Bernard KoestL’irréversible et l’inachevable de la photographie des corps politiques[Notice]

  • François Soulages

Pour ce numéro de Protée intitulé « Corps photographiques / corps politiques », le photographe français Bernard Koest a créé une oeuvre qui interroge le corps politique, la photographie et l’art contemporain, et qui nous enrichit face à ces trois sujets. Bernard Koest est un véritable photographe, c’est-à-dire qu’il connaît, travaille, aime la photographie, mais aussi se nourrit de ce qui n’est pas elle et la fait avancer là où parfois, par paresse, elle ne va pas : c’est un fidèle qui a le goût de l’aventure. D’où, d’une part, la transformation radicale de sa pratique et de son art à partir de la photographie numérique et, d’autre part, son dialogue avec l’art contemporain – ce dernier étant ainsi nommé non pour des questions historiques, mais pour des raisons généalogiques, l’art contemporain étant un des paradigmes possibles de l’art, celui qui intègre Beuys et Duchamp. C’est pourquoi l’on peut découper le travail de Koest en trois périodes : classique, moderne, contemporaine – correspondant aux trois métamorphoses évoquées par Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra : le chameau qui porte les valeurs, le lion qui les brise, l’enfant qui les crée. D’abord, il y a ses photos en noir et blanc, classiques, liées au reportage, imprégnées par Cartier-Bresson et les grands Américains, nourries par toute l’histoire de la photographie. Citons deux exemples : Noir et/ou Blanc, exposé en 1983 à Jakarta ; Circulez…, exposé en 1986 à Manosque. Puis, cet apparent classicisme est subverti de l’intérieur par Dada, Salvador Dali, le situationnisme. Mentionnons la performance L’Art en Vitrine en 1991, l’exposition Le Mythe décisif en 1993 – en référence critique au vieil Henri Cartier-Bresson et sa fable de l’instant décisif – et l’installation photographique Les Pieds sur Terre en 1997. Enfin, c’est la révolution du numérique avec, d’abord, un travail sur les tirages eux-mêmes – à l’aide de son cutter, il intervient en « copier-coller physique » –, puis, surtout, une autorisation à créer et à exposer – autrement. Est-ce dû uniquement au numérique ? Certainement pas. Aucun artiste n’est le fils de la technique ; une mutation personnelle explique sûrement ce nouveau rapport à l’art, à l’image et à la création, bref à l’autorisation. Mais, foin de psychologie – la psychologie n’est pas la servante de l’esthétique –, tout artiste se confronte à la technique. Le numérique est à la fois la cause occasionnelle de cette autorisation et l’engendreur de différentes nouveautés : espace de création, modalités de production, temps et rythme du faire-oeuvre. Autorisation nouvelle, à la fois au sens lacanien du terme – l’artiste autorise son désir à le prendre et à faire autrement/véritablement oeuvre et s’y mettant vraiment, au risque de se faire juger et évaluer, sans pouvoir tricher avec le résultat et la résultante – et au sens, étymologiquement lié à « auteur », d’autorité, c’est-à-dire qui instaure une loi qui lui est propre. L’autorisation du photographe installe l’artiste en auteur. Cela est visible et massif chez le troisième Koest, le Koest du numérique. Dire cela est un constat de fait et non un jugement de valeur ; à ce niveau de l’analyse, cela ne dit en rien la valeur du travail, mais indique qu’il est légitime de poser la question de la valeur de l’oeuvre. Ce qui est déjà décisif. Être auteur, c’est autoriser autrui à vous juger, c’est être responsable et revendiquer, sans grandiloquence ni hystérie, ce que l’on a créé. Les travaux de Koest sont alors présentés par groupes, séries ou ensembles. Et c’est la publication de portfolios – Los Azulejos del Trastiendalcazar (2004) et Période bleue et LosAzulejos Dos …

Parties annexes