Recensions

Julien Freund. Penseur « machiavélien » de la politique, de Sébastien de la Touanne, Paris, L’Harmattan, 2005, 325 p.[Notice]

  • Frédéric Ramel

…plus d’informations

  • Frédéric Ramel
    Centre lyonnais d’études de sécurité internationale et de défense (CLESID)
    Université Jean-Moulin Lyon III

La réflexion que mena Julien Freund depuis sa thèse consacrée à l’essence du politique jusqu’aux derniers écrits trouvait ses racines dans un sentiment, celui d’« une déception surmontée ». Après la Seconde Guerre mondiale au cours de laquelle il combattit dans les rangs de la Résistance, il voulut adopter un regard théorique sur cet engagement. Donner du sens à cette expérience : tel fut son projet intellectuel. Cette entreprise se heurta à bien des obstacles, comme les convictions de Jean Hippolyte. Ce dernier en effet refusa de diriger plus avant le doctorat de J. Freund sous prétexte qu’il se fondait sur l’idée qu’« il n’y a de politique que là où il y a un ennemi ». J. Freund a pourtant produit une pensée originale qui est restée pendant de nombreuses années à la marge, en raison, notamment, de son apparence hétéroclite. En publiant sa thèse de science politique soutenue en octobre 2003 à l’université Paris II, Sébastien de la Touanne offre une première interprétation globale de cette oeuvre qui livre des clés de lecture stimulantes. Sur un ensemble de 321 pages, il articule son raisonnement autour de six chapitres qui ne reprennent pas l’architecture trinitaire de la thèse : biographie et philosophie générale, affinités électives (où l’auteur souligne les héritages divers qui alimentent la pensée de J. Freund), essence du politique, machiavélisme modéré, importance des concepts décisionnistes, réalisme contre idéalisme. Outre la mise en lumière des sources philosophiques qui irriguent la réflexion de J. Freund (Vilfredo Pareto, Max Weber, sans oublier les deux « maîtres » reconnus qu’incarnent Carl Schmitt et Raymond Aron), l’ouvrage a deux valeurs. La première se confond avec l’épine dorsale de la démonstration ou, en d’autres termes, la thèse défendue au sens scolastique par son auteur. Les diverses productions académiques de J. Freund révèlent l’existence d’une oeuvre dotée d’unité. Ici, l’auteur applique à un philosophe contemporain une approche classique focalisée sur l’économie de la pensée : son caractère cohérent qui dispense plus qu’une simple organisation des idées, à savoir un ordre unifié. De jeunes docteurs ont revisité récemment des figures plus anciennes comme Rousseau sur la base de cette entreprise intellectuelle. C’est le cas, à titre d’illustration, de Gabrielle Radica (Les domaines de la rationalité pratique chez Rousseau) ou encore de Florent Guénard (L’idée de convenance dans la pensée de Jean-Jacques Rousseau). L’assise de l’interprétation proposée par S. de la Touanne est Machiavel. J. Freund est d’abord et avant tout un auteur « machiavélien » (ce qui n’a rien de guère étonnant puisque les sources privilégiées par le philosophe relèvent dans leur majorité de la tradition néomachiavélienne). Forgé par J. Freund lui-même, l’adjectif « machiavélien » entend se distinguer de machiavélique. Il renvoie à l’analyse théorique ou à l’art de penser, et non à une pratique de la politique (p. 189). C’est d’abord et avant tout du point de vue de la méthode que J. Freund se place. Machiavel apparaît comme une figure prométhéenne dans l’histoire de la philosophie politique. Il s’attacha à évacuer le devoir-être qui enrobait jusqu’alors la réflexion sur le pouvoir. En focalisant le regard sur ce qui est et non sur les constructions utopiques qui mystifient l’objet politique, le Florentin s’orienta vers la « vérité effective » de la chose. Cette entreprise de filtrage, voire d’épuration afin de saisir le politique, J. Freund la fait sienne. Elle n’est ni haïssable ni diabolique. Elle s’apparente à un sursaut de lucidité face à la réalité politique. Lorsque J. Freund fixe le noyau de sa réflexion avec la notion d’essence – « une conceptualisation englobante comme instrument d’intelligibilité de …