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Introduction

Le travail social est un champ polysémique, mosaïque, marqué par la diversité de ses publics, de ses acteurs professionnels et institutionnels, de ses pratiques et des prismes théoriques qui tissent son manteau d’Arlequin (Capul M. & Lemay M., 2004 ; Chauvière, 2009). Depuis sa création dans « l’efficace des années 1940 » (Chauvière, 2009), le secteur est traversé par l’antagonisme entre les conceptions psychanalytiques et biomédicales des troubles mentaux et psychosociaux. Nous avons récemment traité de ces oppositions via le Trouble Déficitaire de l’Attention avec ou sans Hyperactivité/TDAH (Ponnou, Kohout-Diaz, Gonon, 2015), et constaté une prégnance globale des articles d’orientation psychanalytique sur la période 1997-2012, malgré une nette évolution du rapport de force à l’avantage d’une conception biomédicale dans la période récente. Nous avons également relevé l’absence de débat contradictoire entre les tenants de ces deux conceptions. Plus encore, nous avons remarqué que les causes environnementales et sociales du TDAH, pourtant largement mises en exergue dans la littérature internationale (Needleman et al., 1979 ; Linnet et al., 2006 ; Biederman, Faraone, & Monuteaux, 2002 ; Biederman et al., 1995 ; Galera et al., 2011 ; Schneider & Eisenberg, 2006 ; Szatmari, Saigal, Rosenbaum, Campbell, & King, 1990 ; Tallmadge & Barkley, 1983 ; Froehlich et al., 2007) et sensibles au déploiement de politiques et de pratiques socioéducatives spécifiques, n’étaient pas présentées dans la littérature spécialisée destinée aux travailleurs sociaux.

Or l’autisme, avec le TDAH, nous semble symptomatique des oppositions entre conceptions psychanalytiques et biomédicales des troubles mentaux dans le champ du travail social français. Les débats sur l’autisme sont beaucoup plus anciens et ont régulièrement nourri des controverses passionnées. Ils portent aussi bien sur les causes que sur les modes de traitement, d’accompagnement et de prise en charge psychologique, sociale et éducative de cette maladie. Nous espérons qu’en cerner les contours nous permettra de nourrir une discussion en termes de recherche, de connaissance, de pratique et de formation spécifique aux métiers du social.

D’un point de vue biomédical, l’autisme est défini par trois groupes de symptômes : 1) le déficit des interactions sociales. 2) Le déficit des capacités de communication. 3) Les comportements stéréotypés et répétitifs. Certains auteurs suggèrent cependant qu’il s’agit de trois pathologies distinctes (Happe, Ronald, Plomin, 2006). Les cas d’autisme diffèrent sensiblement dans le profil de développement du syndrome : certains enfants se développent normalement jusqu’à deux ou trois ans, puis régressent en présentant des symptômes autistiques, tandis que d’autres entrent dans la maladie dès les premiers mois de la vie (Elsabbaggh & Johnson, 2010). Partant de ces trois critères, il ressort que la prévalence de l’autisme a beaucoup augmenté depuis les années 1970. Cette prévalence étant plus grande chez les enfants nés de parents âgés, l’augmentation globale de l’âge des parents à la naissance contribue sans doute à l’augmentation générale de cette prévalence. Un autre facteur concerne l’élargissement du spectre autistique à des enfants jusqu’alors diagnostiqués « retard mental ». Ces nuances n’entament cependant pas la possibilité d’une réelle augmentation des cas d’autisme, dont la cause reste incertaine (Weintraub, 2011). Le diagnostic précoce de l’autisme (avant deux ans) s’avère cependant problématique (Zwaienbaum & al., 2009). D’un point de vue neurobiologique, des anomalies du développement cérébral ont été observées, mais elles sont loin de concerner tous les cas d’autisme (Amaral, Schumann, Nordahl, 2008). À propos de la causalité génétique de l’autisme : selon Devlin et Scherer (2012), environ 10 % des enfants présentant des symptômes autistiques souffrent d’une maladie génétique identifiée par d’autres signes physiques — X fragile, syndrome de Ret, Tuberous sclérosis, etc. Ces enfants ne devraient donc pas être diagnostiqués autistes, puisque les symptômes autistiques ne représentent qu’une partie des signes de leur pathologie. Parmi les enfants présentant les symptômes du spectre autistique sans autre signe majeur, les défauts génétiques identifiés comme cause de l’autisme contribuant à son étiologie en interaction avec l’environnement n’expliquent au total qu’un petit pourcentage de cas — environ 15 % (Devlin & Scherer, 2012). Parmi ces 15 %, un tiers correspond à des anomalies chromosomiques (p. ex. trisomie 21), un tiers à des CNV (variations du nombre de copies) qui apparaissent le plus souvent de novo (c.-à-d. ces variations sont présentes chez les sujets autistes, mais pas chez leurs parents) et enfin un tiers correspond à des mutations génétiques rares. Chaque défaut ne contribue au maximum que pour 1 % des cas. De plus, dans un certain nombre de cas, le facteur génétique ne fait que contribuer à l’étiologie en interaction avec des causes environnementales d’origine biologique (par exemple un déficit en vitamine D) ou psychosociales (maltraitance, antécédents psychiatriques dans la famille). Au regard de la littérature biomédicale internationale, les causes génétiques identifiées de l’autisme sont donc multiples et hétérogènes (Happe, Ronald, Plomin, 2006). De plus, contrairement aux idées communément répandues, chez 85 % des sujets autistes, les recherches n’ont pas mis en exergue de facteur génétique contribuant à l’étiologie (State & Levitt, 2011 ; Abrahams & Geschwind, 2008). Face à ces évidences génétiques limitées, certains auteurs mettent en avant les études de vrais/faux jumeaux pour affirmer la cause génétique de l’autisme : en effet, les premières études montraient une forte concordance (72 %) entre jumeaux homozygotes et une totale absence de concordance entre faux jumeaux (Ronald & Hoekstra, 2011). Si ces données initiales étaient avérées, elles conduiraient à la conclusion d’une étiologie principalement génétique de l’autisme. Mais deux études récentes ont révisé ces concordances, à la baisse pour la première, à la hausse pour la seconde (Lichtenstein & al., 2010 ; Hallmayer & al., 2011). Il devient alors difficile de conclure que les études de jumeaux font la preuve d’une étiologie génétique de l’autisme. De plus, une étiologie purement génétique et héréditairement transmissible à la génération suivante est difficilement compatible avec le fait que les sujets autistes ont rarement des enfants (Uher, 2009). Ainsi les études de jumeaux les plus récentes et les plus complètes (Lichtenstein & al., 2010 ; Hallmayer & al., 2011) sont justement celles qui donnent les taux de concordance entre vrais jumeaux les plus faibles, et permettent à leurs auteurs de conclure : « la susceptibilité à l’autisme au sens large (ASD) présente une héritabilité d’origine génétique modérée et une substantielle composante due à l’environnement partagé » (Hallmayer & al., 2011). Szatmari en souligne d’ailleurs la portée : « les importantes observations de Hallmayer et  collègues donnent un nouvel élan aux recherches concernant les facteurs environnementaux qui pourraient contribuer à l’étiologie de l’autisme (1990) ». Cette dimension environnementale se décline aussi bien d’un point de vue biologique que du point de vue des interactions sociales. Concernant les facteurs environnementaux d’ordre biologique, des données convaincantes montrent que la prévalence de l’autisme est multipliée par cinq chez les enfants nés de mères en grave déficit de vitamine D : puisque la vitamine D est un cofacteur pour les enzymes qui réparent les erreurs de copie d’ADN, le déficit en vitamine D augmente le risque de mutation de novo. Des études ont également porté sur les effets à l’exposition au mercure et à des perturbations du système immunitaire (Currenti, 2010 ; Kinney, 2010). Concernant les facteurs environnementaux de type interaction sociales, la littérature biomédicale a démontré qu’une maltraitance sévère dans la petite enfance peut entraîner un syndrome autistique (Ruter & al., 2007). Sullivan et collègues ont également prouvé que les histoires familiales ponctuées d’antécédents psychiatriques constituent un facteur de risque d’autisme (Sullivan & al., 2012). Du point de vue du traitement, la question de l’autisme confronte les tenants d’une conception biomédicale de l’autisme à une perspective sensiblement différente du TDAH, dans la mesure où il n’existe pas de traitement pharmaceutique susceptible de soigner l’autisme. Certes les enfants autistes souffrent parfois de troubles du sommeil et présentent une synthèse diminuée de la mélatonine, de sorte qu’un traitement à la mélatonine semble améliorer leur sommeil et leur humeur. Les symptômes hyperactifs peuvent être traités par méthylphénidate. Des antipsychotiques peuvent également être prescrits pour limiter l’agressivité et les automutilations. Des traitements contre l’épilepsie sont également prescrits en cas de crises régulières. Cependant les cas d’autisme ne donnent pas lieu, contrairement aux cas d’hyperactivité, à une prescription médicamenteuse systématique.

Le point de vue psychanalytique est sensiblement différent de l’approche biomédicale, puisque l’autisme y est considéré comme une structure, autrement dit une modalité particulière d’inscription du sujet dans le langage et le lien social, marquée par des mécanismes particulièrement sévères de défenses (Bettelheim, 1969 ; Tustin, 1992). Si les débats concernant l’étiologie psychoaffective de l’autisme ont suscité de vives controverses dans les années 1960/1970, mettant notamment en cause la qualité des liens et des interactions précoces entre parents et enfants, la littérature psychanalytique contemporaine semble privilégier des hypothèses multifactorielles (Tordjman, Cohen, Golse, 2005) et porte l’accent sur la position subjective (Lacan, 1966, p. 177). Les travaux d’orientation psychanalytique les plus récents soulignent l’importance de la dissociation entre la voix et le langage au principe de l’autisme (Affalo, 2009 ; Grollier, 2013 ; Maleval, 2009 ; Laurent, 2012). L’enfant autiste ne parvient pas à s’appuyer sur le caractère symbolique du langage pour établir son rapport aux autres et au monde. La parole rate sa fonction émancipatrice et humanisante, et devient source d’une angoisse intense : la charge pulsionnelle n’est pas extraite de la parole, de telle sorte que le langage procède du traumatisme (Miller, 2011 ; Maleval, 2009), d’une impossible séparation avec le bruit de la langue comme réel insupportable (Laurent, 2012). La spécificité de ce rapport au langage explique les processus de renfermement ou d’encapsulement mis en oeuvre par les sujets autistes (Tustin, 1992). Le repli autistique, l’écholalie, l’holophrase, le soliloque, ou le choix d’une langue verbeuse, fonctionnelle, spontanée, ravalant les dimensions de l’énonciation et du destinataire, font ainsi partie des stratégies adoptées par les sujets autistes pour traiter l’angoisse de la rencontre, et la déperdition inexorable induite par l’exercice de la parole (Maleval, 2011). Or la politique psychanalytique de l’autisme consiste à considérer le repli et les symptômes autistiques comme un langage, le témoignage d’un sujet déjà au travail vers une forme d’acheminement vers la parole. Dans son « Discours de clôture sur les psychoses de l’enfant », Lacan fait effectivement remarquer que si l’enfant autiste se bouche les oreilles à quelque chose qui est en train de se parler, c’est bien qu’il est déjà dans le langage, puisqu’en l’occurrence, il se protège du verbe (Lacan, 2001, p. 367). Dès lors il devient possible d’entreprendre un travail de soin et d’apprentissage qui tienne compte du symptôme du sujet, de sa singularité et de son environnement familial, sans en passer par le conditionnement ou la coercition : de nombreuses publications psychanalytiques témoignent de la possibilité d’éveil de l’enfant autiste à la parole via le déploiement d’un travail institutionnel adapté (Lefort, 1998 ; Lefort & Lefort 2007 ; Maleval, 2009 ; Matet, 2011). La fonction de l’institution, ses instances et ses modes d’organisation, les ateliers thérapeutiques, la dimension de la médiation, de l’objet, du transfert, la créativité et les compétences spéciales des sujets autistes sont régulièrement mises en avant (De Halleux, 2010 ; Maleval, 2009). 

La littérature biomédicale internationale et la littérature psychanalytique nous confrontent à deux conceptions radicalement différentes de l’autisme, dont les comparaisons n’ont pas encore fait l’objet d’une étude approfondie dans le champ du travail social français. En entreprenant l’analyse des discours sur le thème de l’autisme, tels qu’ils se sont exprimés dans la presse spécialisée mise à la disposition des travailleurs sociaux, nous nous sommes posés deux séries de questions : 1) les débats sur l’autisme sont-ils toujours structurés par un antagonisme entre les conceptions biomédicales et psychanalytiques tel que nous l’avons mis en exergue concernant le TDAH ? Les déterminants sociaux de l’autisme sont-ils également présentés et débattus ? Si cette polarisation est bien discernable, a-t-elle évolué au fil du temps et des avancées des conceptions biomédicales sur l’autisme ? Quels arguments empruntés à la littérature scientifique sont mis en avant pour défendre la conception biomédicale ou la critiquer, notamment concernant les causalités génétiques ou neurobiologiques de l’autisme ? Les articles défendant l’une des deux conceptions élaborent-ils une critique argumentée de l’autre conception ? 2) Nous nous sommes également demandé si l’accompagnement thérapeutique, éducatif et pédagogique des patients souffrant d’autisme répondait davantage à une démarche clinique ou à un traitement standardisé. Existe-t-il une corrélation entre ces 2 démarches de soin, de soutien et d’accompagnement, et les conceptions psychanalytiques et biomédicales de l’autisme ? Faute de traitement médicamenteux, que proposent les contributeurs des conceptions biomédicales de l’autisme en termes de traitement et de prise en charge ? Nous nous sommes également demandé si la répartition de l’autisme selon un prisme théorique (psychanalyse/biomédecine) ou une approche thérapeutique (clinique/standardisée) influençait les conceptions de l’autisme comme pathologie ou comme handicap, et quelles dynamiques ces deux conceptions pouvaient induire en termes de soin et d’éducation.

1. Méthodes

1.1 Recueil de données

Nous avons procédé à l’analyse des discours sur l’autisme dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux en interrogeant la base de données PRISME, réseau documentaire en sciences et actions sociales (www.documentation-sociale.org/prisme) : partenaire des acteurs institutionnels et de la formation, le site met à disposition 75103 références bibliographiques issues des centres documentaires de 64 Instituts Régionaux de Travail Social (IRTS) et établissements apparentés. Nous considérons que l’analyse de contenu des fonds documentaires des IRTS nous permet de disposer d’un socle robuste quant à l’appréciation des discours traversant le champ du travail social français. Nous avons interrogé cette base de données via le mot-clé « autisme ». Cette recension nous a permis d’identifier un premier panel de 1157 articles (au 31-12-2014) répartis en 93 revues spécialisées accessibles dans au moins un IRTS ou établissement apparenté. La recherche par l’intermédiaire des mots-clés « Troubles Envahissants du Développement » (TED) ou « Troubles autistiques » n’a donné aucun résultat supplémentaire. Nous avons ensuite trié ces revues en 3 catégories : 1) les revues scientifiques, professionnelles, et généralistes. 2) les bulletins de veille juridique. 3) les revues d’associations de parents ou d’amis de personnes atteintes d’autisme. Nous avons exclu les deux dernières catégories de revues de notre corpus final dans la mesure où elles ne proposaient pas un point de vue spécialisé sur les troubles mentaux et psychosociaux, ni ne présentaient les critères de scientificité nécessaires à la poursuite de notre investigation. Ainsi avons-nous centré notre attention sur les 678 articles issus de revues scientifiques, professionnelles, intermédiaires ou généralistes, fondées ou vulgarisant des recherches scientifiques. A la lecture de ces articles, nous avons déterminé 4 critères d’exclusion : 1) les notes de lecture, les comptes rendus, les notes éditoriales et autres appendices. 2) Les articles où la question de l’autisme n’est abordée qu’à la marge, à titre d’exemple ou de manière superficielle. 3) Les articles où les symptômes autistiques sont associés à une autre pathologie (p. ex. symptômes de type autistique chez un enfant souffrant de psychose infantile). 4) les articles où le terme d’autisme désigne le comportement de personnes normales. Les 378 articles restants, issus de 57 revues traitent donc de l’autisme comme une pathologie ou un handicap[1]. Parmi ces 378 documents, nous avons procédé à une sélection aléatoire de 95 articles, soit un quart du corpus, afin de disposer d’un échantillon d’étude représentatif. Suivant cet échantillonnage, notre période d’investigation s’échelonne de 1989 à 2014.

1.2 Analyse de contenu

Nous avons classé les 95 articles étudiés selon huit questions : 1) quelles sont les orientations théoriques présentées dans les articles traitant de l’autisme dans la presse adressée aux travailleurs sociaux français ? Ces conceptions sont-elles effectivement polarisées par les approches biomédicales et psychanalytiques ? La diversité des approches théoriques et pratiques concernant l’autisme dans le champ du travail social donne-t-elle lieu à un débat argumenté ? 2) Les articles destinés aux professionnels présentent-ils davantage des modes d’intervention thérapeutiques ou éducatifs fondés sur des méthodes cliniques, autrement dit considérant la singularité de l’enfant, son histoire et son positionnement subjectif ; ou présentent-ils au contraire des approches standardisées plus volontiers centrées sur des méthodes de soin et d’apprentissage. Ces articles présentent-ils des études de cas ou de situations ? 3) Les causes biomédicales de l’autisme sont-elles présentées et débattues ? S’agit-il de les conforter ou d’en élaborer la critique ? Ces propos s’appuient-ils sur la littérature internationale récente concernant la génétique et la neurobiologie de l’autisme ? Est-il également fait mention des débats contemporains concernant l’élargissement du spectre autistique ? 4) Dans ces articles, le travail de soin et d’éducation est-il accompagné par une prescription médicamenteuse ? Selon quels arguments et pour quels objectifs ? 5) Les causes environnementales de l’autisme, qu’elles soient relationnelles, sociales, ou biologiques, sont-elles également présentées et débattues ? 6) La presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux français présente-t-elle davantage l’autisme comme une maladie mentale ou un handicap ? Pour quels effets et quels enjeux en termes de pratiques de soin et d’éducation ? Ces questions nous ont été suggérées par la promulgation des différentes lois qui, depuis 2005, consacrent l’autisme comme handicap appelant à compensation et inclusion : accueil des personnes souffrant d’autisme, droit à la compensation, aux ressources, à la scolarisation, accès à l’emploi, citoyenneté et participation à la vie sociale, etc. (loi n° 2005-102 du 11-02-2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, www.legifrance.gouv.fr). 7) quels sont les lieux d’accueil les plus représentés dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux sur la question de l’autisme ? Le lien entre précocité et efficacité de la prise en charge est-il mentionné ? Quels types d’apprentissages et de rapports aux savoirs ces articles mettent-ils en avant ? 8) Les modes d’accompagnement présentés dans notre corpus font-ils état d’un accompagnement global de l’enfant, comprenant un travail régulier avec la famille ?

Les 95 articles de notre corpus ont été lus et analysés « manuellement » à partir de ces 8 catégories de questions par l’un des auteurs (B.F.). Dans la mesure où elle paraissait a priori plus polémique, nous avons soumis la question n° 2, consacrée à l’orientation clinique ou standardisée des méthodes de soin et d’éducation de l’autisme, à une procédure de codage en double aveugle. Cette double lecture par chacun des auteurs (S.P. & B. F.) a donné lieu à 7 choix discordants sur 95, soit un coefficient kappa de 0,93 (excellent accord entre les codeurs - Sim & Wright, 2005). Nous pouvons donc considérer que malgré sa relative subjectivité, cette question reste suffisamment précise et en adéquation avec le corpus pour permettre un accord satisfaisant entre les codeurs. Les 15 cas de désaccord ont été discutés entre les auteurs pour aboutir aux données présentées dans le tableau n° 2.

2. Résultats

2.1 Évolution des conceptions de l’autisme dans la littérature spécialisée destinée aux travailleurs sociaux français

Nous avons dégagé 5 types de conceptions ou d’approches de l’autisme dans le champ du travail social : 1) les conceptions psychanalytiques et psychodynamiques de l’autisme (45,3 %). 2) les approches psychiatriques classiques et biologiques (21,1 %). 3) Les Thérapies Cognitives et Comportementales — TCC (13,7 %). 4) Les approches épistémologiques de l’autisme, comprenant notamment des recherches sociologiques ou ethnographiques (10,5 %). 5) les approches paramédicales, centrées sur les soins de rééducation — orthophonie, psychomotricité, etc. — (9,5 %). La répartition chronologique des articles en fonction de ces différentes catégories se présente de la manière suivante :

Tableau 1

Répartition chronologique des conceptions de l’autisme

Répartition chronologique des conceptions de l’autisme

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Ces résultats mettent en évidence une nette prédominance des conceptions psychanalytiques et psychodynamiques de l’autisme, et une présence soutenue des conceptions psychiatriques. Les articles d’orientation cognitive et comportementale sont relativement nombreux, ainsi que les travaux de nature épistémologique, ou centrés sur les soins paramédicaux et les pratiques de rééducation. L’étude chronologique de ces différentes catégories ne permet pas de dégager d’évolution significative des conceptions de l’autisme dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux.

La répartition des conceptions de l’autisme en 5 catégories nous a d’abord suggéré la possibilité d’effectuer des regroupements en fonction d’affinités théoriques ou des modes de traitement des symptômes autistiques : s’agit-il, pour chaque article, de réduire ou rééduquer au maximum les symptômes comportementaux de l’autisme, ou au contraire, de considérer ces symptômes comme un langage, une vérité en train de se dire, qu’il s’agit d’accueillir, d’entendre, afin d’accompagner le sujet dans sa prise en compte, pour lui permettre d’en devenir responsable et qu’il apprenne à faire avec ? Nous avons ainsi envisagé de réunir les conceptions psychiatriques et cognitivo-comportementales de l’autisme, de manière à le comparer aux approches psychanalytiques et psychodynamiques. Nous avons également regroupé les approches épistémologiques et paramédicales dans une catégorie tierce. Les résultats obtenus lors de ces regroupements sont présentés dans la figure 1 :

Figure 1

Répartition chronologique des conceptions de l’autisme : symptôme maladie ou symptôme langage

Répartition chronologique des conceptions de l’autisme : symptôme maladie ou symptôme langage

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De notre point de vue, ces regroupements présentent peu d’intérêt, car ils rendent peu pertinent le classement des articles appartenant aux catégories « approches épistémologiques » et « soins paramédicaux et de rééducation ». D’autre part, ils ne permettent pas d’établir de résultat statistiquement significatif concernant l’évolution des conceptions de l’autisme dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux. Nous avons donc choisi de conserver les résultats tels que présentés dans le tableau n° 1, dans la mesure où ils nous semblent plus représentatifs de notre corpus. Nous en déduisons que la question de l’autisme, telle qu’elle est abordée dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux, se conçoit davantage sur le mode de la pluralisation des discours que sur celui de leur polarisation — notamment des discours psychanalytiques et biomédicaux.

2.2 Pratiques cliniques ou standardisées concernant la prise en charge de l’autisme dans le système médico-social français

Compte tenu des résultats précédemment présentés, le tri des articles en fonction d’une approche clinique ou standardisée nous paraissait susceptible de produire un classement plus tranché des conceptions de l’autisme dans le champ du travail social. Notre point de vue initial consistait à déterminer si les articles étudiés considéraient davantage la singularité de l’enfant, son histoire et son positionnement subjectif ; ou s’ils présentaient au contraire des approches standardisées plus volontiers centrées sur des méthodes de soin et d’apprentissage. Or nous avons constaté qu’une immense majorité des articles que nous avons consultés — 85 articles, soit 89,5 % du corpus — présentent voire revendiquent une approche clinique de l’autisme, quel que soit par ailleurs l’orientation théorique mise en avant par les auteurs. Les 10 articles (10,5 %) proposant des approches standardisées de l’autisme se distribuent de manière relativement homogène entre les catégories « psychiatrie classique et biologique », « TCC », « soins paramédicaux et de rééducation », et « épistémologie ».

Parmi les 95 articles de notre corpus, 38 (40 %) présentent des études de situation, des comptes rendus de séances ou des études de cas cliniques. La répartition de ces présentations de cas par théories/conceptions de l’autisme s’ordonne de la manière suivante :

Tableau 2

Répartition des présentations de cas cliniques par type de conception de l’autisme

Répartition des présentations de cas cliniques par type de conception de l’autisme

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Ces résultats mettent en avant la prégnance des présentations de cas cliniques dans le champ de la psychanalyse et des approches psychodynamiques, mais également, comparativement à la répartition globale des articles, dans l’ensemble des conceptions de l’autisme que nous avons répertoriées, à l’exception de la psychiatrie classique et biomédicale : nous n’avons répertorié aucune étude de cas clinique parmi les 20 articles présentant une approche psychiatrique. Tandis que l’écrasante majorité des conceptions de l’autisme dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux se revendique d’une approche clinique, nous avons corrélé significativement la répartition des présentations de situations/études de cas et les approches théoriques de l’autisme (coefficient de corrélation rs : 0,0286).

2.3 Les facteurs biomédicaux de risque d’autisme dans la littérature spécialisée destinée aux travailleurs sociaux

Au regard des avancées mises en exergue dans la littérature internationale, nous avons centré notre intérêt sur les facteurs génétiques de risque d’autisme. Parmi les 95 articles de notre corpus, seulement 20 (21,1 %) font état d’une causalité génétique de l’autisme, tandis que 75 articles (78,9 %) ne discutent pas cette question. Parmi les 20 articles mentionnant les facteurs de risque génétiques de l’autisme, 19 évoquent le rôle des déterminismes génétiques dans la survenue de l’autisme, et seulement 1 article propose une critique de cette incidence causale. Ces résultats ont peu évolué au fil de notre période d’étude, de sorte que l’évolution des conceptions des déterminants génétiques de l’autisme dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux ne soit pas très représentative de l’émulation engendrée par cette question dans la littérature biomédicale internationale[2]. Parmi les 19 articles soutenant l’idée d’une causalité génétique de l’autisme, seulement 6 se réfèrent aux travaux scientifiques issus de la littérature internationale, mentionnant notamment un syndrome autistique associé à d’autres signes orientant vers une maladie génétique (Tordjman, Cohen, Golse, 2005), ou des risques liés à une tétrasomie 15 q (Coq, 2001). Certains de ces articles font état des résultats contradictoires concernant la génétique et la neurobiologie de l’autisme, à l’appui de l’abondante littérature disponible sur cette thématique. La consistance de ces articles tend à pondérer les discours soutenant la prédominance des facteurs biologiques de l’autisme, pour introduire les dimensions familiales, sociales et relationnelles : « ces résultats semblent indiquer une hétérogénéité étiologique de l’autisme » (Tordjman, Cohen, Golse, 2005). Le seul article mentionnant les facteurs de risque génétiques de l’autisme pour en réfuter l’incidence causale ne fonde pas son point de vue sur une argumentation scientifique précise, mais réfute généralement la possibilité « de diagnostiquer l’autisme par des examens génétiques, biochimiques ou instrumentaux » (Raffin, 2001).

Par ailleurs 42 articles (44,2 %) argumentent l’élargissement du spectre autistique sur les bases des progrès scientifiques. Seulement 2 articles (2,1 %) critiquent cet élargissement en évoquant le glissement des frontières diagnostique et nosologique (Laurent, 1989), ou les effets des politiques sanitaires et sociales — l’autisme « cause nationale » (Plon, 2013).

2.4 Les prescriptions médicamenteuses chez les personnes atteintes d’autisme dans la littérature spécialisée destinée aux travailleurs sociaux

Seuls 10 articles du corpus mentionnent l’usage d’un traitement pharmaceutique comme support ou mode de traitement des symptômes de l’autisme (10,5 %), tandis que 77 articles (89,5 %) soutiennent des modes d’accompagnement, de soin ou d’éducation sans le recours au médicament. Nous avons également constaté que ces 10 articles, répartis de manière linéaire au fil de notre période d’étude, comprennent un échantillon varié des conceptions théoriques de l’autisme dans le champ du travail social : 2 articles d’orientation cognitive et comportementale, 1 article d’orientation psychiatrique, 4 articles d’orientation psychanalytique ou psychodynamique, 3 articles relevant d’une approche épistémologique. Les classes de médicaments prescrits sont les neuroleptiques, les anxiolytiques, les psychostimulants, et les médicaments destinés au traitement de l’épilepsie. De manière générale, les auteurs font preuve d’une grande prudence concernant le recours au médicament dans le traitement des symptômes de l’autisme, détaillant les précautions d’usage ou les situations limites qui, dans un cas précis, conduisent à la prescription. Concernant une étude canadienne, Turgeon et collègues écrivent : « les pourcentages élevés d’enfants et d’adolescents ayant fait usage, en 2010, d’au moins 1 médicament à l’étude suscitent des réflexions, étant donné les faibles preuves qui soutiennent l’usage de ces médicaments dans cette population » (2014).

2.5 Les facteurs environnementaux de risque d’autisme : biologiques, sociaux, et relationnels

Nous avons recherché les articles mentionnant des facteurs de risques environnementaux de l’autisme, qu’ils soient d’ordre biologique, social, ou relationnel. Nous avons constaté que 72 articles (75,8 %) ne mentionnent aucun facteur environnemental de risque d’autisme, tandis que ces facteurs sont largement présentés dans la littérature internationale. 10 articles (10,5 %) décrivent des facteurs de risque environnementaux d’origine biologique : exposition à des taux élevés de plomb, carence en vitamine D, etc. 9 articles (9,5 %) mentionnent des facteurs de risque environnementaux de type relationnel : mauvaise qualité de la relation parents-enfants par exemple. 4 articles (4,2 %) présentent conjointement les facteurs environnementaux de type biologique et relationnel de risque de l’autisme. Mais aucun article n’est dédié ni ne prend en compte de manière significative les facteurs sociaux de risque d’autisme : maltraitance, hospitalisme, antécédents psychiatriques au sein de la famille. Cette absence de références aux facteurs sociaux de risques d’autisme nous a paru d’autant plus surprenante que les débats traitant de cette thématique dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux ne sont pas polarisés par les approches psychanalytiques et biomédicales, comme nous l’avions constaté pour le TDAH. Ils comprennent au contraire une palette relativement représentative des approches thérapeutiques en vigueur dans le champ médicosocial français. La prépondérance des approches thérapeutiques de l’autisme aurait ainsi contribué à occulter ces facteurs sociaux, au sein même des bibliothèques des IRTS.

2.6 L’autisme, pathologie ou handicap ?

Nous nous sommes également demandé si les articles adressés aux travailleurs sociaux présentaient davantage l’autisme comme une pathologie ou un handicap. La première perspective relèverait davantage d’une approche médicale, tandis que la seconde procéderait d’une conception sociale de l’autisme. Tandis que nous nous attendions à trouver une importante proportion d’articles considérant l’autisme comme handicap à compter de la promulgation de la loi dite sur l’égalité des droits et des chances en 2005, l’analyse de notre corpus nous a permis d’obtenir les résultats suivants : hormis 3 articles que ne n’avons pas classés (2 articles consacrés aux pratiques théâtrales pour les personnes souffrant d’autisme, et 1 article récusant ouvertement l’un et l’autre de ces deux termes), 74 des 92 articles classés (80,4 %) présentent l’autisme comme une pathologie appelant un travail thérapeutique. 18 articles (19,6 %) considèrent l’autisme comme handicap. La répartition chronologique de ces deux conceptions de l’autisme nous permet d’aboutir aux résultats suivants :

Tableau 3

Évolution des conceptions de l’autisme comme pathologie ou handicap

Évolution des conceptions de l’autisme comme pathologie ou handicap

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Cette prédominance de la catégorie « pathologie » nous semble cohérente avec les résultats que nous avons obtenus concernant les approches théoriques de l’autisme : qu’il s’agisse de la psychanalyse et des approches psychodynamiques, de la psychiatrie classique et biomédicale, des TCC ou des pratiques paramédicales et de rééducation, nous avons essentiellement répertorié des articles référés à des méthodes de soin/thérapeutiques, quelles que soient par ailleurs leurs différences et divergences concernant la question de l’autisme. Nous pouvons en conclure que le terme de handicap, s’il donne droit à un statut juridique susceptible d’augmenter la reconnaissance des troubles autistiques, les moyens d’accompagnement, le soutien aux familles, voire d’inscrire l’autisme dans certains paradigmes — celui de l’inclusion scolaire par exemple (Zai, 2012 ; Plaisance & al., 2007) — ne fait pas l’objet d’un consensus dans la littérature spécialisée destinée aux travailleurs sociaux. Compte tenu de la diversité et de la transversalité de notre corpus (revues généralistes et académiques de psychiatrie, de psychologie, de sociologie et des sciences de l’éducation) nous aurions tendance à considérer que cette conception de l’autisme comme handicap ne fait pas l’unanimité dans le champ scientifique.

2.7 Les lieux d’accueil des personnes souffrant d’autisme

Nous nous sommes également interrogés sur la représentation des différents lieux d’accueil des personnes atteintes d’autisme dans notre corpus : il nous semblait intéressant d’identifier la répartition des espaces de vie, de soin, ou d’éducation, des personnes souffrant d’autisme. Nous nous sommes demandé si ces différentes modalités d’accueil comprenaient un accompagnement global de la personne souffrant d’autisme, impliquant un travail avec sa famille, et si la question de la précocité du diagnostic et de l’accompagnement thérapeutique/éducatif était discutée.

Concernant les lieux d’accueil des personnes atteintes d’autisme, 36 articles (37,9 %) se réfèrent à un travail en milieu hospitalier (hôpital psychiatrique et hôpital de jour). 15 articles (15,8 %) concernent des institutions médico-sociales (IME, SESSAD, CATTP, FAM, MAS, etc.). Seulement 8 articles évoquent l’accueil de personnes autistes en milieu ordinaire : crèche, école (y compris CLIS et ULIS), et de manière plus anecdotique, le monde de l’entreprise. 5 articles traitent de l’autisme dans le champ familial. 31 articles (32,6 %) discutent d’un accueil mixte et pluralisé des enfants autistes : en alternance entre accueil principal à l’hôpital et/ou en institution spécialisée, et un accueil ponctuel à l’école. L’évolution chronologique de ces résultats nous permet d’aboutir aux données suivantes :

Tableau 4

Évolution des lieux d’accueil des personnes atteintes d’autisme

Évolution des lieux d’accueil des personnes atteintes d’autisme

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Ces résultats appellent 3 commentaires principaux : 1) le tri par lieux d’accueil met en exergue la prépondérance des articles en milieu hospitalier, et la très faible proportion d’articles traitant du champ scolaire, y compris après 2005 et la promulgation de la loi pour l’égalité des droits et des chances. 2) La très faible proportion d’articles centrés sur le champ scolaire est néanmoins compensée par la forte part d’articles classés « mixtes », impliquant une pluralité d’approches institutionnelles, dont une majorité comprenant un accueil en milieu scolaire. Si le paradigme de l’inclusion scolaire concernant l’autisme ne semble pas avoir rencontré d’écho significatif dans la littérature adressée aux travailleurs sociaux, la mise en oeuvre de solutions mixtes, faisant une large part à la question scolaire, semble en revanche incontestable. 3) Les travaux portant sur l’accueil de personnes souffrant d’autisme dans les institutions médico-sociales sont à la fois stables et relativement soutenus.

Parmi les 95 articles de notre corpus, 40 (42,1 %) argumentent la nécessité d’un dépistage et d’un accompagnement précoces des troubles autistiques. Ces articles corrèlent clairement précocité et efficacité des modes de soin ou d’éducation.

Concernant la place des familles, 65 articles (68,4 %) évoquent un travail comprenant la participation des familles au sein d’un dispositif d’accompagnement et de soin, dans le cadre d’une pratique en cabinet ou en institution. Ce résultat nous semble intéressant, car son évolution est particulièrement stable :

Tableau 5

Le travail avec les familles

Le travail avec les familles

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Précisons que 24 des 43 articles d’orientation psychanalytique et psychodynamique (55,8 %) soutiennent la nécessité du travail avec les familles. Ce résultat montre que les procès régulièrement attentés aux conceptions psychanalytiques de l’autisme, sous prétexte de ne pas tenir compte du travail avec les familles, reposent sur des polémiques anciennes (Bettelheim, 1969) et ne tiennent pas réellement compte de l’évolution des conceptions psychanalytiques de l’autisme et de ses développements les plus récents.

3. Discussion

3.1 Autisme et travail social : pluralité des discours et exclusivité des approches thérapeutiques

Tandis que les conceptions du TDAH dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux sont fortement marquées par une polarisation des discours psychanalytiques et biomédicaux, l’étude des articles consacrés à l’autisme met en lumière la pluralité des approches dédiées à cette pathologie. Nous remarquons d’abord que dans le cas de l’autisme, comme pour le TDAH, les catégories représentées relèvent presque exclusivement de la sphère thérapeutique. Ni les facteurs sociaux de risque d’autisme ni la promulgation de l’autisme comme handicap n’ont fait évoluer ces représentations. De plus, les discours consacrés à l’autisme dans la presse destinée aux travailleurs sociaux nous semblent relativement représentatifs des différentes méthodes diagnostiques et thérapeutiques de cette pathologie, quelles que soient par ailleurs leurs différences. Cette pluralisation des discours, des conceptions et des pratiques est favorisée par l’absence de traitement médicamenteux susceptible de répondre efficacement aux symptômes cardinaux de l’autisme, là où l’existence d’une molécule reconnue pour son efficacité à court terme sur les symptômes du TDAH (méthylphénidate) tend à réduire et à polariser les conceptions de ce trouble. Il s’agit donc d’interroger le phénomène suivant : l’existence d’un médicament susceptible de réduire les symptômes d’un trouble psychosocial donné, même à court terme ou de manière partielle, réduit-elle nécessairement la diversité des approches de cette pathologie ? Cette question, qui appelle de plus amples développements, nous semble particulièrement lourde de conséquences compte tenu des limites des modèles diagnostiques et thérapeutiques inspirés de la psychiatrie biologique (Gonon, 2011). Nous constatons cependant que cette pluralisation des discours sur l’autisme n’aboutit pas au déploiement d’un véritable débat à travers lequel chaque approche affinerait ses références et arguments dans la confrontation, quels que soient les antagonismes en présence. L’étude des discours sur l’autisme et le TDAH montre que le caractère épistémologique constitutif du champ du travail social n’a pas trouvé, dans sa littérature de référence, les espaces d’échange et de débat pourtant si nécessaires à la qualité et à la cohérence des différents modes d’accompagnement qui s’y déploient. Cette absence de discussion argumentée semble particulièrement préjudiciable pour les personnes auxquelles s’adressent les travailleurs sociaux.

L’analyse des discours concernant le TDAH suggérait non seulement une polarisation des discours psychanalytiques et biomédicaux, mais également une médicalisation croissante du champ du travail social, compte tenu de l’importante littérature biomédicale dédiée au TDAH dans la période récente. Or l’étude des conceptions de l’autisme nous engage à affiner cette perspective dans la mesure où : 1) les approches biomédicales sont relativement minoritaires au sein de notre corpus. 2) Les références aux marqueurs biologiques de l’autisme, notamment génétiques, sont relativement faibles et conformes à l’état de la recherche scientifique internationale. 3) Les prescriptions médicamenteuses sont rares, et toujours assorties de nombreuses recommandations et précautions (Bursztejn, 2004). De plus ces prescriptions sont transversales à l’ensemble des conceptions de l’autisme. Ces éléments nous invitent à avancer l’expression de « thérapeutisation » des troubles mentaux dans le champ du travail social. Nous considérons que cet abord de l’autisme sous un jour exclusivement thérapeutique recouvre et contribue à évacuer les enjeux éducatifs et sociaux relatifs aux possibilités de travail avec les personnes souffrant d’autisme. Paradoxalement, les dimensions éducatives et sociales de l’autisme occupent une place secondaire dans notre corpus « travail social ».

3.2 L’absence de référence aux déterminants sociaux des troubles mentaux : un paradoxe du travail social

Tandis que 10 articles (10,5 %) de notre corpus mentionnent des facteurs de risque environnementaux d’origine biologique de l’autisme, et 9 articles (9,5 %) évoquent des facteurs de risques environnementaux de type relationnel, nous avons constaté qu’aucun article ne prend en compte les facteurs sociaux de risque d’autisme, tandis que ces derniers ont été démontrés et débattus dans la littérature internationale. Ce constat est renforcé par la très large prédominance des conceptions de l’autisme comme pathologie (approche médicale) et la faible proportion d’articles considérant l’autisme comme un handicap (conception sociale) malgré l’importante évolution des textes de loi depuis 2005. Ces résultats sont identiques à ceux obtenus lors de l’analyse des discours sur le TDAH. Ainsi, il convient de nous interroger sur cette tendance systématique dans la littérature adressée aux travailleurs sociaux à occulter les facteurs de risque sociaux des troubles mentaux, tandis que ces facteurs de risque sont sensibles au déploiement de politiques sociales et à la mise en oeuvre de pratiques sociales spécifiques. Ce constat nous suggère une difficulté récurrente des travailleurs sociaux à produire eux-mêmes un discours concernant leur fonction et les fondements de leur travail, déléguant cette responsabilité aux professionnels et chercheurs d’autres champs. Ainsi l’absence de référence aux déterminants sociaux de l’autisme et du TDAH nous semble symptomatique d’une forme de malaise dans le travail social, où les professionnels occupent plus régulièrement la place d’objet parlé que celle de sujet parlant. Cette perspective interroge vigoureusement la formation des travailleurs sociaux, et notamment les liens entre formation, recherche, et professionnalisation. A cet égard, la création d’un doctorat professionnel en travail social et l’avènement de laboratoires de recherche dédiés (www.unaforis.eu) nous semble, sous certaines conditions, une perspective à explorer.

3.3 Diversité des conceptions de la clinique en travail social

Une majorité des articles de notre corpus (89,5 %) se revendique d’une démarche clinique. De surcroît, 38 articles (40 %) présentent des études de situation, des comptes rendus de séances ou des études de cas cliniques. A l’exception de la psychiatrie classique et biomédicale, les études de cas cliniques sont fréquentes, et présentes dans 40 à 50 % des articles. Ces résultats nous semblent d’abord témoigner de la consistance de la littérature traitant de l’autisme dans le champ du travail social, associant approches conceptuelles et études cliniques. Mais ils corroborent également des observations que nous avons mises en exergue lors de récents travaux portant sur la diversité des acceptions du terme « clinique » dans le secteur des Sciences humaines et sociales (SHS). Développée en médecine depuis l’Antiquité, l’approche clinique s’est étendue à l’ensemble des disciplines des SHS dans la seconde moitié du XXe siècle. Reconnue comme champ propre en psychologie, sociologie, anthropologie ou sciences de l’éducation, elle revêt aujourd’hui un caractère polysémique en fonction des prismes théoriques, pratiques, méthodologiques, ou des terrains de recherche auxquels elle s’applique : la récurrence et la perméabilité des usages du concept de « clinique » dans la presse spécialisée consacrée à l’autisme dans le champ du travail social français confortent ce constat. Paradoxalement, il semble que le succès des approches cliniques en SHS n’ait pas donné lieu aux révisions rendues nécessaires par la diversité de ces conceptions, tandis que le champ de la clinique s’est considérablement élargi. Dès lors il nous semble utile de sonder de manière plus précise la consistance des approches cliniques dans la littérature scientifique et professionnelle adressée aux travailleurs sociaux. Si comme le suggère notre corpus, la régularité des références aux conceptions psychanalytiques de la clinique s’y trouvait fortement mise en exergue, il conviendrait d’en déduire les effets et les enjeux spécifiques en termes de pratiques sociales : par exemple, quelles incidences la dimension du transfert ou la conception psychanalytique du symptôme induisent-elles en termes de pratique et d’éthique en travail social ?

3.4 Les modalités d’accueil de l’autisme dans le champ du travail social : une évolution discrète

En interrogeant les conceptions de l’autisme comme pathologie ou handicap, et les lieux d’accueil référencés dans les différents articles de notre corpus, nous pensions dégager une évolution des approches et des modalités d’accompagnement de l’autisme au fil de notre période d’étude, ou du moins, depuis l’année 2005 et la promulgation de la loi dite pour l’égalité des droits et des chances. Il n’en est rien. Quels que soient par ailleurs les bénéfices de la loi 2005[3], l’autisme reste très majoritairement considéré comme une pathologie, dont les représentations sont fonction des différentes approches thérapeutiques que nous avons initialement mises en exergue. De plus, le secteur hospitalier reste le principal lieu d’accueil des personnes atteintes d’autisme, et la dimension du soin est également très présente dans les institutions médicosociales. Ces résultats, comparés au très faible pourcentage d’articles consacrés à l’accueil de personnes autistes à l’école ou en milieu professionnel ordinaire, nous ramènent à l’idée d’une « thérapeutisation » voire à une médicalisation des conceptions et des modalités d’accompagnement de l’autisme dans le travail social. Au-delà des pratiques de soin, dont nous reconnaissons la nécessité et l’importance dans le cas de l’autisme comme pour de nombreux troubles mentaux, quelle place pour le travail éducatif, pédagogique, et d’inscription sociale ? Conjoints à l’absence totale de référence aux facteurs sociaux de risque d’autisme, ces constats redoublent nos interrogations concernant la littérature adressée aux travailleurs sociaux. Plus largement, ils nous permettent de questionner leur participation dans la trame des discours traversant leur propre champ professionnel : quelles spécificités du travail social quand les discours véhiculés dans la presse spécialisée relèvent de manière univoque d’approches psychanalytiques, médicales, thérapeutiques ? Dès lors par quels biais cette littérature peut-elle contribuer à la transmission et à la construction des identités professionnelles du secteur ?

Ces remarques nous semblent néanmoins pondérées par l’importance des modes « mixtes » d’accompagnement des personnes souffrant d’autisme qui concernent presque exclusivement des accueils ponctuels en milieu scolaire adapté, en complément d’une prise en charge en milieu hospitalier ou institutionnel. Nous en déduisons 2 points essentiels : 1) la loi du 11 février 2005 n’a pas eu de répercussion massive sur les conceptions et les pratiques décrites dans la littérature académique et professionnelle destinée aux travailleurs sociaux : l’autisme reste majoritairement considéré comme une pathologie et le nombre d’enfants scolarisés en milieu ordinaire est très faible. Les paradigmes contemporains comme l’inclusion scolaire ont reçu peu d’écho dans notre corpus. 2) L’évolution des conceptions et des pratiques d’accompagnement des personnes souffrant d’autisme se produit de manière progressive et relativement discrète, par ponctuations ou par alternance. Il existe, pour une même situation, plusieurs lieux d’accueil des personnes atteintes d’autisme. À côté du travail thérapeutique, les pratiques pédagogiques, éducatives et sociales occupent une place croissante, dans des espaces et selon des modalités qu’il devient urgent d’interroger : la question se pose notamment de l’articulation de ces différents types d’accompagnement, et des possibilités de travail partenarial entre équipes soignantes et pédagogiques. Ce constat nous semble d’ailleurs rendre compte de la complexité de la réalité à laquelle les personnes atteintes d’autisme et leur famille sont confrontées. Sur cette thématique : la question de l’accueil global de la personne autiste et de sa famille s’avère beaucoup plus consensuelle que polémique. Ce travail se manifeste de manière formelle lors d’entretiens thérapeutiques ou de rendez-vous socioéducatifs réguliers, et de manière informelle, au travers d’échanges entre parents et professionnels lors des accueils du matin et du soir. Ces résultats montrent que les accusations de mise à l’écart des familles par certaines approches thérapeutiques — notamment la psychanalyse et les approches psychodynamiques (www.autisme-france.fr) — ne se fondent pas sur une étude approfondie de la littérature mise en cause, et procèdent davantage de la déformation des données scientifiques. Ce point mériterait d’être développé à travers l’analyse des articles appartenant à la littérature publiée par les associations de parents ou d’amis de personnes autistes.

Conclusion

L’analyse des discours sur l’autisme dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux nous a permis d’établir ou de conforter les 4 observations suivantes : 1) qu’ils se présentent sur un mode polarisé ou pluralisé, les discours sur les troubles mentaux et psychosociaux adressés aux travailleurs sociaux relèvent presque exclusivement d’approches thérapeutiques ou médicales. Par ailleurs les auteurs de notre corpus considèrent majoritairement l’autisme comme une pathologie. Cette mise en exergue des discours thérapeutiques et médicaux préfigurent-ils une évolution du travail social où ses pratiques seraient de plus en plus définies, encadrées et évaluées par des thérapeutes et des médecins ? Il faudrait alors s’interroger sur les conséquences sociales prévisibles de cette « thérapeutisation » ou de cette médicalisation croissante du travail social en France. Les populations les plus en difficulté y trouveront-elles un meilleur soutien ? Certaines expériences américaines suggèrent que ce serait plutôt le contraire (Gonon, 2011). 2) paradoxalement, les facteurs sociaux de risque d’autisme, et les référents socioéducatifs et pédagogiques de l’autisme ne sont pas ou peu mentionnés dans les corpus destinés aux travailleurs sociaux. Nous considérons que ces absences récurrentes déjà relevées à propos du TDAH (Ponnou, Kohout-Diaz, Gonon, 2015) nuisent gravement à la cohérence et à la qualité du travail déployé par professionnels du secteur. De notre point de vue, le contenu et les modalités de formation des travailleurs sociaux s’en trouvent également interrogés, d’autant que le débat épistémologique entre les différentes conceptions des troubles mentaux que nous avons étudiés semble ne pas avoir trouvé sa place. 3) Conformément aux résultats obtenus pour le TDAH, il n’existe pas de déformation importante de la littérature internationale concernant l’étiologie et la thérapeutique de l’autisme dans la presse spécialisée adressée aux travailleurs sociaux. Ces déformations, qui ont fait l’objet d’importantes études dans les médias anglo-saxons et français (Bourdaa et al., 2013 ; Gonon, Bézard, & Boraud, 2011 ; Gonon, Konsman, Cohen, & Boraud, 2012 ; Horton-Salway, 2011) ne transparaissent pas dans la littérature professionnelle : cette tendance a déjà été signalée dans une étude anglo-saxonne rapportant que, lorsque les scientifiques communiquent verbalement avec les journalistes, leurs affirmations vont parfois au-delà de ce qu’ils écrivent dans les revues scientifiques (Holtzman et al., 2005). Nous observons par ailleurs une nette prégnance du discours psychanalytique concernant les troubles mentaux et psychosociaux dans la presse spécialisée destinée aux travailleurs sociaux — aussi bien pour l’autisme que le TDAH. Cette observation souligne l’importance de ce cadre de référence dans le secteur du travail social : il s’agit d’une spécificité française. L’analyse de notre corpus nous a également permis de relever la transversalité et la diversité des approches cliniques dans le champ du travail social. 4) Si les lieux d’accueil des personnes autistes relèvent presque exclusivement du secteur hospitalier ou médico-social, nous relevons une diversification discrète et progressive des lieux d’accueil et des pratiques, interrogeant de façon pressante les modalités d’accompagnement socioéducatif et pédagogique de l’autisme, ainsi que les possibilités de partenariat entre les champs sanitaire, scolaire et social.

L’ensemble de ces résultats nous permet d’esquisser 5 perspectives de recherche : 1) il nous semble important d’interroger les corpus de veille juridique et d’associations de familles et d’amis de personnes autistes au regard des résultats obtenus au cours de cette étude. Les spécificités que nous pourrions y trouver nous permettraient de discuter plus avant les enjeux relatifs aux conceptions, aux modes de compensation et de prise en charge de l’autisme. Elles nous permettraient également d’entreprendre un travail approfondi sur la spécificité de la littérature publiée par les associations de famille et d’amis de personnes souffrant de troubles mentaux. 2) Il nous semble également important de nous appuyer sur les résultats que nous avons obtenus pour questionner la formation des travailleurs sociaux : les conceptions de l’autisme et du TDAH sont-elles identiques chez les professionnels, les travailleurs sociaux en formation, et dans la presse spécialisée destinées aux travailleurs sociaux français ? Jusqu’à quel point peut-on effectivement parler de médicalisation ou de « thérapeutisation » du travail social ? Quelle spécificité des approches des troubles mentaux dans le champ du travail social ? 3) Il nous semble également intéressant de poursuivre plus avant la discussion sur la diversité des approches cliniques en médecine, SHS, et tout particulièrement dans le champ du travail social. 4) Nous comptons poursuivre notre démarche d’investigation de manière à construire une typographie des conceptions des troubles mentaux et psychosociaux dans le travail social. Dans cette perspective, nous centrerons notre prochaine étude sur la maladie d’Alzheimer : cette pathologie n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi et spécifique au secteur, malgré des besoins de prise en charge et de formation des personnels médico-sociaux de plus en plus forte. Par ailleurs, les progrès de la recherche biomédicale n’ont pas abouti à la mise en évidence d’un marqueur biologique ou environnemental de cette maladie, qui faute de thérapeutique efficace, appelle des dynamiques et des problématiques d’accompagnement pour lesquelles les travailleurs sociaux sont en première ligne, et doivent sans cesse, comme pour le cas de l’autisme, inventer des dispositifs et des modes d’intervention spécifiques. 5) Enfin les résultats obtenus au fil de cette étude nous invitent à entreprendre de plus larges comparaisons internationales concernant les conceptions des troubles mentaux, les pratiques et la formation des travailleurs sociaux.