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Au cours des 100 ans de la Société de protection des plantes du Québec (SPPQ), la nématologie s’est développée au même rythme dans notre belle province que dans les autres pays développés du monde. Lors des 30 dernières années, la recherche appliquée s’est poursuivie grâce à la contribution d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) qui a maintenu des ressources à Saint-Jean-sur-Richelieu dans ce secteur.

Le premier rapport officiel d’un nématode phytoparasite observé au Québec a été publié dans le premier numéro des Rapports annuels de la SPPQ en 1909 par l’illustre Jean C. Chapais fils (1850-1926), un avocat-agronome de Saint-Denis-de-Kamouraska. Dans l’article en question, Chapais rapporte la présence d’un nématode causant des dégâts sur des géraniums qu’il a observés dans son jardin situé à Saint-Denis-de-Kamouraska (Saint-Denis-en-bas). Même si la nomenclature des nématodes a passablement évolué au cours du siècle, nous pouvons conclure qu’il s’agissait du nématode des tiges et des bulbes, Ditylenchus dipsaci (Kühn) Filipjev. Chapais termine son article en y allant de quelques recommandations sur les moyens de lutte. Tout cela est bien intéressant, mais ce n’était pas et ce n’est toujours pas, à ce jour, un ravageur important sur la scène de l’horticulture au Québec.

Pour mettre la main sur le premier rapport officiel de dégâts importants causés par des nématodes au champ, il faut attendre encore plusieurs décennies, plus précisément l’année 1947. Roger Desmarteau, pathologiste au ministère de l’Agriculture du Québec, rapporte que des dégâts sur des racines de carottes sont causés par le nématode Heterodera marioni (aujourd’hui Meloidogyne hapla Chitwood) sur une terre de sable gris de Saint-Janvier. Ces résultats ont été publiés dans le 36e numéro (1945-1946-1947) des Rapports annuels de la SPPQ. Selon les agriculteurs du voisinage de la ferme infestée, les premiers foyers de dissémination remontent à au moins 10 ans auparavant, et ce, à la suite d’une dizaine d’années consécutives de culture de carotte dans ces mêmes champs. Comme quoi plus ça change, plus c’est pareil!

Dans les années 1940-1950, on a assisté à l’émergence de l’aire moderne de la nématologie. Des deux côtés de l’océan Atlantique, les efforts de recherche mis en oeuvre au cours de la Seconde Guerre mondiale ont permis le développement de produits qui allaient enfin permettre d’étudier l’impact des nématodes en agriculture. Ici comme ailleurs, la lutte chimique traverse sa période de gloire dans tous les secteurs de la phytoprotection (Estey 1994).

Dans les années 1970, soit après 20 ans d’application de nématicides fumigants, le gouvernement américain, par l’entremise de l’Environmental Protection Agency, sonne le glas de certains nématicides. En 1977, il interdit la fabrication et l’application de produits tels que DD, ETB et DBCP aux États-Unis. Du coup, on voit apparaître sur le marché de nouvelles molécules de type non fumigène comme les Temik, Vydate et Furadan, soit des carbamates et des organophosphorés qui possèdent des propriétés nématicides. Ces produits ont un champ d’activité plus étroit et sont moins efficaces que les nématicides fumigènes. Aux États-Unis comme au Canada, la menace du retrait du marché des nématicides restants oriente la recherche vers des méthodes de remplacement afin de réduire la dépendance de l’agriculture à ces produits. C’est à ce moment que le gouvernement canadien recrute un nématologiste au Québec. En 1974, Jean-Jacques Jasmin, directeur du Centre de recherche et de développement en horticulture (CRDH) d’AAC à Saint-Jean-sur-Richelieu, embauche un chercheur, Thierry Vrain, pour effectuer de la recherche dans le secteur de l’horticulture maraîchère afin de venir en aide à cette industrie dans le sud-ouest du Québec, une région qui en a bien besoin. Au cours de cette même période, Marcel Dupré, agronome à la ferme d’AAC de L’Assomption, effectue des enquêtes et des essais de fumigation dans la culture du tabac pour la lutte aux nématodes de cette culture. Ce dernier a des talents de vulgarisateur et sensibilise les producteurs aux problèmes causés par les nématodes phytoparasites. En 1986, Jacquelin Santerre, phytopathogiste à la station de recherche d’AAC à Sainte-Foy, effectue des enquêtes sur les nématodes ravageurs dans les grandes cultures. Du point de vue académique, le Dr Ralph Estey, professeur au Collège Macdonald de l’Université McGill, donne des cours au premier cycle et aux cycles supérieurs sur les nématodes phytoparasites. Il supervise des étudiants chercheurs en nématologie, dont Guy Bélair, lequel a été recruté en 1979 par le CRDH à Saint-Jean-sur-Richelieu pour remplacer Thierry Vrain, muté à Vineland, Colombie-Britannique.

Dans les années 1970-1980, les nématologistes Vrain, Dupré, Santerre et Bélair vont effectuer des enquêtes dans le but de connaître les problématiques nématologiques dans les principales cultures maraîchères, fruitières, céréalières et commerciales du territoire québécois, incluant la pomme de terre et le tabac. Certaines enquêtes seront réalisées en collaboration avec des nématologistes d’Ottawa, de Vineland ou des Maritimes dans le but de connaître la répartition de certains nématodes ravageurs des cultures sur le territoire canadien. Ces enquêtes révèlent la nécessité de poursuivre les travaux de recherche sur la dynamique des populations, la biologie et les seuils de nuisibilité de plusieurs de ces nématodes vivant sous nos conditions.

La mise en place d’un service de diagnostic en nématologie marque également une période importante de cette discipline au Québec. En 1977, le Dr Thierry Vrain, alors fraîchement diplômé de l’Université de la Caroline du Nord, va fournir un service de diagnostic pour les nématodes phytoparasites au Québec. Même si une expertise était déjà présente sur le campus du Collège Macdonald, aucun service de diagnostic n’était officiellement maintenu en place. Même si la division de recherche d’AAC n’avait pas de mandat en diagnostic, le CRDH allait devoir fournir ce service à cause du vide presque total existant dans ce secteur au Québec. Dans les années 1980, la direction du CRDH avisera qu’elle n’offrirait plus ce service et, en 1986, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) mettra en place le Laboratoire de diagnostic en phytoprotection du Québec qui inclura les nématodes.

Dans les années 1980, on assiste à la mise en place d’un réseau de dépistage dans les cultures maraîchères en sol organique comme la carotte, le céleri, l’oignon et la laitue. Au cours de cette période, les méthodes de dépistage des insectes, des maladies et des mauvaises herbes sont mises sous la loupe des chercheurs au CRDH. Le nématode cécidogène (Meloidogyne hapla) fait partie de la liste des organismes causant d’importantes pertes de rendement sur ce territoire. Une technique de dépistage basée sur les indices de dommages et dégâts sur les racines de carotte est développée afin de permettre aux producteurs de localiser avec plus d’exactitude les foyers d’infestation et ainsi d’optimiser les traitements contre ce ravageur des racines (Bélair et Boivin 1988). Le but était de réduire les applications de pesticides et les coûts de production en plus d’améliorer l’efficacité des traitements tout en respectant l’environnement.

Dans les années 1980-1990, la recherche en nématologie prend un virage vers la lutte biologique; apparaissent alors sur le marché des nématodes entomopathogènes utilisés dans la lutte biologique contre les insectes ravageurs des cultures. Au Québec, on saute rapidement sur ce nouveau bandwagon qui suscite un engouement sans précédent dans le monde. Partant à la retraite, les nématologistes spécialisés en espèces phytoparasites sont immédiatement remplacés par des spécialistes des nématodes entomopathogènes et tous les espoirs semblent permis avec ces agents de lutte biologique. Après 20 ans de recherche, il apparaît maintenant évident que ces organismes ne seront pas la panacée tant attendue, mais qu’ils pourront être utilisés de façon efficace et rentable dans certaines niches seulement (Bélair et al. 2005a). À l’heure actuelle, les nématodes Steinernema feltiae (Filipjer) et S. carpocapsae Weiser (Bélair et al. 2003) sont employés dans la production des tomates de serre dans la lutte aux mouches sciarides, des ravageurs importants des racines. Un autre exemple est le nématode Heterorhabditis bacteriophora Poinar, lequel est appliqué sur les pelouses pour réprimer le hanneton européen, mais avec un succès que l’on pourrait qualifier de très mitigé.

Dans les années 1990, une autre étape significative dans le secteur de la nématologie a été franchie lorsque les travaux de recherche effectués au CRDH ont permis de démontrer les bienfaits d’une rotation des cultures, plus particulièrement dans la culture de la pomme de terre. Des travaux au champ sur une période d’environ 10 ans ont permis de démontrer l’efficacité des rotations avec le millet perlé fourrager Pennisetumglaucum (L.) R. Br. (une nouvelle culture au Québec). Le millet perlé fourrager permet de réduire les populations du nématode des lésions Pratylenchuspenetrans (Cobb) Filipjer & Schuurmans-Stekhoven et d’augmenter les rendements de laculture de pomme de terre l’année subséquente (Bélair et al. 2005b). Cette culture a par la suite été introduite dans d’autres systèmes de production, comme ceux de la fraise et de la framboise, qui peuvent également subir des pertes importantes à cause du nématode des lésions en sol léger.

En 2006, la découverte du nématode doré Globodera rostochiensis (Wollenweb.) Behrens, un nématode de quarantaine au Canada, a rapidement plongé la nématologie dans le XXIe siècle avec l’utilisation des techniques d’identification à l’aide d’outils biomoléculaires, la mise en place d’un programme d’amélioration génétique avec marqueurs spécifiques pour identifier les gènes dominants de résistance et la mise au point de techniques PCR en temps réel pour quantifier le nombre d’oeufs viables dans le sol. En 2007, ce même nématode a été retrouvé en Alberta dans des champs de production de semences et a envoyé du même coup une onde de choc dans le marché de la pomme de terre dans le Canada tout entier. Les enjeux économiques et politiques sont énormes pour le Québec et c’est pourquoi une équipe de recherche formée de plusieurs chercheurs d’ici et d’ailleurs a été mise en place pour développer des variétés de pomme de terre résistantes adaptées au besoin du marché québécois. L’équipe a aussi pour objectif de mettre au point une stratégie de lutte intégrée à long terme de cet organisme qui peut persister dans le sol durant quelques décennies en l’absence de plantes hôtes. Il y a fort à parier que les problèmes de nématodes dans cette partie du continent vont s’accroître dans la mesure où les conditions climatiques vont permettre à de nouvelles espèces de s’établir, de se multiplier et éventuellement de causer des pertes économiques sur le territoire québécois. L’histoire se poursuit…