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1. Problématique

Les atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail sont considérées comme une problématique de santé publique importante à l’échelle planétaire. Selon l’Organisation mondiale de la santé, 317 000 000 de blessures au travail surviennent chaque année, toutes catégories confondues (International Labour Organization, 2015). Il est en fait estimé que 700 000 travailleurs se blessent chaque jour à travers le monde (Hämäläinen et coll., 2006). Au Québec, un peu plus de 80 000 atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail ont été rapportées à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST)[1] pour l’année 2015 uniquement (CNESST, 2016). Les jeunes travailleurs constituent l’une des populations à risque d’atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail (CSST, 2014 ; Hämäläinen et coll., 2006) en raison, entre autres, de la cumulation de diverses contraintes liées au travail (Gervais et coll., 2006 ; Ledoux et Laberge, 2006 ; Zierold et Anderson, 2006), du manque d’expérience (Laberge, 2008 ; Verdier, 2010) et de lacunes dans la formation à la prévention qu’ils reçoivent (Laberge et coll., 2014 ; Ledoux et coll., 2008 ; Moreau et coll., 2013 ; Moscato et coll., 2011).

Des efforts constants sont fournis à la fois par les instances gouvernementales et syndicales, l’industrie et les milieux de formation dans le but d’améliorer le portrait de la santé et de la sécurité du travail (SST). Diverses modalités touchant les sphères de l’environnement de travail, de l’ingénierie de l’équipement, des stratégies de management ou de la formation aux travailleurs sont utilisées afin de diminuer la fréquence et la gravité des atteintes. Des études ont été menées afin de comprendre les déterminants de la réussite en matière de prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail et leurs résultats suggèrent que les comportements adoptés par les travailleurs vis-à-vis de la prévention jouent un rôle important (Akselsson et coll., 2012 ; Cossette, 2013 ; Roy et coll., 2008 ; Simard et Marchand, 1994). Ainsi, les comportements de prévention constituent une cible intéressante à développer chez les élèves en apprentissage d’un métier.

Afin de rehausser les comportements de prévention des jeunes travailleurs, une volonté gouvernementale claire a été mise de l’avant il y a plus de dix ans avec le Protocole de Québec pour l’intégration de la SST dans la formation professionnelle et technique (Gouvernement du Québec, 2005). Ce document précise, entre autres, des lignes directrices pour guider les enseignements qui traitent de la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité chez les élèves en apprentissage d’un métier dans le cadre d’une formation professionnelle (FP) en milieu scolaire. Toutefois, il semble que des lacunes persistent dans la formation à la prévention offerte aux futurs travailleurs. Il appert, entre autres, que la responsabilité de la qualité de la formation à la prévention n’est pas partagée entre les différents acteurs, mais principalement reléguée aux enseignants (Chatigny et Desmarais, 2015 ; Moreau et coll., 2013 ; Pisaniello et coll., 2013), qui font face à plusieurs défis, dont le manque de ressources pédagogiques. Des écrits scientifiques suggèrent également que la formation à la prévention offerte aux futurs travailleurs au cours de leurs études serait peu utile en ce sens qu’elle serait difficilement transférable en milieu de travail (Chatigny et Desmarais, 2015), qu’elle préparerait mal les élèves à affronter les enjeux de prévention vécus sur le marché du travail (Frigul et Thébaud-Mony, 2010) ou que les apprentissages faits seraient peu utilisés en situation de travail (Moreau et coll., 2013). De plus, il semble qu’une grande variabilité concernant les ressources allouées à la formation, les modalités pédagogiques et le contenu des cours existe entre les différents programmes de FP (Chatigny et coll., 2012 ; Pisaniello et coll., 2013). Ceci crée une inégalité concernant le bagage de formation reçu par les élèves, rendant certains plus à risque de blessures que d’autres.

Dans l’optique de protéger la santé des jeunes sur le marché du travail, il importe d’intégrer un enseignement à la prévention qui soit basé sur les écrits scientifiques dans la formation des futurs travailleurs, lors des études à la FP notamment. Cet article présente les résultats d’une étude portant sur la conception et l’évaluation d’ateliers de formation liés à la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail chez des élèves inscrits dans un programme de FP.

1.1 Contexte de la formation professionnelle au Québec

Au Québec, la formation vers un métier spécialisé ou semi-spécialisé est principalement offerte dans l’un des 195 centres de formation professionnelle (CFP). Actuellement, un peu plus de 140 programmes menant à l’obtention d’un diplôme d’études professionnelles sont offerts dans les CFP (Gouvernement du Québec, 2010). Des CFP sont présents dans l’ensemble des 17 régions socioadministratives de la province. La durée des études à la FP est globalement courte, variant de 600 à 1 800 heures (Gouvernement du Québec, 2010). Selon les programmes, les élèves peuvent y être admis après avoir complété une scolarité équivalente à la troisième, à la quatrième ou à la cinquième année du secondaire.

Pour l’année scolaire 2013-2014, quelque 129 348 élèves étaient inscrits dans l’un des programmes de formation qui y sont dispensés (Gouvernement du Québec, 2015). La clientèle à la FP présente une diversité importante en ce qui concerne les profils d’élèves. On y retrouve des mineurs provenant directement du secondaire général, mais également des adultes qui ont connu des périodes d’emploi, d’études, d’inactivité ou d’immigration (Berbaoui, 2015 ; Chatigny et coll., 2012 ; Chatigny et Desmarais, 2015). En effet, les élèves âgés de 24 ans et moins représentent 55 % de la population, tandis que ceux âgés de plus de 30 ans constituent 30 % de la clientèle des centres de formation professionnelle (Gouvernement du Québec, 2010). Les très jeunes élèves (moins de 20 ans) ne représenteraient que 17 % de la clientèle (MELS et MESRST, 2012). Plus de 60 % des jeunes élèves (24 ans ou moins) possèdent un diplôme d’études secondaires à leur arrivée à la formation professionnelle, tandis que seulement 40 % des plus âgés (25 ans et plus) ont obtenu ce diplôme. Finalement, la clientèle des centres de formation professionnelle est composée d’hommes à 56 % (Gouvernement du Québec, 2010).

1.1.1 Orientations pédagogiques

Au Québec, la visée de la FP est de permettre aux élèves qui y étudient de développer les compétences leur permettant d’exercer un métier et de répondre aux exigences du marché du travail (Ministère de l’Éducation, 2002). Depuis la réforme du milieu des années 1980, les programmes d’études à la FP sont élaborés selon une approche pédagogique par compétences. Dans le cadre de la FP, une compétence se définit comme

« un pouvoir d’agir, de réussir et de progresser qui permet de réaliser adéquatement des tâches ou des activités de travail et qui se fonde sur un ensemble organisé de savoirs » (Ministère de l’Éducation, 2002, p. 16).

En ce sens, Boudreault (2004) suggère que la compétence, dans le contexte de la FP, ne doit pas se limiter à la réalisation de l’activité dans le contexte du travail, mais elle doit également permettre à l’élève de mobiliser ses ressources ainsi que de comprendre ce qu’il fait. En bref, la compétence en FP se développe pendant l’action dans une situation de travail, implique la mobilisation judicieuse de ressources internes ou externes et requiert la réflexion de l’élève par rapport aux actions posées.

Actuellement, chacune des compétences à développer dans un programme d’études professionnelles est enseignée selon des modules de formation distincts. La durée des modules varie de 15 à 135 heures de formation selon la complexité des compétences à développer. Essentiellement, la formule pédagogique utilisée est axée sur la pratique, sur l’expérimentation des tâches de travail et les enseignements sont majoritairement réalisés en atelier. Divers équipements pour recréer la réalité du marché du travail sont présents.

a. Description des enseignements liés à la prévention

Plusieurs des programmes, mais pas tous, comportent un module dédié à l’enseignement de la SST et de la prévention des atteintes à la santé dans le travail. Toutefois, ce module est la plupart du temps générique et non spécifique au métier enseigné (Chatigny et Desmarais, 2015). Ce module, lorsqu’il y en a un, est généralement présenté au tout début dans la grille de cheminement. Il est d’une durée qui varie entre 15 et 30 heures selon le programme d’études. Des notions portant sur le cadre législatif en matière de santé et de sécurité du travail sont abordées, de même que les risques à la santé ou à la sécurité auxquels les élèves seront confrontés dans leur travail (Girard et coll., 2006). De façon moins fréquente, des méthodes de travail et habiletés visant à prévenir ces risques peuvent être présentées (Girard et coll., 2006). Bien que certains programmes d’études précisent des compétences spécifiques et des critères liés aux apprentissages de prévention, l’évaluation, dans ce module, est surtout basée sur la participation des élèves. De plus, pour les modules portant sur le développement des compétences liées au métier pour lesquels des principes de prévention s’appliquent, l’utilisation d’une règle de verdict (c.-à-d. succès ou échec) est très répandue pour évaluer le respect des normes et règles de prévention (Chatigny et Desmarais, 2015). Bien que moins nombreux, certains programmes d’études favorisent une intégration des enseignements relatifs à la prévention qui soit échelonnée sur l’ensemble du cursus académique (Chatigny et Desmarais, 2015).

b. Principales lacunes dans les enseignements liés à la prévention

Bien qu’elle fasse l’objet d’une volonté gouvernementale depuis plusieurs années, la formation à la prévention offerte aux élèves des programmes de FP est insuffisante, parfois absente, selon les résultats d’une vaste revue des écrits (Chatigny et Desmarais, 2015). Les publications scientifiques internationales suggèrent que la formation scolaire prépare mal les jeunes travailleurs à conjuguer avec les risques et enjeux liés à la prévention des atteintes à la santé en milieu de travail (Frigul et Thébaud-Mony, 2010). Entre autres, plusieurs jeunes travailleurs présenteraient des difficultés à transférer les apprentissages relatifs à la prévention faits à l’école dans les situations réelles de travail (Chatigny et coll., 2000). Certains auteurs suggèrent même que les apprentissages relatifs à la prévention faits en cours de FP seraient peu utiles en contexte de travail (Frigul et Thébaud-Mony, 2010 ; Kaskutas et coll., 2010 ; Ledoux et Laberge, 2006). Entre autres, les travaux de Moreau et ses collaborateurs (2013), menés auprès de 800 jeunes travailleurs ayant suivi un programme de FP, évoquent que les enseignements relatifs à la prévention reçus à l’école ne serviraient qu’occasionnellement (33,2 %), rarement (25,3 %) ou même jamais (18,5 %) aux jeunes travailleurs. Une faible proportion de 19 % des participants à cette même étude rapporte utiliser souvent les apprentissages relatifs à la prévention acquis en cours de formation dans la réalisation de leurs tâches de travail.

Il semble que, bien que certaines initiatives gouvernementales offrent des pistes d’orientation, aucun standard ou aucune politique ne vise à uniformiser et à structurer l’enseignement à la prévention lors de la FP. Ainsi, la responsabilité de la prise en charge des enseignements liés à la prévention est souvent reléguée à l’enseignant selon les résultats de plusieurs études (Chatigny et Desmarais, 2015 ; Laberge et coll., 2012 ; Moreau et coll., 2013 ; Passmore et coll., 1991). La majorité des enseignements dispensés actuellement concernent la transmission de connaissances pour sensibiliser les élèves aux risques et aux comportements de prévention (Chatigny et Desmarais, 2015). Il s’agit souvent de formations visant à contrôler les comportements à risque ou la survenue d’accidents, comme le port d’équipements de protection individuelle, les méthodes d’utilisation d’une machine ou le respect d’une procédure de travail. Dans le même sens, d’autres auteurs évoquent que la plupart des approches de formation visant la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail menées auprès des jeunes travailleurs sont basées sur des modèles comportementaux qui incitent les apprenants à se conformer aux règles et procédures (Laberge et coll., 2014). Les modalités principales utilisées pour permettre les apprentissages sont unidirectionnelles, dans le sens que les informations sont transmises de l’enseignant vers l’apprenant ; le rôle de ce dernier étant principalement passif. Ces approches de formation ont été démontrées comme étant moins efficaces pour l’acquisition de connaissances relatives à la prévention, la modification de comportements ainsi que la diminution des incidents, selon les résultats d’une vaste méta-analyse (Burke et coll., 2006). Finalement, il importe de noter l’inégalité présente entre les différents programmes d’études concernant les ressources disponibles pour les enseignements relatifs à la prévention. En effet, certains programmes d’études disposent de beaucoup d’heures d’enseignement ainsi que de contenus de cours formalisés (p. ex. : métiers de la construction), alors que d’autres programmes disposent de bien peu de temps ou de matériel (Chatigny et coll., 2012). Jumelée aux contenus de cours qui diffèrent grandement selon les programmes, cette inégalité fait en sorte que certains élèves arrivent sur le marché du travail mieux outillés que d’autres en ce qui a trait à la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail.

En ce sens, des auteurs ont soulevé les besoins des enseignants quant à leurs activités liées à la prévention. Entre autres, il importe que l’élaboration de matériel pédagogique spécifique au programme d’études soit prioritaire (Chatigny et coll., 2012 ; Chatigny et Desmarais, 2015 ; Lecours et Therriault, 2017b). Essentiellement, il existe peu d’outils relatifs à la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail disponibles pour l’enseignement, encore moins d’outils adaptés à la réalité du programme d’études et du métier à apprendre. Ce faisant, il est possible d’émettre l’hypothèse que les élèves en apprentissage d’un métier présenteraient un comportement préventif au travail plus développé s’ils participaient à un atelier de formation portant sur la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail spécifiquement conçu pour la réalité de leur métier.

2. Objectifs

Les objectifs de cette étude étaient de concevoir et d’évaluer des ateliers de formation visant le développement d’un comportement préventif au travail chez les élèves en apprentissage d’un métier.

3. Cadre théorique

3.1 Comportement préventif au travail

Comme mentionné en introduction, le comportement préventif au travail est considéré comme un déterminant de la réussite en matière de prévention (Roy et coll., 2008) et ainsi une cible à développer chez les élèves en apprentissage d’un métier.

Une récente analyse de concept a permis de mettre en lumière que le comportement préventif au travail se définit par des actions observables et mesurables, des comportements concrets, que le travailleur peut adopter pour protéger ses propres santé et sécurité au travail, celles de ses collègues et ainsi contribuer à la santé globale de l’organisation (Lecours et Therriault, 2017a). Ces comportements se regroupent en cinq attributs, qui sont : 1) l’observance des règles et procédures, 2) la participation, la proactivité, l’engagement et les initiatives de prévention, 3) l’entretien de l’environnement physique, 4) le souci de l’environnement social ainsi que 5) la réflexivité et l’analyse des situations de travail. La figure 1 présente la description des caractéristiques définissant le comportement préventif au travail, dont les attributs. Elle présente aussi les antécédents relatifs au travailleur lui-même, à l’environnement ainsi qu’à l’activité de travail qui doivent être mis en place afin que le comportement préventif se manifeste. Enfin, la figure expose les conséquents qui peuvent survenir à la suite de l’actualisation des attributs du comportement préventif au travail.

Fig. 1

Figure 1. Caractéristiques du concept du comportement préventif au travail[2]

Figure 1. Caractéristiques du concept du comportement préventif au travail2

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4. Méthodes

4.1 Devis

La conception des ateliers de formation a été menée en suivant le devis de recherche de conception d’activités d’apprentissage décrit par Paillé (2007). Selon cet auteur, la réflexion, la conception et l’actualisation d’activités soutenant les apprentissages d’élèves, en accord avec un cadre conceptuel établi, constituent une démarche de recherche rigoureuse menant à un résultat porteur pour la communauté scientifique. Par la suite, l’évaluation des ateliers a été réalisée selon un devis quasi expérimental avant/après à groupe unique (Fortin et Gagnon, 2016).

4.2 Participants

Les participants à l’étude sont les élèves de deux programmes de FP, soit secrétariat (SEC) et réalisation d’aménagements paysagers (RAP), implantés dans deux CFP. Pour être inclus dans l’étude, les CFP devaient répondre aux critères d’inclusion suivants : 1) reconnaître leur rôle et leurs responsabilités dans l’adoption de comportements de prévention en regard des atteintes à la santé au travail chez les élèves et 2) faire preuve d’ouverture, d’implication et de support dans l’implantation des interventions visant à améliorer le développement du comportement préventif au travail. Un CFP aurait été exclu de l’étude s’il ne respectait pas les principes de la Loi sur la santé et sécurité du travail (Éditeur officiel du Québec, 2017). Les programmes (SEC et RAP) ont été ciblés en collaboration avec l’équipe de recherche, les directions d’écoles et une intervenante en prévention jeunesse de la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité au travail (CNESST) en fonction des risques à la santé ou à la sécurité distincts (p. ex. : troubles musculosquelettiques ou accidents de travail) que porte le métier.

4.3 Démarche de conception des ateliers de formation

Deux ateliers de formation d’une durée de 90 minutes chacun ont été conçus, un premier pour le programme de secrétariat et un second pour le programme de réalisation d’aménagements paysagers. Les ateliers de formation ont été conçus en suivant le processus systématique de Kirkpatrick et Kirkpatrick (2007) comprenant dix étapes pour l’élaboration d’ateliers de formation présenté au tableau 1. En accord avec Dunberry et Péchard (2007), ce processus a été choisi pour sa notoriété reconnue dans le champ de la formation aux travailleurs et pour sa simplicité, facilitant son applicabilité en CFP. En accord avec le cadre conceptuel de cette recherche, les ateliers visaient à ce que l’élève développe les antécédents et attributs du comportement préventif au travail, tout en le sensibilisant aux conséquents. Enfin, les ateliers ont été conçus en cohérence avec la visée de la compétence « Prévenir les atteintes à la santé et à la sécurité », telle que décrite dans les documents d’élaboration des programmes de FP (Ministère de l’Éducation, 2002).

Tableau 1. Processus d’élaboration d’ateliers de formation en dix étapes (Kirkpatrick et Kirkpatrick, 2007)

Tableau 1. Processus d’élaboration d’ateliers de formation en dix étapes (Kirkpatrick et Kirkpatrick, 2007)

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D’abord, des entretiens individuels semi-dirigés avec les enseignants ainsi que des entretiens de groupe avec les élèves ont été menés afin de comprendre les besoins, d’en vérifier l’adéquation avec les compétences à développer et de formaliser le contenu des ateliers de formation.

Des séances d’observation structurée en ateliers, accompagnées d’échanges avec les élèves et les enseignants en action, ont également permis de préciser les risques à la santé ou à la sécurité présents dans les activités de travail et de contextualiser les ateliers de formation.

Finalement, la conception des ateliers de formation a été réalisée en prenant soin de respecter les facteurs d’efficacité recommandés dans les écrits scientifiques en lien avec les moyens et les stratégies d’apprentissage à privilégier dans la FP et la formation aux travailleurs. Tout d’abord, les écrits scientifiques portant sur l’apprentissage d’un métier dans une FP suggèrent que

« l’on apprend en travaillant » ou que « l’activité s’accompagne d’un apprentissage » (Billet, 2001 ; Pastré et coll., 2006).

Ainsi, l’apprentissage au travers d’une expérience qui a du sens pour l’élève (Langevin, 2009) semble être un élément à tenir en compte lors de la conception des ateliers de formation. Des modalités comme l’enseignement contextualisé, le travail en atelier et la mise en situation sont à inclure dans la conception des ateliers. Toutefois, Guillemette et Gauthier (2006), dans une analyse des écrits scientifiques en pédagogie, suggèrent que l’expérience à elle seule n’entraîne pas nécessairement un apprentissage chez les élèves. En effet, il appert que l’expérience doit s’accompagner d’une réflexion pour qu’un apprentissage se produise. En ce sens, des modalités comme l’autoévaluation, le journal réflexif ou les discussions de groupe peuvent être intéressantes à intégrer dans les ateliers de formation.

En lien avec la formation aux travailleurs de façon spécifique, Burke et collaborateurs (2006) ont conduit une vaste méta-analyse portant sur l’efficacité de formations visant la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail sur les résultats de 95 études quasi expérimentales. Les auteurs concluent que les formations impliquant un engagement élevé de la part des apprenants (p. ex. : ateliers pratiques incluant le dialogue bidirectionnel entre le formateur et l’apprenant) seraient plus efficaces quant à l’acquisition de connaissances, les changements de comportements et la diminution des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail, que des formations qui requièrent un engagement moindre de la part des apprenants. Afin d’assurer un enseignement participatif qui stimule l’engagement des élèves, des modalités comme l’identification des risques en ateliers, la résolution de situations complexes ou la pratique guidée sont à privilégier.

De plus, les résultats d’une vaste recension des écrits portant sur les formations à la prévention suggèrent que l’apprentissage par les pairs, le travail d’équipe ainsi que l’implication des superviseurs (ou des enseignants) dans la démarche soient des moyens à privilégier (Cohen et Colligan, 1998). En ce sens, des modalités comme les discussions de groupe, les mises en situation ou le travail en sous-groupes semblent intéressantes.

Enfin, il est possible de comprendre que les recommandations émanant des écrits scientifiques concernant la formation à la prévention à offrir aux travailleurs ou aux élèves en apprentissage d’un métier sont compatibles avec l’approche par compétences actuellement instaurée dans les CFP du Québec. En effet, Denis et collaborateurs (2011), dans un rapport de recherche portant sur la formation aux travailleurs, suggèrent que les ateliers de formation devraient viser à ce que le travailleur (ou l’élève) « prenne la bonne décision » [et non qu’il « applique une recette »] selon une situation de travail particulière et qu’il utilise les outils et les ressources qu’il possède pour agir de façon préventive. Dans le même ordre d’idées, d’autres écrits suggèrent que la philosophie qui sous-tend l’élaboration des ateliers de formation devrait amener à vouloir former des acteurs de prévention et non uniquement des exécutants de prescription (Chatigny et coll., 2000 ; Laberge et coll., 2014 ; Moreau et coll., 2013). Ces dernières recommandations favorisant l’analyse, la réflexion et la compréhension des actions de la part des apprenants sont prises en compte dans la conception des ateliers de formation.

Les compétences, le contenu ainsi que les moyens et stratégies d’apprentissage liés aux ateliers de formation conçus ont fait l’objet d’une validation auprès d’un comité dans chacun des programmes d’études participants. Ce comité était composé d’un ou plusieurs enseignants, d’un représentant du comité SST de l’établissement, d’un conseiller pédagogique et d’un membre de l’équipe de recherche.

4.4 Évaluation des ateliers

4.4.1 Variables à l’étude et outils de mesure

a. Variable indépendante

Les ateliers de formation. Les ateliers de formation visant la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail élaborés pour la réalité spécifique des programmes d’études participants constituent la principale variable indépendante. Pour le programme de réalisation d’aménagements paysagers, l’atelier de formation a été offert aux élèves d’un même groupe pendant le module d’enseignement visant à développer la compétence « Prévenir les atteintes à la santé, à la sécurité et à l’intégrité physique sur les chantiers de construction ». Pour le programme de secrétariat, étant donné l’absence de module d’enseignement visant la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le cursus et la formule pédagogique en enseignement individualisé par entrée continue utilisée, une plage horaire a été sélectionnée et tous les élèves ayant débuté leur formation dans les deux mois précédents ont été invités à assister à l’atelier de formation. Afin d’éviter que les auteurs ne soient impliqués à la fois dans l’animation des ateliers de formation ainsi que dans l’évaluation, la prestation des ateliers de formation de ce volet de la recherche a été assurée par des stagiaires en ergothérapie, supervisés par une professeure clinicienne.

b. Variables dépendantes

L’évaluation de l’atelier de formation a été menée en s’inspirant des principes suggérés dans les écrits scientifiques (Dunberry et Péchard, 2007 ; Hamblin, 1974 ; Kearns et Miller, 1997 ; Kirkpatrick et Kirkpatrick, 2007 ; Molenda et coll., 1996 ; Phillips, 1997). Ainsi, la mesure de trois variables a permis d’évaluer l’atelier de formation en lien avec le développement du comportement préventif des élèves. Ces trois variables sont 1) la perception des apprenants en regard de l’atelier de formation, 2) les apprentissages réalisés et 3) les changements de comportement.

Perception des apprenants. Dans le présent projet, la première variable est la perception des élèves en regard de l’atelier de formation auquel ils ont participé. La perception en regard des enseignements reçus est importante puisqu’elle agit comme un moteur pour la motivation à changer les comportements chez les participants (Kirkpatrick et Kirkpatrick, 2007). Cette évaluation a été réalisée à l’aide d’un questionnaire autoadministré dans lequel le participant indique le niveau d’accord qu’il porte à onze énoncés relatifs à diverses dimensions de l’atelier de formation, comme les objectifs, le contenu, les modalités pédagogiques, la qualité de l’animation, la pertinence relativement au métier (Lee et Pershing, 1999 ; Morgan et Casper, 2000). En accord avec Lozano et collaborateurs (2008), une échelle ordinale à quatre niveaux allant de « tout à fait en accord » à « tout à fait en désaccord » est utilisée pour la cotation des énoncés, puisque ce nombre a été jugé satisfaisant pour les qualités psychométriques de questionnaires. Le questionnaire a été développé spécifiquement pour la présente étude. La validité apparente et la validité de contenu ont été vérifiées auprès de deux enseignants et de cinq élèves à la FP.

Apprentissages. En second lieu, l’évaluation des apprentissages a été réalisée. Comme il est suggéré que les connaissances constituent un antécédent signifiant au développement du comportement préventif (Lecours et Therriault, 2017a), il importe de mesurer les apprentissages réalisés par les élèves à la suite de leur participation à l’atelier de formation. Les apprentissages réalisés ont été évalués à l’aide d’un questionnaire écrit comportant cinq questions à réponse courte portant sur les connaissances importantes à acquérir. Une note en pourcentage est octroyée selon le nombre de bonnes réponses obtenues. Cet outil a été soumis au même processus de validation que le questionnaire de mesure de la perception des apprenants en regard de l’atelier de formation.

Changement de comportement. Finalement, l’évaluation du changement de comportement en regard de la prévention a été réalisée de façon subjective et objective, comme le recommandent les écrits scientifiques (Dunberry et Péchard, 2007).

c. Comportement préventif subjectif

La variable du comportement préventif subjectif vise à documenter comment l’élève perçoit ses propres actions au regard de la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité, dans les diverses dimensions que revêt le comportement préventif au travail.

La mesure de cette variable a été réalisée à l’aide de l’Échelle du comportement préventif au travail (Lecours et Therriault, 2016). Il s’agit d’un questionnaire autoadministré permettant d’évaluer le comportement préventif au travail et ayant été validé pour une clientèle de jeunes travailleurs. Ce questionnaire comporte neuf questions mesurant la fréquence de réalisation de certains des attributs du comportement préventif, soit l’observance des règles et procédures, la participation et les initiatives de prévention, l’entretien de l’environnement physique et le souci de l’environnement social (Lecours et Therriault, 2016). La fréquence de réalisation des attributs est évaluée selon une échelle ordinale à cinq niveaux allant de 1 à 5 (jamais, rarement, parfois, souvent, toujours). Les résultats de l’étude de validation de cet outil ont démontré une structure factorielle stable ainsi qu’une cohérence interne et une fidélité test-retest élevées (Lecours et Therriault, 2016).

d. Comportement préventif objectif

Le comportement préventif objectif est défini par la reconnaissance des attributs du concept au travers des actions observables des travailleurs (Lecours et Therriault, 2017a).

Pour l’évaluation objective du comportement préventif, des enregistrements vidéonumériques des participants en action dans le travail ont été réalisés et ont ensuite été analysés à l’aide d’un outil de mesure validé dans le champ de l’ergonomie, soit la Grille de comparaison des capacités du travailleur en relation avec les exigences du poste de travail (GACE) (Therriault, 2006). Cet outil d’observation systématique de comportements a été soumis à des études de validation (Lavoie et Therriault, 2009 ; Therriault, 2006). La validité de contenu et la validité apparente ont été vérifiées par un groupe d’experts et la fidélité interévaluateurs varie de « acceptable » à « presque parfaite » selon les comportements observés (Lavoie et Therriault, 2009). L’outil permet de structurer l’observation de divers comportements (p. ex. : soulever une charge, transporter une charge, fléchir le cou, maintenir une position assise) qui peuvent être adoptés par l’élève dans le contexte de son travail. La méthode de cotation se fait sur une échelle permettant de classer le comportement comme adéquat (A) ou problématique (P) (Guimont, 2013 ; Lavoie, 2008). Pour la présente étude, une cote A est attribuée si le comportement de l’élève présente l’intégration des attributs du comportement préventif requis pour la situation, tandis qu’une cote P est attribuée au comportement si l’élève ne démontre pas le ou les attributs requis pour la situation. Par exemple, si un élève de secrétariat qui réalise l’activité « utilisation de la souris » analyse la position de son avant-bras (attribut 5 : réflexivité analyse des situations de travail) afin d’effectuer les ajustements ergonomiques de son poste de travail lui permettant de respecter l’alignement naturel du corps (attribut 1 : observance des règles et procédures), il obtiendra une cote A pour ce comportement. Au contraire, si un élève en RAP qui doit déplacer une charge lourde ne prend pas le temps d’évaluer la tâche et la distance à parcourir (attribut 5 : réflexivité et analyse des situations de travail), de choisir l’une des techniques recommandées ou le meilleur compromis opératoire (attribut 5 : réflexivité et analyse des situations de travail), de porter des gants de travail (attribut 1 : observance des règles et procédures) ou de demander de l’aide à un collègue (attribut 4 : souci de l’environnement social), il obtiendrait une cote P pour ce comportement. L’analyse des enregistrements vidéonumériques à l’aide de la GACE a permis de déterminer les pourcentages des comportements adoptés par les participants qui sont adéquats versus problématiques.

La cotation des enregistrements vidéonumériques a été menée par une assistante de recherche et une candidate au doctorat. Une attention particulière a été menée afin qu’une fidélité interévaluateurs de 85 % soit maintenue durant la cotation. De plus, la cotation des enregistrements vidéonumériques avec l’outil d’observation a été menée à l’aveugle, c’est-à-dire que les évaluatrices ne savaient pas si les séquences observées référaient à la mesure avant (temps 1) ou après (temps 2) la prestation de l’atelier de formation. Par souci d’objectivité, ces deux personnes n’ont pas été impliquées dans la prestation des ateliers de formation.

4.5 Temps de mesure

Afin d’évaluer les changements dans le comportement préventif des participants à la suite de leur participation à l’atelier de formation, une mesure a été prise à deux reprises, soit deux semaines avant l’atelier de formation (temps 1) ainsi que deux mois après la participation à l’atelier de formation (temps 2) pour les variables du comportement préventif subjectif et objectif. Ce délai de deux mois après l’atelier de formation est requis afin que le participant intègre les comportements dans son activité de travail (Kirkpatrick et Kirkpatrick, 2007). Étant donné que la nature des variables de la perception des apprenants et des apprentissages réalisés implique que les élèves aient d’abord reçu les enseignements, la mesure de ces indicateurs n’a été prise qu’à une seule reprise, soit immédiatement après la participation à l’atelier de formation.

4.6 Analyses

Pour les caractéristiques démographiques, ainsi que l’analyse des variables de la perception des apprenants en regard de l’atelier de formation et des apprentissages réalisés, des statistiques descriptives simples ont été faites, dont le calcul des moyennes et des écarts-types. La variable du changement de comportement, autant subjectif qu’objectif, a été analysée avec un test statistique de comparaison pour échantillons appariés, en l’occurrence le test de Wilcoxon (Field et Field, 2013), afin d’apprécier le changement entre les deux temps de mesure. Les tailles d’effet liées à ces variables ont été calculées. En raison du petit échantillon (n = 18 au temps 1 et n = 16 au temps 2) et de la nature ordinale des échelles des instruments de mesure, un test statistique non paramétrique a été privilégié (Field et Field, 2013).

4.6.1 Puissance statistique

En regard des analyses de comparaison pour échantillons appariés, la puissance statistique atteint 80 % pour une taille d’effet (r) de 0,31 ou plus en considérant une taille d’échantillon (n) de 16 et un seuil de signification (p) de 0,05 (Faul et coll., 2009). Les valeurs de référence établies par Cohen (1988) suggèrent qu’une taille d’effet (r) de 0,1 est faible, de 0,3 est modérée, de 0,5 est grande et de 0,7 est très grande. En ce sens, selon les paramètres de l’étude, il sera possible de détecter des effets modérés à très grands (Cohen, 1988).

Les analyses statistiques ont été exécutées avec le logiciel Statistical Package for the Social Sciences (SPSS) version 23.0.

4.7 Considérations éthiques

Les participants ont adhéré au projet de façon libre et volontaire ; aucun incitatif financier n’a été offert. Ce projet a obtenu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche avec les êtres humains de l’Université du Québec à Trois-Rivières (CER-14-208-07.02)

5. Résultats

5.1 Description des participants

Dans le programme de SEC, tous les élèves inscrits ont participé au projet (n = 8), tandis que pour le programme de RAP, 10 élèves sur une possibilité de 12 ont participé au projet ; deux participants étant absents de l’école lors de la journée de la formation.

L’échantillon comporte 7 (38,9 %) hommes et 11 (61,1 %) femmes. L’âge médian des participants est de 25 ans (étendue : 17-52 ans) et la majorité (77,8 %) provient du marché du travail et effectue un retour aux études. Treize participants (72,2 %) détiennent un diplôme d’études secondaires et 9 participants (50,0 %) occupent un emploi à temps partiel en parallèle à leurs études à la FP.

5.2 Description des ateliers de formation

Deux ateliers de formation de 90 minutes visant à ce que l’élève développe un comportement préventif au travail ont été conçus, l’un spécifiquement pour le programme de secrétariat et l’autre pour le programme de réalisation d’aménagements paysagers. Le tableau 2 expose les caractéristiques du comportement préventif à développer, les compétences visées, le contenu ainsi que les moyens et stratégies d’apprentissage liés à chacun des ateliers.

Tableau 2. Description détaillée des ateliers de formation visant le développement du comportement préventif au travail

Tableau 2. Description détaillée des ateliers de formation visant le développement du comportement préventif au travail

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5.3 Évaluation de l’atelier de formation sur le comportement préventif au travail

5.3.1 Perception des participants en regard de l’atelier de formation

La moyenne pondérée du degré d’accord donné par les participants (n = 18) sur les onze énoncés du questionnaire est de 3,6 ± 0,4, ce qui correspond à une cote allant de « en accord » à « tout à fait en accord ». Parmi l’ensemble des participants à l’étude, 94 % ont affirmé qu’ils étaient motivés à suivre la formation, tandis que 100 % des participants ont rapporté qu’ils comptaient mettre en application les nouveaux apprentissages réalisés.

5.3.2 Apprentissages réalisés

Le résultat moyen obtenu au questionnaire de cinq questions de connaissances rempli par les participants après leur participation à l’atelier de formation est de 94,4 % ± 16,5.

5.3.3 Changement de comportement

a. Comportement préventif subjectif

Les moyennes pondérées des fréquences d’adoption des comportements de prévention selon l’Échelle du comportement préventif au travail sont présentées au tableau 3.

Tableau 3. Moyennes pondérées des fréquences, écarts-types (ET) et test de Wilcoxon des comportements subjectifs de prévention avant (temps 1) et après (temps 2) la participation à l’atelier de formation

Tableau 3. Moyennes pondérées des fréquences, écarts-types (ET) et test de Wilcoxon des comportements subjectifs de prévention avant (temps 1) et après (temps 2) la participation à l’atelier de formation

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b. Comportement préventif objectif

La dernière étape de l’évaluation des ateliers de formation était la mesure objective du comportement préventif au travail, mesuré avec la GACE (Therriault, 2006). L’observation des élèves en atelier a permis d’évaluer les comportements comme étant soit problématiques soit adéquats en fonction de l’actualisation (ou non) des attributs du comportement préventif pertinents à l’activité. Le tableau 4 présente les moyennes des proportions de comportements adéquats observés en regard de l’ensemble des comportements, avant comme après la participation à l’atelier de formation.

Tableau 4. Pourcentages moyens, écarts-types (ET) et test de Wilcoxon de comportements respectant les attributs du comportement préventif observés avant (temps 1) et après (temps 2) la participation à l’atelier de formation

Tableau 4. Pourcentages moyens, écarts-types (ET) et test de Wilcoxon de comportements respectant les attributs du comportement préventif observés avant (temps 1) et après (temps 2) la participation à l’atelier de formation

* Le n réfère ici au nombre d’observations réalisées. Un même participant peut avoir été inclus dans plus d’une observation.

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6. Discussion

La présente étude a permis de documenter la démarche de conception et d’évaluation d’ateliers de formation à la prévention individualisés à deux programmes de FP, soit SEC et RAP. Le processus de conception et d’évaluation systématique scientifiquement reconnu (Kirkpatrick et Kirkpatrick, 2007) utilisé pour structurer la présente étude a permis de déceler des effets positifs de l’atelier sur trois variables, soit la perception des apprenants en regard de l’atelier de formation, les apprentissages réalisés et le comportement préventif proprement dit. De plus, des bases empiriques sont maintenant connues et peuvent servir de références dans l’élaboration de recherches futures. Enfin, la description détaillée de la démarche de conception et du contenu des ateliers de formation offre la possibilité aux acteurs des programmes de FP d’utiliser une méthode basée à la fois sur un cadre théorique rigoureux (Lecours et Therriault, 2017a) et sur plusieurs critères d’efficacité reconnus dans les écrits scientifiques en FP et en santé au travail (p. ex. : Billet, 2001 ; Pastré et coll., 2006 ; Langevin, 2009 ; Burke et coll., 2006 ; Denis et coll., 2011), tout en étant compatible avec l’approche d’apprentisage par compétences recommandée dans le système scolaire à la FP (Ministère de l’Éducation, 2002).

6.1 Conception des ateliers de formation

Les résultats de cette recherche suggèrent que la démarche de conception et d’évaluation d’ateliers de formation pour les travailleurs élaborée par Kirkpatrick et Kirkpatrick (2007) est applicable et efficace dans le contexte de la FP. Cette démarche pourrait ainsi facilement être appliquée dans plusieurs autres programmes d’études afin de concevoir des ateliers de formation à la prévention qui soient spécifiques à leur réalité. Ceci engendrerait un premier pas vers une réduction des inégalités présentes entre les différents programmes de FP au Québec en regard des enseignements à la prévention. Toutefois, des limites méthodologiques liées aux milieux de recherche ont fait en sorte qu’un seul atelier a pu être animé dans chacun des programmes. Or, afin de permettre aux élèves de vivre des expériences variées et répétées en lien avec la prévention et ainsi consolider leurs apprentissages (Lasnier, 2000), il serait préférable que plusieurs ateliers de courte durée soient étalés tout au long du cursus. Ainsi, cette modification à la démarche est suggérée pour quiconque désire s’en inspirer.

Dans cette recherche, les ateliers de formation à la prévention élaborés pour les réalités spécifiques des différents programmes d’études ont été animés par des personnes externes au milieu de la FP (c.-à-d. stagiaires en ergothérapie). Toutefois, afin d’assurer la pérennité des apprentissages, il serait important de former les enseignants à la FP à animer de tels ateliers. De cette façon, les ateliers pourraient être intégrés aux enseignements réguliers pour les futures cohortes d’élèves. Par contre, afin de ne pas surcharger la tâche déjà bien remplie des enseignants à la FP, il pourrait être intéressant d’établir une collaboration avec des professionnels possédant une expertise en lien avec l’analyse du travail et le comportement préventif pour la conception des ateliers de formation. En effet, dans cette recherche, la démarche de collaboration et le jumelage de l’expertise en analyse de l’activité et en habilitation aux stratégies de prévention des auteurs avec les multiples compétences en éducation des enseignants ont été positifs pour le milieu d’enseignement qui a très bien reçu cette initiative. En cette période de restructuration et de décloisonnement des systèmes de santé et d’éducation, des partenariats et collaborations entre différents intervenants pourraient permettre de bonifier la formation à la prévention offerte aux futurs travailleurs.

6.2 Perception des apprenants

Les résultats ont révélé que les participants ont eu en grande majorité une perception positive des différentes dimensions de la formation (p. ex. : pertinence du contenu en regard de l’emploi ou qualité de l’animation). Une bonne perception des participants en regard de l’atelier de formation est essentielle pour nourrir leur motivation à apprendre et à changer les comportements (Kirkpatrick et Kirkpatrick, 2007 ; Shin et coll., 2015). Étant donné qu’aucune autre étude similaire ayant porté sur l’évaluation d’un atelier de formation à la prévention auprès d’élèves à la FP n’a été recensée dans les écrits scientifiques, il n’est pas possible de comparer cette cote de perception à un référent externe. Toutefois, la cote obtenue pourra désormais servir de référence pour de futures études portant sur une thématique de recherche semblable.

6.3 Apprentissages réalisés

Les apprentissages réalisés sont également très élevés chez l’ensemble des participants, indiquant que les principales notions ciblées par l’atelier de formation ont été apprises par les participants. Comme l’acquisition de connaissances est un déterminant pour le changement de comportement (Kirkpatrick et Kirkpatrick, 2007), démontré à la fois dans les publications scientifiques sur le comportement préventif au travail (Lecours et Therriault, 2017a) et dans les approches plus générales en prévention/promotion de la santé (Green et Kreuter, 2005), cet élément suggère que l’atelier de formation a permis d’établir certains préalables ou antécédents pouvant mener à l’actualisation des attributs du comportement préventif au travail.

6.4 Changement de comportement

Les résultats suggèrent une amélioration significative du comportement préventif, autant subjectif qu’objectif, après la participation à l’atelier de formation.

Sur le plan du comportement préventif subjectif, les résultats du test de Wilcoxon suggèrent une augmentation de la fréquence de réalisation de comportements préventifs deux mois après la participation à l’atelier. Bien qu’un biais de désirabilité sociale, ou de conformité, puisse intervenir dans ces résultats, il est probable que ce biais intervienne de la même façon aux deux temps de mesure et ainsi n’influence pas indûment l’évaluation de l’atelier de formation. La grande taille d’effet associée à l’influence de l’atelier de formation sur le comportement préventif subjectif suggère une importance pratique associée à cette variable. Il importe ainsi de poursuivre les études visant à comprendre le comportement préventif subjectif et ce qui l’influence.

Le test de Wilcoxon de la mesure objective du comportement suggère également une proportion de comportements adéquats, c’est-à-dire qui respectent les attributs requis dans une situation de travail donnée, significativement plus importante au temps 2 qu’au temps 1 et la taille d’effet rapportée est élevée.

Ces résultats suggèrent que la participation à un atelier de formation portant sur la prévention des atteintes à la santé ou à la sécurité dans le travail spécifiquement conçu pour la réalité du métier permettrait de développer le comportement préventif des élèves en apprentissage d’un métier, amorçant ici un support à l’hypothèse de recherche qui sous-tend cette étude. Toutefois, étant donné le petit nombre de participants, des projets similaires devront être menés à plus grande échelle afin de confirmer ces résultats.

En bref, cette étude présente une démarche structurée et rigoureuse de conception d’ateliers de formation fondée sur des écrits scientifiques et compatible avec l’approche par compétences qui prévaut en FP. Plusieurs indicateurs lui confèrent une certaine efficacité en lien avec l’augmentation de la fréquence des comportements de prévention.

6.5 Limites et force de l’étude

Bien que cette étude suggère des effets positifs des ateliers de formation, certaines limites sont à considérer. Entre autres, l’Échelle du comportement préventif au travail permet de mesurer quatre des cinq attributs du comportement préventif, omettant l’attribut no 5 concernant la réflexivité et l’analyse des situations de travail. Ce faisant, cet attribut a été uniquement évalué lors de l’observation des comportements objectifs, ce qui n’est pas optimal et peut conduire à une perte d’information. L’utilisation d’un journal réflexif ou la verbalisation des participants pendant la tâche pourraient permettre de mieux évaluer cet attribut. De plus, les paramètres de l’étude ont permis d’avoir la puissance statistique suffisante pour déceler uniquement des effets modérés à très grands. Aussi, le petit échantillon et le fait que la démarche de conception et d’évaluation des ateliers de formation n’ait été réalisée qu’avec deux programmes de formation constituent une limite à la généralisabilité des conclusions tirées. La prudence est ainsi requise dans l’interprétation des résultats. Finalement, l’ajout d’une mesure au temps 1, soit avant la participation à l’atelier de formation, pour la variable des apprentissages réalisés aurait pu permettre de comparer les apprentissages induits par la participation à l’atelier de formation aux connaissances antérieures des participants.

Malgré ces limites, cette étude présente des forces qu’il importe de mentionner. L’une des forces méthodologiques de la présente étude est la transparence et la description détaillée de la démarche de conception des ateliers de formation, facilitant ainsi la reproductibilité. De plus, la conception des ateliers de formation s’appuie sur un cadre théorique robuste et intègre les critères d’efficacité reconnus dans les écrits scientifiques en FP et en santé au travail. Aussi, le calcul des tailles d’effet constitue un élément intéressant puisqu’il est considéré comme un indice de l’importance liée à l’influence d’une variable dans une population qui est sous-utilisé par les chercheurs en sciences sociales (Bourque et coll., 2009). Au-delà de la valeur de la signification associée à l’indice p, la taille d’effet informe sur l’importance de l’effet de la variable dans la pratique. Cette information est intéressante à déterminer dans le but de poursuivre les travaux sur une thématique, car elle permettra de cibler les variables qui méritent d’être étudiées à grande échelle et de s’assurer d’avoir suffisamment de participants pour avoir une puissance statistique permettant de détecter cet effet (Bourque et coll., 2009 ; Lancaster et coll., 2004). De plus, bien que le devis de recherche utilisé pour structurer la présente étude soit simple, il a été démontré pertinent pour évaluer l’efficacité à court terme d’ateliers de formation (Windsor, 2004). La rigueur des analyses à l’aveugle, le traitement statistique adapté aux données recueillies (Field et Field, 2013), la prudence lors de l’interprétation des résultats de ce projet (Lancaster et coll., 2004) ajoutent également à la portée de résultats (Bourque et coll., 2009).

7. Conclusion

Cette étude a permis de décrire une démarche de conception ainsi que le contenu d’ateliers de formation à la prévention présentant des résultats positifs sur le comportement préventif d’élèves de programmes de FP. En effet, les ateliers de formation spécialement conçus pour les réalités des programmes de secrétariat et de réalisation d’aménagements paysagers ont permis d’augmenter la fréquence de comportements qui respectent les attributs du comportement préventif, ce qui constitue un résultat prometteur. En ce sens, les résultats de cette étude permettent de justifier l’importance et la pertinence de mener une étude plus vaste afin d’évaluer l’efficacité d’un programme comprenant plusieurs ateliers de formation à la prévention étalés dans le cursus scolaire afin de stimuler la réactivation des apprentissages. En bref, malgré les limites méthodologiques de cette étude, cette dernière est l’une des premières à fournir de telles connaissances et la portée des résultats pour la planification de programmes de prévention destinés aux élèves en apprentissage d’un métier demeure ainsi intéressante.