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Anne Muxel, sociologue du CNRS rattachée au CÉVIPOF de la Fondation nationale des sciences politiques à Paris, débute son étude avec quatre portraits. Les jeunes présentés ne sont pas militants ou engagés, loin s’en faut, mais on décèle dans leurs discours l’articulation plus ou moins structurée d’une forme de pensée politique qui peut se rattacher aux traditionnels courants de gauche ou de droite ou se rapprocher d’une forme de civisme qui ne serait pas représenté par le jeu politique actuel. Ces vignettes cherchent justement à montrer que ces jeunes, même s’ils ne votent pas tous ou s’ils rejettent la politique partisane, articulent des positions et sont préoccupés par le monde qui les entoure. À leur façon, ils s’intéressent ainsi à la politique au sens large du terme.
Dans cet ouvrage, l’auteure se place à contre-courant de certains discours — plus fréquents dans la presse que chez les spécialistes — ne voyant chez les jeunes qu’individualisme et éloignement du champ politique. Par contre, elle souligne bien que la socialisation actuelle des nouvelles générations se situe dans un contexte profondément différent de celui des générations antérieures : depuis plusieurs années, la France connaît comme bien d’autres pays, en effet, un rejet croissant de la plupart des formes d’action politique classiques, ce qui ne peut manquer d’influencer l’image même de la politique. Les jeunes d’aujourd’hui découvrent certainement la politique dans un contexte global d’absence de confiance envers les institutions. Est-ce une raison pour croire, toutefois, qu’il n’existe pas une certaine transmission des savoirs politiques entre les générations, une filiation qui viendrait aussi organiser l’univers politique des jeunes d’aujourd’hui ? Pour déterminer le poids des héritages et des nouveaux contextes sociaux et politiques, mais aussi pour éviter de tomber dans la vision d’un individu entièrement déterminé ou entièrement libre de tout contexte, A. Muxel préfère utiliser le concept d’expérience politique, qui marque bien la dynamique des réalités auxquelles chaque jeune est confronté au cours de la formation de son identité politique. Parler en termes d’expérience est une façon de reconnaître l’interaction des différents environnements dans le processus de socialisation politique et, ainsi, la diversité des interprétations possibles du monde politique, puisque chaque expérience peut être vécue et assimilée de façon différente.
Pour cerner ces expériences politiques des jeunes d’aujourd’hui et mieux comprendre leur rapport au monde politique, Anne Muxel utilise plusieurs séries de données originales qu’elle a eu l’occasion de constituer au cours des dernières années, souvent à partir de protocoles et d’échantillons de nature différente — ce qui complique d’ailleurs parfois la compréhension pour un public non averti, puisque l’unité de la démonstration semble parfois brisée par cette hétérogénéité des protocoles. Il faut dire que plusieurs dimensions de l’expérience politique sont successivement abordées par l’auteure : d’abord le poids de l’héritage de la famille, puis l’écoulement du temps dans l’évolution des premières expériences politiques et, enfin, la mise en évidence des différents éléments du contexte politique auxquels se trouvent confrontés les jeunes.
Une large partie de l’ouvrage est consacrée à la question de l’héritage et de la filiation politique entre parents et enfants — l’importance de la famille dans la construction de l’identité étant un des enseignements majeurs des études classiques de socialisation. Lorsqu’on utilise comme point de repère les notions de gauche et de droite, on constate entre autres une grande filiation entre les parents et les enfants. Cela peut surprendre dans un contexte que l’on dit marqué par le désenchantement : il semble toutefois que la force de la filiation politique vienne toujours marquer pour plusieurs l’ampleur de l’intérêt et même de l’engagement politiques. De même, on ne se surprendra pas qu’un rejet explicite de la filiation politique conduise aussi à un fort intérêt : c’est l’absence de filiation qui marque l’indifférence.
Comme le précise A. Muxel, d’autres recherches sur la « profondeur généalogique des liens familiaux » sont encore nécessaires pour comprendre comment s’effectue cette transmission au niveau individuel. Dans un contexte où les discussions politiques n’occupent qu’une faible place dans les échanges familiaux, il est difficile de croire que la politique soit aujourd’hui un « enjeu familial » entre les générations. Comment ce rapport de filiation s’effectue-t-il alors ? En utilisant la technique du panel (l’étude des mêmes individus sur une longue période), A. Muxel a bien mis en évidence dans son ouvrage une série de trajectoires différentes illustrant les divers tracés qui résultent des processus de transmission. Leur diversité confirme qu’on ne saurait représenter ces processus de façon linéaire. On en revient ainsi au concept d’expérience que l’auteure a développé et qui permet d’intégrer les réalités vécues et l’interprétation personnelle pour mieux saisir la complexité d’un intérêt ou d’un engagement politique.
La richesse des données présentées dans cette Expérience politique des jeunes fixe donc plusieurs balises dans la réflexion des chercheurs du domaine. Le travail mérite certainement d’être poursuivi.