Pour une approche sémiotique des pratiques éthiques[Notice]

  • Maria Giulia Dondero

Ce numéro de Protée souhaite proposer une réflexion sur la description – et la descriptibilité – de la subjectivité par le biais d’une étude sur l’éthique. Ce numéro vise plus précisément un double objectif : tout d’abord, rendre compte d’un changement épistémologique à l’intérieur de la discipline sémiotique, de plus en plus intéressée à analyser des pratiques plutôt que des textualités, et, ensuite, décrire comment ce changement épistémologique est fondamentalement lié à une nouvelle approche du sujet humain. Comme le postule la majorité des textes recueillis ici, le sujet ne se caractérise plus seulement comme une position syntaxique à l’intérieur d’une narration clôturée, mais il est analysé en tant que subjectivité pleine en train de se constituer et de s’interroger sur elle-même. Par le biais d’une étude sur l’éthique, qui est le domaine où la subjectivité se manifeste dans toute sa nature problématique, la sémiotique se confronte aux relations entre le sujet conçu en tant que produit discursif et le sujet en tant que personne qui agit dans le monde : elle vise en somme à analyser la dynamique identitaire entre l’expérience in vivo et l’expérience racontée. Si la théorie greimassienne des années 1990 a témoigné une attention, même timide, au sujet moral (sujet du devoir-être et des valeurs partagées), aucune attention n’a été consacrée au domaine de l’éthique (sujet du pouvoir-être et de la valence « locale » des valeurs). Plus que tout autre, il demande un point de vue différent par rapport à l’approche de l’immanence textuelle et de la théorie narrative classique, parce qu’il s’agit d’un domaine axiologique qui, par définition, laisse ouvert le questionnement sur le sens dans le temps. Ce questionnement sur les fondements du sens doit être saisi tout au long des pratiques « en acte » ; pour rendre compte de cette constitution du sens et d’une auto-interrogation constante du sujet éthique sur le bien-être de ses actions et décisions, la sémiotique est censée compléter son point de vue analytique avec des approches herméneutique et phénoménologique. Toutes ces questions décisives sont traitées magistralement dans l’article de Jacques Fontanille qui ouvre le numéro. Ici, l’auteur affirme non seulement que, pour pouvoir parler d’éthique – sans la réduire à l’idéologie –, il faut choisir un autre niveau de pertinence que celui du texte et aborder la question sous l’angle des pratiques, mais aussi qu’il faut dépasser une analyse limitée aux contenus axiologiques pour aborder l’ethos, qui est la forme syntagmatique régulière, reconnaissable et évaluable des pratiques. Fontanille choisit la pensée rhétorique de Perelman pour expliquer comment on peut passer, pour accéder à l’éthique, du paradigme du texte au paradigme de la pratique : les deux schèmes argumentatifs de Perelman que sont la liaison et la dissociation (déliaison, dans les termes de Fontanille) – qui s’appliquent aux relations entre la personne, l’acte et le discours –, permettent à l’auteur d’aborder les transformations de l’ethos. L’éthique devient pour Fontanille l’ensemble des opérations portant sur les « liens axiologiques » existant entre ces trois instances (ethos de l’orateur, scénarisation, argument énoncé) auxquelles Fontanille ajoute l’objectif (le résultat) et l’horizon stratégique (la pratique sur laquelle l’acte a des retombées). L’auteur explique que la valeur des pratiques éthiques dépend non pas de l’ethos de l’opérateur, mais de l’ethos de la scène praxique toute entière, c’est-à-dire de la totalité des liens constitutifs de la scène à analyser. Fontanille se consacre à l’identification de la nature et des modulations des liens entre ces instances qui se constituent en totalité : la rupture, qui inverse le mode de raisonnement et …

Parties annexes