Martin Müller-Reinhart : 5M3Une antichambre de l’Énigme[Notice]

  • Michaël La Chance

L’installation 5M3 de Martin Müller-Reinhart est présentée à l’église du Gesù de Montréal dans le cadre de l’exposition Art Sacré 2008 (24 septembre 2008 au 28 février 2009).

Les photographies des oeuvres sont de Guy L’Heureux.

Vous entrez dans l’église du Gesù, pour découvrir qu’elle abrite une construction géométrique de dimension imposante (5 m3), un volume en panneaux de bois peints dans lequel vous pouvez entrer, beige indistinct à l’extérieur, tout blanc à l’intérieur avec des motifs picturaux d’un bleu vibrant qui font office de croix qui se prolongent avec des obliques audacieuses vers le sol et des sédimentations azur qui se déploient dans les hauteurs. Que fait ce bloc à côté d’un autel et sa châsse vitrée contenant des ossements des martyrs canadiens, présence erratique dans une église avec ses fresques en trompe-l’oeil, ses ors et ses colonnes ? De quel « calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur » s’agit-il ? Une chapelle moderniste, avec ses arêtes et ses aplats, serait-elle venue camper intrafanum ? Il faut se déchausser pour entrer dans le volume ; est-ce une exigence du sacré, lorsque l’art commanderait un plus grand respect que la religion ? Il y a une présence de l’espace rendue tangible par la découpe des surfaces et, tout à la fois, cet espace paraît plus vaste parce que dénué de toute charge ornementale. Il y a ici une rencontre du vide rendue possible par cette construction précaire, un moment d’austérité contemplative au milieu des décorations ornementales en stuc et des saints de plâtre peint. De l’intérieur de la construction, on voit mieux une série de meurtrières qui ouvrent sur l’extérieur. Le décalage est spatial mais aussi temporel, c’est depuis une autre temporalité qu’on aperçoit l’église par ces meurtrières, qui nous livrent des tranches verticales de l’église, son ornementation baroque enfin arrêtée, sa prolifération lourde enfin interrompue : car, il faut l’admettre, dans cette église l’espace a été avalé par le décor. Il faut cette capsule d’art-fiction, avec son présent d’anticipation, pour porter un regard sur une église du xixe siècle qui n’est plus qu’enveloppement et surcharges. Sur les côtés, quelques sondes nous font connaître les distances ; par le haut, quelques néons viennent balafrer la coupole au-dessus de nos têtes. Peut-être que la chapelle n’est pas ce qui doit être vu, mais la construction d’un idéal-type à partir duquel nous pouvons explorer la réalité. Alors ce volume aux aplats blancs et bleus, avec ses iris à mi-hauteur, est lui-même un oeil multifacetté dans lequel nous pouvons mettre à l’épreuve la réelle capacité intelligente du regard à interroger le monde. Non pas un bunker conceptuel pour nous mettre à l’écart dans un recueillement plus pur, mais une mise en suspens qui interroge la vocation du regard. Il semble alors que la faculté de l’oeil ne soit pas limitée au visible : elle permet de passer au-delà de la surface du monde qui nous entoure, elle est le siège d’une intensité passionnelle qui saurait réinventer le monde dans une nouvelle fable. La démarche artistique n’a-t-elle pas toujours été une fable dans une autre fable ? Je déclare que le monde est vide et que je cherche une plénitude dans le rapport humain ; je déclare que la société est surcharge de signes et que je cherche des plages de raréfaction ; je déclare que tout est surface mercantile et je cherche une profondeur dans le sans-fond du trauma, etc. Nous avons tous une fable qui décline le (non-)sens de la vie (in-)humaine dans laquelle nous pouvons mettre en scène la singularité du geste artistique. Le plus souvent, l’artiste prend le relais d’une fable implicite qui établit le privilège de l’art, ou bien encore il raconte sa propre histoire, comment son rapport au monde s’en trouve modifié, comment son existence s’en trouve transsubstantiée. Mieux encore, …

Parties annexes