Recensions

Hannah Arendt, l’amour de la liberté de Francis Moreault, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2002, 248 p.[Notice]

  • Ritha Cossette

…plus d’informations

  • Ritha Cossette
    Collège André-Laurendeau

Rien ne fût plus étranger à la pensée d’Hannah Arendt que « l’esprit de système ». Aussi, le parcours sinueux et, à plusieurs égards, intuitif de cette philosophe nous invite-t-il aujourd’hui à de laborieux efforts de compréhension. Efforts de compréhension et conflits d’interprétation, surtout, autour d’une oeuvre éminemment subversive tant il est vrai qu’elle défie nos catégories politiques habituelles. H. Arendt — cette obligée du monde — pense à l’épreuve des événements. Elle cherche, traque et déconstruit les concepts que la tradition politique occidentale aurait détournés de leur sens premier. Le concept de liberté ne fait pas exception. Comprendre les termes de cette nouvelle grammaire politique exige donc de parcourir les sentiers qu’elle a empruntés et de saisir les courants dans lesquels elle s’est elle-même inscrite. C’est à cette exigeante tâche que s’est attelé Francis Moreault dans Hannah Arendt, l’amour de la liberté. Cet ouvrage élucide la double théorie arendtienne de la liberté, son histoire conceptuelle et son orientation fondamentale selon deux axes principaux : liberté de penser (première partie) et liberté-avec-les-autres en quoi consiste la liberté politique (seconde partie). À quelles sources s’est-elle nourrie et sur quel principe s’est-elle fixée ? Quelles reprises et quelles impasses ont orienté le cours de cette expérience de pensée ? F. Moreault suit à la trace une philosophe et une historienne des idées qui questionne, transforme et abandonne des repères établis. Les lecteurs et lectrices de cet ouvrage doivent donc s’attendre, s’agissant de la lecture à rebours d’un cheminement complexe, au chevauchement de multiples perspectives. Ils seront confrontés à la superposition parfois alambiquée des lectures arendtiennes elles-mêmes, à de subtiles reprises, ruptures et récusations polémiques. Difficile parfois de s’y retrouver, mais cela tient, pour une bonne part, à la nature même du projet. Entrons dans le texte Hannah Arendt, l’amour de la liberté. Ce titre est étonnant dans la mesure où il repousse en arrière-scène l’amour du monde autour duquel pivote cette philosophie politique d’un nouveau genre. Aussi F. Moreault se saisit-il du concept de liberté — objet aimable s’il en est un — comme principe organisateur de la pensée politique de H. Arendt. L’intention clairement annoncée de l’auteur promet non seulement une clarification de l’idée de liberté, mais aussi le dévoilement d’un style et d’une certaine posture philosophique. L’amour plus que la liberté occupe donc, dans un premier temps, l’auteur qui entend élucider l’expérience de pensée de H. Arendt — expérience aux accents heideggerriens — quant à l’histoire problématique de l’idée de liberté. Il montre que cette quête de sens s’est effectuée d’une certaine manière. Amoureusement. Penser, trouver le sens authentique d’un concept, est un acte amoureux. Le penser arendtien est socratique et donc dialogique : dialogue intérieur de soi avec soi-même et dialogue amical avec les autres. L’expérience de pensée — le fameux deux-en-un que H. Arendt retient de Socrate — est à comprendre comme l’expérience primaire et fondatrice de la pluralité. Aussi la méthode est-elle déconstructive puisqu’il s’agit de « dégeler » les définitions durcies par la tradition. Il en va donc de l’amour de la liberté comme d’un mouvement de la pensée propre à l’élucider, à la comprendre, mais sans jamais la connaître. L’enjeu est à prendre au sérieux. Penser la liberté nous humanise, en effet, et nous rapproche un peu plus de la liberté. F. Moreault fait comprendre en quels termes cette conception de la liberté s’annexe le monde vivant des phénomènes qu’il s’agit alors de mieux comprendre et avec lequel il est possible de se réconcilier. La liberté — objet de penser, objet érotique — est précisément aimable, rappelle-t-il, dans la mesure …