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Au Canada, les questions constitutionnelles n’ont peut-être pas la faveur du public depuis un certain nombre d’années, mais elles demeurent néanmoins un incontournable filet sous-jacent à de nombreux débats de société. Pour ne citer qu’un exemple, que l’on songe aux pourparlers entre Ottawa et les provinces au sujet des systèmes de santé. Force est de constater que la nature fédérale du pays affecte directement les citoyennes et citoyens. L’ouvrage de Ronald L. Watts, dont la réédition vient de paraître en version française, demeure sans contredit une référence essentielle pour qui veut davantage comprendre ce qu’est ce système de gouvernement.

Aujourd’hui, près de la moitié de la population mondiale vit dans un système fédéral et de grandes puissances autant que des puissances moyennes évoluent dans un tel cadre. De plus, après que le début des années 1990 ait été témoin de l’éclatement d’un certain nombre de fédérations, la fin de cette même décennie a, au contraire, permis d’en constater la réémergence sous différentes formes. Le sujet n’est donc pas périmé et l’utilité de l’information, qui nous est ici transmise de façon tout aussi précise que concise, ne fait aucun doute. Enfin, tout observateur peut facilement être absorbé par le contexte qui l’entoure ; l’apport de l’analyse de R. L. Watts permet de jeter un rapide coup d’oeil circulaire à partir duquel il est possible de prendre en considération d’autres contextes comparables sans être semblables. À cet égard, l’auteur prend d’ailleurs le soin de prévenir son lectorat des dangers que la richesse d’une approche comparative peut laisser en contre-jour.

Dans cette deuxième édition, R. L. Watts ne modifie pas une formule qui a mérité, lors de la première édition, de nombreux commentaires fort élogieux. Cette deuxième mouture n’est toutefois pas qu’une réimpression d’un texte à succès. On y présente des statistiques mises à jour, notamment en ce qui concerne les finances, le pouvoir fédéral de dépenser et l’épineuse question des déséquilibres financiers, qu’ils soient verticaux (lorsque les responsabilités en termes de recettes ne correspondent plus aux responsabilités en termes de dépenses — comme s’en plaignent les premiers ministres provinciaux canadiens) ou horizontaux (lorsque la capacité de générer des recettes des diverses composantes varie au point où l’on ne peut plus assurer un panier de services comparables d’un province à l’autre). Ces phénomènes peuvent être endigués par les transferts de divers types, y compris la péréquation dont l’auteur traite également.

La deuxième édition comporte aussi, et de manière plus intéressante, une nouvelle section placée dans l’introduction et qui fait ressortir le rôle de la forme fédérale comme véhicule d’expression des particularités d’une société. Cet ajout permet notamment de mieux mettre en lumière un élément entrelacé dans l’argumentaire, soit l’importance et l’influence des forces sociales comme facteurs qui sculptent les institutions fédérales. En bonifiant ainsi son texte, l’auteur répond du coup à une critique qui lui avait été adressée à la suite de la première édition. On peut donc dire qu’en soi, la deuxième édition vaut le coup de bousculer la première dans votre bibliothèque.

Au-delà de ces mises à jour, la nouvelle production garde toutefois les éléments forts qui avaient fait le succès de l’édition antérieure. Bien que le chapitre 2 brosse un portrait sommaire, mais efficace des fédérations retenues aux fins de l’étude, celles-ci ne sont pas traitées au fil de l’ouvrage verticalement, en silo, selon leur dénomination géographique. Elles se chevauchent plutôt à l’intérieur d’une lecture thématique horizontale qui permet d’amorcer sans attendre une réflexion sur le thème abordé, ce qui constitue indéniablement une qualité pédagogique de l’ouvrage.

Le choix des fédérations retenues est aussi probant. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une analyse quantitative, l’organisation des entités étudiées permet d’isoler certaines « variables » aux fins de comparaison. L’application peut porter sur les fédérations de chaque catégorie, mais aussi en considérant le Canada qui sert, en quelque sorte, de point d’ancrage aux comparaisons. Ainsi, sont retenues les fédérations des sociétés industrielles développées (États-Unis, Suisse, Australie, Allemagne) qui offrent le plus de caractéristiques semblables à celles présentes au Canada, notamment en ce qui concerne la répartition et l’exercice des pouvoirs. Il y a ensuite les fédérations de sociétés en développement (Inde et Malaisie) qui, comme le Canada, sont multilingues et multiculturelles en plus d’épouser le système parlementaire de gouvernement. Puis, l’auteur nous suggère d’inclure dans nos réflexions le cas des fédérations récentes telles la Belgique et l’Espagne, deux États dont la composition sociale et le niveau économique sont proches de ce que l’on retrouve au Canada, et qui permettent d’explorer des voies innovatrices. L’auteur a ici rejeté les cas de la Russie — quoique certains exemples russes ou soviétiques illustrent le propos — et de l’Afrique du Sud en raison de mutations trop récentes et encore trop mouvantes pour être étudiées de façon concluante. Des exemples de fédérations bicommunautaires qui ont éclaté (Tchécoslovaquie et Pakistan) sont aussi utilisés pour explorer, notamment, quelques pathologies du fédéralisme, auxquelles l’auteur consacre un chapitre entier (chap. 11). Enfin, la comparaison peut aussi se baser sur les distinctions géographiques — autant de localisation que de dimension du territoire —, les expériences (fédérations séculaires, émergées après la Seconde Guerre mondiale ou récentes), le système politique (qu’il soit inspiré de Westminster ou d’une autre nature) et la présence de minorités linguistiques ou l’homogénéité de leur population à cet égard. On le constate, la richesse des pistes à explorer ne fait aucun doute.

La présence de tableaux synoptiques permet aussi une appréhension globale de l’information et offre en même temps des outils d’apprentissage utiles et efficaces. Certains de ces tableaux donnent une nomenclature de nature quasi encyclopédique, d’autres présentent quelques statistiques propres aux fédérations retenues et d’autres encore — les plus intéressants, à mon avis, du point de vue didactique — offrent des sommaires comparatifs d’une dimension analysée pour l’ensemble des fédérations étudiées.

La traduction qui a été faite du texte original n’est pas mauvaise, quoique certaines formulations, en cherchant sans doute à demeurer le plus fidèle possible au texte original, sont un peu lourdes. Quelques coquilles se sont glissées et il est surprenant qu’elles aient survécu au processus de relecture : on songe, par exemple, à l’évidente erreur de date apparaissant au tableau XII au sujet de l’Australie ou à l’utilisation de l’adjectif flamingant (p. 32). Il est un autre élément qui agace un peu : l’utilisation de paragraphes précédés de points typographiques (chap. 8), un peu à la manière d’une présentation « power point ». De telles dispositions du texte ont peut-être leur utilité du point de vue mnémotechnique, mais elles offensent la syntaxe et ne devraient pas faire partie d’une prestation du type de celle que nous avons ici : on y perd les liens analytiques qu’un texte suivi permet d’apporter.

Ces éléments ne diminuent toutefois en rien l’utilité de l’ouvrage de R. L. Watts. Celle-ci réside d’abord dans la quantité d’informations qui est concentrée en peu de pages. Ensuite, le découpage des thèmes abordés permet une consultation à la fois pointue et efficace du ou des thèmes qui nous intéressent. Enfin, la dynamique de la présentation peut être source de recherches ultérieures. En effet, si la facture même du texte qui se limite à l’essentiel peut nous laisser quelque peu en appétit, c’est bon signe : le recueil ne se veut pas une réponse définitive à toutes les questions qu’inspire le fédéralisme, mais bien plutôt la base à partir de laquelle on peut élaborer des réponses à ces questions.

Un dernier élément mérite d’être souligné. Si le Canada est le pivot autour duquel s’élaborent les comparaisons, le texte de R. L. Watts n’est pas pour autant canadocentriste. Bien au contraire, il prend les distances voulues — il démolit même certains mythes comme celui selon lequel le Canada présente la fédération la plus décentralisée au monde (p. 77) — et, surtout, il fait prendre conscience à son lectorat que le Canada n’incarne pas la seule forme possible de régime fédéral. Du coup, il fait réaliser que l’expérience d’ailleurs peut servir à résoudre certaines des grandes questions qui préoccupent aussi bien les étudiants que les praticiens ou les commettants de ce type de régime. Avantage supplémentaire qui en découle directement, les personnes touchées par le fédéralisme, quelles que soient leur provenance et la nature de leur intérêt pour les régimes fédéraux, pourront en tirer profit.