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Introduction

La problématique de l’éthique et du sujet pose au sémioticien des questions épistémologiques décisives. Si la sémiotique, et notamment la sémiotique de tradition greimassienne, veut aborder une telle question, elle doit repenser tout son système.

Nous nous proposons, dans cette étude, d’esquisser tout d’abord quelques propositions générales sur des approches sémiotiques possibles pour la problématique du sujet et des pratiques éthiques et, ensuite, de nous attacher à définir la question de l’éthique et de la morale, ainsi que du pardon et de l’amnistie.

1. Préliminaires sur la théorie sémiotique

Nous voudrions nous atteler tout d’abord à la question de la « bonne distance » que le savant, en particulier le sémioticien, doit garder par rapport à l’étude des pratiques et de l’éthique des pratiques – les pratiques qu’il étudie aussi bien que les siennes.

Nous nous sommes déjà interrogés sur la « bonne distance » à garder par rapport à la textualité (Basso Fossali et Dondero, 2006) ; et sans doute la réponse la meilleure était-elle que cela dépend des pratiques de production et d’interprétation spécifiques du texte même (stabilisées en statuts), ainsi que des pratiques scientifiques qui le construisent (le type de regard sémiotique impliqué).

Il est nécessaire que les actes, les actions, les conduites assument une « bonne forme » aux yeux du sémioticien, c’est-à-dire une forme « reconnaissable » (Fontanille, 2006) : pour que cette « bonne forme » apparaisse, il importe de repérer les limites et les bordures des actions dont il est question. Certes, il serait nécessaire de problématiser la manière dont la « bonne forme » apparaît, voire surgit, par rapport à la manière dont nous, sémioticiens, la construisons. Car pour étudier les pratiques, il faut bien repérer l’iconicité qui les caractérise : une iconicité dynamique (Bordron, 1984) qui, du côté subjectal, naît des pertinences que le chercheur ajuste à son regard ; tandis qu’en retour, du côté objectal, les pertinences feront surgir des formants plus ou moins stéréotypés, des récurrences, etc. Ainsi, dans la recherche sémiotique récente, le regard sur la pratique a réactivé une auto-observation du faire scientifique (Fontanille, 2008). La sémiotique, dès qu’elle sort de l’étude de l’immanence des configurations (et de l’analyse du texte), se trouve face à la problématique même de la sémiotisation. En fait, la nécessité de clôture propre au concept d’iconicité nous rappelle la fameuse nécessité de clôture liée à l’immanence textuelle (Greimas, 1976 ; Greimas et Courtés, 1979). Serait-il donc simplement question d’étudier les pratiques sociales à partir de leur mise à distance, c’est-à-dire de leur textualisation ? Faudra-t-il étudier les pratiques comme des « touts » de signification objectifs, voire objectivés suite à leur description préliminaire ? Nous ne sommes pas vraiment certains que cela puisse se faire sans trahir le projet novateur d’une sémiotique post-greimassienne contemporaine qui se demande si le sens des pratiques est déjà constitué, ou bien s’il se constitue à chaque fois, dans chaque pratique, selon notre faisceau de pertinences et notre expérience du sens en situation. De toute évidence, s’il n’était question que d’étudier les pratiques comme étant déjà constituées, s’il n’était question que de les « textualiser », nous en resterions au paradigme textuel[1] . Au vrai, dans le cas des pratiques, nous avons à prendre en considération un paysage interactantiel au sein duquel nous sommes directement impliqués – surtout si nous voulons problématiser le régime éthique de certaines pratiques socialisées, comme ce sera le cas ici. Telle est la question : pouvons-nous trouver définitivement une bonne forme pour les pratiques qui se déroulent et se transforment sous nos yeux, ici et maintenant, et dans lesquelles nous sommes impliqués ? Les limites de l’action sont perpétuellement en mouvement, du simple fait de leur relation constante à d’autres ensembles d’actions, à d’autres ensembles de pratiques et à des points de vue qui s’entrecroisent. En somme, si les pratiques ne sont pas des effets de présence, résultant de configurations et de situations objectivées, si elles sont plutôt des séries de solutions stratégiques en devenir, nous devons alors passer de la pertinence de la configuration (texte) à la pertinence de l’activité configurante (pratique). L’adoption de cette deuxième possibilité, c’est-à-dire la dimension stratégique de la situation, change entièrement le point de vue théorique. En effet, dans ce cas, la configuration d’un scénario figuratif passerait par une assomption et deviendrait, par là même, le problème d’un sujet : le problème de s’adapter, de se coordonner à une concomitance / succession de scènes et de pratiques. La pratique deviendrait un scénario décisif pour quelqu’un, un fait vécu, assumé par un agent qui progresse par ajustements, qui vise à construire une relation stratégique et tactique à la fois, bref qui construit les événements en acte et y réagit. Ainsi le sens de la pratique ne serait-il pas donné à l’avance, ne se résoudrait-il pas dans une conduite établie ; au contraire, le sens de la pratique serait alors cette recherche de la « bonne forme » dont il est question chez Fontanille (2006). Mais, à présent, la « bonne forme » a une tout autre acception que celle de clôture. Lorsqu’il y a clôture, la « bonne forme » serait quelque chose que l’observateur extérieur, par exemple le sémioticien dans sa pratique scientifique, reconnaît comme des agencements syntaxiques à analyser. Au lieu de quoi, dans le point de vue que nous avançons ici, la « bonne forme » concernerait un observateur interne : le sujet impliqué. Lorsqu’il y a clôture, nous avons une configuration-forme ; lorsqu’il y a implication, comme nous le proposons ici, nous avons l’acte même de configurer cette bonne forme. Il faut donc considérer qu’il y a aussi une éthique de la pratique sémiotique !

Souvent, l’interprète est lui-même impliqué dans sa propre pratique, parfois même dans la pratique dont il fait l’interprétation. Il s’agirait, dans ce cas, d’un sujet d’action qui interprète pendant qu’il agit : un sujet qui reconnaît une bonne et due forme à sa propre pratique en acte, par rapport aux projets personnels et collectifs passés et futurs. En d’autres termes : le sujet de la conduite s’autocontrôle. C’est pourquoi les interrogations sur les pratiques doivent rendre compte de l’auto-réflexion des acteurs en jeu, d’une manière parallèle et adéquate au fait que l’ajustement stratégique garde en mémoire les rétentions et les protensions possibles dans l’acte même de l’attention.

Les pratiques deviennent un spectacle en cours pour leurs interprètes, lesquels sont en même temps en train de les construire de leurs propres mains. Par exemple, on peut remarquer qu’il y a des connexions et des segmentations entre les différentes pratiques, de même qu’une « observation » réciproque, qui mettent l’accent sur la sensibilité stratégique des participants. Comme l’affirme Fontanille :

La « bonne forme » de la séquence stratégique n’est donc pas seulement une structure objective ; elle doit aussi être perçue, et cela implique au moins une compétence des participants : ils doivent être en mesure de réagir à cette bonne forme, ils doivent être sensibles à la séquence canonique, sensibles à la valeur qui est associée à la co-segmentation.

2006 : 65 ; nous soulignons

Il y a donc, d’une part, une acception de la « bonne forme » qui révèle ce que Fontanille appelle la programmation et, de l’autre, une conception de la « bonne forme » comme ajustement (ibid.), acte de configuration de l’autre et de soi-même. En somme, il y a une bonne forme du côté de l’étendue et une bonne forme du côté de l’intensité[2] et, dans notre cas, de la responsabilité. Ainsi le domaine épistémologique implique-t-il que nous nous posions toujours dans l’interstice entre prévisibilité et optimisation. C’est à la prévisibilité que nous devons la possibilité d’autonomiser les valences par rapport à une accessibilité au sens qui, sans cela, apparaîtrait seulement en acte, c’est-à-dire prise au sein d’une optimisation continuelle. En ce sens, la prévisibilité est une programmation qui rend les valences en acte accessibles et interprétables par anticipation (ou à rebours). La prévisibilité se caractérise par conséquent par la solution qu’elle apporte face à l’hétérogénéité des actions et des points de vue, quand l’optimisation, pour sa part, rend compte de la relation et de l’émergence des instances hétérogènes, de l’irréductibilité et de la négociation qui est toujours à la base d’une approche de la situation communicationnelle.

Par conséquent, les pratiques mobilisent la relation qui s’établit entre le sujet qui les met en acte et le sujet qui les observe et concernent le régime éthique de nos valeurs, la distribution et l’équilibre de celles-ci.

Dans les prochaines pages, nous voudrions donc articuler cette réflexion sur la prévisibilité et l’optimisation aux pratiques intimes du pardonner et aux pratiques institutionnelles et juridiques de l’amnistie. En effet, celles-ci concernent le regard que la victime ou le coupable portent sur eux-mêmes, ainsi que sur l’autre, dans les pratiques de demande et de concession du pardon. De plus, cette relation entre victime et coupable touche directement aux pratiques de sanctions émises par l’opinion publique ou la doxa, car c’est cette dernière qui encadre la relation : l’opinion publique construit les frontières entre le pardonnable et l’impardonnable.

Quoi qu’il en soit, il est vrai que la question éthique affecte considérablement les pratiques d’auto-réflexion, les pratiques de construction et de gestion des identités impliquées : l’acteur a une certaine manière d’assumer sa propre action à l’égard de son image de soi et de l’identité qu’il rend publique auprès des autres sujets qui s’y rapportent. Dès lors, quant aux pratiques identitaires, il s’agit de savoir comment l’action est ré-embrayée et jugée par le sujet qui l’effectue.

Un distinguo va s’avérer essentiel pour notre étude, celui-là même que rappelle Ricoeur dans Soi-même comme un autre (1990) : le point de vue éthique se différencie du point de vue moral. Les prescriptions morales semblent s’imposer extérieurement à l’agent : elles dépendent d’un devoir-être et de jugements de fait. L’éthique, en revanche, se pose sous le signe d’un pouvoir-être[3] et des jugements de valeur, de la téléologie de l’action, de l’auto-réflexion et du projet identitaire intersubjectif gardé dans le temps : l’éthique concerne la tenue des projets. Toute détermination de sens éthique passe par son futur et se propose comme orientation destinale, parce qu’elle se projette dans une tenue des valeurs dans les temps et pour les autres. Par conséquent, le problème qui se pose pour la sémiotique est non plus les conditions de possibilité du sens, mais le sens comme condition de possibilité (voir Basso Fossali, 2006).

2. La pratique entre morale et éthique

En suivant le cadre épistémologique que Basso Fossali a dessiné dans son livre Il Dominio dell’arte, il nous paraît nécessaire de tracer une autre distinction : établir, d’un côté, la problématique de l’afférence des pratiques à des régimes de sémantisation, tels les domaines ; de l’autre côté, la question de la fondation du caractère, pour ainsi dire, « sensé » des pratiques elles-mêmes. Autrement dit, c’est une chose d’étudier la signification des pratiques selon leur détermination locale, selon un cadre institutionnel (le « domaine ») auquel elles sont afférentes ; c’est autre chose d’essayer de mettre en relief qu’elles ont un caractère sensé pour le sujet directement impliqué dans le dialogue avec soi-même et avec l’autre (caractère sensé de la pratique).

Ainsi, dans le cas de l’amnistie, la pratique se fonde essentiellement sur le droit, sur les institutions gérées par le domaine juridique ; alors que, dans le cas du pardon, le fondement pratique relève davantage du rapport interne à l’acteur en jeu, plus précisément à sa relation entre soi-idem et soi-ipse[4].

La proposition, toujours en suivant Basso Fossali, serait donc de chercher l’individuation des pratiques, d’un côté, dans le cadre institutionnel qui les règle et, de l’autre, sur la base du « caractère sensé » qu’elles ont pour le sujet pratique. Le caractère sensé d’une pratique ne se donne que lorsque les motivations résistent dans la durée comme valables (pour le sujet de l’action) ou qu’elles apparaissent comme significatives (pour un observateur externe). Il s’agirait de coupler une axiologie conventionnelle et socialisée construite sur les normes morales avec la perception locale de la valeur (la valeur relevant non pas de la morale, c’est-à-dire de la déontologie, mais de l’éthique, c’est-à-dire de la téléologie – selon la distinction de Ricoeur qui propose d’ailleurs de subsumer la déontologie dans la téléologie, la norme morale dans les valeurs locales de l’éthique).

Mais, évidemment, aucun des deux côtés du problème ne va sans l’autre. Il est clair que la fondation problématique du caractère sensé des pratiques est continûment en négociation et même en transformation au sein des pratiques institutionnalisées, où l’on doit recourir souvent à la mythologie, comme c’est le cas dans le domaine juridique (mais aussi artistique, religieux, etc.)[5]. En retour, l’éthique des pratiques n’implique pas seulement des problèmes d’assignation de l’action à quelqu’un : elle doit aussi faire constamment face à une redistribution des valences dans le scénario intersubjectif, incluant également des sujets « tiers » (telle l’opinion publique).

Le domaine de l’éthique est suspendu entre l’institutionnalisation des valeurs et l’autoréglage du sujet agent parce que c’est un domaine qui, par définition, fait en sorte que le sens reste toujours problématique. Comment pouvons-nous juger une action comme bonne, voire heureuse ? Il est certainement aisé de la juger par rapport à un « devoir faire » moral, à des normes, mais « le pouvoir-être » éthique et l’intentionnalité gérée dans la durée demeurent bien plus difficiles à aborder. L’imperfectivité de la clôture sémantique entraîne, pour toute pratique éthique, la nécessité de se « justifier » et, surtout, le devoir de rendre compte de son fondement dans la durée.

Si les normes morales peuvent être bien définies comme des « programmations », les conduites éthiques sont, au contraire, des ajustements constants à ces dernières. C’est dire que, si les pratiques morales sont externes et, pour le dire vite, transcendantes au regard de l’agir singulier, la conduite éthique est immanente à la pratique locale, à la construction de l’agir, à l’ajustement dans la situation. En effet, on trouve des lacunes de sens partout dans notre expérience : entre l’intention précédant la réalisation de l’action et l’intention en acte, d’une part, et les motivations de la continuation de l’agir, de l’autre. Tout cela met la décision au coeur de l’éthique des pratiques, c’est-à-dire une négociation de la pratique sur son propre bien-fondé, son « caractère sensé », dans une tension interprétative qui relie la motivation à la loi. Toute autre, par contre, est la démarche afférente au domaine de la morale, qui aboutit à la procédure et au protocole. Là, l’agir ne réside plus dans une dramatisation de la décision locale, mais il renvoie à des décisions distales dans le temps et dans l’espace.

Exemplifions la distinction entre éthique et morale de la manière suivante : la morale se réclame d’une institutionnalisation qui la rend analysable comme « textualité donnée » et comme programmation ; l’éthique, tout au contraire, est une pratique qui concerne la responsabilité de l’instance énonciative en tant que personne, susceptible d’être étudiée comme pratique d’ajustement. Comme l’a précisé Basso Fossali (2006), le sens de l’agir ne s’épuise pas dans la rationalisation stratégique, puisque, dans les pratiques, l’enjeu n’est pas seulement la transformation des valeurs sous l’égide d’une programmation rationnelle (prévisions, procédures, stratégies, etc.) : l’enjeu est, en effet, la justification (le pourquoi de l’agir, l’intentionnalité) par rapport à un cadre de possibilités ouvertes.

La bonne forme entre programmation et ajustement produit ce que Ricoeur (1995) appellerait une « sagesse en situation ». Cela dit, il faut aussi voir que, bien que les notions de personne et d’éthique nous renvoient immédiatement à une nécessité immanente des valeurs, à un régime de valeurs qui tienne en soi, à une autorité intérieure, l’éthique ne concerne pas pour autant un discours privé, silencieux – ce que d’ailleurs nous rappelait aussi Bordron (1984). Dans le régime de l’éthique, un besoin de reconnaissance réciproque existe, telle la reconnaissance réciproque et publique de la culpabilité, ou la reconnaissance réciproque et publique du pardon.

Le domaine de l’éthique ne concerne donc pas uniquement le niveau de pertinence sémiotique du discours. Il y a, en jeu, une source de valeurs et non seulement des valorisations discursives. Dans ce sens, l’action narrée concerne le déploiement imaginaire pour des expériences de la pensée où le jugement moral ne s’exerce que d’une manière hypothétique[6].

3. Le pardon et l’amnistie

S’il est vrai que la justice doit passer, sous peine que soit consacrée l’impunité des coupables, le pardon ne peut se réfugier que dans des gestes incapables de se transformer en institutions.

Ricoeur, 2000 : 620

À chaque fois que le pardon est au service d'une finalité, fût-elle noble et spirituelle (rachat ou rédemption, réconciliation, salut), à chaque fois qu'il tend à rétablir une normalité (sociale, nationale, politique, psychologique) par un travail du deuil, par quelque thérapie ou écologie de la mémoire, alors le « pardon » n'est pas pur – ni son concept. Le pardon n'est, il ne devrait être ni normal, ni normatif, ni normalisant. Il devrait rester exceptionnel et extraordinaire, à l'épreuve de l'impossible : comme s'il interrompait le cours ordinaire de la temporalité historique.

Derrida, 1999

Le pardon est un bon exemple de pratique difficile à situer et à caractériser lorsqu’on se pose dans l’optique de la morale, c’est-à-dire dans le champ de la jurisprudence et du droit, puisque le pardon renvoie à un « penser / sentir autrement », comme l’affirme Ricoeur dans Le Juste (1995). La pratique du pardon ne relève pas de la logique de l’équivalence, à l’encontre de l’exercice de la justice ; elle relève plutôt de la logique de la surabondance : quelque chose qui se montre hors mesure, en excès, par rapport à la justice. Cette logique de la surabondance est plus exactement la loi de l’amour unilatéral de la victime, laquelle, face à une demande de pardon, répond par l’affirmative ; et, par là, elle transforme la haine et le désir de vengeance en attention pour l’autre.

Zilberberg porte son attention précisément sur ce type de pardon, en tant qu’acte de charité, et même de miracle. Il différencie d’abord deux pratiques et deux styles éthiques du pardonner : celui qui relève d’un « parvenir » (logique de l’implication) et celui qui relève d’un « survenir » (logique de la concession)[7]. Les deux cas qui renvoient à la logique de l’implication sont : « pardonner le pardonnable » (c’est le cas de l’indulgence) et le « ne pas pardonner l’impardonnable » (c’est le cas de la sévérité). Les cas du faire concessif sont : « pardonner l’impardonnable » (qui relève de la charité) et « ne pas pardonner le pardonnable » (c’est le cas de la rigueur). Les cas implicatifs relèvent d’un « parce que » qui porte sur des valeurs profanes ; les cas concessifs relèvent d’un « pourtant », ou d’un « bien que », qui porte sur des valeurs sacrées.

Ce qui nous intéresse ici, c’est essentiellement de mettre en relation ces deux possibilités de conduite : l’indulgence et la charité. L’indulgence relèverait d’un pardon institutionnalisé, telle l’amnistie ; alors que la charité relèverait d’un pardon plus extrême, absolu, éclatant, sublime, démesuré, comme le dirait Zilberberg ; pour notre part, nous pourrions l’appeler le pardon héroïque. À la base du pardon, il n’y a jamais d’institutions, même s’il peut y avoir des retombées sur celles-ci (Ricoeur, 1995 : 179). L’acte de pardonner est un appel permanent à la finitude de la justice. Sur le pardon, l’autorité de la loi ne peut décréter, en même temps que la loi devient consciente des limites de son irréversibilité, du risque qu’elle prend toujours d’être inadéquate, partielle, faillible.

Prenons la question de plus haut. Le pardon se donne toujours à l’intérieur d’un processus qui se déclenche avec une offense subie et le désir de vengeance. En effet, Zilberberg (2005) précise que le pardon n’est qu’un contre-contre-programme (par rapport au contre-programme de la vengeance) ; alors que le couple vengeance-réparation concerne le « parvenir », le couple vengeance-pardon touche au « survenir ». Dans la vengeance, il y a solidarisation avec l’acte subi, à savoir l’offense ; le pardon, au contraire, est un acte de désolidarisation.

La demande de vengeance doit être assumée par la société : il est nécessaire que la société réponde aux offenses vécues par une personne civile. En ce sens, donc, le procès est une suspension / substitution de la vengeance et la constitution d’une « bonne distance » dans le corps à corps de la querelle. En effet, le procès permet que la vengeance se transforme dans la tentative de réhabilitation du coupable (c’est bien le sens de la sanction). Le procès établit la « bonne distance » entre le méfait, déclencheur de la colère publique et privée, et la punition sommée par l’institution juridique. Alors que la vengeance opère un court-circuit entre deux souffrances (celle de la victime et celle infligée par le vengeur), le procès s’interpose au milieu des deux, en établissant la « bonne distance » (Ricoeur, 1995 : 168). Comme l’affirme Ricoeur, le juge est « le juste » par excellence : quelqu’un qui doit reconnaître le bon et le bien pour autrui. Dans l’acte de juger, le juge / le juste peut suivre deux attitudes : si sa décision dépend de la déontologie de l’obligation, il s’identifie au sujet légal ; si, par contre, il opère à l’intérieur du régime de la sagesse pratique, alors il s’identifie non pas au bon ou au légal, mais à l’équitable. En fait, on touche à l’équitable lorsque la norme assume le même degré de singularité du cas en question (c’est le cas de la sagesse en situation).

La sanction exigée par l’instance de jugement et la réparation qui y est impliquée sont des pratiques qui exercent une fonction importante de ciment social et civil. La sanction coïncide avec l’exclusion géographique et temporelle des relations publiques. Il s’ensuit que, pour le coupable, la sanction pourrait être ressentie comme un excès de distance. Cela étant, le rôle de la réhabilitation devient évident : elle vise à rétablir une bonne distance entre le coupable et ses actions passées et futures. Nous voyons bien alors comment les pratiques de la réhabilitation peuvent concerner un ensemble de mesures qui accompagnent l’exécution de la peine et qui visent à restaurer la capacité du condamné à redevenir citoyen ; bref, des mesures qui visent à la réhabilitation d’un plein droit. L’accomplissement de l’expiation entraîne l’effacement des culpabilités ; mais il existe aussi des cas d’interruptions de la sanction par les réhabilitations particulières, par exemple à la suite de la reconnaissance d’erreurs judiciaires. Dans ces cas, on rétablit les capacités du condamné en effaçant les culpabilités plus rapidement. L’amnistie, par exemple, qui trouve son origine non pas dans une instance juridique mais bien dans une instance politique, est une sorte d’institutionnalisation de l’oubli. Nous pourrions la définir comme une amnésie institutionnelle (ibid. : 178) visant à faire comme si l’événement ne s’était jamais produit. Quoi qu’il en soit, ni l’excès de distance de la sanction – du point de vue du coupable –, ni la recherche de la bonne distance de la réhabilitation – du point de vue de la doxa –, ni même l’idée d’effacement des traces et de la mémoire – du point de vue de la victime – ne peuvent expliquer les pratiques du pardon. Il faut voir en effet que les pratiques de la sanction et de la réparation ont une structure modale qui n’est pas identique à celle des pratiques du pardon. Sanction et réparation sont nécessaires, et même elles sont dues à trois rôles actantiels différents, à trois rapports intermodaux. Il n’y a pas que la victime, à qui l’on doit la reconnaissance publique de son offense et de son humiliation (ibid. : 172) et le rattrapage de son honneur perdu et de sa dignité de personne humaine. La sanction est aussi due à l’opinion publique (véhicule, amplificateur et porte-parole du désir de vengeance – en fait la reconnaissance de la culpabilité et la nécessité de la sanction passent par l’opinion publique) : en ce sens la sanction n’a d’efficacité que si elle est rendue publique. En troisième lieu, la sanction est due également au coupable (et même, comme le souligne Ricoeur, la sanction rejoint sa vraie finalité si elle est reconnue et comprise par celui qui la subit, qui, par là, affirme sa responsabilité, son être de sujet éthique actif).

Évidemment, la situation se complique lorsque le sujet est appelé à se pardonner lui-même, ce qui nous oblige à nous interroger sur la possibilité d’une pratique intime et autoréférentielle du pardonner (alors qu’apparemment nous dépendons des autres), ou, au contraire, à nous interroger sur la possibilité d’un pardon collectif. Par exemple, peut-on parler d’accord du pardon de la part d’une famille entière, d’un peuple entier ? Une éthique collective existe-t-elle ? Si le bonheur de l’acte de pardonner exige une reconnaissance réciproque entre la victime et le pardonné-pardonnable, il est alors difficile de songer à un pardon autant intime que collectif, institutionnalisé : tout se passe comme si la publication (au sens de ce qui est rendu public), qui constitue le bonheur du geste, n’assumait sa bonne forme qu’en restant dans les limites fixées par l’intimité et l’institutionnalisation.

Or, si la sanction réparatrice est triplement due, le pardon, lui, n’est jamais dû : il est légitime qu’on refuse la demande de pardon. Et, s’il existe des organes habilités à sanctionner, à réhabiliter, à gracier ou à accorder l’amnistie, il n’y en a aucun qui le soit à pardonner. Qu’une institutionnalisation du pardon n’existe pas signifie que le pardon n’est (et ne devrait être) ni normal, ni normatif, ni normalisant. Dès lors, ne pourrions-nous pas définir le pardon comme une pratique alternative à la pratique judiciaire qui se constitue à travers une chaîne d’actes, tels la sanction, la réhabilitation et enfin l’effacement de la culpabilité ? D’ailleurs, le pardon ne doit pas annuler la sanction ni créer l’impunité et l’injustice. C’est pourquoi il ne peut rencontrer la culpabilité frontalement, ni se confronter à elle directement ; en fait, il ne rencontre que le coupable, par une sorte de voie interstitielle. Le pardon ne peut parvenir qu’à délier le sujet de son acte.

Pour résumer, il semble que, d’un côté, nous ayons une vengeance institutionnalisée (sanction-réhabilitation-effacement) qui peut déboucher sur une grâce, une amnistie ou même une prescription des culpabilités ; de l’autre côté, tout se passe comme si nous avions affaire non pas à des formes syntaxiques fixes, mais à des ajustements identitaires et passionnels internes à la personne, à un sujet éthique qui doit décider entre des valeurs hétérogènes concurrentielles. Mais il s’agit là des pratiques d’ajustements qui se donnent à l’intérieur d’un sujet éthique devant décider non seulement entre valeurs hétérogènes concurrentielles (à ce propos, Ricoeur parle du tragique de l’action), mais aussi entre normes, et surtout entre le respect dû à la norme universalisante et le respect dû aux personnes et aux situations particulières.

Outre l’effacement des culpabilités permis par la réhabilitation et par l’amnistie, sorte d’oubli imposé, voire d’abus de l’oubli, il existe un autre cas : la prescription. À la différence de l’amnistie qui tend à effacer les traces de l’acte, comme si rien ne s’était passé, la prescription consiste en une interdiction de considérer les conséquences pénales de l’action commise. La prescription est « un effet du temps », comme le dit le Code civil (art. 2219). Si la réhabilitation et l’amnistie sont un effacement des culpabilités, la prescription concerne leur extinction, à cause de l’irréversibilité du temps :

c’est le refus, après un laps d’années défini arbitrairement, de reparcourir le temps en arrière jusqu’à l’acte et ses traces illégales ou irrégulières. Les traces ne sont pas effacées : c’est le chemin jusqu’à elles qui est interdit.

Ricoeur, 2000 : 610 ; nous soulignons[8]

À la différence de la prescription, qui libère d’une dette indéfinie, et de l’amnistie, qui oublie la dette, le pardon ne peut viser à effacer la mémoire : il ne peut servir d’instrument d’oubli. Même si son projet consiste à casser la dette, son vrai but est de défaire le coupable de son acte. Derrida (1999) affirme en effet que pardonner c’est séparer le coupable de son acte : pardonner au coupable tout en condamnant son acte, c’est pardonner à un sujet autre que celui qui a commis l’acte. Or, cette dissociation signifie que la capacité d’engagement du sujet ne s’achève pas dans ses différentes inscriptions et actions dans le cours du monde. Cette dissociation exprime un crédit envers les ressources de régénération du soi. Ricoeur dirait que le sujet coupable, par rapport à celui qui a commis un crime dans le passé, est « [l]e même, […] mais potentiellement autre, mais non un autre » (2000 : 638, n. 45).

4. Le pardon comme pratique intérieure

Nous voici à la question centrale de notre réflexion : quelle est la syntaxe actantielle du geste du pardon ? Comment pardonne-t-on ? Nous avons déjà vu dans quelles limites externes on pouvait circonscrire le pardon : d’une part, l’intimité absolue ; de l’autre, le pardon collectif. Mais quel est le geste minimal du pardon ? Quel statut attribuera-t-on, par exemple, au geste intérieur du pardon ? Car ce geste doit bien avoir un minimum d’extension, c’est-à-dire d’occurrence et de manifestation.

Tout d’abord, l’acte du pardon doit être performatif : il doit garantir des effets, impliquer des résultats. Il doit être saisi au sein d’un « théâtre de la valeur » : si des valeurs s’affirment avec le pardon, cela doit se passer sur fond de valeurs actualisées par le coupable et par l’opinion publique. À quoi il faut ajouter le « pardonnable », c’est-à-dire des potentialisations opérées par la doxa et par une mémoire sociale. Ainsi voyons-nous que toute micro-scène d’un pardon particulier se dégage d’un fond : elle se configure sur la macro-scène de la pratique. Mais, par là, toute micro-scène du pardon, où une doxa retentit, affecte la doxa elle-même et la modifie. De ce fait, celui qui pardonne l’impardonnable non seulement excède ses propres limites mais concède à la doxa la possibilité d’aller au-delà d’elle-même : il permet de purifier ce qui est encore impur, dans un geste de renouvellement cathartique transformant la balance du théâtre des valeurs.

Plus généralement, la construction d’une société civile se fonde sur la mémoire et sur l’enchaînement des culpabilités, sur la concertation des valeurs à protéger contre celui qui les a atteintes ; ainsi le pardon de l’impardonnable se pose-t-il comme le dépassement d’une pareille économie de relations, instaurée et gardée en vie par la doxa. L’efficacité perlocutoire de l’acte de pardon tient certainement à ce que celui-ci est véritablement para-doxal.

Une autre question essentielle consiste à se demander quelle est la « bonne forme » capable de rendre le pardon reconnaissable par les participants impliqués : il s’agit de la bonne forme comme ajustement. En effet, la personne qui demande pardon a besoin d’une manifestation : on ne peut délaisser l’altérité coupable dans l’impondérabilité de l’évaluation. Aussi la société entière, en tant qu’instance d’observation, doit-elle pouvoir reconnaître une bonne forme dans le geste, justement afin de pouvoir s’en imprégner et l’intégrer dans sa mémoire. Sur cette forme du pardon, il nous semble qu’il y a trois types de gestes :

  1. le premier est le pardon de type direct, où la victime déclare au coupable « je te pardonne » ;

  2. le deuxième concerne non plus les manifestations, les déclarations verbales, mais les comportements : on se comporte comme si l’on avait pardonné ;

  3. le troisième est celui des manifestations indirectes, triangulaires, c’est-à-dire lorsque l’on implique des tiers pour affirmer « je lui pardonne ».

En outre, toujours sur cette bonne forme, il nous semble que le pardon, pour qu’il soit efficace, doit se caractériser d’une assomption maximale, et que la déclaration verbale doit être cohérente avec un syncrétisme corporel : la posture, les mimiques, l’intonation doivent être en syncrétisme entre eux et avec les mots prononcés. Tout cela pour qu’il y ait une « vérité » dans le pardon, pour qu’il ne sonne pas faux : pour qu’il produise sa vérité pratique, intersubjective, situationnelle. Mais il existe aussi une bonne forme du pardon qui a une efficacité autoréflexive et qui, dans les faits, coïncide avec ce que Fontanille appelle la « sensibilité à la forme canonique qui est en train de se développer sous les yeux des sujets co-impliqués » (2006 : 65). Par exemple, il peut y avoir un écart entre la déclaration que l’on fait de son propre pardon au coupable et celle qu’on se fait à soi-même ; autrement dit, on peut effectuer un acte public de pardon et sentir que l’on se trompe soi-même, comme si cette concession de pardon était un scandale envers soi. D’ailleurs, le coupable aussi peut ne pas se sentir digne d’être pardonné et considérer le pardon comme un scandale. De la part de la victime qui pardonne, il y a donc non seulement une élaboration de la violence envers soi-même, un travail de deuil, mais aussi une élaboration du pardon accompli, irrémédiablement. Bien que le pardon puisse se manifester ponctuellement dans la sphère publique, son efficacité dure pour les deux parties en jeu : celui qui est pardonné met à l’épreuve celui qui pardonne pour voir si le pardon qui a été manifesté localement persiste dans le temps ; mais celui qui pardonne aussi s’interroge sur la persistance de son acte. Le pardon est donc un acte performatif qui institue et exige un sens bien fondé, c’est-à-dire une bonne tenue des valeurs dans le temps, ou encore une isotopie des valeurs.

Le pardon pose une hiérarchie axiologique qui, pour son anti-économie, domine sur toute l’isotopie des culpabilités. Tout acte non homogène à l’acte de pardonner peut exhumer les culpabilités pardonnées en réaffirmant d’autres isotopies que le pardon avait fait basculer. Si le coupable persiste dans ses actes contre le pardonnant, le pardon peut résister plus ou moins. On se trouvera alors face à un conflit d’isotopies : celles du coupable contre celles du pardonnant.

5. Le pardon et la promesse : une nouvelle lecture

La résistance du pardonnant est intérieure à la logique de l’espoir et, en ce cas, aussi de la promesse. Nous voudrions à ce propos nous écarter un tant soit peu de la position exprimée par plusieurs auteurs qui opposent le pardon à la promesse. Le pardon, contrairement à la promesse, serait ce qui acquitterait du passé et rendrait libre pour le futur. Il répondrait de l’irréversibilité du passé, alors que la promesse serait ce qui gère l’imprévisibilité du futur. François Ost, dans Le Temps du droit (1999), caractérise lui aussi le pardon et la promesse par un lien éthique différent dans le temps : lier le passé serait typique de la mémoire, délier le passé reviendrait typiquement au pardon. À son tour, la promesse viserait à lier l’avenir, à dominer le futur sur l’engagement passé. En ce sens, dans la promesse, le sujet est capable de répondre de soi comme avenir, de la durée de ses valeurs et du caractère sensé de ses actions, alors que délier de l’avenir serait typique de la remise en question.

La promesse a donc toujours été lue comme une « conservation dans l’échange » entre passé et futur ; et le pardon comme un « sortir de l’échange » entre ces deux temps. Mais, à notre avis, il faut considérer le pardon également comme une promesse : il nous engage, lui aussi, au futur ; il se règle sur l’auto-réflexion de notre geste et sur le comportement d’autrui dans le temps. Non seulement le pardon restaure notre compétence, mais son espoir est toujours lié à la compétence d’autrui : on espère toujours que le beau geste soit cathartique pour l’autre également qui peut être conduit à une plus forte responsabilité de soi, à une autoconscience majeure.

La « dépense » du pardon est anti-économique. Alors que se passe-t-il lorsque le pardon est mal accordé ? Ou lorsque le pardonnant devient à son tour coupable, c’est-à-dire quelqu’un à pardonner ? Dans cette dernière situation, trois cas nous paraissent envisageables :

  1. lorsque l’ancien pardonnant se trouvera à devoir se faire pardonner, son acte de pardon précédent pourra être soumis à une désémantisation totale, et cela en raison de l’enchaînement des culpabilités réciproques et d’un bilan, tout à fait économique, des culpabilités en mémoire ;

  2. le coupable sera pardonné en tant que précédemment pardonnant ;

  3. le coupable sera pardonné d’une manière absolue et oublieuse.

On a là autant de possibilités de relations intersubjectives entre coupable et pardonnant qui montrent que le pardon peut être en vigueur dans le temps, surtout dans le non-basculement des rôles actantiels respectifs de coupable / pardonnant. Au moment où cet équilibre est brisé, l’isotopie du pardon est, dans le premier cas, avilie, annulée, puisqu’on nie ou désémantise la valeur du geste précédent. Dans ce premier cas, on peut douter que le pardon précédent ait jamais été authentique, dès lors qu’il ne dure pas. Dans le deuxième cas envisagé, le pardon est inscrit à l’intérieur de relations où le pardon d’aujourd’hui doit correspondre à l’acte précédent (logique de la justice et non de la surabondance du pardon). Ce qui est en vigueur est alors une réciprocité totale des valeurs de type économique : comme tu m’as pardonné, je te pardonne ; nous sommes quittes. Mais cet acquittement par pondération ouvre l’horizon pour des déséquilibres successifs, alors que, dans le troisième et dernier cas, celui du pardon absolu et héroïque, on pardonne la culpabilité de celui qui avait pardonné sans aucun calcul. En d’autres termes, on reproduit l’affirmation d’une isotopie en vigueur, une isotopie libératrice qui s’émancipe de toute économie relationnelle.

Pour conclure

On a souvent rapproché le pardon du don : Ricoeur l’a fait, mais aussi Derrida dans son très beau livre Donner le temps. Mais, comme nous venons de le suggérer, bien que don et pardon soient des gestes qui sortent de l’économie des relations et du calcul[9] et qui sont tenus ensemble par la logique de la surabondance, ils ne sont pas tout à fait du même ordre. Le don le plus sublime est conçu par Derrida comme sans nom ou sans visage, impersonnel, où le donataire ne doit pas reconnaître le donateur, et encore moins lui être débiteur. Le don le plus parfait qui soit est sans feed-back.

Or, nous avons essayé de montrer que, dans la relation du pardon, c’est comme si le vis-à-vis et la co-implication primaient sur tout. Si, dans le cas du donner, la syntaxe d’échange est annulée, le pardon domine l’échange à l’intérieur de ce tissu de relations intersubjectives et impose sa hiérarchie de valeurs.