PrésentationLa transposition générique[Notice]

  • Frances Fortier et
  • Richard Saint-Gelais

Le regain d’intérêt pour la question des genres, loin d’aboutir à de nouvelles typologies, a plutôt mis en évidence le caractère instable de leurs frontières, ce qui ne saurait guère surprendre à notre époque où les genres littéraires se situent dans un rapport dynamique d’interaction souvent aussi problématique qu’intense. Nul doute que cette interaction s’observe de manière particulièrement nette à travers les cas - nombreux - d’hybridation, c’est-à-dire la coprésence de plusieurs genres dans une même œe ; par là, la théorie actuelle des genres débouche, à travers des notions aujourd’hui en vogue comme le mélange ou l’hétérogène, sur des dimensions culturelles et sociales majeures de notre époque. Ce dossier veut montrer l’efficace d’un autre phénomène - la transposition - susceptible de rendre compte d’une forme spécifique de relation intergénérique. Tous les phénomènes intergénériques ne se réduisent pas à un processus d’hybridation, que celui-ci soit entendu comme juxtaposition de fragments génériquement hétérogènes ou comme combinaison de deux réglages génériques agissant conjointement. Plusieurs textes semblent en effet opérer plutôt par reprise de traits génériques caractéristiques d’un genre donné dans des œuvres où ils semblent plus inattendus. Par exemple, la transposition peut correspondre soit à un changement de registre (pensons ici à l’ouvrage de Biron et Popovic, Le livre dont vous êtes l’intellectuel, qui pervertit le modèle générique des « Livres dont vous êtes le héros », transposant une forme ludique dans un registre savant), soit à un changement de domaine de validité (intrusion de la fiction dans le biographique, par exemple), soit encore à une permutation d’éléments prototypiques qui produit un effet d’étrangeté à l’intérieur d’un genre (l’autobiographie à la troisième personne). Envisagée ici comme un instrument herméneutique, la transposition montre que l’on a moins affaire à une indécision des frontières génériques qu’à des pratiques textuelles qui instaurent une relation dynamique entre des modèles génériques reconnaissables. Au-delà de la variété des œuvres et des paramètres étudiés, c’est donc à une meilleure compréhension des relations intergénériques et des rapports entre textes, lecture et genre que les collaborateurs nous convient. En ouverture, l’article d’Yves Baudelle met en perspective et discute des diverses acceptions qu’autorise la notion de transposition et ses déclinaisons variables, de la transmodalisation intermodale à la translation, de la transposition pragmatique à la transdiégétisation. Comment penser la question lorsqu’on tente de l’élargir à sa dimension fictionnelle ? L’exemple du roman autobiographique, et de la controverse qu’il suscite en regard de l’autofiction, sert ici à interroger l’intrusion du biographique dans la fiction. Genre par excellence où « s’exercent les processus de transfert fictionnel des données de l’existence », il permet de prendre en écharpe tant les attitudes lectorales que les (dé)cloisonnements génériques et de montrer que la zone d’incertitude qui perdure ressortit à une dynamique où jouent toutes les nuances de dégradés de l’illusion référentielle. La « ligne de barbelés entre la fiction et la non-fiction » est-elle aussi infranchissable que celle qui, un temps, départageait la poésie de la prose ? Si diverses formes d’hybridation entre prose et poésie coexistent aujourd’hui et, sans constituer une norme, appartiennent pleinement au paysage littéraire contemporain, il n’en a évidemment pas toujours été ainsi : l’idée de « mélanger » prose et poésie a longtemps provoqué une déstabilisation de l’une des principales lignes de partage du champ générique. Luc Bonenfant examine ce qui est sans contredit l’épisode décisif de cette histoire, soit l’invention, par Aloysius Bertrand, du poème en prose. Celui-ci, selon Bonenfant, reposerait sur une double transposition, modale et générique : le poème en prose résulte d’opérations formelles (blancs typographiques, récurrences anaphoriques), sans s’y réduire puisque ces techniques sont mises en œuvre en …

Parties annexes