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Introduction

À un moment où les questions de professionnalisation (Wittorsky, 2005, 2008) reviennent en force dans les cursus de formation des futurs enseignants (Lang, 1996, 2002), nous avons souhaité faire un point d’étape pour identifier ce qui avait changé depuis la masterisation[1] de la formation initiale en adoptant le point de vue des acteurs principaux de ce processus : les formateurs en IUFM[2]. Dans le cadre d’une recherche plus générale qui s’intéresse au développement professionnel des formateurs confrontés à la professionnalisation, nous avons essayé de décrire et d’analyser le travail des formateurs pour mieux comprendre leur activité. Nous nous sommes particulièrement intéressés aux significations de cette finalité revendiquée par les formateurs après deux années de masterisation (Loizon, Cartierre, 2013), nous avons voulu savoir si cette nouvelle formation organisée désormais sur deux années avait provoqué de grands ou de petits bouleversements : comment les formateurs vivent-ils leur métier quand ils doivent prendre en compte trois logiques concurrentielles : l’obtention d’un master intégrant de la recherche, la réussite à un concours de recrutement et la formation professionnelle aux métiers de l’enseignement (Perez-Roux, 2012) ? Quelles tensions vécues par les formateurs peut-on identifier lorsque ceux-ci sont confrontés à ces nouvelles prescriptions institutionnelles liées à la mise en place d’une formation professionnelle dans le cadre des masters « enseignement » ?

Dans cet article, nous avons choisi de détailler plus particulièrement les liens entre professionnalisation et modalités d’accompagnement mises en place depuis la réforme de la formation. En référence aux travaux de Bourdoncle (2000), nous avons questionné de manière spécifique deux aspects en adoptant le point de vue des formateurs : le sujet exerçant cette activité et la formation à l’activité, en prenant comme objet d’étude les dispositifs d’accompagnement. Dans le cadre de ces nouveaux masters, comment les formateurs se sont-ils emparés des nouveaux dispositifs d’accompagnement mis en place ? Comment arrivent-ils à professionnaliser les étudiants dans ces contextes spécifiques ? Quelles sont les tensions, les dilemmes qu’ils doivent désormais affronter pour faire face à ces nouvelles prescriptions à la fois nationales et locales ? Nous tenterons de répondre à ces différentes questions à partir des discours que les formateurs tiennent sur leurs pratiques liées à la professionnalisation.

1. Objet d’étude spécifique et problématique de la recherche

À la différence d’autres chercheurs qui ont approché ces questions sous un angle plus quantitatif à partir de questionnaires (Perez-Roux, 2012), nous avons recueilli le point de vue des formateurs à partir d’entretiens semi-directifs pour identifier les évolutions, voire les transformations de leur activité. Cette analyse de leur activité déclarée était envisagée selon un double point de vue : d’abord général en tentant de rendre compte de leurs préoccupations, tensions, dilemmes, et rapports à…, puis d’un point de vue plus didactique en identifiant ce qu’ils enseignent et comment ils l’enseignent.

Le thème central de ces entretiens portait sur la professionnalisation. Afin de l’envisager sous différents aspects pour mieux croiser les réponses (Jones, 2000), nous avons questionné nos collègues selon cinq sous thèmes (parcours professionnels, définition et usages du terme de professionnalisation, questions vives et conceptions diverses). Dans la partie consacrée aux usages, nous avons posé la question de l’accompagnement quand celui-ci n’était pas évoqué dans les réponses précédentes. Le but de ces entretiens était de caractériser les représentations que se font les formateurs à propos du terme de professionnalisation en les croisant avec leurs usages. Nous souhaitions aborder avec eux le quotidien de leur activité en les interrogeant sur les objectifs qu’ils se fixent, sur les contenus qu’ils enseignent et les dispositifs ou actions de formation qu’ils mettent en oeuvre dans ce but précis.

Pour approfondir notre analyse dans le cadre de cet article, nous avons délimité un objet d’étude spécifique : l’accompagnement. Face à cette pratique protéiforme, Roeckens (2009, p. 23) précise qu’il y a des formes d’accompagnement différentes selon les « types de situations, des contextes, et des individus, mais également des visées spécifiques ». Pour Paul (2004), les pratiques d’accompagnement peuvent être définies à partir de trois actions fondamentales que nous allons essayer de repérer dans les discours des formateurs : conduire, guider et escorter. Confronté à la nécessité de la professionnalisation, il nous a semblé que l’accompagnement proposé par les formateurs pouvait être un angle d’analyse pertinent comme le soulignent Vial et Caparros-Mencacci (2007) : « L’accompagnement devient donc un cas particulier d’intervention éducative où l’acquisition d’un savoir savant n’est pas la finalité ». L’accompagnement peut donc être vu comme un révélateur du rapport au savoir du formateur confronté à l’épreuve de la professionnalisation.

De nouveaux dispositifs d’accompagnement ont été mis en place au plan local depuis la masterisation comme les groupes de référence à côté des dispositifs plus traditionnels comme le mémoire (Le Roux, Lerbet-Séréni, Bailleul, 2001) ou les visites sur les terrains de stage avec des entretiens de conseil (Loizon, 2010a).

Pour mieux cerner le point de vue des sujets (les formateurs) sur leurs pratiques d’accompagnement confrontés au processus de professionnalisation, nous avons formulé quatre questions de recherche :

  • Comment se représentent-ils l’accompagnement des étudiants ?

  • Que mettent-ils en oeuvre pour accompagner les étudiants ?

  • Quels changements peut-on repérer dans leurs pratiques avec le master ?

  • Les pratiques de formation sont-elles différentes entre le premier et le second degré ?

2. Cadre conceptuel et méthodologique

2.1 Le champ de la didactique clinique 

Pour analyser les pratiques d’enseignement ou de formation, nous nous référons au champ de la didactique clinique (Terrisse, Carnus, 2009). Ce champ développé principalement à partir d’études de cas en EPS se situe à la croisée de la didactique et d’une clinique du sujet d’inspiration psychanalytique. Nous l’utilisons aujourd’hui pour investiguer les pratiques de formation en lien avec la professionnalisation. Après avoir présenté les postulats de base de ce nouveau champ, nous détaillerons la méthodologie qui nous a servis à rendre compte des pratiques d’accompagnement.

En didactique clinique, nous nous intéressons en priorité au(x) savoir (s) qui est (sont) enseigné (s) sans oublier la dimension du sujet enseignant ou apprenant (Carnus, Terrisse, 2013), car nous nous sommes aperçus que certains faits didactiques résistaient à nos analyses uniquement didactiques. Cette orientation « clinique » nous amène à nous centrer sur les sujets en privilégiant les études de « cas par cas » (Albarello, 2011). Nous suivons alors la temporalité de l’activité professorale en nous focalisant sur les trois temps que sont le déjà-là (ce qui préexiste chez le sujet avant la situation d’enseignement), l’épreuve caractérisée par la situation d’enseignement ou de formation avec ses incertitudes, et l’après-coup qui caractérise la réflexivité du sujet sur son activité, notamment au travers des remaniements de son activité.

Notre cadre théorique à la fois didactique et clinique se fonde sur une théorie du sujet enseignant qui repose essentiellement sur trois présupposés (Carnus, 2009) : le sujet est singulier, assujetti et divisé. Cette singularité du sujet, exprimée dans le premier présupposé, fait référence à son histoire personnelle et professionnelle constitutive de son « déjà-là expérientiel » (Loizon, 2004). Ce dernier va structurer petit à petit ses représentations, ses croyances, son système de pensée et ses valeurs dans ce que nous appelons le « déjà-là conceptuel », ce que Brousseau (1998) appelle « l’épistémologie du professeur ». Ce premier filtre didactique va ainsi influencer le sujet quand il va choisir certains savoirs qu’il va enseigner ; c’est l’expression de ce « déjà-là intentionnel » que nous tenterons d’identifier au travers de nos études de cas. Carnus (2003) place le « déjà-là décisionnel » au carrefour de ces trois formes de « déjà-là » (expérientiel, conceptuel et intentionnel) ; c’est à ce carrefour que l’on peut percevoir l’origine des décisions prises par le sujet, qu’il soit enseignant ou formateur. Dans nos travaux (Loizon, 2004 ; Loizon, Carnus, 2012), nous avons bien montré que ces « déjà-là » sont disposés en couches.

À côté des déterminants internes du sujet que nous venons de présenter brièvement existent ce que Goigoux (2007) appelle les déterminants externes qui vont eux aussi influencer le sujet au plan didactique ; cet auteur distingue le « déterminant public » avec les caractéristiques des élèves, et le « déterminant institutionnel » qui regroupe tous les textes officiels qui agissent comme des prescriptions externes au sujet. Nous sommes là en présence de ce que Chevallard (1991) appelle l’assujettissement ; celui-ci correspond au second présupposé : le sujet enseignant est pris dans des assujettissements qui agissent comme des déterminants externes au plan didactique.

Notre troisième présupposé intègre la dimension de l’inconscient au sens freudien : le sujet enseignant peut être divisé à plusieurs niveaux, parfois entre ce qu’il aimerait faire et ce qu’il fait réellement, mais aussi entre ce qu’il déclare avoir fait et ce qu’il a réellement fait. Les travaux chez les enseignants novices (Carnus, Garcia-Debanc et Terrisse, 2008) montrent que ceux-ci sont souvent divisés entre des buts contradictoires comme garder le contrôle de la classe et d’évoluer les apprentissages. Ce concept de division est très proche des notions de dilemmes et de tensions vécues par les sujets comme on peut les trouver dans d’autres champs scientifiques (Vinatier, 2009).

En didactique clinique, nous utilisons également un autre concept qui nous permet de rendre compte des savoirs enseignés ainsi que des difficultés vécues par les sujets dans l’espace didactique, il s’agit du concept de « rapport au savoir » (Carnus, Terrisse, 2013). Ce dernier est mobilisé sur des études de cas simples ou bien sur des études de cas longitudinales comme chez Jourdan (2013) en lien avec l’identité professionnelle des sujets. Face à la professionnalisation, nous allons questionner le rapport au savoir du formateur pour ouvrir un nouvel espace d’investigation, car comme le fait remarquer Maizières (2011, p.105) à propos de la musique « dans notre cas, aucune théorie ne dimensionne le concept de “rapport à la musique” comme l’ensemble des relations actuelles et passées, directes et indirectes, conscientes et inconscientes, qu’un individu entretient avec la musique ».

Dans un autre contexte de formation puisqu’il s’agit du travail social, Simondi et Perrenoud (2011) repèrent cinq dimensions du rapport au savoir dans le discours des formateurs dans le cadre de l’accompagnement des étudiants. Ces cinq dimensions sont les suivantes : le rapport à l’autre, à sa propre pratique, au groupe, au soi professionnel et aux savoirs. Ces chercheurs mettent en évidence l’importance de l’expérience antérieure dans cette dynamique du rapport au savoir ; le « déjà-là expérientiel » des formateurs jouerait donc un rôle important dans leurs modalités d’accompagnement. Nous mobiliserons ces différentes dimensions pour analyser le discours des formateurs face à l’accompagnement dans la professionnalisation.

En prenant appui sur notre cadre théorique de la didactique clinique, nous pouvons avancer l’hypothèse suivante : le « déjà-là expérientiel » du sujet formateur pourrait agir en amont du processus de professionnalisation dans le choix des modalités d’accompagnement visant à développer des compétences professionnelles des étudiants de master. Ce « déjà-là expérientiel » pourrait être analysé en utilisant les cinq dimensions du rapport au savoir de Simondi et Perrenoud (2011).

2.2 Méthodologie

Nous avons procédé à une première série d’entretiens semi-directifs, menés individuellement, sur la professionnalisation, d’une durée variable d’une heure à une heure trente. L’entretien était divisé en cinq grandes parties pour recueillir et croiser le maximum de données (Jones, 2000). Nous avons retenu en particulier les représentations et les pratiques déclarées sur l’accompagnement.

Les cinq thèmes abordés étaient les suivants :

  • Parcours professionnel : vers le recrutement en IUFM. Quelle évolution ? 

  • Professionnalisation : définition, objectifs, contenus, ce qui est fait en master ? L’accompagnement ?

  • Questions vives : légitimité, reconnaissance, le vécu du sujet en FI (formation initiale) et FC (formation continue) ?

  • Conceptions : enseignant idéal ? Formateur idéal ?

  • Rapport à la recherche ?

Puis dans un deuxième temps, nous avons posé des questions dans le cadre plus spécifique des dispositifs d’accompagnement.

Les questions (ou relances) « accompagnement » sont les suivantes :

  • Quelles modalités d’accompagnement utilisez-vous aujourd’hui ?

  • Qu’est-ce qui est différent ou similaire avec ce que vous réalisiez avant auprès des professeurs stagiaires ?

Pour l’analyse des données spécifiques à l’ACCOMPAGNEMENT, nous l’avons menée de la façon suivante :

  • Nous avons recherché ce qui touchait à l’accompagnement dans la partie spécifique de l’entretien, mais aussi dans les autres parties de l’entretien, car les sujets pouvaient y avoir fait allusion à un autre moment.

  • Nous avons procédé à une analyse flottante de chaque entretien puis à une analyse thématique de contenu réalisée a posteriori (Bardin, 1999).

Cinq dimensions de l’accompagnement en relation avec le rapport au savoir ont été repérées dans le discours des sujets : rapport à l’institution, à l’autre, à sa pratique, à l’expérience antérieure et aux savoirs. (Simondi, Perrenoud, 2011). Pour chacune des dimensions, nous avons construit des indicateurs en deux temps, d’abord de manière spontanée avant de relire les entretiens, puis a posteriori en intégrant les éléments des discours des formateurs. Chaque entretien a été soumis à trois chercheurs qui ont analysé les contenus séparément dans un premier temps ; dans un second temps, les cas plus compliqués ont été discutés en petit groupe afin de placer les éléments du discours plutôt dans une dimension. Si l’accord semblait difficile, la proposition était mise de côté.

2.3 Population interrogée

Le public de formateurs interrogés, choisi sur la base du volontariat, était composé d’une dizaine de formateurs IUFM ayant des statuts différents (professeurs agrégés et certifiés, enseignants-chercheurs, anciens maîtres formateurs du premier degré) et des expériences professionnelles diverses selon les établissements fréquentés (enseignant du premier degré⊠ (D1) ou du second degré (D2) et les années d’expérience en formation soit dans le second degré, soit dans le premier degré. Il faut noter que certains formateurs interviennent dans les deux degrés.

Ces formateurs sont présentés sous forme de tableau (tableau 1) regroupant leurs principales caractéristiques. Les enseignants chercheurs sont regroupés dans la partie basse du tableau.

Tableau 1

Caractéristiques des formateurs

Caractéristiques des formateurs

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3. Présentation des résultats

Nous présenterons nos résultats en reprenant chacun de nos analyseurs liés aux pratiques d’accompagnement convoquées par les formateurs : rapport à l’institution, rapport à l’autre, rapport à sa pratique et aux savoirs pour finir par le rapport à l’expérience antérieure.

3.1 Accompagnement et rapport à l’institution

Ce rapport à l’institution peut être perçu comme un assujettissement du sujet formateur confronté à un système de contraintes soit nationales, soit locales, au travers des cahiers des charges proposés par l’institution IUFM.

C’est surtout dans les discours des formateurs qui occupent des responsabilités dans l’équipe de direction que ce rapport se manifeste à différents niveaux dans les dispositifs d’accompagnement mis en place. Il apparaît d’abord dans la progressivité des stages tels qu’ils sont mis en place dans le cursus master 1, puis master 2 : « nous avons voulu une progressivité dans la construction, dans la prise en main, de la situation à la séquence sur les deux années » (PA)[3]. Cette construction de la progressivité est visible également dans les dispositifs qui visent « une formation professionnelle accompagnée par des formateurs de statuts différents » (PA). Si certains dispositifs sont « pensés » par l’équipe de direction locale, il en existe d’autres qui relèvent d’obligations nationales comme le mémoire : « on est contraint à avoir un mémoire parce que c’est le cadre du Master » (PA). Néanmoins, comme le fait remarquer ce formateur, l’accompagnement est différent selon les sites : « sur certains sites, l’accompagnement est très proche, car le nombre des étudiants est très limité » (PA).

Pour d’autres qui ne participent pas directement aux prises de décisions en équipe de direction, l’assujettissement est encore plus fort avec l’expression de regrets : « avant, on était plus libre d’accompagner les étudiants comme on le souhaitait… Il n’y avait pas tant de prescriptions » (AC). Les cahiers des charges sont vécus comme des carcans qui entravent les libertés des formateurs : « je dirigeais le mémoire comme je voulais, comme je le sentais avec le stagiaire, mais aujourd’hui, tout est écrit dans le document, et puis, on est plusieurs à intervenir sur le mémoire avec des approches parfois différentes » (DD). Comme moyen de professionnalisation accompagné, le mémoire focalise à lui seul beaucoup de remarques, car dans ce nouveau master, il a une formation spécifique de méthodologie des écrits qui sert de base à la rédaction des mémoires ; les formateurs qui y participent relativisent leurs actions : « Même si le cadre du mémoire est parfaitement défini, je dis toujours aux étudiants que c’est l’accompagnateur qui a le dernier mot, car c’est lui qui va évaluer les étudiants » (PB).

Pour certains, comme le formateur SB, c’est une véritable division qui s’exprime entre ce qu’il faisait avant et ce qu’il fait maintenant, mais à cause du nouveau cadre des masters : « les stagiaires avaient une grosse pratique avec une année en responsabilité, ils connaissaient leurs élèves, ils pouvaient faire un mémoire plus intéressant en observant ce qui se passait sur plusieurs séances. C’était passionnant à suivre… Aujourd’hui, je trouve que cela ne représente plus rien, ils ne sont en stage que deux semaines en responsabilité, ce n’est pas comme cela que je conçois le mémoire professionnel » (SB).

Le rapport à l’institution est très intéressant, car il montre comment les sujets formateurs perçoivent leur travail d’accompagnateur entre contraintes fortes et regrets, selon la position qu’ils ont dans l’institution. Entre celui qui « subit tout » (AC) sans prendre part aux décisions locales, et celui qui participe à la construction des dispositifs d’accompagnement, il existe un assujettissement qui n’est pas vécu de la même façon. Certains sujets apparaissent divisés entre ce qui était demandé avant et qui leur semblait pertinent, et ce qu’ils font aujourd’hui, notamment pour l’accompagnement des mémoires.

3.2 Accompagnement et rapport à l’autre

Nous analysons ici les rapports à l’autre, c’est-à-dire les rapports qu’entretient le sujet formateur avec les étudiants qu’il accompagne. Ce rapport à l’autre peut être envisagé selon les dispositifs d’accompagnement.

D’un point de vue plus général, nous remarquons que le rapport à l’autre est perçu différemment selon les sujets. Le formateur PA s’interroge : « quelle est la posture que l’on est en droit d’attendre de la part des étudiants ? Des stagiaires ? Des jeunes enseignants en exercice ? » (PA). Il conçoit son travail d’une certaine manière : « l’accompagnement pour l’aider dans le chemin qu’il est en train de prendre, car l’adulte, l’enseignant se découvre, quand il est face à la classe » (PA). Il dépasse le rapport à l’autre pour se recentrer sur l’objet de cet accompagnement : « Il y a des moments où on accompagne l’étudiant et, d’autres moments où on accompagne davantage la rédaction du mémoire... » (PA).

Effet de l’expérience professionnelle qui évolue avec le temps ou effet du nouveau cadre, certains discours traduisent des évolutions : « j’essaie de rendre les étudiants de plus en plus acteurs de leur formation et de limiter la dimension passive dans leur formation » (DD). Le même formateur perçoit des transformations dans les retours d’expériences des étudiants : « je trouve que la dimension éthique dans la relation à l’autre est devenue très très importante avec tout ce que l’on voit aujourd’hui » (DD) ; ceci est à rapporter aux évolutions des comportements des élèves et au fait que certains formateurs se sentent parfois « déconnectés » de certaines réalités du terrain comme AB : « j’ai parfois l’impression que je ne saurais plus faire avec ce que les étudiants me rapportent… »

Pour d’autres, les dispositifs changent la nature de la relation avec les étudiants : « je participe à des APP… ça c’est très formateur pour eux, de préparer avec eux, de prendre la classe en main, il nous questionne davantage » (FD). Ou encore : « Les groupes de référence, c’est bien, on parle plus librement, tout le monde est détendu… j’écoute davantage leurs préoccupations ou leurs soucis » (AB). Ces petits groupes de travail qui se retrouvent après les stages sont l’occasion d’un travail différent : « même si on a des thèmes obligés, je les laisse surtout parler de leurs expériences… là, j’apprends beaucoup de choses sur ce qui se passe sur le terrain » (AC). Dans ce rapport à l’autre, c’est un rapport au savoir professionnel qui change la position des uns et des autres ; les étudiants deviennent ainsi des formateurs pour les sujets formateurs en leur rapportant des éléments fondamentaux sur l’évolution des élèves : « je suis souvent surpris par les nouveaux comportements des élèves qui me sont racontés » (AC).

Dans le cadre des visites sur les terrains de stage, les formateurs semblent plus attentifs aux discours que les étudiants tiennent sur leurs pratiques ; dans l’entretien « je leur demande ce dont ils ont envie de parler, décrire leur activité ou celle des élèves, et après on discute sur les deux ou trois points sur lesquels ils avaient envie de revenir » (AB). Pour d’autres, on perçoit une évolution liée à ce nouveau cadre professionnel : « j’ai toujours donné beaucoup de place à la parole des jeunes, à ceux qui pratiquaient, mais là c’est encore plus dur pour eux, car l’expérience professionnelle est courte et parfois difficile… je les écoute plus qu’avant » (DD). Ce formateur place des priorités dans la professionnalisation : « la première et la plus importante en formation initiale pour moi, c’est la compétence analyser sa pratique professionnelle, car le jeune collègue n’aura pas toujours quelqu’un derrière lui pour l’aider » (DD). C’est donc l’occasion de les écouter encore plus comme le souligne un autre sujet : « le formateur IUFM est là davantage pour solliciter la réflexion d’étudiant, notamment au travers d’un questionnement approprié » (AC).

Certains expriment des changements dans leurs pratiques professionnelles, toujours à l’occasion des visites : « pour les entretiens, en M1, lors de la visite, je laisse toujours l’étudiant analyser sa pratique, c’est-à-dire que je lui donne un temps où il va faire son bilan personnel, et puis après, je le laisse évoquer ses préoccupations ou bien ce qu’il arrive parfaitement à réaliser ; c’est à lui de faire le choix » (DD). Pour un autre encore, le fait de disposer de deux années est plus riche, car « il n’y a pas la pression temporelle ; ils ont deux ans pour se former tranquillement… » (AB).

Enfin, avec le mémoire professionnel, l’accompagnement change de nature sans que l’on soit capable de dire si c’est l’effet de la masterisation ou bien l’effet des nouvelles technologies comme l’annonce un formateur : « j’ai l’impression que les étudiants veulent des retours très rapides sur leurs mémoires… ils me relancent » (AC) ; c’est également exprimé par un autre sujet qui a trouvé des solutions pour ménager le rapport à l’autre : « moi, pour éviter les problèmes, je leur dis que j’ai bien reçu leur document et je leur annonce une date de retour…, ce qui me laisse du temps pour le corriger » (GA). Parfois, les relations changent complètement : « avant, je les voyais régulièrement, maintenant je fais un maximum par internet… cela va plus vite, mais on ne se voit plus » (DD).

On s’aperçoit donc que contrairement à ce que nous avons perçu dans le rapport à l’institution, les dispositifs et le fait de disposer de deux années pour professionnaliser laissent plus de libertés aux formateurs dans le rapport à l’étudiant. Il semblerait que l’écoute des formateurs soit plus importante aussi bien dans les visites que dans les groupes de référence qui s’y prêtent davantage malgré certaines contraintes. L’accompagnement du mémoire change, mais sans que l’on puisse affirmer que cela soit dû aux nouveaux dispositifs.

3.3 Accompagnement et rapport à sa pratique

Ce qui caractérise le rapport à la pratique des formateurs, c’est d’un côté le doute sur les effets des dispositifs et sur la cohérence générale, et de l’autre côté, l’impression que ces nouveaux dispositifs d’accompagnement sont efficaces, mais uniquement dans certaines conditions. Pour ce qui concerne le doute, voici un exemple proposé par un formateur qui appartient à l’équipe de direction et qui a donc participé à l’élaboration de ces dispositifs d’accompagnement : « je reste perplexe sur l’éclatement de nos dispositifs » (PA). Cette perplexité trouve son origine dans son manque d’expérience actuel des dispositifs : « l’accompagnement des étudiants aujourd’hui, je ne sais pas quoi en penser, parce que je ne l’ai pas expérimenté » (PA).

Pour d’autres, au contraire les dispositifs sont performants selon les formateurs : « en groupe de référence, certains arrivent à tisser des liens très concrets entre les différentes interventions, ils tirent aussi plus davantage dans leur stage d’observation, ils transposent plus facilement que d’autres » (TC). D’autres remarques positives, mais nuancées : « j’ai des retours d’étudiants qui me font dire qu’il y a une grande hétérogénéité des formateurs et des pratiques, cela dépend de l’expérience des formateurs selon moi » (SB). Cet avis est partagé par DD qui précise un point intéressant : « je peux te dire que cet accompagnement est relativement efficace, si en plus, on a souvent les étudiants en formation » (DD). Ce rapport à la pratique serait déterminé par les conditions mêmes de la formation au-delà des dispositifs d’accompagnement ; l’accompagnement serait perçu comme efficace quand les formateurs rencontrent souvent les étudiants et font le lien entre les actions de formation.

Pour le formateur TC, l’accompagnement pose une difficulté particulière, car il rompt avec les modalités de formation traditionnelles : « j’essaye de plus en plus de m’effacer de la scène pédagogique, je dis bien j’essaye, car je n’y arrive pas toujours ; j’ai l’impression d’une part que les étudiants sont bien formatés, même en master 1 par des types d’intervention universitaire » (TC).

Enfin, pour quelques-uns, ce rapport s’exprime au travers du mémoire professionnel qui semble produire des effets pertinents sur la professionnalisation des étudiants : « Je trouve que ça les fait réfléchir ; ça fait réfléchir. De toute façon, quand on écrit, on conçoit plus clairement, quand on écrit, on est obligé de reformuler » (FD). AC confirme cette déclaration : « je vois dans le mémoire une évolution intéressante… ils ont les bonnes questions, mais pas toujours des réponses ; c’est ça la réflexivité en marche… ça se développe » (AC). La régularité est un paramètre important pour AB qui « entretient une relation régulière avec les étudiants de master 2 » (AB).

De ce rapport à la pratique d’accompagnement, on peut dégager quelques pistes, notamment au niveau des conditions de l’efficacité. D’après les discours parfois très contrastés, il semblerait qu’un accompagnement efficace serait lié à une fréquence de rencontres, à une connaissance des étudiants et à un suivi régulier.

3.4 Accompagnement et rapport aux savoirs

Le rapport aux savoirs s’exprime dans les contenus mêmes de la formation. Ainsi pour le formateur GA : « Il nous faut des points de repère en formation pour pouvoir agir de manière éclairée » (GA). Ces repères doivent concerner les étapes de la professionnalisation, notamment au niveau des compétences attendues en fin de master 1 et fin de master 2. Pour le formateur AB, il y a une centration plus nette sur les savoirs théoriques : « Avant, je faisais plus de la professionnalisation en mettant de côté un petit peu la théorie ; j’étais plus sur les contenus d’enseignement et la mise en oeuvre, sur les régulations didactiques » (AB). De même, le formateur TC indique : « je profite de ces moments particuliers d’accompagnement dans les visites ou les groupes de références pour favoriser l’intégration des travaux de recherche » (TC).

Ce rapport aux savoirs est également perceptible dans ce qui est dit à propos des visites comme chez le formateur AB : « Avec les M1, je suis plus centrée sur l’activité de l’enseignant » qui poursuit en précisant ses objets d’évaluation : « Je suis plus sensible : à la conception de leurs séances, à leur posture et à la façon de se replacer par rapport à la classe » (AB). La différence avec la formation antérieure apparaît en master 2 : « Avec les M2, je suis plus sur la préparation au concours, on est plus sur les trois axes de l’éducation physique : sur la motricité des élèves, la dimension culturelle et l’éducation à la santé » (AB). Il faut remarquer que ce discours n’est tenable que dans les disciplines où les concours ont un caractère professionnel très marqué comme en éducation physique et sportive.

Pour d’autres, au contraire, les formateurs semblent très divisés entre des logiques concurrentielles comme chez AC : « je ne sais plus si je dois faire de la préparation à l’oral dans les entretiens de visite où si je dois être à l’écoute de leurs préoccupations comme en master 1… » (AC). Il en va de même pour SA qui s’interroge : « j’aimerais bien leur faire passer une forme d’oral lors des entretiens en visite, mais ils veulent des conseils pratiques » (SA).

Enfin, pour certains formateurs, le choix est clair et ils prennent position : « je pense que la visite durant les stages est un élément très important du processus de professionnalisation. Je fais la différence entre un oral de concours et un entretien de visite qui doit apporter des éléments professionnels » (DD).

Même si cela semble compliqué, on voit dans les discours que la position des formateurs est partagée, très divisée, entre donner des savoirs plus académiques en relation avec les oraux du concours et travailler au développement des compétences professionnelles. Ceci est à relativiser selon les disciplines en fonction des concours de recrutement du second degré. La nature des savoirs mobilisés dans les dispositifs d’accompagnement peut varier également selon que le formateur s’adresse à des étudiants de master 1 ou de master 2.

3.5 Accompagnement et rapport à l’expérience antérieure

Si des éléments de notre cadre didactique et clinique ont déjà été mobilisés dans l’analyse des différents rapports à… comme la division du sujet et son assujettissement à certaines situations, c’est dans cette dernière dimension que notre cadre plus clinique prend tout son sens en référence à leur singularité, aux « déjà-là » des sujets formateurs, notamment avec leur rapport à l’expérience professionnelle antérieure à la masterisation. Ce « déjà-là » exprime ici toute la singularité du sujet formateur en fonction de son histoire professionnelle.

Ainsi, on perçoit chez le formateur AB, un rapport à l’expérience d’accompagnement qui évolue dans le temps, mais pas forcément en lien avec les nouveaux dispositifs de master : « au début, j’avais beaucoup de mal, car je ne savais pas comment les aiguiller, je ne savais pas comment les orienter dans l’entretien ; aujourd’hui, je suis plus claire, je sais où je vais avec eux » (AB). Pour un autre, ce rapport est lui aussi en prise avec le temps :

« Avant je travaillais avec des professeurs stagiaires, qui avaient tout le temps de mettre en place des expériences, de développer progressivement leurs compétences ; aujourd’hui, c’est complètement différent » (DD). Ce formateur nous explique également : « Par contre, avec les étudiants de M2, je reprends une méthodologie utilisée avec les profs stagiaires. Premier temps, un temps d’analyse de sa pratique par l’étudiant, puis deuxième temps, les thèmes qu’il voudrait aborder, puis troisième temps, utilisation du référentiel de compétences » (DD).

Les formateurs s’adaptent donc à ces nouveaux dispositifs d’accompagnement en mobilisant leurs expériences professionnelles antérieures ; c’est ce que décrit bien le sujet AC : « J’ai mis du temps à trouver un bon fonctionnement dans les visites et dans le suivi des mémoires… j’ai essayé des choses. Avec les étudiants de master, je refais la même chose, car je sais que ça marche… Par contre, il a fallu que je m’adapte avec les groupes de référence qui sont nouveaux » (AC).

Les adaptations ne sont pas de même nature chez tous les formateurs. Ainsi, le sujet GA profite de cette nouvelle situation pour modifier ses formes d’accompagnement : « Avec les étudiants de master, j’ai tout changé… Par exemple dans les entretiens, je donnais beaucoup de conseils, maintenant je reprends simplement ce que l’étudiant se donne comme conseil. Dans les groupes de référence, je ne prépare rien, je laisse les discussions partir selon les questions ou les thèmes proposés. J’essaie de ne plus être directif comme je l’étais avant ». (GA). Quand on le questionne sur les origines de ce changement, il nous annonce deux raisons ; la première « c’est le fait d’avoir des jeunes qui n’ont pas d’expérience ou peu quand ils entrent en master, donc je me sentais plus libre d’essayer un autre mode de relation, je ne prenais pas trop de risque » ? Plus loin, il explique la deuxième raison : « j’ai suivi une formation qui m’a permis de voir les choses autrement, une autre communication avec l’étudiant surtout dans l’entretien » (GA).

Le rapport des formateurs à leur expérience antérieure, à leur « déjà-là » montre à travers les discours tenus sur l’accompagnement trois attitudes différentes. La première serait caractérisée par une tentative de changement des modalités d’accompagnement à l’occasion des masters illustrés par le formateur GA. La seconde concerne davantage l’adaptation aux nouvelles conditions plus spécifiquement dans les visites (DD, AB). Enfin, la troisième avec la recherche d’une nouvelle démarche, d’une autre posture quand les dispositifs sont complètement nouveaux comme les groupes de références (AC).

4. Discussion

L’analyse des discours des formateurs sur l’accompagnement à partir de nos cinq analyseurs issus du rapport au savoir montre une certaine évolution de la professionnalisation du métier d’enseignant depuis la mise en place des masters. Nous reprenons nos questions de recherche initiales pour discuter de cette évolution.

À notre première question portant sur les représentations de l’accompagnement des étudiants, il n’apparaît pas de définition très claire sinon de « se joindre à quelqu’un pour aller où il va » (Paul, 2009). Si l’on reprend les termes les plus cités par les formateurs pour évoquer cette notion, nous retrouvons souvent le mot « suivi » qui renvoie à l’idée de secondarité de la position du formateur par rapport à celle de l’étudiant. Cette position traduit-elle la réalité de ce positionnement ou bien est-elle davantage liée aux mots utilisés avant la masterisation où le terme d’équipe de suivi était largement utilisé ? Nous pensons que ce celui-ci est plutôt l’héritage des pratiques antérieures. Le mot « accompagnateur » n’apparaît pas dans les nouveaux dispositifs sauf pour le mémoire professionnel ; la multiplicité des termes utilisés (formateur accompagnateur, suivi, groupe de référence…) pour évoquer cette notion d’accompagnement, nuirait-elle à une représentation plus précise ?

Ensuite, pour identifier ces représentations très hétérogènes de l’accompagnement, l’idée de cheminement proposée également par Paul (2009) met en évidence les interrogations, des doutes, les dilemmes que chaque sujet doit gérer au mieux, car les étapes qui composent le cheminement des étudiants vers le métier d’enseignant ne sont pas clairement identifiées comme le rappelle le formateur PA même si l’institution met en place une certaine progressivité : « quelle est la posture que l’on est en droit d’attendre de la part des étudiants ? Des stagiaires ? Des jeunes enseignants en exercice ? » (PA).

Les formateurs qui semblent les plus à l’aise dans l’accompagnement sont ceux qui participent à tous les dispositifs (groupe de référence, analyse de pratique, visites et mémoire), car ils perçoivent la cohérence et la continuité des dispositifs d’accompagnement ; ils acquièrent aussi une bonne connaissance des étudiants facilitant ainsi le rapport à l’autre. De plus, ils réussissent à tisser des liens avec les savoirs disciplinaires dispensés en formation. Alors que pour d’autres, cet accompagnement est très ponctuel. Comme le rappelle Hébrard (2011), une formation à l’écoute pourrait être utile aussi bien aux futurs enseignants qu’aux formateurs.

Pour répondre à notre seconde question à propos de ce qui est mis en oeuvre pour accompagner les étudiants, nous constatons que cette mise en oeuvre renvoie soit à des dispositifs avec leurs contraintes, soit à des postures relationnelles des formateurs identifiées dans leurs rapports à l’autre. Nous percevons une évolution plutôt positive dans les visites de stage, alors qu’elle semble plus compliquée dans l’accompagnement du mémoire professionnel. Mais la plus grande évolution est repérable pour tous les formateurs avec l’introduction des groupes de références qui modifient de façon très nette dans les discours les rapports à l’étudiant. En effet, dans ces groupes, même si certains contenus liés aux évaluations (diaporamas et document de synthèse en master 1, mémoire professionnel en master 2, positionnement sur le référentiel) doivent être communiqués aux étudiants, la relation est différente, non contrainte par des savoirs théoriques à transmettre absolument. Les groupes de référence représentent donc un espace de liberté pour les étudiants et les formateurs. Cet espace de liberté (Wiel, 1998) pourrait permettre, d’une certaine façon, l’expression des projets des sujets : projet de formation exprimé par les formateurs et projet de professionnalisation envisagé par les étudiants. Reste à s’interroger sur ces deux formes de projection de soi vers un futur donné (Paul, 2009)… Les finalités, les buts poursuivis par l’un et l’autre sont-ils explicités clairement ?

Les postures des sujets semblent se modifier notamment dans le rapport à l’autre. Nous notons dans les discours, des compétences professionnelles des formateurs qui évoluent vers davantage d’écoute et moins de prescriptions en matière d’accompagnement même si les formateurs semblent divisés entre le cadre imposé par l’institution dans les cahiers des charges, et la liberté des sujets à s’exprimer sur leurs préoccupations et leurs projets. Le développement de la posture réflexive est un souhait récurrent chez bon nombre des sujets, mais il n’est pas forcément lié à la masterisation. Cet objectif était largement présent dans les dispositifs précédents pour passer d’un modèle de formation initiale centré sur la transmission de savoirs à un modèle qui tente de développer les compétences professionnelles (Perrenoud, 2000).

Quels changements avons-nous repérés dans les pratiques des formateurs avec le master ? À cette troisième question, pour reprendre quelques éléments cités plus haut, il est possible de dire que des évolutions sont identifiables, mais sont-elles liées au nouveau cadre du master ? La seule réponse possible peut être liée à la nouvelle dimension temporelle ; avec deux années pour enclencher ce long processus de professionnalisation, les sujets formateurs disent avoir plus de temps, et donc donner davantage de temps à l’étudiant pour cheminer. S’il est bien une dimension fondamentale qui relève de tout accompagnement, c’est bien cette dimension temporelle (Wiel, 1998) : la durée est fixée avec le début du master 1et la fin du master 2. À proprement parler, il n’y a pas de grands changements repérés dans les discours sinon au travers du rapport à l’autre comme nous l’avons déjà signalé. Le rapport à l’institution ne semble pas avoir évolué, tout comme le rapport à la pratique. Le rapport aux savoirs peut être envisagé différemment selon le niveau des étudiants auxquels s’adressent les formateurs ; il semble aussi varier selon la nature des savoirs dispensés en formation. Ainsi, un formateur qui prépare aux écrits ou aux oraux des concours sera plus enclin à mobiliser des savoirs disciplinaires ou théoriques dans les dispositifs d’accompagnement comme nous avons pu le voir chez les formateurs DD ou AB. Il faut noter que certains formateurs de terrain participent également aux dispositifs d’accompagnement, mais ceux-ci ne faisaient pas partie des formateurs interrogés. Il pourrait être intéressant d’avoir leur point de vue à l’avenir.

Toujours à propos des changements, on peut évoquer aussi la division exprimée par bon nombre de formateurs entre la manière dont ils accompagnent aujourd’hui et ce qu’ils faisaient avant. Le fait d’avoir à préparer au diplôme de master rajoute un élément à cette division : développer des compétences professionnelles ou préparer aux épreuves du concours ? Nous avons vu que la position des formateurs variait en fonction de la professionnalité des concours : quand le concours présente des épreuves avec des liens très forts avec la pratique, le travail des formateurs soulève moins de tensions.

Concernant d’éventuelles différences dans les pratiques d’accompagnement entre le premier et le second degré, nous n’avons aucun élément de réponse à fournir. Nous n’avons pas relevé d’indices dans les discours qui pourraient nous laisser penser à des différences selon les dispositifs. L’accompagnement semble renvoyer aux mêmes problèmes ou aux mêmes solutions selon que les formateurs interviennent davantage dans le premier ou le second degré. Pour en savoir plus, il faudrait analyser la réalité des pratiques et peut-être avoir le point de vue des « accompagnés ».

Nous avons cherché à croiser nos résultats avec les caractéristiques des sujets en espérant mettre à jour des rapports à… différents selon les formateurs, selon leur grade ou leur diplôme universitaire ou encore avec leurs expériences professionnelles antérieures, mais la taille de notre groupe ne nous a pas permis de mettre à jour un résultat particulier. Si l’on se réfère à d’autres études auprès de formateurs (Loizon, 2010 b) menées sur un sujet différent, celui de l’éducation à la santé, il apparaît que l’histoire du sujet, son « déjà-là » influence beaucoup son enseignement et par là son rapport aux autres et aux savoirs. Nous pouvons penser qu’il en est peut-être de même dans le cas de l’accompagnement, mais nous ne disposons d’aucun élément dans ces entretiens qui pourraient être approfondis en poursuivant nos investigations sur la base sur de récits de vie pour accéder au « déjà-là » encore plus personnel des sujets.

Nous terminerons cette discussion avec quelques interrogations : « on peut conseiller, aider, former, orienter… sans pour autant accompagner » (Paul, 2009). Les formateurs sont-ils confrontés à de véritables dispositifs d’accompagnement, ou plus largement, peuvent-ils accompagner les étudiants dans leur professionnalisation à partir de ce qui est proposé ?

Si nous reprenons les conditions ou les dimensions de l’accompagnement proposées par Wiel qui en définit cinq (1998), on peut en douter ; ceci permettra peut-être d’expliquer la difficulté à le définir. Nous avons déjà signalé que cet accompagnement se déroulait sur une durée donnée, ce qui satisfait au moins une des nombreuses dimensions. Pour ce qui concerne l’expression de la demande (deuxième dimension), il est proposé d’emblée à tous les étudiants dès le master 1 au travers des nombreux dispositifs que nous avons déjà mentionnés ; il ne résulte donc pas d’une véritable demande exprimée par le sujet étudiant. Ensuite, en ligne de mire de la demande, il y a la relation au projet (troisième dimension) : c’est le projet de l’autre qui fait naître l’accompagnement. Ce projet est bien sûr implicite, parfois explicité au travers des paroles centrées sur la réussite au concours et de fait la réussite au master, condition nécessaire à l’entrée dans la profession. La relation à l’extériorité qui fonde la quatrième dimension n’est pas respectée ; le statut du formateur l’implique de fait dans les évaluations sur certains dispositifs comme les visites, les documents écrits de master 1 et l’évaluation du mémoire professionnel. Seuls les dispositifs d’analyse de pratiques et les groupes de référence ne sont pas évalués par le formateur. Enfin, la dernière dimension en relation avec la liberté des sujets n’est pas respectée, car formateur et étudiants sont assujettis au contexte institutionnel local. Wiel (1998) rappelle que la philosophie qui sous-tend la pratique d’accompagnement est celle de la liberté fondamentale des acteurs du projet.

On s’aperçoit donc que le concept d’accompagnement fondé et structuré autour de ces cinq dimensions qui permettent d’analyser les dispositifs n’est pas respecté ; ceci nous conduit à dire qu’il n’y a pas de véritable accompagnement proposé aux étudiants.

Enfin, si l’on reprend les caractéristiques énoncées par Paul (2004, 2009), l’accompagnement se joue dans le « côte à côte », dans une relation de binôme avec des positions symétriques ou asymétriques. Or il n’en est rien au travers des dispositifs proposés : la structure même du binôme n’existe quasiment pas sauf dans l’accompagnement à l’écriture du mémoire où ce cheminement se fait aussi et surtout à distance. Dans les groupes d’analyse de pratique, les étudiants se retrouvent à douze, voire quinze avec un formateur ; ils sont de quatre à six en groupe de référence, et au moins trois ou quatre lors des visites (formateur, tuteur, étudiant et son binôme souvent observateur). Alors où et comment peut s’exprimer véritablement le sujet accompagné ?

Conclusion

En mobilisant le cadre de la didactique clinique (Carnus, Terrisse, 2013) et plus particulièrement la notion de rapport au savoir, nous avons essayé de comprendre ce qui se jouait dans l’accompagnement : « Le rapport au savoir représente un tiers possible dans la relation éducative d’accompagnement en formation professionnelle » (Simondi, Perrenoud, 2011). À partir de nos analyseurs, nous avons constaté dans cette étude centrée sur l’accompagnement en formation initiale des futurs enseignants que ce concept était largement « protéiforme » (Paul, 2009) pour les formateurs, tant dans sa représentation que dans ses usages au travers des dispositifs. Nous avons relevé dans les discours des formateurs une baisse des exigences pour les mémoires, car les expériences professionnelles sont plus courtes que dans l’ancienne formation avec peu de séances pour en tirer des leçons. Nous avons aussi remarqué que les modalités des visites ont un peu évolué sans que l’on puisse le rattacher au nouveau cadre de formation. La nouveauté mise en place avec les groupes de référence a produit un véritable espace de liberté en créant des relations différentes permettant ainsi des discussions ouvertes, des relations plus faciles, l’expression des difficultés et des tensions. Nous avons observé sur ce dispositif une grande variété du travail malgré un cadrage institutionnel assez fort. L’hétérogénéité des formateurs interrogés a permis aussi de distinguer un rapport à l’institution différent selon la place des sujets (appartenance à l’équipe de direction ou pas).

Forts de cette première étude exploratoire, nous envisageons de poursuivre nos recherches sur l’accompagnement en allant voir au plus près des pratiques ce qui se joue réellement. Plusieurs pistes s’offrent à nous : accompagnement du mémoire professionnel, accompagnement dans les visites et accompagnement dans les groupes références. Il serait intéressant de confronter les recherches plus anciennes avec de nouvelles proposées dans ce nouveau cadre de professionnalisation, mais celui-ci est amené à nouveau à changer avec le changement de la formation initiale annoncé par le nouveau gouvernement qui souhaite un retour à des dispositifs plus anciens avec plus de pratique professionnelle tout en intégrant le master. Le temps de la politique n’étant pas celui de la formation, les formateurs vont devoir s’adapter à de nouveaux dispositifs, mais leurs pratiques vont-elles changer fondamentalement ?