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Introduction

Alors qu’une documentation croissante se consacre aujourd’hui à l’insertion professionnelle des enseignants, bien peu d’études s’attardent à comprendre les mécanismes fins de l’apprentissage en contexte, plus précisément ceux par lesquels l’enseignant débutant construit et restructure son savoir-agir professionnel dans les contraintes de l’exercice quotidien. Voilà le propos de cet article qui rend compte des résultats d’une recherche doctorale ayant étudié un tel processus de restructuration chez trois enseignantes débutantes du primaire, au cours de leur première année d’enseignement. Après avoir posé le contexte de l’étude et situé l’angle épistémologique sous lequel l’apprentissage professionnel est abordé, une conceptualisation du processus est proposée. Les modalités méthodologiques retenues, un dispositif d’accompagnement mentoral et une démarche d’analyse par théorisation ancrée, sont également présentées. Une portion importante de cet article se consacre à l’illustration de la restructuration dont les trois dynamiques laissent entrevoir un travail proprement identitaire au coeur de l’expérience d’insertion.

1. La problématique

Historiquement, deux grands courants de recherche ont influencé la formation des enseignants. Un premier courant, sociologique, a contribué à montrer comment les schèmes intériorisés au cours de la scolarisation agissent comme des « filtres » entravant l’intégration des connaissances universitaires (Lacey, 1977; Zeichner & Gore, 1990). Un second courant, inspiré de la psychologie cognitive cette fois, s’est attardé à cerner les caractéristiques cognitives des enseignants expérimentés (études dites « expert-novice ») pour mieux modéliser une pensée experte au cours de la formation en enseignement (Carter, 1990; Swanson, O’Connor, & Cooney, 1990). L’héritage de ces deux courants s’est largement fait sentir au sein des réformes des programmes de formation à l’enseignement au Québec. En plus de viser le renouvellement des pratiques enseignantes et l’harmonisation des processus d’entrée en carrière, celles-ci ont une préoccupation corollaire de minimiser les réactions de conformité au milieu en adossant la formation universitaire aux expertises disponibles. Lors de la réforme de 1994, par exemple, le baccalauréat en enseignement au primaire est passé de trois à quatre ans et le stage en milieu de pratique s’est allongé à 700 heures afin de faire contribuer le plus possible toutes les sources d’expertise, tant celles développées par la recherche que celles détenues par les praticiens expérimentés (MEQ, 1992, 1994).

Malgré tout, la phase d’insertion dans l’enseignement continue, aujourd’hui, d’être un point névralgique du parcours professionnel et une documentation croissante se consacre à cette question (Martineau, Vallerand, & Bergevin, 2008). On se préoccupe, de façon récurrente, du décrochage des nouveaux enseignants et de la rupture qui marque le passage de la formation universitaire à l’exercice en profession (COFPE, 2002). Les écrits font état de la survie des débutants et du choc de la réalité qui perdure encore aujourd’hui (Lamarre, 2004). Les premiers pas en carrière témoignent d’une gestion de classe difficile (Gordon & Maxey, 2000) et du sentiment d’incompétence qu’éprouvent certains (Martineau & Presseau, 2003). Tout se passe comme si l’effort d’intégration amorcé en formation initiale ne trouvait pas d’écho sur le terrain des premières expériences, du moins pas celui escompté. Pour peu qu’on les interroge à ce sujet, les débutants disent avoir de la difficulté à faire passer ce qu’ils ont acquis en formation universitaire dans leur pratique quotidienne.

De tout ce propos, une certaine conception de l’émancipation professionnelle se dégage, selon un type de rapport qui repose traditionnellement sur un principe épistémologique où il faut « d’abord savoir pour faire ensuite ». C’est bien en ces termes que St-Arnaud (2001) parle d’un paradigme d’expertise dominant en formation professionnelle, où l’efficacité pratique tient d’abord à un postulat d’application de connaissances jugées émancipatrices. Implicitement, ce paradigme pourrait bien induire ce que Malo (2005) appellerait une « perspective déficitaire » en recherche et en formation, au sens où on semble se préoccuper davantage de ce qui « manque » aux enseignants débutants dans l’expérience d’insertion (Bourque, Akkari, Broyon, Heer, Gremion & Gremaud, 2007) qu’on cherche à mieux comprendre comment, en fait, la pratique quotidienne contribue au développement de leur savoir-agir professionnel (Russell & Munby, 1996 ; Schön, 1994). L’étude de cet article propose de poser autrement le problème de l’insertion professionnelle, en adoptant la perspective d’un paradigme de l’incertitude (St-Arnaud, 2001) qui considère, entre autres, les efforts du futur enseignant pour composer avec l’indétermination du contexte non pas comme un manque d’expertise, mais bien comme un mécanisme inhérent à son développement professionnel.

2. L’éclairage conceptuel

Le choix d’inscrire l’étude dans un paradigme d’incertitude incite, d’emblée, à poser un regard compréhensif sur l’apprentissage professionnel, du point de vue même de l’enseignant débutant en contexte d’insertion. Conséquemment, nous puisons à une sociologie interactionniste qui accordent une place importante aux circonstances de l’action et à l’intelligence « en situation » de l’acteur social. Nous référons plus particulièrement, ici, à la théorie de l’apprentissage expérientiel de John Dewey dont les deux principes fondamentaux – continuité et transaction – permettent de situer le rôle de la connaissance dans l’apprentissage en contexte et de conceptualiser un accès à la restructuration au sein de l’expérience[2].

2.1 L’apprentissage expérientiel

Par le principe de continuité, Dewey réplique au dualisme de son époque, se faisant critique à l’égard du schéma traditionnel de l’éducation qui cherche « à imposer le savoir du dehors et de l’extérieur » (Dewey, 1947, p. 36), alors que cette continuité, en fait, « procède du dedans » (Ibid., p. 35). Dans Démocratie et Éducation (1975), il évoque que la connaissance n’est impliquée dans l’expérience que « dans la mesure où elle […] revient à quelque chose ou à une signification » (p. 174) et « n’a de valeur que par la solidité, la sécurité et l’enrichissement qu’[elle] apporte à [la] manière d’aborder l’avenir » (p. 186). Dans la perspective pragmatiste qu’il défend, le but n’est pas de connaître, mais de générer les significations qui permettent de réduire l’incertitude et de satisfaire aux exigences de la réalisation de l’action. Sous cet angle, le principe de continuité rend inconcevable l’idée d’une rupture au cours de l’insertion. D’un point de vue interactionniste, apprendre est « une réaction incessante à un environnement qui nous stimule incessamment » (Dewey, 1947, p. 7). À travers la vie quotidienne, où plusieurs situations différentes se succèdent, il y a inévitablement quelque chose des premières qui passe aux suivantes, et ainsi de suite : « Telle est la signification [de la] reconstruction de l’expérience » (Ibid., p. 59). Ce qui est intégré aujourd’hui devient instrument pour comprendre et pour agir demain. En ce sens, la subjectivité a bien une portée structurale car ces significations deviennent les conditions objectives des expériences futures (Dewey, 1947).

En vertu du second principe, Dewey situe cette subjectivité au coeur du commerce intime d’un soi qui doit transiger (d’où l’idée de transaction) avec ce qui constitue, à un certain moment, son environnement (Dewey, 1947). Le soi, ici, correspond à l’acteur – avec sa conscience, son bagage héréditaire et historique, ses aspirations, ses croyances et ses valeurs – qui « expériencie » dans sa totalité et sa globalité l’environnement, entendu comme l’univers physique et social en perpétuel changement dans lequel il interagit et évolue. Dewey préfère le terme de « transaction » à celui d’« interaction » pour bien insister sur l’idée de transformation et de mutualité qu’un tel principe veut évoquer : « Quand une activité […] se continue en conséquences subies, quand le changement que l’action produit se réfléchit dans un changement qui se produit en nous, le simple flux est chargé de sens. Nous apprenons quelque chose » (Dewey, 1975, p. 193). On aura compris que cette liaison transactionnelle entre l’action avec sa conséquence implique non seulement une dimension intellectuelle, mais aussi une dimension affective et davantage volontaire dans l’apprentissage (Dewey, 1947). Lorsque l’acteur « éprouve » l’environnement – un environnement qui l’interpelle parfois de manière intense, massive, voire urgente (Berger et Luckmann, 1986) –, cela suscite un sentiment agréable ou désagréable qui imprègne nécessairement son retour à l’action. Dans ce rapport étroit entre subir et agir, l’acteur est investi d’un intérêt spontané où il ne peut rester indifférent à la suite des choses : son sort est en jeu, dirait Dewey (1975) ! Donner un sens, c’est donc aussi donner une direction à son expérience en cherchant à influencer le cours des événements.

2.2 La restructuration de l’expérience

Lorsqu’un événement – que nous appelons un déclencheur – perturbe l’expérience et suscite chez l’acteur un état de surprise (Schön, 1994) ou de doute (Dewey, 1993), l’incertitude qui en résulte est propice à l’amorce d’une restructuration. Dewey (1993) dira alors qu’une situation est « eue » (p. 132). Puisqu’il ne peut appréhender l’expérience dans sa totalité, l’acteur concentre son attention sur « une portion, une phase ou un aspect particulier d’un monde environnant expériencé – […] une situation » (Ibid., p. 128). Plus simplement, on pourrait dire, ici, qu’il s’agit d’un processus de thématisation de l’expérience : l’acteur organise et ordonne les éléments perçus selon un thème ou une configuration qui lui fournit le moyen « de savoir à quelle sorte d’événement [il] a affaire et qu’est-ce qui spécifie dans son genre le cas considéré » (Quéré, 1997, p. 10). Puisque c’est toujours en référence à une situation qu’un sens est donné à l’expérience, la situation se présente donc, dans cette étude, comme un objet à restructurer et à être sollicité par une narration-description qu’il ne faut pas réduire, il convient de le mentionner, à un simple exercice discursif.

Narrer et décrire oblige l’acteur à « situer » (d’où l’idée de situation) spatio-temporellement ce qui pose problème: il faut déterminer un point de commencement et un terme à l’expérience racontée (narration); il faut aussi sélectionner et mettre en lien les éléments de l’expérience qui ont une valeur explicative par rapport à l’indétermination perçue (description). Par la narration-description, l’acteur confère à la situation une cohérence et une intelligibilité qu’elle n’a pas a priori (Dewey, 1993). Il faut bien voir, toutefois, que tant que le dénouement de la situation n’est pas connu ou que des événements subséquents peuvent venir en changer la configuration, le sens ne peut en être totalement fixé (Quéré, 1997). L’effort de restructuration doit ainsi s’épuiser jusqu’à ce que la situation soit déterminée et notamment, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’intérêt, chez l’acteur, à narrer et à décrire cette situation.

Enfin, l’effort de rendre « intelligible » une situation incertaine ou indéterminée est grandement facilité lorsque l’acteur peut « rappeler » à sa pensée une diversité d’objets, de réalités et d’émotions – partant de son répertoire d’actions ou d’autres ressources – qui n’ont peut-être pas eu lieu dans la situation réelle, mais qui rendent possibles des inférences et des anticipations susceptibles de nourrir une restructuration. La mise en discours ne suffit donc pas, encore faut-il faciliter, chez l’acteur, une « conversation réflexive » (Schön, 1992) avec la situation – que Schön associe à une transaction réflexive, en écho à Dewey – c’est-à-dire une problématisation graduelle de la situation pour mieux la résoudre.

3. Les considérations méthodologiques

La conceptualisation qui précède invite à considérer la toute première année d’enseignement comme un moment propice pour observer une restructuration : en effet, l’indétermination inhérente aux situations de l’insertion et l’autonomie nouvelle dont bénéficie le débutant permettent qu’il vive pleinement ce qu’il pense et qu’il compose avec les conséquences de ce qu’il a lui-même choisi de mettre en oeuvre (Dewey, 1947). En outre, nous portons un intérêt particulier envers les situations difficiles, celles, du moins, qui sont suffisamment interpellantes pour inciter le débutant à une réflexion approfondie et soutenue que l’on pourra solliciter sur un plan discursif. D’emblée y a-t-il là un défi méthodologique au sens où l’accès à une telle réflexion ne va pas de soi dans le contexte de l’insertion professionnelle ; en l’absence d’un climat accueillant et collaboratif, les enseignants débutants sont peu enclin à révéler leurs doutes et leurs questionnements (Portelance, Mukamurera, Martineau, & Gervais, 2008).

3.1 La méthodologie d’intervention : un dispositif mentoral

Rejoignant l’esprit de la recherche collaborative de recherche (Desgagné, 1997, 2001), l’aménagement méthodologique s’articule autour d’un dispositif mentoral d’accompagnement, élaboré dans le cadre d’un projet partenarial d’insertion professionnelle entre l’université de Sherbrooke et une commission scolaire.

En plus de permettre que soient abordées les situations difficiles de l’insertion dans le climat de confiance et d’ouverture que requiert le processus étudié, le mentor est explicitement invité, dans le cadre de l’étude, à se placer comme expérimenté auprès du débutant – et non comme « expert », ce qui aurait pour effet de contaminer l’entretien et de nuire à l’investigation. En tant que « membre » (Coulon, 1987) et acteur compétent (Giddens, 1987) de la communauté enseignante, le mentor a développé dans l’expérience un répertoire de situations-types (Berger & Luckmann, 1986) qui le rend apte à faciliter l’exploration des situations dans un ordre de pertinence commun à tous les enseignants, mais aussi spécifique à celui qu’il accompagne. À cet égard, il s’avère un interlocuteur privilégié pour encourager une conversation réflexive et soutenir la narration-description fine et détaillée des situations soumises à l’échange mentoral. Toutefois, il faut bien voir que les « membres » d’une même communauté de pratique n’ont pas l’habitude de s’expliquer « en détail » leur réalité commune, précisément parce qu’ils sont « membres » et ont une compréhension mutuelle des contextes et des phénomènes qui la caractérisent (Coulon, 1987) : c’est là une limite possible du dispositif. Un second procédé est donc prévu : après chaque entretien mentoral audio-enregistré, nous écoutons l’entretien et retournons auprès du débutant pour le faire expliciter davantage certains aspects du propos demeurés ambigus. Ce procédé en double sollicitation permet non seulement de mieux rejoindre la visée compréhensive de la recherche, mais il laisse le soin à la personne mentor d’assumer plus librement son mandat de formation auprès du débutant (Desgagné, 1994)[3].

Concrètement, trois dyades (mentor/débutante) participent à la collecte de données qui s’étale sur une année scolaire. Pour chaque dyade, quatre échanges mentoraux et trois échanges en double sollicitation sont audio-enregistrés ; ces vingt et un entretiens sont intégralement retranscrits.

3.2 La méthodologie d’analyse : une théorisation ancrée

Au terme de la collecte, nous disposons d’un matériau discursif se rapportant à divers problèmes abordés dans le mentorat, mais il ne s’agit pas encore, à proprement parler, de « situations ». Encore faut-il mettre en forme ce discours pour le faire passer d’une logique discursive, inhérente à la résolution pratique des problèmes, à une logique narrative qui met en évidence la cohérence de chaque situation et peut davantage révéler une restructuration. Nous procédons à une reconstitution narrative en regroupant, autour de chaque problème, tout le discours provenant de tous les échanges[4]. Cette reconstitution fournit un ensemble de dix-huit situations, soit trois corpus – de cinq à sept situations par débutante. L’analyse de ces situations s’inscrit dans une démarche inductive, selon un processus comparatif constant, typique de la théorisation ancrée (Glaser & Strauss, 1967). Trois étapes de codage sont menées en concomitance (Laperrière, 1997).

Un codage ouvert permet de repérer les composantes de la restructuration en procédant à deux niveaux de comparaison. À un premier niveau, nous comparons entre eux chacun des trois corpus ; des assertions pratiques retiennent notre attention par leur récurrence d’une situation à l’autre. Certaines assertions, exprimées comme des valeurs, des convictions fortes et des principes d’action – des « maximes » (Shulman, 2007) – renvoient à ce qui habilite chaque débutante pour composer avec la situation difficile. D’autres assertions évoquent plutôt une menace perçue, qui met « en jeu » les efforts de chaque débutante dans le traitement de la situation. Ce premier procédé comparatif fait émerger les composantes de ce que nous appelons le « cadre de la restructuration ». Par exemple, une débutante justifie souvent ses choix d’action en classe en évoquant que « c’est l’adulte qui sait ce qui est bon pour l’enfant » (maxime). Lorsqu’en novembre, les parents questionnent et critiquent certains de ses choix pédagogiques, la débutante exprime ce qu’elle perçoit comme une contrainte à sa liberté de gouvernance en classe (enjeu) : « je trouve [difficile] d’avoir peur des parents ». À un second niveau, nous comparons comment les maximes et les enjeux repérés sont transigés d’une situation à l’autre et ce, chez chaque débutante. Ce second procédé comparatif fait apparaitre trois façons différentes de transiger l’expérience – appelées logiques transactionnelles – qui nous associons au « processus de restructuration ». Nous constatons, par exemple, que dans les situations, les maximes sont transigées comme une ligne de conduite qu’il faut tenir ; nous remarquons aussi qu’une des maximes est récurrente à toutes les situations alors que les autres sont sollicitées de façon discontinue. Ces observations conduiront éventuellement à l’émergence de l’une des logiques dite d’enracinement.

Ces deux grandes catégories émergentes – cadre et processus – vont constituer les principaux axes conceptuels d’une structure théorisante – le schéma explicatif – qui se dessine graduellement en dialogue avec les principes de continuité et de transaction (Dewey, 1947). À travers un codage axial, l’articulation entre les composantes de ces deux axes se précise. L’émergence des logiques transactionnelles, entre autres, permet une dimensionnalisation (Strauss, 1987) des composantes du cadre, au sens où chaque logique se définit par le lien analytique particulier qu’elle établit entre ces composantes. Enfin, nous procédons au repérage systématique d’extraits du corpus, permettant la saturation des composantes. Ce codage sélectif stabilise tout le schéma explicatif et conduit à son exhaustivité théorique. Par exemple, nous constatons, au terme de l’analyse, que les trois logiques transactionnelles sollicitent un ensemble « stable » de trois ou quatre maximes à travers toutes les situations, indiquant la saturation de cette composante (maxime) au sein du cadre.

4. Les résultats de la théorisation ancrée

La restructuration de l’expérience s’appuie, d’une part, sur un cadre composé d’un ensemble de maximes et d’un enjeu et, d’autre part, sur un processus qui se définit à travers trois logiques transactionnelles. Il est temps de définir chacune de ces composantes telles qu’illustrées au sein du schéma explicatif ayant émergé de la théorisation ancrée (voir figure 1).

Figure 1

Le cadre expérientiel chez Laurence

Le cadre expérientiel chez Laurence

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4.1 Le cadre de la restructuration

Le cadre de restructuration se compose d’une maxime principale, de trois ou quatre maximes secondaires et d’un enjeu comportant deux facettes. Dans leur ensemble, ces composantes laissent entrevoir tout le « capital expérientiel » (Shulman, 2007) sur lequel chaque débutante s’appuie pour transiger son expérience d’insertion. Shulman dirait que les maximes et les enjeux renvoient à des « idées qui n’ont jamais été confirmés par la recherche et seraient, en principe, difficiles à démontrer [mais qui, néanmoins,] représentent une sagesse de la pratique accumulée […] aussi importante que [des] principes théoriques ou empiriques » (Shulman, 2007, p. 107) pour informer et guider la pratique. C’est dire la « force » de ce cadre dans les situations vécues.

Discursivement, les maximes et les enjeux sont aussi des « révélateurs de dispositions ». Ils reflètent les attributs – de nature morale, psychologique, cognitive ou sociale – hérités ou acquis (Ogien, 2002) par la débutante au fil de son histoire personnelle et professionnel, qui la « disposent » d’une certaine manière face à son expérience. Dans ce qui suit, nous définissons chaque composante du cadre en référence à une théorie dispositionnelle de l’action qui ne réduit pas les dispositions aux habitus incorporés, mais les considère pour leurs fonctions différentielles à l’égard de l’agir (Bourdieu, 2002 ; Ogien, 2002)[5]. Cette conception réflexive de la notion de disposition met en évidence, nous le verrons, un cadre qui s’avère à la fois ancré, cohérent et intègre. Pour faciliter la compréhension des composantes qui suivent, le lecteur trouvera, en annexe, les trois cadres de restructuration reconstruits au terme de l’analyse, chez les trois débutantes participantes à l’étude.

4.1.1 La maxime principale (MP) : une disposition générique

La maxime principale est récurrente à toutes les situations. Elle exprime l’intention générale, fondamentale, qui s’est formalisée chez chaque débutante en réponse aux défis qu’elle perçoit de son contexte d’insertion. La maxime principale renvoie à une disposition « générique » (Bourdieu, 2002), c’est-à-dire qu’elle « génère » tout le mouvement transactionnel dans les situations. Elle exerce une fonction de régulation, agissant comme une visée à atteindre et toutes les situations sont transigées de manière à faire converger l’expérience dans le sens et la direction promus par cette disposition. En tant qu’elle constitue une « raison d’agir », elle ne s’incarne pas directement, mais mobilise d’autres dispositions, davantage opératoires, qui en servent la finalité dans l’action. La disposition générique assure l’ancrage du cadre.

4.1.2 Les maximes secondaires (ms) : des dispositions spécifiques

Les maximes secondaires sont sollicitées de façon discontinue d’une situation à l’autre, selon les circonstances. Elles expriment plus concrètement les « manières d’agir » de chaque débutante. Ces maximes renvoient à des dispositions « spécifiques » (Bourdieu, 2002) au sens où elles ont pour fonction d’opérer et de spécifier dans l’expérience la disposition générique. Elles agissent comme des croyances (Bourdieu, 2002), manifestant une forte propension à l’action, la débutante étant littéralement « poussée à agir ». Lorsqu’elles s’incarnent, les dispositions spécifiques procèdent d’une certaine compatibilité, s’arrimant les unes aux autres pour convenir au contexte et bien opérer la disposition générique, assurant ainsi la cohérence du cadre.

4.1.3 Les deux facettes d’un enjeu (e-1 et e-2) : des dispositions conditionnelles

Dans plusieurs situations, chaque débutante perçoit un enjeu qu’elle évoque comme une limite au-delà de laquelle elle ne serait plus en mesure de contrôler la transaction (première facette). Parallèlement, cette limite est toujours associée à une image de soi qu’il faut savoir maintenir dans le regard des autres acteurs (deuxième facette). Les deux facettes de cet enjeu renvoient à des dispositions conditionnelles au sens où elles « conditionnent » directement la façon de transiger l’expérience dans les situations (Ogien, 2002). Les dispositions conditionnelles ont une fonction d’anticipation de ce qui pourrait contraindre, voire mettre en péril l’opération de la disposition générique ; elles assurent, en ce sens, l’intégrité du cadre.

4.2 Le processus de la restructuration

Si le cadre de la restructuration montre ce qui est convoqué pour maintenir une continuité dans les situations, il ne montre pas, toutefois, la restructuration en tant que telle. On ne sait pas comment, partant de ce cadre, chaque débutante transige son expérience : comment se joue et se dynamise, sur le plan transactionnel, le cadre de la restructuration ? Les composantes du processus de la restructuration prennent la forme de trois logiques d’action se caractérisant, chacune, par le rapport transactionnel particulier qui s’établit entre les maximes du cadre. Dans ce qui suit, nous présentons chaque logique que nous remettons « en scène » à travers un choix de trois situations et à l’appui du cadre reconstruit chez l’une des débutantes (voir figure 2)[6].

Figure 2

Le cadre de restructuration chez Laurence

Le cadre de restructuration chez Laurence

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4.2.1 La logique d’enracinement : une conduite à tenir dans la situation

Cette première logique transactionnelle se définit par un rapport de mise au service des maximes secondaires pour enraciner la maxime principale : c’est d’ailleurs ce que suggère le pointillé qui encadre la composante de la maxime principale au sein des figures. Les prémisses de ce rapport se trouvent dans les doutes (Dewey, 1993), dans les dissonances, dans le sentiment éprouvé de l’agacement (Kaufmann, 2004) : quelque chose, dans la situation, « heurte » la débutante et ébranle les fondements qui l’animent. Au sein du discours, cette logique s’appréhende à travers une conduite que la débutante sent devoir tenir pour enraciner son cadre.

4.2.2 La logique de rétablissement : un dilemme à résoudre dans la situation

Cette deuxième logique transactionnelle se définit par un rapport d’incompatibilité entre deux maximes secondaires pour enraciner la maxime principale. Les prémisses de ce rapport se trouvent dans les résistances qui se posent à l’effort d’enracinement ou dans une contradiction éprouvée par la débutante qui la fait hésiter face à ses choix d’action. Au sein du discours, cette logique s’appréhende à travers un dilemme que la débutante tente de résoudre par un compromis qui rétablit la cohérence de son cadre.

4.2.3 La logique de préservation : un risque à considérer dans la situation

Cette troisième logique transactionnelle se définit par un rapport de subordination de toutes les maximes à un enjeu perçu. Les prémisses de ce rapport se trouvent dans la conscience d’une éventuelle contrainte à l’enracinement de la maxime principale qui induit, chez la débutante, la préoccupation constante de contrôler la transaction, ainsi qu’une certaine image d’elle-même aux yeux des autres. Au sein du discours, cette logique s’appréhende à travers un risque à considérer, auquel la débutante consacre impérativement son attention et son énergie pour préserver l’intégrité de son cadre.

5 La discussion

En positionnant l’investigation dans un paradigme de l’incertitude, l’étude s’est donnée un accès privilégié à la perspective des débutantes et à cette part de réflexivité dont elles sont capables en tant qu’acteur de leur expérience. Ce regard compréhensif a supposé l’absence d’un jugement porté sur le cadre de la restructuration et a permis que ce cadre soit éclairé non pas en fonction d’une norme extérieure, mais bien pour ce qu’il apporte à l’expérience transactionnelle. Il est temps de mettre en relief les trois dynamiques de restructuration qui émergent au terme de l’investigation. Cette mise en relief constitue une contribution à l’épistémologie du savoir-agir professionnel (Schön, 1994) en plus d’éclairer le travail proprement identitaire qui se profile en filigrane de ces dynamiques.

5.1 Trois dynamiques au coeur de la restructuration de l’expérience

Entre le monde et l’homme agissant, il y a l’épaisseur des significations projetées par ce dernier pour s’y mouvoir à son aise.

David Le Breton (2004)

Au cours des premières expériences, c’est une compréhension intersubjective du milieu de pratique que s’approprie l’enseignante débutante et à l’appui de laquelle elle exerce, au sein des situations, un contrôle réflexif : ce sont là les deux dimensions indissociables de la compétence sociale chez l’acteur (Giddens, 1987). L’idée d’un contrôle réflexif renvoie plus précisément à une modalité de la conscience pratique qui permet de « prendre en compte l’esprit d’autrui, c’est-à-dire sa capacité à lire dans nos mots et nos gestes les signes de nos sentiments, de nos pensées et de nos intentions » (Goffman, 1987, p. 271). Dans cette optique, « savoir » concerne autant ce que « sait » l’acteur que ce qu’il « sait faire » pour agir dans la diversité des situations. Voyons en quoi chacune des trois dynamiques de restructuration éclairent le développement de cette compétence au cours de la première année d’enseignement.

5.1.1 Première dynamique : fonder le sens de l’expérience

Transiger l’expérience ne se fait pas « à vide », mais le cadre n’est pas non plus tout « donné », prêt à mettre à contribution dans les situations vécues. Fonder le sens concerne d’abord cet effort de l’acteur pour ancrer l’expérience à son univers de référence, un univers constitué des multiples sources de significations qu’ont façonnées les expériences passées (Berger & Luckmann, 1986) et qui rendent possible l’interprétation et l’agir en situation. Cet ancrage, on l’a vu, renvoie à un acte de « sélection active » (Giddens, 1987) : partant d’une intention première qui se formalise face aux défis perçus de l’insertion, tout un « faisceau dispositionnel » (Bourdieu, 2002) est mobilisé, mettant en correspondance des dispositions de généricité et de fonctions différentes. Le cadre reflète cet ancrage en plus de rendre explicite la base sur laquelle la débutante exerce son contrôle réflexif dans les situations de son insertion. On comprend mieux avec quelle propension celle-ci cherche à l’enraciner : il n’est pas question de transiger les situations en dehors des valeurs, des principes et des convictions qui fondent, pour elle, le sens de l’expérience.

Fonder le sens renvoie donc, parallèlement, à cet effort d’enracinement. Lorsque l’expérience est heurtée ou mise en doute, la débutante essaie, à travers ses choix d’action et les comportements adoptés, d’imprégner chaque situation d’une signification susceptible d’être interprétée de façon similaire par les autres acteurs en présence. Enraciner son cadre, c’est en faire la proposition symbolique à travers sa conduite, et cette proposition doit incessamment, d’une situation à l’autre, faire l’objet d’un consensus. Cela ne va pas de soi pour un enseignant qui débute : il faut savoir tenir la « bonne » conduite, projeter des signes qui soient « convergents » avec le message symbolique de la maxime principale. Chaque situation nouvelle exige de reconstruire le chemin de l’enracinement et suppose d’innombrables ajustements, si subtils parfois qu’ils passent presqu’inaperçus dans l’apparente fluidité de l’expérience.

5.1.2 Deuxième dynamique : négocier le sens de l’expérience

Les dispositions sont l’expression directe du monde auquel appartient l’acteur (Kaufmann, 2004). Au sein du cadre, il existe une « ressemblance objective » des dispositions entre elles, un « air de famille » dirait Bourdieu (2002), qui caractérise les manières d’agir en dépit des variations contextuelles qu’imposent, de l’une à l’autre, les situations. Et dans la mesure où toutes les dispositions spécifiques visent l’enracinement de la disposition générique, celles-ci relèvent objectivement d’une compatibilité transactionnelle qui confère au cadre sa cohérence. Or, cette compatibilité ne procède pas d’une qualité « donnée ». Négocier le sens de son expérience renvoie spécifiquement à cette capacité de contrôler réflexivement la complémentarité dispositionnelle au cours de l’enracinement.

Lorsque l’acteur cherche à (re)produire sa cohérence dans l’expérience, il arrive qu’il n’obtienne pas le consensus attendu, notamment parce que les signes projetés mettent en porte-à-faux deux sources de signification : il y a dilemme. Rétablir la cohérence, on l’a vu, passe nécessairement par la recherche d’un compromis qui oblige à mettre en négociation les sources de signification que cette situation intersubjective particulière place en contradiction : partant des critères implicites à la situation, il faut peser le poids de chaque signification et tenter d’en cerner la portée empirique quant à l’évolution des choses. Kaufmann (2004) dirait que les compromis sont des arrimages judicieux entre plusieurs schèmes qui redessinent les chemins de l’enracinement.

5.1.3 Troisième dynamique : orienter le sens de l’expérience

La première dynamique de restructuration a bien montré qu’il est pratiquement impossible, pour l’enseignante qui débute, d’agir d’une manière qui irait à l’encontre de ses valeurs, ses principes ou ses convictions. Tout le contrôle réflexif veut servir l’intégrité de ce cadre : l’acteur veille à ne pas se mettre en péril dans la suite des choses. C’est là une dimension cruciale de la compétence sociale chez l’acteur que de maintenir la transaction dans les limites de ce qu’il est en mesure de contrôler réflexivement (Giddens, 1987). Ogien (2002) parle, en ce sens, d’une capacité d’anticipation par laquelle l’acteur pressent les « éventualités » qui pourraient contraindre sa conduite et notamment, à travers une certaine image de lui-même qu’il perçoit dans le regard des autres.

Tout acteur social est sensible à cette image de soi telle qu’elle risque d’être perçue, car c’est, entre autres, ainsi qu’il obtient des autres la reconnaissance nécessaire, et donc la latitude, pour opérer plus librement son cadre. Orienter le sens de l’expérience renvoie donc à une dynamique davantage « stratégique » où il faut maximiser les gains – les possibilités d’enracinement – et minimiser les pertes – les contraintes à l’enracinement. On parle, ici, d’une stratégie sociale de l’ordre de la « mise en scène de soi » (Goffman, 1973) par laquelle l’enseignant débutant tente d’orienter, à son profit, les significations que les autres acteurs attribuent à la situation transigée. Ce qui ne veut pas dire qu’il cherche intentionnellement à tromper les autres. Goffman (1973) y verrait tout l’art de la maîtrise des impressions lorsque l’acteur réussit à générer une « expression de soi » telle qu’elle suscite chez autrui une « impression de soi » favorable à l’enracinement.

5.2 Un processus identitaire au coeur de la restructuration de l’expérience

L’homme est fait des innombrables labyrinthes qui s’enchevêtrent en lui, il n’a jamais accès à sa vérité, mais à son éparpillement dans les mille situations où il se trouve. Il est en quête de soi sur un mode propice ou douloureux, cohérent ou chaotique, jamais pourtant il ne quitte l’ordre du sens.

David Le Breton (2004)

Si les dynamiques de restructuration éclairent le développement d’une intelligence pratique (Ryle, 1978) en contexte d’insertion, elles éclairent aussi tout un travail identitaire chez un enseignant débutant qui doute et cherche constamment à transiger son ancrage, sa cohérence et son intégrité.

D’entrée de jeu, il conviendra de rappeler qu’on ne peut pas concevoir l’identité, c’est-à-dire une notion qui s’attache à ce qui singularise l’individu, à ce qui le rend unique et le distingue des autres, si, par ailleurs, on s’inscrit dans une perspective qui le réduit à un simple reflet de la structure sociale. La notion même d’identité oblige à se distancier des voies conventionnelles sociologiques qui expliquent la conduite par un déterminisme résultant de l’intériorisation des schèmes et des normes de l’environnement social. Quand l’expérience heurte la continuité, obligeant l’individu à s’impliquer dans la suite des choses et à inventer une réponse pour transcender l’incertitude, Kaufmann (2004) dirait qu’il se constitue en sujet. Le processus identitaire s’inscrit donc dans cet espace réflexif où le sens n’est pas défini d’avance, où il y a une marge de manoeuvre sur laquelle l’acteur prend pouvoir pour donner un sens, le sien, aux situations qui demandent à être déterminées. Il est difficile, au regard de tout ce qui précède, de concevoir une identité déterministe, à « dé-couvrir » et fixée une fois pour toutes que l’acteur reproduirait sans effort réflexif. On a bien vu que les situations indéterminées de l’insertion remettent constamment en jeu le cadre et que le débutant ne peut pas fonder le sens de son expérience sans devoir éventuellement le négocier, voire l’orienter dans les situations vécues. Becker (2006) dirait que l’acteur n’est pas totalement « libre d’agir selon ses dispositions intérieures » (p. 392)! Ainsi, ce ne sont pas les dispositions ou les schèmes incorporés qui portent par eux-mêmes l’identité, mais leur confrontation et leur mise en péril dans l’expérience qui ouvrent la voie au processus identitaire. C’est lorsque le cadre se problématise dans l’expérience, lorsque le simple reflet se transforme en réflexivité (Kaufmann, 2004), que l’individu s’ajuste et se singularise à travers un travail identitaire.

Il y a donc là, à l’oeuvre, un soi opératoire qui s’appréhende à travers ces dynamiques où des choix concurrents sont faits, où des propensions fortes doivent être « contenues », où des images de soi sont « affichées » pour bien servir l’intention posée par la disposition générique. D’une certaine façon, cette contrainte à des ajustements en contexte incite l’enseignant débutant à innover pour résoudre ses contradictions, pour contrer les enjeux qu’il perçoit ; bref, pour construire les conditions de sa continuité. C’est en « bricolant » ainsi toutes ces manières d’agir au coeur de l’expérience que s’enrichit son répertoire d’actions (Schön, 1994) en même temps qu’il se redéfinit lui-même, en tant qu’enseignant.

Ce processus perpétuel de restructuration est toutefois exigeant. Le doute et la réflexivité placent le soi dans un mouvement d’ouverture, mais aussi de déséquilibre qui finit par être épuisant. Le débutant a besoin de revenir à lui-même, de « recoller ses morceaux », dirait Kaufmann (2004), de reconstruire son système de valeurs et son histoire entre toutes ces situations, de redonner une direction à son expérience en revenant à cette disposition générique qui inspire la réponse du moment. À travers cet éparpillement dans les mille et une situations de l’insertion où se joue une multitude de significations, il y a bien un mouvement d’unification, de retour à soi : « l’enveloppe identitaire a besoin de se refermer sur une unité de sens » (Kaufmann, 2004, p. 110). L’ancrage du cadre permet au soi de ne pas se perdre dans ce monde kaléidoscopique !

Ainsi, l’effort de restructuration correspond ni plus ni moins à un effort identitaire d’un enseignant débutant en quête de soi et contraint à « s’inventer » à travers les méandres de son contexte, dans un va-et-vient entre deux mouvements qui jamais ne s’opposent, mais sont essentiels au coeur de l’apprentissage expérientiel : celui d’un soi opératoire qui ose une avancée dans l’inconnu, avec les risques que cela comporte, et celui d’un soi unifié qui revient à son ancrage, ses racines, pour mieux repartir.

Conclusion

L’étude présentée dans cet article se distancie du paradigme d’expertise dominant en formation professionnelle pour mieux approcher, à travers un regard compréhensif, l’apprentissage en contexte au cours de la première année en enseignement. La perspective interactionniste adoptée jette un éclairage inédit sur les mécanismes par lesquels se construit et se restructure un savoir-agir professionnel. Cette étude incite, entre autres, à se départir d’un préjugé répandu en formation à l’enseignement selon lequel apprendre de l’expérience comporte un risque important de conformité au milieu d’accueil. Les résultats mettent clairement en évidence que l’apprentissage en contexte n’ouvre pas, d’emblée, la voie à ce type de conformité; elle révèle plutôt la force d’un soi en situation où ce qui est assimilé ne l’est que par le biais d’une « sélection active », de l’intérieur même de l’expérience, à travers un effort identitaire où se jouent, en concomitance, un soi opératoire et un soi unifié. Entre autres intérêts découlant de l’étude, soulignons celui de soutenir, dès la formation initiale à l’enseignement, l’émergence et la clarification de ce que nous avons appelé le « cadre » chez le futur enseignant pour en accompagner la restructuration, notamment en confrontant ce cadre à d’autres sources de connaissances et en observant comment ces sources extérieures viennent mettre en question ce qui fonde, chez lui, le sens de l’expérience.