Recensions

Secret Wars : Covert Conflict in International Relations, d’Austin Carson, Princeton University Press, 2018, 325 p.[Notice]

  • Christian Picard

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La question de l’escalade des conflits amène souvent des réponses liées aux notions d’incertitude et d’incompréhension entre les États. Cette idée veut qu’en raison d’une information déficiente entre deux acteurs, ceux-ci évaluent mal l’importance qu’accorde leur adversaire à l’enjeu en cause. De là, on risque une escalade pouvant dégénérer en une guerre ouverte, alors qu’initialement aucun des acteurs ne voulait atteindre cette finalité (le fameux dilemme de sécurité est une illustration parfaite de ce phénomène). Dans ce contexte, comment interpréter les opérations militaires clandestines ? Une vision traditionnelle serait que le secret entourant ces opérations permet à un État A d’améliorer sa position face à un adversaire B. Le corollaire est que cet adversaire B, lorsqu’il détecte une telle opération, aurait un impératif de la dénoncer, afin d’exposer publiquement A et, ainsi, l’affaiblir. Une vision qui semble logique, mais qui comporte une faiblesse importante : elle ne permet pas d’expliquer les (nombreux) cas où une opération clandestine est découverte, sans être éventée pour autant. C’est cette faiblesse qui a alimenté la réflexion d’Austin Carson et l’a amené à proposer une théorie des opérations clandestines comme outil de contrôle de la violence entre adversaires. Ainsi, le recours à une opération clandestine est une façon pour un État de communiquer à un adversaire l’importance qu’un enjeu revêt pour lui, tout comme sa volonté de conserver cet enjeu dans un conflit limité. Cette théorie postule donc que les États, par le biais des opérations clandestines, communiquent entres eux et coopèrent indirectement lorsque l’adversaire ne dénonce pas publiquement les opérations clandestines qu’il découvre (Carson parle même d’une forme de collusion entre adversaires). Pour autant, et c’est écrit de façon explicite dans l’ouvrage, il ne s’agit pas d’une théorie de l’escalade des conflits, mais bien d’une théorie des opérations clandestines et leur incidence sur l’escalade des conflits. Cette distinction est importante, puisque la présence (ou l’absence) d’opérations clandestines n’est pas le seul facteur expliquant une escalade. Pour bien comprendre les dynamiques découlant de sa théorie, Carson les articule à travers deux questions : pourquoi un État va recourir à une opération clandestine et pourquoi un adversaire va choisir ou non de révéler au grand jour une telle opération ; et à travers deux niveaux d’analyses : international et national (ou domestique). En s’attardant à la première question, il explique que le recours à une opération clandestine permet d’améliorer l’échange d’informations avec un adversaire tout en limitant la pression vers une escalade du conflit. D’une part, l’adversaire perçoit mieux l’importance de l’enjeu pour l’État initiateur tout en percevant que ce dernier ne veut pas d’un conflit ouvert. D’autre part, pour l’État initiateur, une opération clandestine permet d’éviter un débat public sur sa scène politique domestique. Un tel débat pourrait alimenter l’agenda politique des groupes de pression de types « faucon » (hawk) et « colombe » (dove), avec la mise à l’agenda politique qui en découlerait. La deuxième question concerne la réaction de l’adversaire : celui-ci va, la plupart du temps, choisir de ne pas révéler l’opération clandestine. Cela s’explique parce que l’adversaire, ne souhaitant pas non plus une escalade du conflit, n’a pas intérêt à réagir militairement avec force. De plus, étant conscient des pressions politiques domestiques auxquelles fait face l’État initiateur, l’adversaire n’a pas intérêt à simplement dénoncer l’opération clandestine, au risque d’entraîner lui-même une escalade. Cela dit, même si un État refuse de dévoiler une opération clandestine, cette dernière court le risque d’être révélée au grand jour par d’autres sources, notamment médiatiques. Cela s’explique par la distinction entre secret et clandestinité. Le secret résulte d’une action volontaire de cacher …