Corps de l’article

Les communications effectuées par les scientifiques sont principalement diffusées de deux manières : sous forme d’articles dans les périodiques ou encore d’exposés lors de congrès. Dans les deux cas, le recours à l’image est maintenant massif. Gross et alii (2002) ont bien montré combien, dans l’histoire des périodiques en « sciences naturelles », le recours à l’image a connu une croissance remarquable. Dans un échantillon de 100 articles tirés des périodiques scientifiques les plus souvent cités, les auteurs montrent que, dans le premier quart du xxe siècle, 33 % des articles ont des figures numérotées et porteuses d’un titre ; dans le deuxième, c’est 54 %, dans le troisième, 86 % et, dans le dernier, 100 %. Le recours aux images dans les communications lors de congrès est également important. Ainsi, dans une analyse des images projetées en médecine, en physique et en géologie, Rowley-Jolivet (2004) chiffrait le taux moyen d’utilisation à 24 images par présentation, avec d’importantes fluctuations selon les disciplines (en moyenne de 16 à 31) et les auteurs (de 4 à 88). Dans le cas des congrès, on ne dispose pas de données historiques sur l’évolution de l’utilisation, mais l’on constate, en particulier avec le recours quasi universel au logiciel PowerPoint (Desnoyers, 2009a), que l’intensification se produit : il est devenu presque inconcevable de présenter une communication sans projection.

Cette prolifération attire l’attention de scientifiques de nombreuses disciplines, d’éducateurs aussi bien que de professionnels. Les études sur la conception des images scientifiques sont encore peu nombreuses, mais cela n’empêche pas la multiplication d’ouvrages pratiques avançant des préconisations quant à la préparation, l’illustration et la prestation de communications, surtout orales. Dans ce contexte, le point de vue de l’ergonomie que nous adoptons a encore reçu très peu d’attention. L’ergonomie s’intéresse à la communication en la considérant comme une activité de travail, c’est-à-dire à la traduction d’une tâche prescrite en activité réelle, où l’opérateur – l’auteur – choisit, adapte, voire crée des outils qui lui permettent de procéder adéquatement dans un environnement matériel, technique et socio-organisationnel donné. C’est ce qui nous permet de considérer les images de la communication comme des outils, et nous amène à les étudier dans leur diversité, dans leur spécificité, dans leur usage concret et dans leur utilité, leur adéquation à la tâche. Ce sont ces différents aspects de l’image scientifique que nous aborderons ici.

Diversité des images

Le moindre contact avec les périodiques scientifiques, tout comme la fréquentation des congrès, suffit à convaincre de la grande diversité des images qu’on y utilise. L’étude de cette diversité exige d’abord qu’on se réfère à des dénominations communes qui désignent avec suffisamment de précision chacun des types d’images. C’est bien ici que le bât blesse, puisqu’il n’y a pas d’accord sur la terminologie et que celle-ci fait fréquemment appel à des termes d’une remarquable polysémie.

Le cas le plus flagrant est sans doute celui du vocable « diagramme ». Il réfère, pour le botaniste, à la représentation schématique d’un organe ou d’un organisme végétal ; pour le statisticien, à un nuage de points dans un espace cartésien ; pour l’ingénieur, à l’organigramme d’un processus. Dans nombre de disciplines, des «diagrammes» portent le nom de leur concepteur et s’avèrent de nature fort variée : diagrammes de Venn, d’Euler ou de Johnson en logique, de Watt en thermodynamique, de Feynman en théorie des champs quantiques, de Gantt en administration, de Hertzsprung-Russel en astrophysique, etc. Le terme « diagramme » a reçu l’attention des sémiologues et Peirce (1978) le définit comme une catégorie d’icônes exprimant des relations – l’expression algébrique étant pour lui l’archétype. Selon Bertin (1967), le terme désigne l’ensemble des représentations, tableaux ou graphiques de toutes sortes, qui illustrent des relations entre deux ensembles, réservant l’appellation de « réseaux » aux diagrammes de Peirce.

Si la polysémie de ce seul terme est déjà potentiellement source de confusion, il faut en plus considérer le fait que les scientifiques utilisent dans leurs projections bien d’autres types d’images : des termes comme schéma, graphique et tracé recoupent eux aussi des réalités fort diverses, selon le contexte. La situation est semblable en anglais, où les termes « charts », « plots », « graphs » et « diagrams » sont aussi porteurs d’ambiguïté. Au-delà de quelques tentatives peu reconnues de classifications générales des images, répertoriées entre autres par Pettersson (1993), et malgré des démarches plus récentes de systématisation comme celle de Rowley-Jolivet (2004) ou d’Arsenault et alii (2006), il n’existe pas de taxonomie cohérente des images projetées.

Rappelons que les principes de la taxonomie sont nés des travaux de Carl von Linne. Au xviiie siècle, ce savant s’est donné pour tâche d’étudier la diversité des populations d’organismes vivants afin de les regrouper, de façon systématique, sur la base de leurs propriétés. La taxonomie permet de créer des catégories (des taxons) étagées qui vont du niveau le plus général au plus spécifique, selon des règles précises. La taxonomie biologique distingue ainsi des classes, qui se divisent en ordres, puis en familles, en genres et en espèces. À chaque niveau de classification, on s’attend à ce que l’ensemble des catégories décrites soit exhaustif et à ce que ces catégories soient, de plus, mutuellement exclusives. La discrimination de ces catégories se fait par rapport à un critère précis, à un même caractère qui s’exprime de façon différente, distinctive, dans chacun des groupes. On fera appel à des critères différents à chaque niveau de la classification. Le caractère peut être morphologique, tout comme il peut être fonctionnel. On peut donc créer, sur cette base, une classification hiérarchique qui décrit les groupes en se fondant sur leurs ressemblances et leurs différences.

Pareille démarche taxonomique serait vaine si elle ne s’accompagnait pas de l’attribution d’une appellation distinctive pour chaque entité définie. Chaque classe, ordre, famille et genre reçoit donc chez Linne un nom distinctif et exclusif ; impossible d’en faire autant pour les espèces, leur nombre s’avérant plus important que celui des appellations imaginables. Linne a donc mis au point une nomenclature binomiale, où chaque entité se voit nommée sur la base du nom et du genre et de l’espèce, donc des deux catégories les plus fines de la taxonomie. Le recours à des racines grecques et latines permettra de créer des dénominations utilisables dans plusieurs langues. On le constate, la taxonomie permet de classifier des entités sur des bases objectives, de les regrouper de façon logique, dans leur hiérarchie naturelle, et la nomenclature vient reconnaître cette classification en conférant des appellations distinctives.

On peut certainement appliquer les principes de la taxonomie et de la nomenclature à n’importe quel regroupement d’entités, par exemple aux images de la science. Cela nous entraîne d’abord dans une démarche analytique, nous incitant à déterminer les grandes catégories d’images et leurs subdivisions, en sélectionnant des critères de discrimination performants. Sur cette base, il conviendra ensuite de définir des appellations distinctives qui permettent d’éviter les pièges de la polysémie des dénominations actuelles et la confusion qu’elle entraîne. Il s’imposera alors de créer parfois des néologismes, en espérant éviter de tomber dans l’hermétisme. Et l’objectif que l’on doit viser, plus modeste que celui des taxonomistes biologistes, est non pas nécessairement de nommer tout ce qui existe, mais de créer un cadre systématique qui permette de traiter des images de façon ordonnée et cohérente.

Une dernière précision s’impose : pareille démarche se bute à quelques obstacles. D’une part, il est impossible qu’une taxonomie mène à une description définitive de tous les types d’images concevables. L’imagerie scientifique est un domaine en pleine évolution et de nouvelles formes d’images peuvent apparaître constamment, ce qui impose une démarche évolutive. D’autre part, une taxonomie ne peut que décrire des types élémentaires d’entités : la taxonomie linnéenne ne parvient pas à nommer des bouquets de fleurs, et nous ne considérerons pas plus ici le cas de montages d’images associant des entités de nature différente, sinon pour en souligner éventuellement l’intérêt. Par ailleurs, même si l’on recourt pour une taxonomie donnée à des critères objectifs de classification, il existera toujours des solutions de rechange aux choix qui seront faits, et il est probable qu’il faille, dans certaines circonstances, adopter un autre point de vue. Enfin, précisons que nous nous attarderons uniquement aux images utilisées dans la communication, écartant d’emblée les images dites de visualisation, qui sont des instruments analytiques souvent fort complexes, interactifs et, de ce fait, fréquemment inadaptés aux activités de communication (MacEachren, 2004).

Une taxonomie des images

Les catégories les plus larges d’une taxonomie se doivent d’être celles qui se distinguent par les caractères les plus généraux des éléments à classer, des taxons. D’un point de vue sémiologique, une image est un signe ou un assemblage de signes. Ceux-ci sont regroupés différemment selon les écoles de pensée : icônes, indices et symboles pour Peirce (1978), signes iconiques, symboliques et plastiques pour Barthes (1964), etc. L’observation répétée de l’activité de communication scientifique permet de constater la pertinence de l’approche de Wileman (1993), qui suggère trois grandes classes d’images, sur la base du contenu qu’elles présentent et de la nature des signes qui les composent. Ce sont elles qui ont servi de point de départ à la taxonomie que nous avons élaborée (Desnoyers, 2005).

Une première classe d’images est constituée de figurations fort diverses d’entités matérielles : objets sous étude, sujets, équipements, lieux. Elle fait appel à des signes iconiques. Ces objets venant de l’infiniment petit aussi bien que de l’infiniment grand, nous les nommerons des cosmogrammes.

Une deuxième classe, plus répandue dans les projections de conférences, regroupe des images qui se composent essentiellement de texte ou de données chiffrées : langagière, elle recourt presque exclusivement aux signes symboliques de la langue et de la mathématique gérés par la typographie. C’est sur cette base que nous les nommerons collectivement des typogrammes.

Une troisième classe présente des données quantitatives inscrites à l’aide de signes qui sont des symboles graphiques disposés dans un espace calibré, par exemple – mais pas exclusivement – dans un système d’axes cartésiens. La représentation des données se fonde toujours sur une analogie entre une valeur quantitative (soit un dénombrement ou une mesure) et une dimension de l’espace (longueur, angle, etc.) et nous les nommerons de ce fait des analogrammes. Cette dernière catégorie est la plus caractéristique du discours scientifique et technique.

Chacune de ces classes regroupe des taxons qui diffèrent dans leur composition, leur conception graphique, aussi bien que l’usage auquel on les destine, lequel se fonde en partie sur l’intentionnalité conjoncturelle de l’auteur et donc sur les « affordances » des images. Le concept d’affordance réfère à la teneur informationnelle d’un objet, telle que prélevée activement par un observateur donné, avec ses compétences et ses limites, dans un environnement donné. Il a été mis de l’avant par J. J. Gibson (1986), qui a proposé une approche écologique de la perception visuelle et de l’action. Le concept d’affordance permet de décrire combien les actions d’un sujet se fondent non pas strictement sur d’éventuelles propriétés « intrinsèques » ou « objectives » d’un objet (ou sur des normes d’utilisation établies), mais bien plus largement sur ce qu’il en perçoit et en connaît avec, nous le verrons, les abus et les erreurs que cela peut impliquer.

Les cosmogrammes et leurs affordances

L’analyse de la teneur informationnelle des cosmogrammes et de l’usage qui en est fait dans les communications scientifiques permet de dégager ce que sont leurs affordances.

Ainsi, les cosmogrammes sont la seule classe d’images qui permette la représentation visuelle d’une entité matérielle pour figurer sa morphologie externe ou interne. Ils se caractérisent, d’un point de vue technique, par la possibilité de faire appel à la photographie de spécimens aussi bien que le tracé plus abstrait de types plutôt que d’individus. On peut en distinguer deux ordres (fig. 1).

Figure 1

Taxonomie des cosmogrammes

Taxonomie des cosmogrammes

-> Voir la liste des figures

Les réigrammes permettent la représentation d’objets qui sont d’ordinaire isolés de leur environnement. Les réigrammes descriptifs peuvent présenter la morphologie externe (en perspective ou en à-plat) ou la morphologie interne (vue en écorché, vue éclatée, vue par transparence, vue en coupe, etc.). Les réigrammes fonctionnels permettent de représenter des transformations spatio-temporelles des mêmes entités en ayant recours à des images multiples ; les réigrammes de transformation montrent iconiquement l’évolution morphologique d’une entité matérielle (par exemple le cycle de vie d’un parasite), tandis que les réigrammes cinématiques, rendus célèbres par les travaux de Marey (1894) en chronophotographie, illustrent plutôt les différentes phases d’un mouvement ou d’un déplacement.

Le second ordre de cosmogrammes est celui des topogrammes, qui représentent des lieux. Il faut ici distinguer deux familles, sur la base de la nature des lieux représentés et des conventions picturales dans chaque domaine. La première famille est celle des domogrammes, c’est-à-dire des tracés propres à l’architecture et à l’ingénierie représentant un environnement construit ; le plan a ses propres lois et conventions (Chang, 2003). La seconde est celle des écogrammes qui présentent des lieux naturels, par la photographie et la cartographie. Cette famille a aussi ses propres conventions graphiques (Bertin, 1967 ; MacEachren, 2004), bien distinctes de celles de la carte. Les écogrammes peuvent être simplement descriptifs, mais deviennent fonctionnels ou statistiques lorsqu’ils servent de support à la présentation de la distribution spatiale, géographique, de données statistiques ; les variantes sont nombreuses, décrivant soit des répartitions statiques (choroplèthes, cartes à cartouches, à histogrammes, anamorphoses) ou alors dynamiques, comme les remarquables cartes de flux de Minard (1862). Si la classe des cosmogrammes a ses affordances générales, on voit que chaque ordre et chaque famille ont également les leurs ; les usagers en tiennent généralement compte, faute de s’y conformer entièrement.

Les typogrammes et leurs affordances

Les typogrammes permettent des extensions visuelles, des spatialisations du langage qui s’ajoutent en complément de la parole, écrite ou orale. Cette classe se subdivise en trois ordres distincts (fig. 2). Les scriptogrammes sont surtout utilisés en projection, moins fréquemment dans l’imprimé. L’intitulé permet la présentation du titre et des coordonnées de l’auteur, l’énoncé permet de souligner un concept, une définition ; une variante importante de l’énoncé, l’équation, sert aussi bien l’imprimé, dans lequel elle est placée dans un hors-texte, que l’oral, où, cette fois, on la visualise puisque la parole est ici inadéquate. La liste à puces permet la présentation spatiale, instantanée, d’une série d’éléments qui sont mal servis par la seule présentation orale ; elle permet également de souligner la structure hiérarchique d’un texte présenté oralement, ce que cette dernière modalité dessert fort mal. Elle constitue d’une certaine façon un métadiscours sur le texte.

Figure 2

Taxonomie des typogrammes

Taxonomie des typogrammes

-> Voir la liste des figures

Un deuxième ordre de typogrammes autorise la présentation de données catégorisées, mises chacune dans une des cellules qu’on assemble de façon matricielle. L’archétype en est le tableau chiffré, mais l’existence de nombreuses variations (et une souhaitable cohérence des dénominations dans une taxonomie) mène à préférer l’appellation de cellulogrammes. La structure des cellulogrammes est habituellement tabulaire, mais elle peut aussi être triangulaire, dendritique, etc. Ce sont toutefois les contenus qui les distinguent le mieux : plus fréquemment quantitatifs, ils peuvent être aussi nominaux et symboliques/iconiques, selon la nature des données.

Un troisième ordre de typogrammes permet la présentation visuelle des relations entre composantes d’un système. Il s’agit des organigrammes qui décrivent les relations des composantes d’organismes, de processus ou d’ensembles conceptuels dont les éléments sont nommés dans des cases reliées par des traits. C’est la disposition graphique des organigrammes qui les caractérise : verticaux dans les organisations (ascendants dans les arbres évolutifs, descendants dans les hiérarchies), horizontaux dans les processus linéaires et circulaires pour les processus en boucle.

Les typogrammes permettent donc des présentations alphanumériques spatialisées, de natures fort différentes, et le caractère des données dicte leur conception graphique.

Les analogrammes et leurs affordances

La classe des analogrammes est la plus appropriée à la communication scientifique, c’est-à-dire à l’expression graphique, à la traduction visuelle de dénombrements et de mesures ; plutôt que de représenter globalement une entité ou un processus, les analogrammes en présentent les propriétés, les variables. La classe fait appel, en principe, à la figuration de données dans un espace calibré quelconque, et quatre signes graphiques traduisent ces données – les mêmes signes que Leonardo Da Vinci nommait les « principes » de la peinture (Da Vinci et alii, 1989). Dans un premier ordre (fig. 3), les données sont figurées par des points pour illustrer leur répartition individuelle sous un ou plusieurs axes. Ces punctigrammes sont linéaires quand il s’agit de populations univariées (c’est-à-dire étudiées sous une seule variable), planaires s’il s’agit de mettre en rapport l’évolution de deux variables, voire stériques quand on présente la relation de trois variables. Les curvigrammes utilisent comme signe graphique le trait. Ils permettent d’exprimer non plus des données individuelles, mais bien une modélisation de la relation entre deux variables grâce à une mathématisation (réelle ou virtuelle). C’est alors l’équation de la relation qui est représentée par une courbe que l’on trace dans un espace cartésien, c’est-à-dire délimité par deux axes calibrés.Ajoutons qu’on fait souvent appel à un hybride, le puncti-curvigramme, quand il convient d’illustrer la variabilité des données individuelles schématisées par une courbe. Ces ordres se construisent d’ordinaire dans ce qu’il est convenu d’appeler le système d’axes cartésien : deux droites calibrées partent d’une même origine, la verticale portant les mesures de la variable dépendante, c’est-à-dire modulée par la variable indépendante, laquelle est portée sur l’horizontale. Il existe cependant des curvigrammes non cartésiens, obtenus par exemple à l’aide d’instruments enregistreurs produisant un tracé sur une surface en rotation, créant ainsi un système d’axes polaires.

Figure 3

Taxonomie des analogrammes

Taxonomie des analogrammes

-> Voir la liste des figures

Deux autres ordres se distinguent, qui permettent la présentation d’autres types de données. Les histogrammes font appel à un autre signe graphique, la plage, dont une seule dimension traduit une valeur quantitative. Il s’agit ici de montrer des données chiffrées, appartenant à des entités nominales, catégorielles, qu’on ne saurait, de ce fait, porter dans un système cartésien, nécessairement quantitatif. Une première famille d’histogrammes est dite simple. Elle utilise comme plages des bâtonnets horizontaux ou verticaux, disposés sur un trait qui est non pas un axe, mais une figure quasi plastique servant de lieu d’ancrage ; la longueur de chacun des bâtonnets est déterminée par le résultat de mesures ou de calculs en nombres absolus. La seconde famille est dite proportionnelle : elle présente des données sur différentes parties d’une même population statistique en pourcentages de l’ensemble. La figure la plus connue qui porte ces données est circulaire : il s’agit du camembert des Français ou de la tarte des Nord-Américains, divisés en portions proportionnelles aux effectifs. On utilise aussi des ensembles de bâtonnets, tous de même longueur mais segmentés dans les proportions requises.

Le dernier ordre est celui des morphogrammes, qui utilisent comme signes des figures planaires de morphologie significative. Il s’agit ici de représentations qui servent essentiellement à la comparaison globale de populations de données sous plusieurs variables à la fois. On construit, pour ce faire, des figures dites « orientées-objet », c’est-à-dire dont la morphologie globale, assimilable à celle d’un objet, illustre la « forme » de la répartition des données sous différentes variables (Carswell et Wickens, 1987). Le cas le plus simple est celui de la famille des glyphes : pour chaque population, on trace autour d’un point central autant de rayons équidistants qu’il y a de variables étudiées, on les calibre et on trace sur le rayon un trait de longueur proportionnelle à la valeur de la donnée correspondante. Les différences entre populations seront traduites par la morphologie différentielle des glyphes de chacune. Deux autres familles sont utilisées. Les polygones sont de construction semblable à celle des glyphes, à cette exception près qu’on réunit les sommets des traits par un tracé continu qui définit un polygone, ce qui facilite la reconnaissance des formes. La famille des visages de Chernoff est moins connue : il s’agit ici d’associer chaque variable à un trait d’un visage humain stylisé, la forme ou la dimension du trait variant en fonction de la valeur des données.

Chaque ordre, chaque famille d’analogrammes, a donc aussi des affordances qui lui sont propres et qui dictent les modalités de son emploi. Mais cet emploi n’a rien d’éthéré : il est le fait d’un auteur, de ses intentions communicationnelles, des moyens dont il dispose. C’est ce qui nous amène à parler des modalités de l’activité de communication par le scientifique et des insertions possibles des images dans ce cadre.

Genre de texte et type d’image

L’intentionnalité qui mène au choix de communiquer se matérialise dans un contexte d’une grande complexité, qui détermine les modalités et la construction pratique de la communication. Un des tout premiers choix du chercheur le fait opter pour une communication soit orale, soit écrite. La communication orale a souvent le statut d’une présentation préliminaire, à mi-chemin entre le rapport interne de laboratoire et la publication plus formelle dans un périodique, comme le souligne Rowley-Jolivet (2002a, b). Si cela affecte le style de discours, il y a tout aussi bien un effet en ce qui touche le recours à l’image. Il existe peu de données en la matière. Mais Rowley-Jolivet (2002b, 2004) a bien montré l’importance quantitative du recours à l’image dans la présentation orale, avec un taux moyen de 24 images par présentation d’une durée de 15 à 20 minutes, contre 5,7 par article correspondant dans les comptes rendus. Dans la foulée des études quantitatives amorcées par Cleveland (1984), et avec le même échantillon de 180 articles publiés en 1980-1981, Arsenault et alii (2006) dénombrent 14,6 images par article. Dans un relevé que nous avons fait sur 295 articles publiés en 2005 en ergonomie, nous avons dénombré 7,43 images par article (Desnoyers, 2009b). Compte tenu de la teneur en information beaucoup plus dense de l’article, on peut donc conclure que le choix d’une communication orale implique un recours nettement plus important à l’image.

Au-delà des différences quantitatives entre imprimé et oral, il existe des différences dans la nature des images utilisées. Ainsi, Rowley-Jolivet (2002b) constate que le recours à certains typogrammes, telles les listes à puces, est rare en imprimé, mais fréquent en projection, sans doute en raison de l’influence du logiciel de présentation PowerPoint (Desnoyers, 2009a). De même, alors que l’imprimé recourt à des cellulogrammes fort élaborés, la présentation orale ne fait d’ordinaire appel qu’à des cellulogrammes de taille réduite. Il faut reconnaître toutefois que la répartition différentielle des types d’images est encore peu documentée.

Il en va de même de la construction des images. Il n’existe pas d’étude systématique des différences graphiques entre images imprimées et projetées, même si certains constats s’imposent d’emblée : ainsi, la légende imprimée est généralement transférée vers l’oral en conférence, et le recours à la couleur y est massif – ce que des contraintes d’ordre économique empêchent de faire dans la version imprimée des périodiques. Les auteurs s’entendent en général sur les nécessaires différences dans la conception des images à imprimer et à projeter, et les préconisations qu’ils avancent en tiennent compte (Desnoyers, 2005).

L’intention de communiquer implique également un choix quant au genre du texte à construire. On idéalise souvent ce genre en le ramenant au modèle de la présentation orale ou écrite des données obtenues suite à une recherche expérimentale. On conçoit alors la tâche du scientifique comme celle qu’impose un processus hypothético-déductif, et on s’attend à ce que le script de la communication se construise autour d’un scénario fortement conventionné, qui fait se succéder Introduction, Méthodes, Résultats, Discussion, Conclusion – la séquence « IMRDC ». Or, pareille considération est fortement réductrice. Il convient de reconnaître la diversité effective des actes de communication dans les congrès aussi bien que dans les périodiques. Dans le cas des conférences, Dubois (1980) faisait le constat que, loin de s’en tenir à la séquence IMRDC, les auteurs optaient pour une structure qui s’approchait plus du conte populaire (« folk narrative »), avec tout simplement une introduction, un corps composé d’un ou deux épisodes et une conclusion. La situation semble plus complexe dans le cas des articles, dont la structure est plus variable. Encore faudrait-il une typologie qui permette de s’y retrouver. Dans la lignée de celle qu’ont développée Gross et alii (2002), nous avons ramené cette typologie à cinq classes dans notre étude portant sur des périodiques en ergonomie (Desnoyers, 2009b) :

  • Revues : revue de questions, synthèse des connaissances sur un sujet donné ;

  • Enquêtes : résultats d’un travail d’observation ou d’enquête (entrevues, questionnaires), compilation de dossiers statistiques ;

  • Expérimentations ;

  • Modélisations : élaboration d’une modélisation conceptuelle (théorisation) ou d’un modèle physique ou mathématique ;

  • Méthodologies.

Bilan de la répartition des images dans les genres d’articles de périodiques en ergonomie.

 

REV

ENQ

EXP

MOD

MET

TOTAL

TOUS COSMO

0,31

 

1,43

1,43

 

1,27

- PICTO

0,19

 

 

0,66

 

0,42

- PHOTO

0,06

 

0,93

 

 

0,80

- HYBRIDES

 

 

0,03

0,11

 

0,05

TOUS ANALO

0,69

 

3,48

 

 

2,36

- CURVI

 

0,35

 

0,83

 

0,51

- PUNCTI

 

 

 

0,31

0,00

0,10

- PC

0,13

 

1,14

 

 

0,74

- HISTOS

0,13

 

1,64

0,14

 

0,97

TOUS TYPO

2,50

 

 

5,46

 

3,80

- C Q

0,38

2,61

 

 

 

1,82

- C N

 

0,76

0,22

 

0,78

0,47

- C MIX

0,44

0,44

 

0,17

 

0,34

- ÉQUATIONS

 

0,05

 

2,26

 

0,62

- ÉNONCÉS

0,00

0,58

0,05

 

 

0,21

- ORGANI

0,94

 

0,04

1,20

 

0,35

TOUTES IMAGES

3,5

 

 

8,86

 

7,43

Les valeurs indiquent le nombre d’images par article. Pour chaque catégorie d’images, figurent, en gras, les valeurs maximales et, en italique souligné, les valeurs minimales – les valeurs intermédiaires ont été omises pour éviter la surcharge.

En colonnes, les genres d’articles

   REV : Revues,

   ENQ : Enquêtes,

   EXP : Expérimentations,

   MOD : Modélisations,

   MET : Méthodologies.

En rangées, les catégories d’images

   PC : puncti-curvigrammes,

   C Q : cellulogrammes quantitatifs,

   C N : cellulogrammes nominaux,

   C MIX : cellulogrammes hybrides.

-> Voir la liste des tableaux

On peut considérer qu’il s’agit là de genres communicationnels distincts, dans la mesure où, répondant à des objectifs différents, ils adoptent même une structure différente : la séquence IMRDC se retrouve dans les Expérimentations et les Enquêtes, mais elle n’existe pas dans les Revues et subit de nombreuses adaptations dans les modélisations et les méthodologies.

Il est logique d’avancer l’hypothèse que les affordances spécifiques des catégories d’images entraîneront un usage différentiel selon le genre d’articles. C’est ce que nous avons voulu vérifier dans l’étude à laquelle nous avons déjà fait référence sur les périodiques en ergonomie (Desnoyers, 2009b). Mentionnons que, dans le cadre de cette étude, nous avons dû procéder à une adaptation de la taxonomie décrite plus haut, afin de mieux tenir compte des types d’images utilisées par les auteurs dans ces périodiques. Ainsi, nous avons dû séparer les cosmogrammes sur la base de la technique utilisée (pictographiques versus photographiques) et séparer les cellulogrammes sur la base de leur contenu (nominal, quantitatif, mixte).

Les résultats de cette étude sont résumés dans le tableau ci-dessus. On y constate tout d’abord que si la moyenne du recours à l’image, toutes catégories confondues, est de 7,43 images par article, les Revues sont le genre qui en utilise le moins (3,5) et les Modélisations, le plus (8,85). On peut dégager un portrait plus précis de chaque genre.

Ainsi, les articles du genre Revues font l’usage le plus réduit de chacune des trois classes d’images (cosmogrammes, analogrammes et typogrammes) et pour plusieurs des familles ; elles occupent pourtant une deuxième place dans le cas des organigrammes, trois fois plus que la moyenne. Cette distribution s’explique probablement par la nature même du genre Revues : on constate, à leur analyse, que ces articles ne sont d’ordinaire pas le lieu de présentation de résultats particuliers et il n’est pas étonnant qu’ils fassent si peu appel à des cosmogrammes et à des analogrammes. En revanche, les Revues, présentant souvent des synthèses sur des ensembles conceptuels aussi bien que sur des processus, ont fréquemment recours aux organigrammes qui permettent de bien les visualiser.

Les Enquêtes se caractérisent de deux façons. D’une part, elles sont le genre à faire le moins appel aux curvigrammes et aux équations ; comme ce sont là des instruments de théorisation, cette carence est logique. D’autre part, elles font un usage maximal des trois catégories de cellulogrammes et des énoncés. Les énoncés sont ici des citations des sujets d’étude ; il est donc logique de les retrouver dans ces articles. Les cellulogrammes constituent un moyen efficace de présenter des données quantitatives décrivant de nombreuses populations statistiques (ce que les histogrammes rendraient de manière imparfaite, la multiplication des bâtonnets gênant la lecture) ; il faut noter que ces cellulogrammes étaient d’ailleurs souvent volumineux dans les périodiques étudiés, occupant parfois même plus de deux pages. Dans le cas de données nominales ou hybrides, les cellulogrammes s’avèrent la seule façon d’en faire une présentation spatiale. Ces cellulogrammes ont donc les affordances dont les Enquêtes ont besoin.

Les Expérimentations font ici un usage maximal de cosmogrammes, ce qui s’explique par leur recours important à la photo. Une très forte proportion des Expérimentations étudiées se faisaient par simulation d’une tâche sur ordinateur, et beaucoup de photos représentaient l’écran et la tâche qui y était faite ; il s’agit donc ici d’illustrer de façon concrète un dispositif expérimental, et c’est une précision qu’on attend dans le récit d’une expérience. Les Expérimentations font aussi un usage très faible des typogrammes et obtiennent même le score minimum dans les cellulogrammes nominaux, les énoncés et les organigrammes, ce qui est logique quand on considère les objectifs visés par ce genre d’article. Elles se caractérisent surtout par le recours maximal aux analogrammes, faisant le score maximum dans les puncti-curvigrammes et les histogrammes. Dans le premier cas, ces figures soulignent la tendance générale des données sans vouloir trop s’avancer vers une théorisation ; dans le second, elles constituent le support optimal de présentation graphique de données émanant d’un petit nombre de populations (par exemple, sujets versus témoins, avant versus après, etc.) et décrites par un petit nombre de variables. Il y a donc concordance entre le contenu du genre et les types d’images utilisées.

Les Modélisations sont les championnes toutes catégories en ce qui touche l’utilisation d’images. Dans les cosmogrammes, il est logique de les voir recourir surtout aux pictogrammes, plus abstraits que les photos. Dans les analogrammes, le recours aux curvigrammes est en harmonie avec les besoins du genre, qui favorise la théorisation. Du côté des typogrammes, le recours est maximal aux équations et aux organigrammes, ce qui convient bien à des visées de théorisation.

Enfin, les Méthodologies semblent faire un usage moyen d’à peu près tous les types d’images. Seuls émergent l’absence de punctigrammes, ce qui n’étonne pas, et un score maximum pour les cellulogrammes nominaux servant à lister des références ou à proposer des comparaisons de propriétés d’ensembles.

Le tableau d’ensemble qui se dégage de ces résultats est donc d’une bonne cohérence entre ce que l’on peut dégager des affordances des différents types d’images et leur utilisation effective dans les communications écrites des chercheurs. Il n’y a ici pas d’exclusivité dans les rapports entre image et genre d’article, ce qui est sans doute à mettre en rapport avec deux facteurs limitants. Il existe, d’une part, une certaine polyvalence des types d’images : ainsi, l’organigramme peut décrire un organisme tout comme un processus ou un ensemble conceptuel ; d’autre part, dans un même genre d’article, il y a place pour une certaine variabilité : ainsi, certaines modélisations portent sur des objets (par exemple la modélisation d’une articulation squelettique), d’autres sont des exercices plus mathématiques. Soulignons d’ailleurs que, dans notre étude, 3 % des articles et presque autant des analogrammes se sont avérés inclassables dans les catégories établies ; par ailleurs, il faut souligner l’absence totale du recours aux morphogrammes, un ordre d’images auquel les scientifiques font rarement appel.

Communication et intentionnalité conjoncturelle

La communication est certes une activité qui est le fruit d’une intention traduite par une planification structurée du texte et des images. Mais toute activité s’inscrit nécessairement dans un contexte, un milieu externe qui se définit ici surtout par des dimensions socio-organisationnelles et techniques.

Nous avons mentionné la démonstration faite par Gross et alii (2002) de l’évolution du recours à l’image dans l’article scientifique à travers le temps. Nul doute que, en matière de conférences, l’évolution technologique, qui nous a fait passer de la lanterne magique au projecteur électronique, du dessin manuel à la conception graphique sur ordinateur et à PowerPoint, a accru progressivement le recours à l’image. Ce recours croissant ne résulte donc pas nécessairement d’un choix individuel par le chercheur, mais peut-être surtout de l’évolution de la conjoncture et des pratiques sur le plan technique.

D’autres facteurs entrent en jeu, qui sont peut-être de nature « culturelle ». Nous avons ainsi remarqué (Desnoyers, 2009c) qu’en ergonomie, pour un même genre d’article, la prévalence d’un type d’image est plus marquée dans certains périodiques. Ainsi, les Expérimentations publiées dans le périodique Ergonomics comportent 8,2 images par article, tandis qu’on en compte 7,66 dans Human Factors et 6,28 dans Applied Ergonomics ; mais, en ce qui touche les histogrammes pour les mêmes articles, c’est dans Human Factors qu’on en trouve le plus (2,13/article), suivi par Ergonomics (1,52) et par Applied Ergonomics (1,09). Ces différences semblent résulter de pratiques éditoriales implicites, celles qui sont affichées pour ces périodiques ne comportant pas de consignes précises en la matière.

Par ailleurs, le recours aux images est certes marqué par la compétence des auteurs en matière de conception d’images. Il existe nombre d’ouvrages présentant des recommandations en la matière (Desnoyers, 2005 ; Doumont 2002, 2009 ; Kosslyn, 2007 ; Tufte, 1983-2006). Tous les auteurs font pourtant le même constat : les images utilisées sont très fréquemment mal conçues, inadaptées, surchargées (Tufte aura même créé deux termes pour désigner ces abus : « chart junk » et « PowerPoint phluff »). Si ces abus sont fréquents dans la communication orale – et lors du recours à PowerPoint –, nous devons d’abord signaler que la surcharge graphique à l’aide d’éléments purement ornementaux est absente du corpus que nous avons étudié. Il faut cependant noter que les chercheurs faisant appel à des logiciels de conception graphique semblent accepter d’emblée les préconisations par défaut qui y sont offertes, sans se préoccuper, par exemple, du fait que ces conseils sont peut-être mal adaptés à leurs besoins. Pire encore, certains logiciels permettent la production de figures qui ne se conforment pas aux exigences scientifiques en matière de conception. Nous avons ainsi constaté dans notre étude (Desnoyers, 2009c) que 18 % des puncti-curvigrammes utilisés étaient fautifs, présentant des données appartenant à des catégories nominales qui ne peuvent être portées sur un axe cartésien : ces images auraient dû être présentées sous forme d’histogrammes, voire de morphogrammes, mais les auteurs auront probablement cédé à la possibilité de les utiliser qu’offrent, à tort, des logiciels comme Excel.

L’intention de l’auteur est donc constamment modulée par différentes conjonctures, depuis des pratiques éditoriales implicites, les affordances parfois fautives des logiciels de graphisme, sa propre compétence et sans doute aussi ses préférences personnelles en matière d’illustration.

Conclusion

En somme, nous nous sommes attardé ici à montrer la variabilité en matière de communication par les scientifiques, tant en matière d’images que de textes. La variabilité des images, d’abord, est considérable, au point qu’elle n’a pas permis à ce jour de recensement systématique de l’existant. Si l’on ajoute à cette diversité le recours à des appellations hétéroclites et fréquemment polysémiques, on peut comprendre la rareté des études dans le domaine et sans doute aussi la portée limitée des rares études systématiques qui en ont été faites. C’est ce qui nous a amené à développer et à préconiser le recours à une véritable taxonomie hiérarchique des images, au-delà d’une simple typologie, ce qui permet d’en constituer une nomenclature systématique. Pareil outil, certes perfectible, permettra d’entreprendre des études comparatives plus poussées de l’utilisation des images.

Nous avons aussi voulu montrer combien cette taxonomie permet, au-delà des différences dans la conception sémiologique ou graphique des différents taxons, de préciser les affordances de chacun. La classification n’est donc pas qu’une opération de logique, elle est aussi fonctionnelle et permet de mieux identifier les utilisations efficaces de chaque taxon.

La variabilité est tout aussi importante dans les genres communicationnels utilisés par les scientifiques. Nous avons proposé et utilisé une typologie simple qui permet de rendre compte de la variabilité des articles scientifiques, et dont il faudrait étudier plus à fond la pertinence, en particulier quant à la conférence, tellement sont importantes les différences entre les deux médias (Carter-Thomas et Rowley-Jolivet, 2001) et même entre les conférences (Ventola, 2002). Pareille typologie pourrait permettre de dépasser les barrières des disciplines et ouvrir la voie à des études comparatives plus fines des communications qui y sont produites.

Nous avons aussi montré combien l’utilisation des différents types d’images varie à travers les genres d’articles scientifiques. La répartition des types d’images n’est pas fortuite, mais, malgré une certaine variabilité, elle traduit une cohérence certaine entre les intentions communicationnelles dans les différents genres d’articles et les affordances des types d’images.

Nous avons signalé que les images utilisées peuvent être porteuses d’erreurs et d’abus de conception. L’étude des images de communication scientifique doit donc, au-delà d’une approche sémiologique qui les considère comme des ensembles de signes, faire appel aux notions de base de la théorie de l’information : l’image est faite de signaux, et ces signaux sont inévitablement accompagnés de bruit. Et comme l’efficacité de la communication repose, entre autres, sur la réduction du rapport signal/bruit, il faut se préoccuper des outils et des conditions de design aussi bien que d’utilisation des images. Les constats ici faits permettent de pointer des sources de contrainte et d’inefficacité ; par exemple, la méconnaissance de certaines modalités d’expression graphique (histogrammes et morphogrammes) : les compétences et la « littératie » graphiques des scientifiques sont sans doute fort variables. À cela peut s’ajouter une maîtrise limitée des outils de production graphique et de « présentique », lesquels ne sont par ailleurs pas exempts d’erreurs de conception. Bertin (1967) s’étonnait que la formation scolaire fasse si peu de place à l’apprentissage de la lecture et de la conception graphique. Les scientifiques ne se familiarisent souvent avec les outils graphiques qu’accessoirement, à l’occasion d’une formation en statistique, généralement sur le tas. Les prescriptions que comportent les directives des périodiques à l’endroit des auteurs, celles de divers manuels et en particulier des « Style Manuals » de certaines associations professionnelles, ne sont pas exemptes de contradictions, voire d’erreurs, ce qui ne facilite pas la tâche des scientifiques. Les formations à la communication sont encore rares dans les cursus scientifiques, alors qu’on pourrait s’attendre à ce qu’elles aient un effet bénéfique sur la qualité des communications.

Les voies qui s’offrent pour améliorer la communication scientifique par l’image sont donc nombreuses, et une approche ergonomique permet d’y contribuer progressivement. L’ergonomie n’est pas qu’une science de l’activité ; elle est aussi une technologie et, dans cette perspective, elle vise à améliorer l’efficacité de l’activité et le confort de l’opérateur, en dégageant des règles et des recommandations – c’est le « nomos » auquel elle se destine. S’il y a encore beaucoup à comprendre à l’activité de production et d’utilisation des images chez les scientifiques, il faut viser la construction d’une graphique scientifique raisonnée. La tâche sera complexe puisqu’il faudra intégrer les impératifs de la méthodologie scientifique et de la statistique, les acquis des sciences de la perception et de la cognition visuelles appliquées à la graphique, le savoir empirique construit par les graphistes, sans négliger des considérations éthiques et esthétiques.