évolution affective, émotionnelle, représentationnelle. Il est allé jusqu’à faire des propositions en termes de transformation identitaire nous retrouvons le processus décrit par Wittorski (2012). À l’oiseau sur la branche devenu lion, le groupe a opté pour une feuille blanche devenue forêt qui avait des capacités pour devenir une directrice d’une structure éducative déterminée, affirmée et ambitieuse; à la feuille qui plane devenue profiterole, elle pouvait être en situation de coordination, de médiation, utilisant toutes ses capacités d’adaptation et d’écoute; du cocon à la chenille au papillon, désormais le groupe le voit continuer à progresser dans une joie de vivre; quant à la chenille timide prenant de l’assurance, le groupe a constaté un changement énorme et le parcours lui a permis de faire émerger sa passion, d’être ouverte pour occuper un poste d’animatrice passionnée par la littérature jeunesse, alors que l’étudiante s’était vue comme une araignée tissant progressivement sa toile; à la personne sourde devenue entendante, le groupe a été surpris par ses progrès, qui selon lui relève d’une volonté exceptionnelle pour devenir enseignante auprès d’enfants sourds. Dans cette dynamique, le groupe a perçu l’intensité du mouvement de professionnalisation de chacun. Il a travaillé les notions d’image de soi et d’affirmation identitaire.

Figure 2

Enchevêtrement des temps individuel et collectif

Enchevêtrement des temps individuel et collectif

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5. Discussion

Nous voyons qu’en ayant déployé dans cet espace relationnel une certaine créativité, la formation a pu prendre en compte « une dialectique de situations relatives, formelles et non formelles repensées dans un instant complexe et fécond » (Roquet, 2013). Une réorganisation du savoir s’est jouée dans ce moment incarné par une simultanéité de trois temps et qui a nécessité un mouvement où la dimension rythmique est centrale dans la mesure où chaque apprenant a pu définir son propre rythme d’apprentissage. Les rythmes temporels inscrits dans les situations d’alternance éducative préfigurent la production de professionnalités émergentes (Jorro & De Ketele, 2011) articulant les liens formation/travail et favorisant le développement d’identités professionnelles acquises dans les parcours professionnels. Seul un développement réflexif véritable peut permettre à ces futurs intervenants de se construire une culture professionnelle pertinente, mais aussi distanciée et critique par rapport aux attentes politiques et sociales du système éducatif, aux attentes du cursus universitaire et aux attentes du terrain. Former des praticiens réflexifs, n’est-ce pas les préparer à analyser aussi bien la réalité à laquelle ils sont confrontés que leurs propres pratiques.

La complexité du métier entraîne plus d’un piège, dont celui d’une totalité par juxtaposition des « regards » disciplinaires. Morin (2000) l’avance, le découpage des disciplines scientifiques est nécessaire; l’est autant une volonté d’en dépasser les clivages en travaillant aux interstices, se méfiant des hégémonies. Cette expérimentation nous a permis de situer le développement de l’adulte dans une approche globale intégrant plusieurs dimensions notamment psychologiques, groupales, relationnelles, sociales, composant en permanence avec l’ordre, le désordre et l’organisation et accordant au sujet un statut de « producteur » ou d’« auteur » de son propre développement. L’interdépendance des rythmes s’inscrit dans une histoire de vie (Pineau, 2000). « Les rythmes formatifs et professionnels se sont mobilisés sur les trois niveaux temporels que sont le macro, le méso et le micro » (Roquet, 2013). Ils participent à la création du contenu du modèle professionnel des intervenants en milieu éducatif. Dans ce contexte, le formateur en travaillant la relation, est impliqué dans le mouvement de professionnalisation et son discours, ses exercices créatifs, les textes qu’il choisit sont formateurs dans leur capacité à questionner. Le temps du processus est perçu comme le temps de la mise à l’épreuve et de la réalisation.

Par l’utilisation du langage analogique et métaphorique, nous nous rapprochons des travaux de René Barbier cités par Lesourd (2006) relevant d’une approche sensible ou qui s’efforce « de penser le sensible en formation » (Dominicé, 2000) et qui suggèrent que d’autres miroirs que celui du récit peuvent être tendus aux temps personnels. La création d’un nouvel espace dynamique, fruit de l’analyse de pratiques et de la Pragmatique de la communication est un outil qui nous paraît intéressant pour appréhender certains temps réels apparaissant dans le processus de professionnalisation.

5.1 La simultanéité temporelle, de nouveaux questionnements

Ce concept a permis de mettre en lumière le processus dynamique de professionnalisation qui s’inscrit dans les temps vécus construit par chaque individu, à la fois dans sa trajectoire et dans des contextes expérientiels de continuité, mais aussi des contextes de rupture liant représentation du passé, du présent et de l’avenir, et d’interroger l’approche de la formation. La représentation de cette dynamique s’inscrit dans un temps spiral et éclaire l’approche par processus qui s’intéresse aux changements,

5.1.1 Un concept centré sur une approche à visée transformatrice

Pour avoir une lecture de cette simultanéité, la Pragmatique de la communication avec son outil métaphorique a permis de comprendre les « je » et les jeux qui se jouent dans les échanges et les interactions vécues dans l’ici et maintenant, en situation présente et active, et non dans le passé. L’exploitation différente du passé, du présent et du futur est donnée dans une démarche systémique essentiellement orientée dans les sens « présent-futur-passé » et « futur-présent-passé » et non dans un sens linéaire du temps « passé-présent-futur ». Elle envisage le passé, en tant que réservoir de ressources et d’apprentissages utiles et intègre le temps dans ses trois dimensions, ses espace-temps, sur un mode circulaire en les envisageant simultanément et non de manière linéaire, passé, présent, futur. La démarche analytique privilégie l’axe temporel « présent-passé-futur », le parcourant comme un chemin semé d’embûches, dans la mesure où elle y cherche la source et l’explication des problèmes présents. Et le futur est envisagé dans une logique de prévision-prédiction et non de prospective et d’incertitude comme dans le systémisme. Tout problème s’inscrit à la fois dans un passé, un présent et un futur. Nous vivons à notre insu les trois temps simultanément. Dans la mesure où dans les dispositifs de formation par alternance, les liens entre professionnalisation et formation sont imbriqués, nous nous devions d’essayer de comprendre quelles pouvaient être les conséquences de cette simultanéité temporelle sur le vécu de l’étudiant, sur l’approche de la formation et du formateur. En abordant le présent comme un réceptacle de données éventuellement à reconstruire, projeter le futur comme indication éventuelle des apprentissages à acquérir et explorer le passé comme un enseignement et un réservoir d’apprentissages, nous introduisons un modèle centré sur une approche qui invite à être plus flexible pour voyager de manière circulaire dans les trois espaces temporels, présent-futur-passé.

L’utilisation de ce concept permet de se rapprocher de l’approche situationnelle de la formation décrite par Ferry (2003) et qui développe une problématique de la formation fondée sur la relation du sujet aux situations éducatives dans lesquelles il est engagé, y compris la situation de sa propre formation. Elle inclut l’expérientiel. C’est dire que la formation dans cette perspective est indissolublement personnelle et professionnelle, puisqu’il s’agit avant tout et essentiellement d’aborder des situations professionnellement définies et personnellement assumées, des situations dans lesquelles les capacités de sentir, de comprendre et d’agir de l’intervenant en milieu éducatif sont aux prises avec les exigences du rôle et les réalités du champ éducatif. La situation devient objet d’expérience, non au sens de l’expérience que l’on possède, ni au sens de l’expérience que l’on fait, mais au sens que lui donne Dewey, d’une investigation existentielle, à la fois épreuve et action. « L’expérience devient un processus mobilisateur de la professionnalisation » (Roquet, 2014). Le travail de la formation ne se borne pas alors pour le sujet à s’approprier des pratiques pour être en mesure de les reproduire, mais consiste plus fondamentalement à élargir, à enrichir, à élaborer son expérience, à accéder par le détour de la théorie à de nouvelles lectures de situations. En tout état de cause, la notion de développement ne renvoie plus ici au temps du progrès linéaire des modernes sous-jacents des « stages durs », mais à une intrication de mouvements progressifs et régressifs, organisateurs et désorganisateurs, porteurs d’incertitude

Le formateur a pu adopter « une démarche clinique qui n’appartient pas à une seule discipline; c’est une approche qui vise un changement, se tient dans la singularité, n’a pas peur du risque et de la complexité, et co-produit un sens de ce qui se passe » (Cifali, 2012). Cette attitude d’intervention et de recherche devrait pouvoir se développer tout au long du métier et permettre tant la production de connaissances que leur transmission. Une telle formation implique de considérer l’articulation entre les savoirs constitués et les savoirs d’expérience. Cette expérience mérite d’être poursuivie à une plus grande échelle pour rendre visible le mouvement d’individuation, dans une épistémologie systémique et pour une attention portée à l’écologie humaine. Appréhender la temporalité de la professionnalisation pourrait impliquer une pensée systémique privilégiant toujours la primauté du tout par rapport aux parties.

5.1.2 Quelle place peut-on donner au langage analogique métaphorique en formation?

Pour que la parole émerge, il est question de climat à créer, de respect à construire, de capacité du formateur à nommer ce qui est difficile, à ne pas jouer avec l’impuissance et la peur éprouvées. Ce dispositif ne relève-t-il pas de l’évaluation questionnement qui est davantage en prise avec l’évolution de la personne qui se questionne. Dans les parcours professionnalisants, comment peut-elle s’inscrire à côté de l’évaluation contrôle? Cela renvoie au développement liminaire d’Anne Jorro (2007) où elle questionne la séparation entre analyse des pratiques et évaluation, alors que l’un de ces outils de formation appelle très naturellement l’autre.

5.2 Quelques pistes de réflexion pour le contexte universitaire québécois

Dans un contexte québécois de réforme des métiers de l’humain, et au regard de l’absence de recherches étudiant la dimension dialogique pouvant s’établir entre les différentes situations formatives d’un jeune enseignant, Maubant et Roger (2012) s’intéressent aux possibilités de mise en lien et suggèrent de mettre en place « des contextes formatifs qui pourraient accompagner et soutenir les futurs professionnels dans un processus de mise en récit de soi permettant de donner du sens aux différentes situations professionnalisantes rencontrées ». Dans la lignée de ces travaux et au regard de notre communication, il nous paraît intéressant pour donner du sens à ce processus de partir du recueil de données recensant les cours offerts dans les sept baccalauréats d’enseignement et d’ exploiter la catégorie « développement personnel et professionnel » en essayant de trouver des modalités de dialogue entre les différentes rubriques que sont le cheminement personnel de formation ;l’ initiation à la recherche en éducation et le stage et pratique réflexive. L’idée est de repérer l’investissement singulier des personnes dans les situations et le rapport qu’elles entretiennent avec elles, les apprentissages constructeurs de sens qui peuvent s’y déployer ; et d’interroger la posture des formateurs, leurs modalités pédagogiques et de questionner la figure emblématique qui ferait lien. Selon nous, il nous paraît essentiel de faire émerger une figure de « l’accompagnateur du développement personnel professionnel » dont l’identité professionnelle permettrait d’articuler la recherche à la pratique au sein de l’espace clinique de l’analyse de pratiques. Dans cet espace, la situation professionnelle est située comme « espace-temps des transactions, de la coopération et de la production » (Guillaumin & Wittorski, 2014) ; et en amont des stages et tout au long du processus de professionnalisation, pourraient être interrogés le projet professionnel, le projet de formation et le projet de stage de l’étudiant dans une dimension dialogique.

Conclusion

La mise en visibilité de la simultanéité temporelle a fait apparaître un lien entre l’aspect novateur de l’ingénierie pédagogique, pilier d’un dispositif professionnalisant à l’université (Wittorski, 2008) pour un « penser autrement » et la prise en compte de l’interaction en tant que système. Dans ce cas précis, les rythmes s’inscrivent dans ces formes d’expériences intérieures (en soi) et extérieures (en rapport avec autrui) qui constituent un cadre biographique qui se retrouve projeté et qui vient d’être reconnu, consolidé dans un cadre institutionnel qui est l’analyse de pratiques.

L’innovation a consisté à « oser » la mise en place d’une approche métaphorique et finement temporalisante de la professionnalisation; de s’intéresser au processus de développement et aux inflexions continues de l’identité professionnelle et de tenter une approche des conditions narratives et herméneutiques de la formation professionnelle. Il a été créé un espace clinique à partir de l’analyse de pratiques pour que les étudiants puissent vivre et comprendre la signification de cette simultanéité temporelle intégrée au sein de leur parcours de professionnalisation, dans une perspective de prise en compte d’un projet dynamisant.

La lecture de cette simultanéité temporelle se fait en empruntant le paradigme systémique pour intégrer le temps dans ses trois dimensions sur un mode circulaire et non de manière linéaire, passé, présent, futur.

L’étude de la simultanéité temporelle a mis l’accent sur l’exigence de la mise en place d’une démarche clinique. La transmission d’une attitude clinique reste cependant difficile et fragile. Cependant un formateur formé à la dynamique des groupes, à l’approche systémique, à la théorie de la communication peut prendre en compte les processus complexes et donner une formalisation rigoureuse de ce que l’on pouvait entendre par simultanéité temporelle. L’introduction de la Pragmatique de la communication a permis de concevoir la situation de formation comme une métaphore pédagogique de la situation professionnelle et de considérer le groupe de formation comme lieu d’expérimentation de systèmes de communication, d’interrelations et de connaissance de soi, dans les approches centrées sur la vie de groupe. Cette communication met en débat l’idée de faire émerger une figure emblématique permettant le dialogue entre les différentes situations formatives vécues par l’étudiant stagiaire et qui pourrait être un « accompagnateur du développement personnel professionnel ».