Recensions

Raconter et mourir : aux sources narratives de l’imaginaire occidental, de Thierry Hentsch, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2002, 431 p.[Notice]

  • Alexis Richard

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  • Alexis Richard
    Université d’Ottawa

« Première civilisation à se définir à partir d’un point cardinal, l’Occident, dans une sorte d’intuition géniale, s’est donné – avec le nom du couchant – la mort pour horizon » (p. 13). S’agit-il de problématiser la civilisation occidentale ? Le sens d’une civilisation n’est pas une donnée empirique. Il ne peut non plus être mesuré ou identifié au rapport instrumental au monde. Qu’est-ce que la civilisation occidentale ? Qu’est-ce qui relie tous ces morts du passé avec tous ces vivants qui naissent jour après jour pour chaque fois, les premiers, embrasser le monde ? Où est la brèche unifiante dans l’apparente désunion ? Il est un imaginaire, un espace de repères, qui donne sens à « l’Occident ». Cet imaginaire, qui lie une civilisation et lui donne existence, repose notamment sur un legs narratif (p. 26). Cet héritage, véritable ponctuation de l’imaginaire, se trouve dans les livres, là où il a été écrit. Il prend allure d’existence grace à son espace narratif et à sa présence prolongée dans le temps : c’est le récit de l’Occident. L’Occidental n’est pas tel lorsqu’il s’est imbibé pleinement de cet espace-temps narratif ; il s’y identifie négativement et positivement : l’Occidental est tel, car il est la suite de cette narration ; l’Occidental est tel, car il a rompu avec cette narration. En d’autres termes, l’Occident est l’affirmation et la négation d’un imaginaire narratif. L’Occidental, lui, est celui qui a oublié ou qui n’a jamais su son récit. L’Occidental, en un sens, est celui dont l’imaginaire est perdu. C’est la tâche que s’attribue Hentsch, en arpentant le récit de l’Occident, que de rappeler le sens précis de textes indélébiles en les réinterprétant, en les relisant, en leur donnant un sens nouveau : leur nouveau sens originel. Ce faisant, il embrasse nombre de thèmes. Nous nous attacherons ici à un seul d’entre eux, la mort. Est-il question de mettre l’Occident devant la mort ? L’espace géographique et imaginaire, qui est ici notre souci, se déploie dans le temps et s’aborde par le thème de la mort. La mort, comme question fondamentale de la civilisation, nous met en face de la finitude de toute vie, se pose comme limite du récit. Pourquoi la mort ? Parce que ce rapport négatif à l’existence brille par son absence ; car le moderne apparaît nu devant la mort. La science moderne, seul récit occidental actuellement capable d’aspirer à la légitimité et à la vérité après l’épuisement de l’idée de Dieu, reste muette devant la mort (p. 15). La mort fait pourtant de l’esprit son captif. Comme par un renversement de situation, chez Hentsch, le récit dépasse la logique. Au coeur de l’Antiquité dont nous nous rappelons, il y eut distinction progressive et profonde entre deux termes recouvrant jadis les mêmes domaines, soit le mythe et la logique ou la science (muthos et logos ; p. 19), attribuant vérité au second et discrédit progressif au premier. Ici, comme en contradiction avec la dichotomie même, le récit prend la forme d’un mode de savoir primordial et essentiel ancré de façon indélébile dans le sens du rapport occidental au monde. La fable et la vérité se rencontrent dans tout discours, même le plus rigoureusement scientifique, et cette écharde à la connaissance parfaite est un stimulant pour le récit. Le récit de l’Occident de Hentsch s’en renforce d’autant plus et arrive à mettre en scène un rapport complexe et multiple avec le monde, justement ce rapport qui ne peut toujours être réduit à des relations causales. L’acte du récit n’est pas sans être lié à la mort : « Le récit …