Recensions

La mondialisation libérale, de Susan George et Martin Wolf (traduit par William Olivier Desmond), Paris, Grasset, 2002, 185 p.[Notice]

  • Danic Parenteau

…plus d’informations

  • Danic Parenteau
    Université de Paris I (Panthéon Sorbonne)

Que pouvait-on espérer d’une rencontre autour du thème de la mondialisation libérale entre Susan George, militante de longue date et vice-présidente d’« ATTAC » (« Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens ») et Martin Wolf, éditorialiste du Financial Times ? Cette rencontre, qui se voulait un débat entre deux visions du monde, entre deux appréciations de la mondialisation libérale, n’en sera pourtant pas une. M. Wolf savait pertinemment qu’en prenant part à cette rencontre, il n’allait pas s’agir pour lui de soutenir une quelconque conception in abstracto de la mondialisation libérale, mais bien de défendre l’état actuel de la réalité (p. 11). On peut d’abord saluer l’intérêt de cette posture. Il est en effet assez rare que les défenseurs de l’ordre établi exposent d’une manière si éclatante la logique qui préside à leur domination du monde. Ce qui n’empêche pas de relever la platitude des vieux procédés argumentatifs utilisés par M. Wolf. Les vieilles sentences « There is no alternative » (p. 7) ou « Il n’y a pas d’autres solutions possibles », qui ont connu leur heure de gloire avec Margaret Thatcher, n’ont rien perdu de leur actualité chez les représentants de l’ordre établi. La rencontre portait sur plusieurs thèmes : la mondialisation, les bénéficiaires de la croissance, la « taxe Tobin », le mouvement anti-mondialisation, etc. Comme on l’a mentionné, l’essentiel du propos de M. Wolf se résume en une défense de l’état du monde actuel. Les arguments avancés par S. George n’ont rien de nouveau et trouvent ailleurs une exposition plus vigoureuse (Le Rapport Lugano, Remettre l’OMC à sa place, Famine et pouvoir dans le monde, etc.). La diversité des thèmes abordés et leur caractère actuel ne permettent toutefois pas de cacher le radotage constant mis de l’avant par M. Wolf. Or l’astuce du procédé « There is no alternative » est aussi rapidement apprise qu’elle est facile à pratiquer. Est-ce peut-être pour cela qu’elle est toujours si dominante ? Pour M. Wolf, la mondialisation libérale (il préfère parler, à la p. 16, d’« intégration économique internationale ») serait un processus inévitable : « Je maintiens que tout le monde finira par s’intégrer à l’économie de marché » (p. 132). Qu’on le veuille ou non, que l’on s’y oppose ou non, la mondialisation libérale finira par triompher. L’économie est suprême et triomphante. L’inévitabilité n’a jamais effrayé les nantis. Ainsi, les antimondialistes ont bien tort d’exagérer le rôle des institutions internationales comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international ou l’Organisation mondiale du commerce (p. 184) dans le processus de mondialisation libérale. Tous ces acteurs ne seraient rien de plus que des « agents » d’un processus qui les dépasserait largement et contre lequel ils ne pourraient rien. Par le fait même, toute action qui chercherait à attaquer ces organisations serait vaine. La protestation ne change pas le monde ; c’est le monde qui change de lui-même et par lui-même. Par exemple, selon M. Wolf, l’émancipation des femmes depuis une cinquantaine d’années ne doit pas être perçue comme l’aboutissement de combats féministes, mais bien comme une simple « conséquence des changements économiques » (p. 151). De la même manière, l’augmentation importante des salaires des travailleurs durant ce siècle ne serait pas le fruit de combats syndicaux, mais simplement un « ajustement » de l’économie de marché : cela s’est produit « automatiquement » (p. 122). L’économie étant suprême et le processus de mondialisation libérale étant un processus économique, celle-ci est donc inévitable. De plus, selon M. Wolf, il ne faudrait pas exagérer la gravité des problèmes que fait peser …