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Le retour des institutions dans les sciences sociales

Depuis une quinzaine d’années, il y a un regain d’intérêt pour les théories institutionnalistes dans les sciences sociales. En particulier dans le monde anglo-saxon, la parution de plusieurs ouvrages (monographiques ou édités) mettant en exergue l’importance des institutions[1] a contribué à faire naître un débat dans les revues scientifiques autour du rôle de la structure, de la culture et de l’action ( agency ) dans l’explication des phénomènes sociaux[2] ou encore autour du rôle des idées, des normes et des valeurs par rapport à celui des intérêts individuels[3].

Ce regain d’intérêt pour les institutions a été, d’un côté, une réaction aux théories behavioristes et surtout aux théories du choix rationnel, et, de l’autre, un retour aux sources de la sociologie et surtout de la science politique[4]. En effet, pendant les années 1950 et 1960, les explications en termes de choix et de comportements individuels dominaient les sciences sociales. Ceci vaut surtout pour la science politique, alors que la tradition structuro-fonctionnaliste, en particulier sous l’impulsion de l’oeuvre de Talcott Parsons, préserva en partie la sociologie d’une telle domination. Comme le souligne à juste titre Guy Peters[5], cependant, à partir de Thomas Hobbes, et même auparavant, les racines de la pensée politique se trouvent dans l’analyse et le dessin des institutions ; il existe une tradition institutionnaliste qui, pendant un grande partie du xixe siècle et la première moitié du xxe siècle, a jeté les bases de la science politique moderne.

Ce retour des institutions dans la théorie et la recherche sociales est souvent désigné par le terme « nouvel institutionnalisme » ou « néo-institutionnalisme », qui s’oppose à un « ancien institutionnalisme » ayant précédé le tournant comportementaliste et rationaliste[6]. La route vers une redécouverte du rôle des institutions dans les sciences sociales, ou en tout cas en science politique, a été ouverte par James March et Johan Olsen dans leur célèbre article de 1984[7]. Selon ces deux auteurs, on peut parler d’un nouvel institutionnalisme dans la mesure où les approches comportementalistes et rationalistes ont négligé le rôle des institutions dans l’explication des phénomènes sociaux. Contre l’illusion de l’acteur complètement libre de contraintes, J. March et J. Olsen reprennent l’idée de « rationalité limitée » ( bounded rationality ) selon laquelle l’action humaine tend à opérer des choix et à satisfaire des attentes propres à un contexte donné et ancrés dans des structures culturelles, socio-économiques et politiques[8]. En bref, les individus sont libres d’agir de façon rationnelle, mais seulement dans les limites posées par le contexte institutionnel dans lequel ils agissent.

Cette vision de la nouveauté du nouvel institutionnalisme est partagée par G. Peters[9], lequel y voit une renaissance de l’analyse institutionnelle, qui était au coeur de la pensée politique à ses débuts, mais surtout une réaction aux faiblesses du behaviorisme et de la théorie du choix rationnel. Cependant, cet auteur pense en même temps que le néo-institutionnalisme, tout en partageant certains traits avec son précurseur, pousse l’étude de la politique dans de nouvelles directions théoriques et empiriques. En particulier, il enrichit la pensée institutionnaliste avec les outils de recherche et l’attention pour la théorie présents à la fois dans la perspective comportementaliste et dans la théorie du choix rationnel.

La nouveauté du nouvel institutionnalisme ne réside donc pas, ou en tout cas pas uniquement, dans le fait que l’on a retrouvé l’importance des institutions (politiques) pour l’analyse des phénomènes sociaux. Il y a quelque chose en plus. Cependant, nous croyons que ce quelque chose n’est pas seulement un regard méthodologique particulier ou une plus grande sensibilité aux aspects théoriques. L’apport principal du nouvel institutionnalisme réside dans la place accordée aux facteurs d’ordre culturel. Ceci est manifeste dans le néo-institutionnalisme sociologique[10], mais aussi dans certaines versions du néo-institutionnalisme historique, par exemple chez Rogers Brubaker[11], sur lequel nous nous arrêterons plus loin. Dans cette perspective, les institutions sont définies de façon large, comme non seulement un ensemble de règles, de procédures, de routines organisationnelles et de structures de gouvernance[12], mais aussi comme des conventions et des moeurs qui déterminent les choix et les comportements individuels.

Dans cet article, nous nous intéressons à la place des variables institutionnelles dans un domaine de recherche particulier, à savoir l’étude des mouvements sociaux et de la politique contestataire. Nous discuterons tout particulièrement des analogies et des différences entre l’ancien et le nouvel institutionnalisme dans ce domaine d’études. Comme nous allons tenter de le montrer à l’aide d’un exemple portant sur la mobilisation politique des migrants, le nouvel institutionnalisme, grâce au fait qu’il réintroduit la notion de culture et les aspects discursifs des opportunités politiques, est mieux à même d’expliquer certains types de politique contestataire qu’une approche mettant l’accent uniquement sur les institutions politiques et les opportunités institutionnelles (accès au système politique, configuration du pouvoir, stratégies des autorités, etc.).

Avant d’entrer dans le vif de notre sujet, une clarification d’ordre conceptuel s’impose. Nous avons parlé de mouvements sociaux et de politique contestataire. Nous aurions également pu utiliser une autre notion très répandue, à savoir celle d’action collective. Ces trois concepts sont parfois employés de manière interchangeable, mais ils doivent être séparés sur le plan analytique. L’action collective, probablement la notion la plus large, peut être définie de manière simple comme une conduite de groupe qui met en oeuvre des ressources collectives pour défendre des intérêts communs. Cela dit, nous pouvons distinguer entre une définition large de l’action collective, en tant qu’action organisée tout court, et une définition plus étroite, en tant qu’action organisée discontinue et litigieuse[13]. Cette dernière correspond en gros à la notion de politique contestataire, que l’on peut définir comme une interaction collective entre des acteurs menant des revendications et leurs objets, où un gouvernement une partie en cause et qui affecte les intérêts des auteurs des revendications[14]. Cette catégorie analytique large comprend des phénomènes apparentés mais distincts tels que les révoltes, les rébellions, le terrorisme, les guerres civiles, les révolutions et les mouvements sociaux. Ces derniers sont donc une forme particulière de politique contestataire. Un mouvement social peut être défini comme un effort organisé, s’appuyant sur une identité partagée, afin d’atteindre un but commun surtout, mais pas exclusivement, par des moyens non institutionnels. Les arguments développés dans le présent article s’appliquent aux trois formes de comportement politique, mais concernent tout spécialement la politique contestataire. Nous utiliserons donc en priorité ce dernier terme.

L’ancien institutionnalisme dans l’étude de la politique contestataire : la théorie des opportunités politiques

Si les sciences sociales, mais surtout la science politique, ont vu un retour de l’analyse institutionnelle au détriment des approches comportementalistes et rationalistes, nous pouvons nous demander si l’étude de la politique contestataire a « subi » le même processus et, surtout, si tel est le cas, en quoi consiste le retour des institutions dans ce domaine.

La première question est de savoir s’il existe une approche institutionnelle pour expliquer les comportements contestataires. Selon G. Peters[15], auteur d’une analyse exhaustive des différentes approches institutionnelles en science politique, ces dernières ont en commun certaines caractéristiques qui permettent de parler d’institutionnalisme, ancien ou nouveau. Premièrement, et c’est la caractéristique la plus importante selon l’auteur, une institution doit constituer un élément structurel de la société ou du système politique. Donc, les institutions sont aussi des structures, formelles ou informelles, qui dépassent le niveau individuel pour désigner des configurations d’interactions entre individus. Comme l’a souligné Elisabeth Clemens[16], dans ce sens, les institutions peuvent être définies comme les règles ou les principes d’ordre qui caractérisent une société à un moment donné. Deuxièmement, il faut une certaine stabilité dans le temps. Les institutions sont des éléments stables de la société et du système politique, bien que ceci n’implique pas qu’elles ne peuvent à certaines conditions se transformer, voire même de façon fondamentale. Troisièmement, une approche institutionnelle postule que les institutions affectent les individus. Autrement dit, une institution n’est telle que dans la mesure où elle influence, de manière formelle ou informelle, le comportement individuel. À la lumière de cette définition d’une institution, ou du moins de ses caractéristiques essentielles, trouvons-nous une perspective analytique qui permet d’expliquer ou en tout cas d’étudier la politique contestataire sous un angle institutionnaliste?

L’étude de la politique contestataire a traversé plusieurs « changements de paradigme » ou de perspective théorique au cours du dernier siècle. Dans les années 1950 et 1960, et partiellement dans les années 1970, celles que d’aucuns ont appelé « théories classiques[17] » dominèrent ce domaine d’études[18]. Selon Doug McAdam[19], le dénominateur commun des théories classiques réside dans leur principe de causalité sous-jacent, à savoir que des tensions structurelles dans le système social engendreraient un état psychologique perturbé qui, à son tour, provoquerait une réponse sous forme de comportement collectif. On les a aussi nommées « théories de la rupture » ( breakdown theories[20] ), car la plupart d’entre elles s’appuient sur une hypothèse de frustration-agression qui consiste précisément à voir dans le comportement collectif une réaction, parfois violente, à des situations de frustration des attentes individuelles ou collectives.

Dans les théories classiques, l’émergence de phénomènes d’action collective était donc attribuée à des formes de privation relative[21] ou d’anomie sociale[22] donnant lieu à des griefs collectifs. Les institutions politiques n’y sont pour rien. D’ailleurs, l’action collective n’était pas du tout vue comme une forme de participation politique. Cette vision a été remise en question par la théorie de la mobilisation des ressources[23]. Formulée simplement, la critique principale des tenants de cette approche était que, dans la société, il y a toujours des griefs collectifs, mais qu’il y a rarement des mouvements sociaux ou d’autres formes de contestation[24]. Dès lors, ils rejettent l’idée avancée par les théories classiques selon laquelle le mécontentement et la désorganisation sociale constitueraient les moteurs de la contestation. Ils soulignent plutôt l’importance fondamentale de l’organisation et des réseaux sociaux comme conditions pour l’action collective, ainsi que la disponibilité et la mobilisation des ressources au sein des groupes qui s’engagent dans l’action collective. De plus, la théorie de la mobilisation des ressources rejette la distinction entre le comportement politique, rationnel et légitime, et le comportement collectif, irrationnel et signe de déviance. Elle représenta un premier pas vers une analyse institutionnelle de la politique contestataire, dans le sens de l’ancien institutionnalisme qui s’intéresse à l’impact des institutions politiques. Cependant, tout comme les théories classiques s’appuyaient sur une perspective comportementaliste, la théorie de la mobilisation des ressources a surtout souligné le côté rationnel et stratégique de l’action collective. Ceci vaut tout particulièrement pour certains travaux qui s’inspirent, directement ou indirectement, de l’oeuvre de Mancur Olson[25] et s’inscrivent ainsi dans la théorie du choix rationnel[26].

Ce fut l’approche du processus politique qui inséra l’action collective de plein pied dans son contexte politico-institutionnel[27]. Elle avance l’idée générale que les changements macrosociaux ont un effet indirect sur l’action collective par une restructuration des rapports de pouvoir. D. McAdam[28] en a résumé deux aspects principaux : un mouvement social est un phénomène politique et il représente un processus continu. L’essentiel pour notre propos est que cette perspective théorique a conduit l’étude de la politique contestataire vers l’analyse institutionnelle. Le concept clé, dans cette optique, est celui de structure des opportunités politiques. Introduit d’abord par Peter Eisinger[29] dans le but d’étudier la relation entre le degré d’accès institutionnel dans les villes américaines et les protestations qui ont frappé les États-Unis à la fin des années 1960, ce concept a ensuite été élaboré et utilisé par plusieurs auteurs[30] pour analyser l’impact du contexte politique sur les mouvements sociaux et sur d’autres formes de politique contestataire, jusqu’à devenir presque hégémonique dans la littérature spécialisée.

Le concept de structure des opportunités politiques saisit les aspects du contexte politique des mouvements sociaux qui interviennent entre les changements macrosociaux et la contestation. Selon la définition de Sydney Tarrow[31], il s’agit de signaux consistants aux acteurs politiques qui les encouragent ou les découragent à mettre en oeuvre leurs ressources internes pour former des mouvements sociaux. D. McAdam[32] a essayé de résumer les différentes versions de ce concept en soulignant quatre aspects : (1) l’ouverture ou la fermeture relative du système politico-institutionnel ; (2) la stabilité ou l’instabilité des alignements politiques ; (3) la présence ou l’absence d’alliés parmi les élites politiques ; et (4) la capacité et la propension de l’État à réprimer la contestation.

Si l’apparition du concept de structure des opportunités politiques représente l’émergence d’une approche institutionnaliste pour l’étude de la politique contestataire en général, une telle approche s’exprime avant tout dans les versions de l’analyse politique de la contestation que S. Tarrow[33] qualifie de « statistes », comme celle de Theda Skocpol[34] sur les révolutions sociales, qui mettent l’accent sur les structures étatiques. Dans ce sens, la perspective institutionnaliste a attribué à l’État un rôle crucial et, ce faisant, elle a dirigé l’étude de la politique contestataire dans une nouvelle direction par rapport aux approches comportementalistes et rationalistes qui l’ont précédée. Cependant, contrairement à ce que d’aucuns ont affirmé[35], il s’agit là d’un ancien institutionnalisme, dans la mesure où l’analyse porte exclusivement sur les institutions politiques. Nous croyons que, dans ce domaine d’études comme dans les sciences sociales en général, on a récemment assisté à l’émergence d’un nouvel institutionnalisme, vers lequel nous allons maintenant nous tourner.

Le nouvel institutionnalisme dans l’étude de la politique contestataire : le retour de la culture

Dans la liste des caractéristiques qui, selon G. Peters[36], sont communes aux différents institutionnalismes, nous en avons expressément laissé une de côté. Outre constituer un élément structurel de la société ou du système politique, avoir une certaine stabilité dans le temps et affecter les individus, il faut encore qu’il y ait parmi les membres d’une institution un sens de valeurs et de significations partagées. Nous avons jusqu’ici négligé cette caractéristique, qui a été soulignée avec force par J. March et J. Olsen [37], car elle permet de distinguer l’ancien du nouvel institutionnalisme dans l’étude de la politique contestataire.

Il est clair que l’approche institutionnaliste appliqué à l’étude de la politique contestataire, telle qu’elle s’est incarnée dans le concept de structure des opportunités politiques, a trop vite évacué la notion de culture. Il existe cependant des perspectives théoriques qui ont fait des facteurs culturels leur centre d’intérêt privilégié. En Europe, c’est le cas notamment de l’approche des nouveaux mouvements sociaux[38]. Les auteurs qui adoptent cette approche ont tenté d’identifier les éléments communs des nouvelles formes de contestation sociale apparues à partir du cycle de contestation des années 1960 et, surtout, de trouver les causes de leur émergence. Cette perspective théorique a mis l’accent sur les identités collectives mises en jeu dans les processus de mobilisation ainsi que sur la personnalisation et la « culturalisation » des nouveaux enjeux politiques tels que le féminisme, l’écologie, le pacifisme, la solidarité et ainsi de suite.

Les facteurs culturels ont retrouvé leur place dans l’étude de la politique contestataire aussi de l’autre côté de l’Atlantique, là même où le concept de structure des opportunités politiques avait menacé de les rendre quasiment inexistants. Le mérite revient aux auteurs qui, à tort ou à raison, ont été classés dans la perspective théorique du « cadrage » ( framing ). Il s’agit avant tout des travaux de William Gamson[39], de David Snow[40] et de leurs collaborateurs. Dans cette perspective, on examine le rôle des cadres interprétatifs et discursifs de la contestation (les images-cadres), c’est-à-dire les liens entre les différentes interprétations de faits et d’événements objectifs, d’une part, et les phénomènes de contestation, de l’autre. Il s’agit de voir comment divers éléments culturels au sein de la société sont transposés en action. Ici on est cependant loin d’une approche institutionnelle de la contestation. En effet, l’analyse des images-cadres a emprunté deux chemins qui l’éloignent décidément de l’institutionnalisme, ancien ou nouveau. D’une part, elle est restée largement fidèle aux principes de la théorie de la mobilisation des ressources en réduisant la notion d’images-cadres à sa dimension stratégique. D’autre part, elle s’est concentrée principalement sur les aspects psychosociologiques, donc sur le niveau individuel, par exemple en mettant l’accent sur les modalités par lesquelles les acteurs sociaux sont amenés à agir collectivement à cause de la perception d’un sentiment d’injustice, d’efficacité individuelle ou d’identité [41]. Ce sont donc les processus cognitifs à la base de l’action collective qui doivent être au coeur de cette perspective [42], l’accent étant mis avant tout sur les processus de catégorisation, d’attribution et de construction du sens qui facilitent ou empêchent la participation individuelle.

Il y a, à notre avis, une autre piste possible afin de réintégrer les facteurs culturels dans l’étude de la politique contestataire tout en évitant de réduire l’explication aux dimensions stratégiques (donc rationnelles) ou individuelles (que ce soit dans une perspective rationaliste ou comportementaliste). C’est une piste qui s’inspire en partie de l’approche constructiviste propre à l’analyse des images-cadres, mais qui l’insère dans une perspective historique et institutionnelle. Nous en discutons brièvement au moyen du concept de citoyenneté et de son application dans le domaine de la politique migratoire, mais les principes sous-jacents sont d’ordre plus général.

Au cours des dernières années, un certain nombre de travaux ont montré l’existence de modèles nationaux d’incorporation des populations migrantes et, en particulier, ont souligné l’importance des droits de citoyenneté[43]. L’ouvrage de R. Brubaker[44] comparant la France et l’Allemagne est exemplaire de cette approche néo-institutionnaliste des questions liées à la citoyenneté. Il montre comment des traditions historiques différentes quant à la conception de la nation créent des cadres institutionnels spécifiques qui influencent les modalités d’incorporation des migrants dans les pays d’accueil.

Selon R. Brubaker, la citoyenneté reflète aujourd’hui les différentes traditions historiques nationales d’inclusion des individus dans l’État national et d’exclusion de celui-ci. La définition juridique de la citoyenneté découle largement des différentes conceptions collectives de la nationalité. Ainsi, le modèle français résulte d’une conception républicaine, contractuelle et politique (c’est-à-dire civique) de l’État et de la citoyenneté. En revanche, le modèle allemand s’appuie sur une conception ethnoculturelle de la communauté nationale qui met l’accent sur l’histoire et l’identité communes du peuple allemand. R. Brubaker explique ces différences en s’intéressant aux fondements culturels de l’État national et aux différents chemins historiques suivis pour la construction de l’État dans les deux pays : une tradition centraliste ayant produit une identité nationale qui reflète les contours géographiques et institutionnels de l’État, en France, et une séparation entre la tradition étatique prussienne et la conscience nationale ayant produit dès le début une distinction entre l’identité nationale et la communauté politique, en Allemagne. Ces trajectoires divergentes se sont répercutées sur des conceptions différentes de la communauté nationale et de la citoyenneté[45].

S’inspirant de cette perspective théorique néo-institutionnaliste, certains auteurs ont voulu montrer comment les interventions des acteurs collectifs dans le champ socialement et politiquement contesté de l’immigration et des relations ethniques dépendent largement des modèles de citoyenneté, c’est-à-dire des modes d’incorporation des populations migrantes dans le pays d’accueil tels qu’ils découlent des différentes traditions nationales, ainsi que des définitions collectives de ces modes d’incorporation, c’est-à-dire les conceptions partagées à savoir comment et dans quelle mesure les immigrés doivent faire partie de la communauté nationale ou être exclus de celle-ci[46]. En ce sens, les modèles de citoyenneté, qui varient d’un pays à l’autre, représentent le contexte institutionnel pour la mobilisation des acteurs sociaux, dans le champ de l’immigration et des relations ethniques, et constituent autant de structures d’opportunités politiques pour la mobilisation dans ce champ. Il s’agit là d’une spécification du concept de structure des opportunités politiques tel qu’il a traditionnellement été défini, c’est-à-dire par ses aspects politico-institutionnels, spécification qui passe par des facteurs d’ordre culturel et discursif. Dans cette perspective, il existe une distinction importante entre opportunités institutionnelles et opportunités discursives[47]. Alors que les premières se réfèrent au degré d’accès au système politique dont disposent les mouvements sociaux et à l’action étatique envers la contestation, les secondes favorisent ou limitent la visibilité, la résonance publique et la légitimité politique des identités collectives et des demandes des acteurs au sein des discours publics.

Cette perspective théorique est néo-institutionnaliste dans la mesure où elle s’intéresse à l’impact des institutions sur l’action collective, notamment à la manière dont celles-ci procurent aux acteurs collectifs des ressources culturelles, des symboles, des répertoires discursifs, des scripts qui guident l’action. Ici, l’analyse ne se limite pas au rôle des institutions politiques, mais épouse une conception beaucoup plus large où la culture s’intègre au contexte institutionnel qui facilite ou contraint l’action. En effet, les modèles de citoyenneté, avant même d’être des cadres législatifs et des institutions, sont des conceptions et des définitions collectives qui stipulent des critères d’appartenance à la communauté nationale, les compréhensions partagées, historiquement et culturellement ancrées, des droits et devoirs des immigrés et, inversement, des nationaux envers les migrants. Il s’agit donc d’institutions au sens que leur donne le néo-institutionnalisme sociologique. Ainsi définies, les institutions tirent leur efficacité autant de l’intériorisation des normes et des pratiques ou du pouvoir de la sanction sociale que des définitions collectives et des discours publics qui en font une partie intégrante d’une identité partagée. Comme nous venons de le dire, les structures des opportunités politiques découlant des modèles de citoyenneté sont autant d’ordre politico-institutionnel que d’ordre culturel et discursif.

Aspects méthodologiques : l’analyse des revendications politiques dans l’espace public [48]

Certains développements récents dans l’étude de la politique contestataire ont donc abordé la dimension culturelle et discursive des institutions, en passant en particulier par une redéfinition du concept de structure des opportunités politiques. Cette redéfinition a permis de faire un pas vers une intégration des aspects structurels et culturels dans ce domaine de recherche. Cette intégration de la structure et de la culture se fait avant tout au niveau théorique. Cependant, certains développements méthodologiques récents contribuent à la rendre également opérationnelle sur le plan empirique. Dans le domaine qui nous intéresse ici, des chercheurs ont élaboré une méthode visant avant tout à élargir les possibilités d’étudier le rapport entre la politique institutionnelle et la politique contestataire, mais permettant en même temps d’intégrer les dimensions politico-institutionnelle et culturelle de ce rapport de manière systématique sur le plan empirique. Cet objectif est à son tour atteint en combinant deux autres méthodes qui sont auparavant restée séparées, car elles étaient utilisées par des chercheurs travaillant dans des perspectives théoriques différentes, donc qui privilégient des outils méthodologiques distincts.

Au cours des 20 dernières années, l’étude de la politique contestataire a souvent eu recours aux sources documentaires et aux médias pour tester modèles et hypothèses théoriques. La presse écrite, en particulier, est devenue une des sources les plus importantes. À ce propos, nous pouvons distinguer entre deux courants pour lesquels les quotidiens représentent une source fondamentale pour analyser la politique contestataire [49]. La premier courant concerne l’analyse des événements de protestation ( protest event analysis ), méthode qui s’inspire des travaux fondamentaux de Charles Tilly [50] et s’appuie sur les journaux afin de reconstruire l’évolution de la mobilisation des mouvements sociaux[51]. Les auteurs qui utilisent cette méthode s’inscrivent généralement dans l’approche du processus politique. Elle a donc été adoptée avant tout pour analyser le rôle des structures politiques et institutionnelles pour l’émergence, l’évolution et — bien que plus rarement — l’impact des mouvements sociaux.

Le second courant qui a souvent eu recours aux sources médiatiques pour étudier la politique contestataire s’inscrit dans l’analyse du discours politique ( political discourse analysis ). En fait, ce terme recouvre plusieurs approches dans des domaines différents[52], mais, dans le cadre de l’étude de la politique contestataire, la méthode en question a été exploitée principalement pas les auteurs qui se sont intéressés aux images-cadres[53]. Alors que l’analyse des événements de protestation met l’accent sur le contexte politico-institutionnel de la mobilisation, l’analyse du discours politique se concentre davantage sur les définitions et les interprétations collectives de la réalité sociale, sur l’expression publique de ces définitions et de ces interprétations, ainsi que sur leur impact sur l’action.

Des chercheurs ont récemment tenté d’élaborer une méthode qui puisse dépasser certaines faiblesses des deux approches mentionnées : l’analyse des revendications politiques dans l’espace public ( political claims analysis ). Bien que la base de la méthode reste quantitative, ces chercheurs [54] visent à combiner la rigueur de l’analyse quantitative des événements de protestation avec la richesse de l’analyse qualitative du discours. En effet, l’analyse des événements de protestation se prête à l’étude systématique de la contestation et permet de tester empiriquement des hypothèses concernant le rapport entre institutions politiques et phénomènes contestataires. Cependant, jusqu’à présent cette méthode est restée un peu sous-exploitée, dans la mesure où les chercheurs qui l’ont utilisée ont eu tendance à ne retenir qu’un nombre assez limité de caractéristiques des actions de protestation, à savoir leur nombre, leur forme ou encore le nombre de participants. De plus, la description de ces actions et de leur contenu est très succincte, se limitant dans la plupart des cas à leur thème général qui permet, par exemple, d’identifier le mouvement dont la revendication est issue.

L’analyse des revendications politiques dans l’espace public tente de récupérer les aspects discursifs et culturels de la contestation mis en évidence par l’analyse du discours, afin de les réintégrer au sein d’une approche quantitative qui est mieux à même d’étudier le rapport entre la définition, socialement et politiquement contestée, des problèmes sociaux et leur contexte politique et institutionnel. En même temps, elle élargit la méthode basée sur les événements de protestation et ce, dans trois directions. Premièrement, elle élargit l’éventail d’acteurs retenus ; au lieu de focaliser uniquement sur les mouvements sociaux et sur les acteurs non institutionnels, on considère également les acteurs institutionnels, notamment les acteurs étatiques et les partis politiques. Ceci présente des avantages évidents pour l’analyse du rapport entre politique institutionnelle et politique contestataire. Deuxièmement, elle élargit l’éventail des formes d’action ; au lieu de regarder uniquement les formes non conventionnelles (démonstratives, confrontatives, violentes), on retient toutes les interventions au sein de l’espace public, y compris les prises de parole et les décisions politiques. Ceci permet d’analyser, sur le plan empirique, le rapport entre les mobilisations collectives et le changement politique, notamment le changement législatif. Troisièmement, comme nous l’avons dit précédemment, elle élargit le champ discursif des actions ; on ne se limite plus à caractériser les revendications retenues selon quelques dimensions grossières, mais on décrit de façon plus détaillée leur contenu. Ceci ouvre de nouvelles possibilités pour l’étude des mobilisations portant sur des enjeux spécifiques.

Comme on peut le constater, cette méthode a plusieurs avantages. Celui qui nous intéresse de plus près ici concerne l’analyse institutionnelle dans le domaine de la politique contestataire. Pouvoir retrouver sur la même source à la fois les actions de protestation, les déclarations publiques et les décisions politiques, ainsi que les interventions d’un large éventail d’acteurs institutionnels et non institutionnels donne une position plus favorable pour relier la politique contestataire au cadre institutionnel dans lequel elle se déroule et duquel elle dépend largement. En combinant sur le plan empirique l’analyse des événements de protestation et celle du discours, on peut mieux étudier comment les choix stratégiques des mouvements sociaux dépendent du contexte institutionnel et discursif dans lequel ils agissent. Ainsi, dans une perspective comparative, l’analyse des revendications politiques dans l’espace public permet d’étudier comment la politique contestataire subit l’influence de combinaisons différentes d’opportunités institutionnelles et discursives propres à un contexte politique donné [55].

Une illustration : la mobilisation des migrants

L’approche théorique et le développement méthodologique que nous avons présentés ont été appliqués à une recherche internationale sur les mobilisations collectives dans le champ de l’immigration et des relations ethniques[56]. Cette recherche tente de combiner les dimensions politique et culturelle dans l’analyse institutionnelle de la politique contestataire et, par rapport à notre propos dans cet article, montre comment ancien et nouvel institutionnalisme se retrouvent dans ce domaine d’études. En même temps, elle constitue une application empirique de la méthode que nous avons décrite plus haut.

Cette recherche s’intéresse, dans une perspective comparative, au rapport entre les approches politico-institutionnelles et les conflits politiques mobilisés dans l’espace public par les acteurs collectifs (partis, groupes d’intérêts, organisations de mouvement social, etc.) en matière d’immigration et de relations ethniques dans cinq pays européens : l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, la Suisse et les Pays-Bas. Suivant une approche néo-institutionnaliste, nous nous proposons de montrer dans cette recherche que les modèles de citoyenneté sont d’une importance cruciale pour la définition des frontières et du terrain, socialement et politiquement contestés, de l’immigration et des relations ethniques. Ces modèles constituent autant de structures d’opportunités politiques pour la mobilisation des acteurs collectifs dans ce champ.

Ceci n’est pas le lieu pour aborder une discussion, même sommaire, des résultats de cette recherche. Un exemple représentatif, cependant, montre assez bien les avantages de préciser la structure des opportunités politiques selon une approche néo-institutionnaliste qui, outre les institutions politiques, met en avant les facteurs d’ordre culturel et discursif. Prenons la mobilisation des immigrés en France et en Suisse. Selon la théorie « classique » des opportunités politiques, les migrants devraient avoir un accès plus restreint et, par conséquent, se mobiliser de manière plus radicale en France dû au contexte politico-institutionnel moins favorable à la mobilisation des mouvements sociaux en termes de fermeture du système politique et de la stratégie dominante plutôt exclusive des autorités[57]. Le contraire devrait se produire en Suisse, qui, dans cette typologie, se trouve à l’extrême opposé du cas de la France.

Les données récoltées dans la recherche mentionnée permettent de vérifier si cela est effectivement le cas[58]. Le tableau 1 montre la distribution, pour la période de 1990 à 1998, des revendications des migrants en France et en Suisse selon leur orientation thématique. Nous avons distingué quatre grands thèmes : la politique d’immigration et d’asile, c’est-à-dire tout ce qui a trait à l’admission des immigrés dans le pays d’accueil (pour des raisons de travail, de regroupement familial ou de refuge politique) et à la régulation des flux migratoires ; la politique d’intégration, c’est-à-dire tout ce qui a trait à la situation des migrants résidant dans le pays d’accueil ; l’antiracisme, c’est-à-dire la lutte contre le racisme et la xénophobie ; et la politique à l’égard du pays d’origine, c’est-à-dire toutes les revendications qui sont adressées non pas aux autorités du pays d’accueil, mais à celles du pays de provenance des migrants.

Les migrants en France ont été beaucoup plus actifs sur les thèmes qui les concernent directement dans le pays hôte, à savoir la politique d’immigration et d’asile, la politique d’intégration et l’antiracisme. En revanche, seulement une petite partie de leur mobilisation a été dirigée vers le pays d’origine. En Suisse, on observe un phénomène presque opposé, avec une forte mobilisation autour des questions liées au pays d’origine et relativement peu de revendications concernant le pays d’accueil. La conception collective distincte de la nation et de la citoyenneté dans ces deux pays, plus que les institutions politiques, explique cette différence. La distinction entre une définition ethnique et une définition civique de la nation[59], autrement dit entre une vision culturelle et « innée » et une vision politique et « acquise » de l’appartenance à la communauté nationale, est cruciale à cet égard. Par rapport à la conception civique et plus inclusive de la France, la conception ethnique et restrictive, historiquement déterminée, qui caractérise la Suisse offre moins d’opportunités aux migrants pour se mobiliser afin de revendiquer des droits dans le pays d’accueil. En Suisse, on parle des « étrangers », c’est-à-dire de groupes et d’individus qui sont largement exclus de la communauté nationale, alors qu’en France, on parle des « immigrés » et l’État repose sur une conception républicaine qui admet la participation politique des migrants en tant que citoyens, du moins en principe. En conséquence, les migrants en Suisse ont moins de légitimité pour intervenir dans les débats publics afin de défendre leur position dans le pays hôte et tendent ainsi à s’adresser à leur pays d’origine. En France, en revanche, le fait d’être, du moins formellement, admis dans la communauté nationale, leur donne davantage d’opportunités pour se mobiliser concernant leur situation et, comme le montre le tableau, ils le font souvent concernant la politique d’intégration, qui est le plus directement liée à leur situation dans le pays d’accueil. Cela se traduit finalement par une plus grande participation des migrants dans le domaine de l’immigration et des relations ethniques (13 % en France contre 6 % en Suisse)[60].

Tableau 1

Orientation thématique des revendications politiques des migrants en France et en Suisse, 1990-1998

Orientation thématique des revendications politiques des migrants en France et en Suisse, 1990-1998

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Les ressources culturelles et les opportunités discursives qui forment le cadre institutionnel influençant la mobilisation politique des migrants permettent ainsi d’expliquer des différences qu’une approche en termes d’institutions politiques laisse non seulement inexpliquées, mais conduit aussi à des prédictions erronées au sujet de l’orientation thématique des revendications des migrants. Un constat similaire ressort d’une analyse des formes d’actions des migrants lorsqu’ils se mobilisent collectivement. Le tableau 2 montre la distribution, pour la même période, de leurs revendications en France et en Suisse. Nous les avons regroupées en trois catégories plus générales : les actions verbales et les formes conventionnelles (lobbying, participation à des commissions, pétitions, etc.) ; les formes démonstratives et confrontatives ; et les formes violentes.

Tableau 2

Formes d’action des migrants en France et en Suisse, 1990-1998

Formes d’action des migrants en France et en Suisse, 1990-1998

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Nous constatons à nouveau que les résultats vont à l’encontre des hypothèses découlant d’une approche des opportunités en termes d’institutions politiques et qu’ils confirment au contraire l’impact des modèles de citoyenneté sur la mobilisation des migrants. La structure des opportunités institutionnelles, très fermée en France et très ouverte en Suisse pour les mouvements sociaux, devrait conduire à une radicalisation de la mobilisation dans l’Hexagone et à une modération dans la Confédération helvétique. En réalité, c’est plutôt le contraire qui se produit. La Suisse présente une mobilisation des migrants plus « protestataire » et plus violente que la France. En outre, les migrants en Suisse optent pour des actions décidément plus radicales que la moyenne des mobilisations dans ce pays[61]. Ceci s’explique par le fait que le modèle de citoyenneté propre à la Suisse offre peu d’opportunités politiques aux migrants car ceux-ci tendent à être exclus de la communauté nationale et ce, malgré l’ouverture du système politique et les stratégies dominantes des autorités plutôt inclusives, mais qui s’appliquent plus aux nationaux qu’aux étrangers.

Pour résumer, ce bref exemple tiré d’une recherche comparative sur la politique contestataire de l’immigration et des relations ethniques montre l’importance de préciser le concept de structure des opportunités politiques pour un domaine et des mouvements particuliers, mais il montre surtout qu’une approche néo-institutionnaliste tenant compte des opportunités discursives peut expliquer certains types de mobilisation qu’une approche en termes d’institutions politiques n’est pas à même de saisir. Les migrants en France et en Suisse sont confrontés à deux structures d’opportunités institutionnelles différentes, mais c’est avant tout la diverse constellation des opportunités discursives découlant des conceptions dominantes de la nation et de la citoyenneté qui déterminent la nature et les formes de leur mobilisation politique. Ces modèles de citoyenneté forment un cadre à la fois discursif et institutionnel qui donne plus de visibilité à certains acteurs et à certaines revendications qu’à d’autres, qui en augmente ou en diminue la résonance publique et qui en élargit ou en restreint la légitimité politique. C’est notamment le cas des migrants[62].

Conclusion

L’étude de la politique contestataire n’échappe pas à la tendance que l’on observe dans les sciences sociales depuis une quinzaine d’années et qui consiste en un regain d’attention pour les institutions. Dans ce domaine aussi, nous pouvons parler de néo-institutionnalisme. Cependant, le suffixe « néo » ne désigne pas uniquement le fait qu’on s’intéresse à nouveau au rôle des institutions (politiques, sociales, historiques), après de longues années pendant lesquelles les approches behavioristes et rationalistes ont dominé. En réalité, on peut distinguer entre un ancien et un nouvel institutionnalisme au sein même du renouveau théorique et empirique qui s’est produit dans ce domaine. Le premier a mis l’accent avant tout sur les institutions politiques et les opportunités institutionnelles (accès au système politique, configuration du pouvoir, stratégies des autorités, etc.) qui facilitent ou contraignent la mobilisation des mouvements sociaux. Le second, plus récent, se propose de réintroduire la notion de culture dans l’étude de la politique contestataire, tout en évitant de réduire cette notion à ses aspects purement individuels ou stratégiques. Cette approche néo-institutionnaliste conçoit la culture comme un cadre à la fois institutionnel et discursif qui offre des opportunités politiques pour la mobilisation et, par là même, façonne l’action. Dès lors, cette approche ouvre une voie pour combiner les facteurs d’ordre politico-institutionnel et les facteurs d’ordre culturel dans l’analyse de la politique contestataire. Autrement dit, c’est également une façon de combiner structure et culture dans ce domaine d’études. Certains développements méthodologiques, en outre, ont permis de rendre cette approche théorique opérationnelle sur le plan empirique.

La brève illustration que nous avons proposée au sujet de la mobilisation politique des migrants montre qu’il est nécessaire, afin de produire une connaissance à la fois plus exacte et plus complète de la politique contestataire, de préciser le concept d’opportunités politiques en fonction des modèles culturels plus larges sur lesquels repose l’action collective et qui procurent aux acteurs politiques des ressources pour se mobiliser. Dans le cas de la mobilisation des immigrés et, de façon plus générale, des acteurs qui interviennent dans le champ de l’immigration et des relations ethniques, cela s’est fait par l’intermédiaire des modèles de citoyenneté, mais d’autres champs politiques pourraient et devraient nécessiter d’autres conceptualisations. En tout cas, une analyse qui tient compte à la fois de la dimension politico-institutionnelle et de la dimension culturelle est certainement mieux à même de saisir les facteurs qui expliquent la nature et les formes des phénomènes contestataires. En bref, l’étude de la politique contestataire doit tenir compte à la fois des leçons de l’ancien et du nouvel institutionnalisme, telles qu’elles se reflètent notamment dans le concept de structure des opportunités politiques.