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« L’objectif de cet ambitieux projet réunissant une équipe de seize chercheurs et universitaires », affirment Monica Gattinger et Diane Saint-Pierre, était de produire une « première synthèse de la genèse, de l’évolution et de l’état actuel des politiques culturelles des gouvernements provinciaux et territoriaux du Canada » (p. 30). L’ouvrage collectif s’adresse « aux politiciens, aux chercheurs, aux gestionnaires et aux professionnels du milieu de la culture, mais aussi à tout étudiant et citoyen désireux de s’informer sur les politiques culturelles canadiennes et sur les différentes expériences infranationales en ce domaine » (p. 38). L’équipe a suivi un plan de rédaction « relativement uniformisé », dont une « présentation des grands paramètres sociodémographiques, politico-économiques et culturels de la province ou du territoire concerné », un « bilan historique des politiques culturelles » et enfin une « présentation de l’évolution de l’Administration ‘culturelle’ publique » dans chaque province ou territoire.

L’ouvrage est volontiers descriptif mais comporte aussi une dimension analytique et comparative. Les outils conceptuels de cette analyse sont présentés, curieusement, en conclusion. C’est là qu’on élabore des idéaux-types de politiques culturelles dans les démocraties modernes, en l’occurrence les « approches » française, britannique et étasunienne. Ici la variable centrale est « plus ou moins d’État » dans le champ culturel. Le modèle républicain français, imité au Québec, représente le summum de l’ambition culturelle de l’État. Les versions anglo-saxonnes, plus libérales, tendent à confiner la culture dans le domaine du privé. C’est le modèle britannique qui a le plus inspiré le Canada anglais. On oublie souvent que les politiques culturelles, au Canada comme ailleurs, sont une affaire récente (à peine plus d’un demi-siècle) et qu’elles sont en évolution. L’administration de Jean Lesage (1960-1966) fut la première en Amérique du Nord à instituer un ministère des Affaires culturelles, en 1961.

Les provinces anglo-saxonnes ne sont pas toutes coulées dans le même moule. Par exemple, la problématique identitaire est au centre de la politique culturelle dans la dernière province à joindre la confédération, soit Terre-Neuve. En Nouvelle-Écosse on reconnaît officiellement les quatre « cultures fondatrices » de la province, soit celles des Autochtones, des Acadiens, des Afro-Néo-Écossais et des Gaéliques. L’architecture institutionnelle varie d’un océan à l’autre. Cela dit, on observe aussi une certaine convergence des politiques culturelles non seulement au pays mais dans l’ensemble des démocraties occidentales. Partout on veut promouvoir l’accès public aux biens culturels et favoriser à la fois la participation de masse, la créativité et l’excellence, sans ingérence politique ou esthétique de l’État. En outre, on note un peu partout un recours croissant à l’entreprise privée pour la production culturelle. Phénomène intéressant, les instances infranationales (municipalités, communes, régions, départements) semblent avoir acquis davantage de responsabilités culturelles au cours des dernières décennies (en France notamment), simultanément à une certaine mondialisation de la culture.

On cherchera en vain dans cet ouvrage des élaborations de haute voltige sur les fondements philosophiques et intellectuels des prétentions de l’État à réguler la culture, comme dans l’essai intitulé l’État culturel, essai sur une religion moderne (Paris, de Fallois, 1991) de l’historien français Marc Fumaroli. On est ici dans le domaine de l’administration publique, de l’analyse des politiques gouvernementales. Le but, tout à fait louable, est d’offrir un maximum d’information sur l’évolution des politiques culturelles dans le pays, à l’aide d’une grille d’analyse souple. Les recherches sur les politiques culturelles sont récentes et peu nombreuses. « Souvent considéré comme mineur par rapport à d’autres secteurs d’élaboration de politiques publiques (santé, environnement, développement économique) », notent Gattinger et Saint-Pierre, ce domaine de recherche connaît un lent développement », ce qui explique que « les études empiriques et critiques consacrées aux politiques culturelles infranationales font encore défaut » au Canada et dans une moindre mesure au Québec (p. 19). On trouve peu de centres de recherche dédiés à l’étude des politiques culturelles : l’Institut québécois de recherche sur la culture (IQRC), le Centre for Cultural Management de l’Université de Waterloo et le Centre for Policy Studies on Culture and Communities de l’Université Simon Fraser. Les politiques culturelles provinciales et territoriales du Canada constitue un ouvrage bien ficelé, intéressant et fort utile qui, espérons-le, incitera la communauté universitaire à se pencher davantage sur les politiques culturelles au Canada et ailleurs.