Le savoir du prince, du Moyen Âge aux Lumières sous la direction de Ran Halévi, Paris, Fayard, collection « L’esprit de la cité », 2002, 371 p.[Notice]

  • Clelia Cirvilleri

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  • Clelia Cirvilleri
    École des hautes études en sciences sociales

De l’Antiquité à nos jours, d’innombrables voix se sont élevées pour adresser aux gouvernants éclairages et conseils, voire directives et règles de conduite. Dans les démocraties modernes — où la décision politique, même si elle se fait par la médiation des représentants, est l’expression du peuple souverain — la politique est (au moins idéalement) un savoir partagé, objet de discussions et de contrastes sur la place publique. Pendant l’Ancien Régime, par contre, le roi était l’instance ultime (et théoriquement unique) du pouvoir étatique, et toute réflexion en matière de politique ne pouvait que s’adresser à lui, tournant autour du concept de souveraineté qu’il incarnait depuis Jean Bodin. La culture politique de la royauté coïncidait ainsi avec la culture d’un individu particulier, le roi : ses connaissances, sa formation, son éducation s’imposaient au centre de toutes les discussions et les préoccupations de ceux qui écrivaient sur la politique, aussi bien des théoriciens que des hommes d’État. C’est dans cet horizon que jaillit l’intérêt de l’ouvrage Le savoir du prince, du Moyen Âge aux Lumières, sous la direction de Ran Halévi, directeur d’études au CNRS et professeur au Centre de recherches politiques Raymond Aron de l’École des hautes études en sciences sociales. S’intéressant depuis longtemps à la pensée politique de la monarchie absolue, il a réuni, en 1998, plusieurs spécialistes dans le cadre d’un colloque qui est à l’origine du livre. Le problème de départ est de savoir s’il existe, au cours de la période de prééminence historique du régime monarchique, une culture spécifiquement royale et, le cas échéant, dans quelles formes et par quelles méthodes elle a été transmise aux princes ; comment, donc, elle s’est concrétisée et structurée en « éducation royale ». Les essais qui composent l’ouvrage abordent cette question complexe (qui embrasse, de surcroît, un éventail chronologique très large allant de la tradition biblique à la culture des Lumières) par l’analyse d’une littérature vaste aussi bien qu’hétérogène, qui, au fil des siècles, a essayé de définir l’intelligence politique de la royauté. Traités politiques ou philosophiques, ouvrages de droit public, oeuvres d’édification morale, florilèges de recommandations religieuses : à l’énorme quantité de cette production correspond pourtant une qualité très inégale. De plus, il est très difficile, dans la majorité des cas, de déterminer les écrits dont les précepteurs se sont servis dans l’éducation du jeune prince et, surtout, ce que l’élève a effectivement lu, réfléchi puis retenu une fois atteint le pouvoir. C’est pourquoi de nombreux chapitres de l’ouvrage Le savoir du prince s’attachent à une production qui a été largement négligée par l’historiographie, mais qui a l’avantage d’avoir été conçue spécifiquement pour l’instruction royale : ce sont les « miroirs des princes », des manuels pour l’éducation des futurs rois, qui proposent à leurs élèves l’image du « meilleur prince », pour qu’ils puissent se lire dans un rapport, de contraste ou bien d’émulation, avec cette image. Il s’agit d’un véritable genre littéraire avec lequel, depuis le ixe siècle et jusqu’à la Révolution française, s’est mesuré un grand nombre d’auteur, précepteurs, clercs, juristes ou théoriciens du pouvoir monarchique. Dans les pages de ces traités d’éducation spécialisés, on peut déceler, à travers les essais recueillis par R. Halévi, la ligne d’une évolution, d’une transformation progressive dans la façon de concevoir le savoir du prince, son contenu et ses fonctions. Les intentions d’édification morale et religieuse du Moyen Âge, combinées aux ambitions encyclopédiques et synthétiques de la Renaissance, ont cédé peu à peu la place à la reconnaissance d’un savoir pratique, éclatante dans l’éducation des rois au xviiie siècle. Comme l’explique l’article d’Alain Boureau (« Le prince …