Corps de l’article

Le soir des élections fédérales de 2011, la politique canadienne fut ébranlée par un changement important de l’échiquier politique. Alors que le Nouveau Parti démocratique du Canada (NPD)[1] n’avait remporté qu’un seul siège lors des élections générales au Québec depuis sa création, le parti y remporta 59 des 75 sièges. Au cours de l’année précédant l’élection fédérale de 2015, le NPD disposait du plus grand caucus québécois à la Chambre des communes et, pour la première fois de son histoire, son chef, Thomas Mulcair, représentait une circonscription du Québec. Les sondages au début de la campagne électorale montraient une solidification de la domination du NPD au Québec avec environ 40 % des électeurs décidés indiquant une intention de voter pour le NPD et les conservateurs, les libéraux et le Bloc québécois recueillant respectivement environ 20 % des intentions de vote (Coletto, 2016 : 321). Bien que longtemps considéré comme un parti de moindre importance au Québec, le NPD y était devenu la force dominante de la politique fédérale.

Cet article analyse la perception de certaines revendications québécoises chez les membres du NPD, les députés néo-démocrates et les électeurs potentiels lors de cette conjoncture exceptionnelle dans l’histoire du parti. Il résulte d’une ambitieuse collecte de données incluant une enquête anonyme menée d’avril à décembre 2014 auprès de 58 députés néo-démocrates en exercice représentant 60 % du caucus du NPD, une seconde enquête auprès de 2440 membres du NPD au début de janvier 2015 et une autre enquête auprès de 4557 électeurs potentiels du NPD au début d’août 2015, au commencement de la campagne électorale fédérale. Différentes questions fermées sur le fédéralisme canadien et les revendications constitutionnelles québécoises ont été posées à ces trois groupes, ainsi que des questions sur leurs antécédents sociodémographiques et leurs sensibilités politiques.

Nous appuyant sur ces ensembles de données, nous cherchons d’abord dans cet article à répondre à deux questions. Après avoir examiné les ouvrages pertinents, présenté notre approche théorique du nationalisme et décrit le plan de la recherche, nous nous interrogeons sur le degré auquel les membres du NPD, les députés et les électeurs potentiels acceptent les revendications nationalistes québécoises s’inscrivant dans une conception fédéraliste asymétrique. Ce qui nous intéresse en particulier, c’est de savoir si toutes ces personnes partageaient les mêmes opinions sur ces enjeux au début des élections fédérales de 2015. Nous nous demandons ensuite quels sont les facteurs qui ont disposé ces mêmes personnes à adopter une attitude plus favorable à l’égard de ces revendications. Par ailleurs, nous abordons plus spécifiquement l’attitude des députés néo-démocrates en exercice à l’égard du Québec. Nous nous penchons sur les justifications apportées par ces députés pour expliquer leurs sentiments à l’égard de ces revendications.

De manière générale, nous soutenons dans cet article qu’il y a des désaccords entre les députés, les membres et les électeurs potentiels du NPD résidant au Québec et ceux du reste du Canada (RDC)[2] en ce qui concerne les implications d’un fédéralisme asymétrique sensible aux revendications du Québec. Ce désaccord se traduit par une tension entre les principes et les politiques des membres du NPD, des députés néo-démocrates et des électeurs potentiels canadiens-anglais lorsqu’il s’agit d’accepter les conséquences d’un fédéralisme asymétrique. Ceux-ci soutiennent les principes d’un gouvernement fédéral traitant le Québec différemment lorsque nécessaire et ils ont tendance à être en accord avec l’énoncé selon lequel les Québécois forment une nation, mais ils s’opposent à toute politique conduisant à un retrait du Québec des programmes fédéraux avec compensation. Pour leur part, les membres du NPD, les députés et les électeurs potentiels québécois expriment des positions politiques plus conséquentes à l’égard des mêmes principes. En conclusion, nous examinons en quoi le conflit entre principes et politiques peut créer des tensions entre les partisans néo-démocrates et les implications de ce conflit pour les débats au sein du NPD dans l’avenir.

Analyse des écrits et du contexte historique

Peu de recherches sur la relation du NPD au nationalisme québécois peuvent servir de point de départ à notre enquête. Les chercheurs qui s’y sont intéressés ont adopté une approche basée sur l’histoire intellectuelle documentant les débats sur le nationalisme québécois qui ont eu lieu au sein des élites du NPD lors de la mise au point de plateformes électorales, des débats sur les résolutions au congrès et sur les prises de position dans les débats constitutionnels canadiens au cours de la deuxième partie du XXe siècle. Ces écrits s’appuient sur une description qualitative des documents du parti, des reportages médiatiques et des documents d’archives disponibles au public. Ils s’échelonnent sur une période de plusieurs décennies au cours de laquelle le nationalisme québécois s’est profondément transformé. Ils révèlent que les revendications du Québec ont suscité des controverses au sein du NPD à différents moments de son histoire, autour de deux éléments : le niveau approprié de centralisation de la fédération canadienne et la reconnaissance des Québécois en tant que « nation ».

L’histoire intellectuelle rappelle que le fédéralisme et le statut du Québec dans le Canada étaient des sujets relativement peu controversés au sein de la Co-operative Commonwealth Federation (CCF), le parti prédécesseur du NPD. Le CCF adhérait à une conception très centralisée du fédéralisme selon laquelle les programmes sociaux gérés par les provinces devaient respecter les normes fédérales et le gouvernement fédéral devait jouer un rôle moteur dans la création d’un État providence pancanadien (Morley, 1994 : 49-54 ; Erickson et Laycock, 2015 : 65). Le NPD, pour sa part, de sa création jusqu’au début des années 2000, a été marqué par des conflits entre ses partisans et des désaccords sur la position du parti à l’égard de la place du Québec dans le Canada. Les points de désaccord lors du congrès fondateur du NPD en 1961 portaient principalement sur le Québec : la reconnaissance du fait que le Canada a été créé à partir d’une association de deux nations (anglaise et française), permettant aux gouvernements provinciaux de se soustraire aux programmes fédéraux à frais partagés et le changement de nom de « conseil national » du parti en « conseil fédéral » (Morton, 1986 ; Smart, 1990 ; Oliver et Taylor, 1991 ; Morley 1994). Bien que les délégués aient finalement accepté ces trois propositions, l’adhésion du parti à l’esprit de ces idées a souvent été mise à l’épreuve.

La section québécoise du NPD s’est toujours opposée aux tendances centralisatrices qui gouvernaient l’ancien CCF. Elle a accordé une grande valeur à l’autonomie des provinces et plaidé pour que le gouvernement du Québec puisse créer ses propres programmes sociaux reflétant la situation unique de la province sans ingérence du gouvernement fédéral (Lamoureux, 1985 ; 1988). Les divisions du NPD sur la place du Québec au sein du Canada étaient particulièrement apparentes lors des débats constitutionnels des années 1980, quand Ed Broadbent décida de soutenir la proposition de Pierre Elliott Trudeau de rapatrier unilatéralement la Constitution, ce qui allait à l’encontre des voeux des nationalistes québécois (Sarra-Bournet, 1986), et lorsqu’Audrey McLaughlin s’opposa à la clause de la « société distincte » inscrite dans l’Accord du lac Meech. Cette opposition provoqua la colère de nombreux membres du parti au Québec et ailleurs (Bradford et Jenson, 1991 ; Richards, 1992 ; Whitehorn, 1992 ; McLeod, 1994). À la fin des années 1990, Alexa McDonough et le caucus néo-démocrate ont appuyé la Loi sur la clarté référendaire face à l’opposition de la section néo-démocrate québécoise et du conseil fédéral du parti, affirmant que ce projet de loi portait atteinte au droit des Québécois à l’autodétermination nationale (Lamoureux, 2012). La première campagne de Jack Layton en tant que chef du NPD, en 2004, fut également perturbée par le même problème. Après avoir déclaré son opposition à la loi sur la clarté référendaire lors d’un arrêt de la campagne au Québec, il fut forcé de faire marche arrière après que Bill Blaikie et Alexa McDonough se soient déclarés en faveur.

Compte tenu de ces controverses, le NPD se donna pour objectif de définir clairement sa position sur la place du Québec au sein du Canada. C’est ainsi qu’est née la Déclaration de Sherbrooke en 2005-2006 (NPD, 2006), dont le concept central était le fédéralisme asymétrique, c’est-à-dire que la fédération canadienne doit accepter un traitement distinct du Québec par rapport aux autres provinces lorsque nécessaire (Lamoureux, 2012 ; Erickson et Laycock, 2015). Plus précisément, cette asymétrie se concrétiserait en reconnaissant explicitement le caractère national des Québécois et en permettant au gouvernement du Québec de se retirer des programmes sociaux fédéraux avec compensation. Lors du congrès du NPD à Québec en 2006, la Déclaration de Sherbrooke fut adoptée presque à l’unanimité et constitua le fondement des sections sur les relations intergouvernementales et le fédéralisme dans les futures plateformes du parti. La Déclaration semblait servir les objectifs visés et produisait relativement peu de controverses publiques au sujet du Québec parmi les membres du NPD sous la direction de Layton, lors de la course au pouvoir pour remplacer ce dernier et pendant le mandat de Mulcair à la tête du parti au moment des élections de 2015 (Lamoureux, 2012 ; McGrane, 2019).

Avec la Déclaration de Sherbrooke, le NPD jetait les bases d’une conception du fédéralisme asymétrique en mesure de satisfaire certaines revendications exprimées par le mouvement nationaliste québécois. Un mouvement nationaliste n’est jamais un phénomène univoque et, au Québec comme ailleurs, il englobe toujours un répertoire de revendications politiques, économiques et culturelles dont la saillance varie selon les contextes (Dion, 1975 ; Balthazar, 2013). Les types de nationalisme peuvent être répertoriés en fonction des dynamiques intergroupes médiatisées par un État : le nationalisme en quête d’un État, associé au Parti québécois et Québec solidaire ; le nationalisme homogénéisant ; le nationalisme national-populiste ; le nationalisme transfrontalier ; et le nationalisme des minorités nationales (Dufour, 2019). L’esprit de la Déclaration de Sherbrooke était de reconnaître le caractère plurinational de la fédération canadienne et d’institutionnaliser la reconnaissance des revendications portées par le nationalisme de minorité nationale au Québec. Le nationalisme des minorités nationales est celui d’un groupe qui, sans chercher à faire sécession d’un État souverain, réclame la reconnaissance d’un statut politique, juridique ou culturel particulier au sein d’un État fédéral ou revendique une plus grande autonomie politique dans certains champs de compétence.

Nous nous intéressons à ce type de nationalisme pour deux raisons. D’abord, parce qu’en cadrant la dynamique canadienne comme une opposition entre un fédéralisme centralisateur d’une part et un nationalisme en quête d’un État-national pour les Québécois d’autre part, on ne rend pas compte de la complexité des réalités politiques canadienne et québécoise. Ce cadrage surreprésente une polarisation de moins en moins saillante dans les enquêtes d’opinion publique au Québec et au Canada (Ipsos, 2018 ; L’Actualité, 2019). Puis, parce que les différents nationalismes ne peuvent pas être étudiés à partir des mêmes questions de recherche. Nous avons donc conçu notre recherche de façon à enquêter spécifiquement sur l’adhésion à ces principes et politiques associés au nationalisme de minorités nationales et au fédéralisme asymétrique.

Conception de la recherche

Nous avons adopté une approche novatrice permettant de comprendre l’opinion du NPD à l’égard du fédéralisme asymétrique à une époque où le parti était au sommet de sa popularité au Québec et l’acteur dominant dans l’arène politique fédérale de la province. Elle se différencie des contributions à l’histoire intellectuelle du NPD et du nationalisme québécois de deux façons. Premièrement, elle aborde la question de façon plus quantitative en utilisant des enquêtes de masse et des procédures statistiques pour explorer la relation entre le NPD et le statut du Québec. Aucune enquête d’opinion n’a été réalisée auprès des électeurs, des membres et des députés du NPD pour étudier cette relation. Seules les enquêtes de Keith Archer et Alan Whitehorn réalisées auprès des délégués lors du congrès du NPD dans les années 1980 contenaient un nombre limité de questions sur le Québec. Reflétant les controverses abordées en histoire intellectuelle, ces chercheurs ont constaté qu’accorder un statut spécial au Québec, instituer un droit de veto constitutionnel pour le Québec et permettre aux gouvernements provinciaux de se retirer des programmes sociaux fédéraux constituaient des sujets litigieux parmi les délégués. Le petit nombre de délégués québécois participant à ces congrès se distinguait par ses positions plus autonomistes sur ces sujets que les délégués canadiens-anglais (Whitehorn, 1992 ; Archer et Whitehorn, 1997). Deuxièmement, une approche fondée sur l’histoire intellectuelle tend à examiner uniquement les opinions des élites du parti telles qu’elles sont exprimées dans les documents officiels du parti et les comptes rendus des débats des réunions du parti. Pour notre part, nous examinons à la fois les idées des députés, qui constituent les élites du parti, et les opinions des membres de la base et des électeurs potentiels du NPD. De plus, les opinions des députés sont recueillies sous la forme d’un sondage anonyme, ce qui, à l’inverse des déclarations publiques, offre la possibilité d’exprimer ses idées de manière plus nuancée et transparente.

Trois enquêtes constituent la base de l’analyse quantitative de cet article. Dans un premier temps, les données ont été recueillies lors d’entretiens menés (et enregistrés) de mars à décembre 2014 auprès de 58 députés du NPD, représentant 60 % du caucus du parti. Puis, un sondage en ligne auprès de 2440 membres du NPD a été réalisé en janvier 2015. Enfin, au cours des deux premières semaines de la campagne électorale fédérale de 2015 (du 10 au 20 août), un sondage en ligne a été réalisé auprès des électeurs de plus de 18 ans par SOM au Québec et Probit dans le reste du Canada (ou RDC). Conformément aux meilleures pratiques, ces sociétés suivent des règles strictes quant à la mise en place des panels Internet composés de répondants sélectionnés au hasard et sans auto-sélection. Nous avons demandé aux électeurs : « Pour chacun des partis FÉDÉRAUX suivants, pouvez-vous nous dire si vous voteriez certainement pour ce parti, voteriez probablement pour ce parti, pourriez envisager de voter pour ce parti, ne voteriez probablement pas pour ce parti ou ne voteriez jamais pour ce parti ? » Notre analyse ci-dessous se concentre sur les « électeurs potentiels du NPD », c’est-à-dire les répondants qui ont indiqué qu’ils voteraient certainement, probablement, ou envisageraient de voter pour le NPD. Les électeurs potentiels du NPD représentaient 63 % des électeurs du Québec et 60 % des électeurs du RDC au début de la campagne électorale fédérale de 2015. La taille de l’échantillon obtenu pour les électeurs potentiels du NPD aux fins de l’analyse était de 2612 pour le Québec et de 1987 pour le RDC.

Les trois mêmes questions fermées ont été posées aux membres, aux députés et aux électeurs potentiels du NPD. Ces trois questions correspondent aux points les plus saillants de la Déclaration de Sherbrooke et aux revendications s’inscrivant dans l’horizon de la lutte de reconnaissance d’un nationalisme de minorités nationales au Québec. Les questions reflètent également les controverses sur la centralisation de la fédération canadienne et sur le statut des Québécois en tant que nation décrite par l’histoire intellectuelle de NPD. Tel qu’on observe au tableau 1, chaque question contient deux déclarations contradictoires. Les répondants étaient invités à se situer sur une échelle de zéro à dix, sur des déclarations contradictoires représentant les deux extrémités de l’échelle.

Les études qualitatives, ainsi que l’enquête d’Archer et Whitehorn auprès des congressistes dans les années 1980, font ressortir le fait que le statut du Québec est un sujet de discorde au sein du NPD (en particulier entre les néo-démocrates résidents et non résidents au Québec). À ce titre, nous nous attendions à l’absence d’un consensus sur ces questions et à ce que les répondants du Québec se démarquent de ceux du RDC par leur désir d’autonomie pour le gouvernement provincial québécois et par leur adhésion à l’énoncé que les Québécois constituent une nation.

Tableau 1

Déclarations contradictoires à propos des revendications du nationalisme québécois

Déclarations contradictoires à propos des revendications du nationalisme québécois

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Les électeurs, les membres et les députés du NPD face au nationalisme de reconnaissance

Le tableau 2 présente la moyenne, la médiane et l’écart-type de chaque groupe de répondants du RDC pour chacune des trois questions. Plus le résultat est proche de dix, plus la personne est favorable aux revendications du nationalisme québécois. Inversement, plus le score est proche de zéro, moins la personne lui est favorable. Les trois questions ont été combinées dans un indice dont les résultats figurent au même tableau. Les alphas indiquent que les indices des trois déclarations peuvent être construits de manière fiable pour chaque groupe, à l’exception des députés du RDC.

La moyenne et la médiane de la deuxième colonne du tableau 2 montrent que les électeurs potentiels du NPD dans le RDC ne sont pas particulièrement intéressés par les revendications des nationalistes québécois. Il semble y avoir une très forte opposition à l’idée de permettre au Québec de se retirer des normes fédérales. L’idée de traiter cette province différemment des autres et de reconnaître le Québec comme une nation n’est pas très populaire non plus au sein de ce groupe. Les écarts-types inférieurs à trois sont preuve qu’il existe un consensus assez fort sur ces trois enjeux.

La troisième colonne du tableau montre que les membres néo-démocrates du RDC ont une opinion qui se rapproche de celle des électeurs potentiels du NPD en ce qui concerne le droit du Québec de se retirer des normes fédérales, mais qu’ils se démarquent des électeurs en étant plus conciliants à l’égard des deux autres enjeux. Reflétant les controverses abordées par l’histoire intellectuelle du parti, les membres du NPD du RDC sont divisés en ce qui concerne les déclarations sur le traitement distinct du Québec et la reconnaissance du statut national des Québécois[3]. Des trois groupes du RDC figurant au tableau 2, les députés du NPD (quatrième colonne) sont les plus conciliants à l’égard d’un fédéralisme asymétrique. La position consensuelle des députés anglo-canadiens du NPD est fortement en faveur de l’idée que les Québécois forment une nation et que le gouvernement fédéral traite le Québec différemment au besoin. Ils sont cependant divisés sur la question de savoir si le Québec devrait être autorisé à se soustraire des normes fédérales[4].

Tableau 2

Revendications du nationalisme québécois

Revendications du nationalisme québécois

(membres du NPD, députés du NPD et électeurs potentiels du NPD en 2014-2015 du reste du Canada)

0 = le moins favorable ; 10 = le plus favorable

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Les résultats de l’enquête sur les Canadiens hors Québec mettent en relief une « divergence entre les principes et les politiques[5] » dans les opinions des électeurs potentiels, les membres et les députés du NPD. Le tableau 2 révèle que les moyennes et les médianes de la quatrième ligne sont inférieures à celles des autres lignes pour chaque groupe. Ainsi, les électeurs potentiels, les membres et les députés néo-démocrates dans le RDC sont nettement plus favorables aux principes selon lesquels les Québécois constituent une nation et que le gouvernement fédéral devrait traiter le Québec différemment lorsque nécessaire. En revanche, ils sont moins conciliants envers une politique qui mettrait ces principes en pratique, par exemple en laissant le gouvernement provincial du Québec se soustraire aux normes fédérales.

Tableau 3

Revendications du nationalisme québécois

Revendications du nationalisme québécois

(membres du NPD, députés du NPD et électeurs potentiels du NPD en 2014-2015 au Québec) 0 = le moins favorable ;

10 = le plus favorable

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Lorsque nous comparons les résultats des enquêtes québécoises des tableaux 2 et 3, une différence d’avis ressort clairement entre le RDC et le Québec. Les électeurs potentiels du NPD au Québec sont beaucoup plus en accord avec les principes du fédéralisme asymétrique ciblés par notre enquête que les électeurs potentiels du NPD du reste du Canada : les moyennes des indices des trois questions combinées sont de 4,94 pour le Québec et de 2,44 pour le RDC. De même, les membres québécois du NPD sont plus favorables à ces principes que ceux du RDC, notamment en ce qui concerne la question du retrait du Québec des normes fédérales et du statut du Québec comme nation. Également, on peut voir dans les deuxième et troisième colonnes du tableau 3 qu’il n’a y pas un grand écart entre les principes et les politiques chez les électeurs potentiels du NPD au Québec et les membres néo-démocrates au Québec. Contrairement au tableau 2, on ne voit pas beaucoup de différences entre les moyennes et les médianes pour les trois questions dans les résultats des électeurs potentiels du NPD au Québec et les membres québécois du NPD.

En regardant la quatrième colonne des tableaux 2 et 3, on constate que les députés néo-démocrates du RDC et du Québec s’accordent sur l’énoncé que les Québécois forment une nation. En outre, les députés néo-démocrates du RDC sont plus enclins à affirmer que le gouvernement fédéral devrait traiter au besoin le Québec différemment que les députés néo-démocrates du Québec ne le font. L’enjeu du retrait des normes fédérales est l’objet de divergence d’opinion entre les députés néo-démocrates du Québec et ceux du reste du Canada. Les députés néo-démocrates canadiens anglophones sont beaucoup moins favorables à la possibilité pour le Québec de se soustraire aux programmes fédéraux que ceux du Québec. À ce titre, les députés néo-démocrates du Québec sont moins susceptibles que leurs collègues anglo-canadiens de présenter un écart entre les principes auxquels ils adhèrent et les politiques qui devraient en découler. L’appui des députés néo-démocrates du Québec à la politique du « droit de retrait » est plus cohérent avec leur appui aux principes d’un traitement différent du Québec et de reconnaître le Québec comme une nation. En effet, parmi tous les répondants aux sondages tant dans le RDC qu’au Québec, les députés néo-démocrates du Québec se sont distingués comme étant le groupe le plus favorable aux revendications du nationalisme de minorité nationale s’inscrivant dans le cadre d’un fédéralisme asymétrique.

Indicateurs de prédiction d’un appui aux principes et politiques

Après cet examen du degré auquel les membres, les députés et les électeurs potentiels du NPD acceptent les principes et les pratiques du fédéralisme asymétrique à l’égard du Québec, passons à notre deuxième question de recherche : « Quels sont les facteurs qui ont disposé les répondants à adopter une attitude plus favorable à l’égard de ces revendications ? » Nous commencerons ici avec une régression des moindres carrés ordinaires (MCO) sur l’échantillon des membres et des électeurs potentiels du NPD au Québec et dans le reste du Canada.

Dans le tableau 4, la variable dépendante est l’indice de conciliation à l’égard des revendications du nationalisme québécois présent dans la cinquième ligne des tableaux 2 et 3. Il est important de noter que l’indice va de zéro (le moins favorable) à dix (le plus favorable).

L’histoire intellectuelle des débats au sein de NPD à propos du statut du Québec dans le Canada donne très peu d’indices à propos des caractéristiques et des croyances des membres et des électeurs potentiels du NPD qui seraient en corrélation avec une attitude plus conciliante à l’égard des revendications du nationalisme de minorité nationale des Québécois. Notre approche a donc été exploratoire. Nous avons identifié des variables indépendantes assez classiques qui selon nous pourraient avoir un effet sur la perception de ces revendications.

Le tableau 4 analyse l’idéologie gauche–droite du membre ou de l’électeur potentiel comme première variable indépendante. Nous avons voulu savoir si les membres et les électeurs potentiels du NPD se situant plus à gauche sur un axe gauche–droite avaient tendance à être plus conciliants envers les revendications du nationalisme québécois que les membres et les électeurs potentiels se situant plus à droite. Au Canada hors Québec, les membres et les électeurs potentiels du NPD se situant plus à gauche pourraient considérer les Québécois comme formant une nation opprimée dont les droits n’auraient pas été suffisamment respectés par le passé. Au Québec, le lien entre le nationalisme québécois et l’appui à la social-démocratie a été très puissant pendant une partie importante de la seconde moitié du XXe siècle (voir McGrane, 2014 ; Van der Berg, 2017 ; Arsenault, 2018). Ainsi, nous émettions l’hypothèse que les membres et les électeurs du parti qui se situent plus à gauche allaient être plus favorables aux revendications des nationalistes québécois. L’indice gauche–droite est un indice de sept questions (voir annexe). Ces questions contiennent des déclarations contradictoires sur les sociétés d’État, les accords de libre-échange, la protection de l’environnement, la fiscalité, les déficits et le conservatisme social. Plus le résultat est proche de zéro, plus le membre ou l’électeur se situe à droite. Plus le résultat est proche de dix, plus le membre ou l’électeur se situe à gauche.

À l’extérieur du Québec, il est aussi possible que les militants du NPD de longue date et les militants les plus actifs soient plus favorables aux revendications de reconnaissance du Québec parce qu’ils sont plus familiers avec les choix stratégiques et les compromis qu’un parti politique fédéral doit faire pour gagner les élections et gouverner le Canada. Au Québec, on peut émettre une hypothèse allant dans le sens inverse. Les militants de longue date et les militants les plus actifs du NPD pourraient être moins favorables à ces revendications parce qu’ils estiment qu’un parti politique fédéral ne doit pas sembler trop favorable au Québec s’il veut gagner des sièges hors du Québec. La variable de la durée de l’adhésion d’un membre du NPD correspond à la réponse du répondant à la question : « Depuis combien de temps êtes-vous membre du NPD fédéral ? » Le niveau d’activité d’un membre du NPD a été mesuré à l’aide d’un indice développé en demandant au répondant s’il avait participé très souvent, parfois, rarement ou jamais aux onze activités partisanes décrites. Plus l’indice est élevé, plus le membre est actif.

Nous avons également demandé aux électeurs potentiels du RDC leur avis sur le traitement de leur province par le gouvernement fédéral en comparaison avec les autres provinces (de beaucoup mieux = 1 à beaucoup moins bien = 6), et aux électeurs potentiels au Québec leur avis sur la souveraineté (de très opposé = 1 à très favorable = 5). Nous prévoyions que les électeurs potentiels du NPD du RDC seraient moins favorables aux revendications du Québec s’ils pensent que leur province est moins bien traitée parce qu’ils estiment que le gouvernement fédéral donne « trop » au Québec et « pas assez » à leur province. Au Québec, nous anticipions que les électeurs plus souverainistes réclameraient davantage d’autonomie pour leur province et seraient plus favorables à un traitement asymétrique du Québec que les électeurs moins souverainistes.

Diverses caractéristiques sociodémographiques sont également incluses comme variables indépendantes dans le tableau 4. Dans les variables indépendantes binaires, « 1 » signifie toujours que le répondant appartient à ce groupe et « 0 » signifie qu’il n’appartient pas à ce groupe (exemple : femme = 1 et homme = 0). Les échelles pour le revenu et l’éducation sont codées pour que les plus riches et les plus instruits aient les valeurs plus élevées[6]. Nous avions peu d’attentes à l’endroit de ces variables de contrôle. Nous estimions cependant possible qu’un niveau d’études plus élevé dispose plus favorablement les répondants à l’égard des luttes de reconnaissance du Québec parce qu’ils pourraient détenir davantage d’informations à propos de l’histoire de ces luttes. En général, les analyses démontrent que les Québécois non francophones, les immigrants, les répondants plus âgés et les minorités visibles ne sont pas en faveur de la souveraineté du Québec (voir Vallée-Dubois et al., 2017). Ainsi, il est possible que ces groupes soient moins favorables aux revendications pour les luttes de reconnaissance du Québec. Les syndicats au Québec ont souvent été souverainistes (Savage, 2008) et, comme dans le reste du Canada, ils ont généralement appuyé l’idée que le gouvernement provincial du Québec obtienne davantage de pouvoirs (Savage et Smith, 2017). Ainsi, nous pouvons émettre l’hypothèse que les membres des syndicats sont plus favorables à la reconnaissance du Québec comme nation et à l’octroi de plus de pouvoirs pour le Québec dans le cadre d’un fédéralisme asymétrique. Nous n’avions pas d’attentes arrêtées à l’égard de l’impact du revenu et de la pratique religieuse comme variables. Il est possible que le fait de pratiquer une religion rende les gens plus attachés aux traditions et moins ouverts à d’éventuels changements dans la fédération canadienne qui pourraient accroître les pouvoirs des minorités linguistiques et reconfigurer l’équilibre des pouvoirs entre les gouvernements provinciaux et fédéral. Enfin, nous pouvons également émettre l’hypothèse qu’avoir un revenu élevé puisse rendre un individu moins favorable à des changements dans la fédération. De tels changements, qui augmenteraient les pouvoirs du Québec, pourraient être perçus comme ayant des effets déstabilisants sur la politique canadienne pouvant aller jusqu’à réduire la croissance économique et les finances des mieux nantis.

Tableau 4

Régression MCO sur les revendications du nationalisme québécois

Régression MCO sur les revendications du nationalisme québécois

(membres du NPD et électeurs potentiels du NPD en 2015)

Variable dépendante : 0 = le moins favorable ; 10 = le plus favorable

***p : ≤0,001 ; **p : ≤0,01 ; *p : ≤0,05. Catégorie de référence : aOntario ; bMontréal.

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Le tableau 4 montre que les sentiments suscités par les principes et les politiques exprimés dans la Déclaration de Sherbrooke sont très étroitement liés à l’idéologie du membre ou de l’électeur potentiel du NPD mesurée sur une échelle gauche–droite. Au Québec et dans le RDC, comme nous l’avions pressenti, les membres et les électeurs potentiels plus à gauche sont beaucoup plus enclins à accepter ces revendications.

Les autres variables indépendantes de ce tableau font ressortir d’autres tendances intéressantes. Dans le Canada hors Québec, les membres du NPD les plus actifs et les membres de longue date sont plus favorables aux revendications québécoises au coeur de notre enquête. Mais ce n’est pas le cas au Québec. Ces tendances vont également dans le sens de nos hypothèses. Parmi les électeurs potentiels du NPD dans le RDC, ceux qui estiment que leur province est moins bien traitée que les autres sont légèrement moins disposés à l’égard de ces revendications. Chez les électeurs potentiels du NPD au Québec, les électeurs plus favorables à la souveraineté du Québec sont plus favorables à ces mêmes revendications (bêta = +0,45). Ces tendances sont conformes à nos attentes.

Du côté des variables sociodémographiques indépendantes, nous observons une corrélation plus forte de plusieurs d’entre elles sur la perception des revendications nationalistes québécoises. Comme nous l’avions envisagé, l’éducation semble jouer un rôle primordial dans le façonnement de ces perceptions. Dans les quatre groupes, les personnes les plus instruites sont beaucoup plus susceptibles d’accepter les revendications concernant le statut du Québec, comme le montrent les bêtas entre +0,12 et +0,26. Au Québec, les membres francophones et les électeurs potentiels francophones du parti sont plus favorables aux revendications nationalistes que les non-francophones. Sauf quelques exceptions, les femmes, les immigrants, les personnes âgées et les résidents des milieux ruraux sont un peu moins favorables à ces revendications que les hommes, les non-immigrants, les jeunes et les résidents des milieux urbains. Soulignons cependant qu’alors que le fait d’être un immigrant avait un impact sur les attitudes que nous avons examinées, faire partie d’une minorité visible n’en avait pas. Nous nous attendions à ce que cette dernière caractéristique prédispose un répondant à être moins favorable à la reconnaissance du Québec comme nation ou au fédéralisme asymétrique ; or, nous n’avons trouvé aucune relation statistique significative à cet effet. Comparativement aux membres du NPD en Ontario, les membres du NPD qui habitent dans l’Ouest canadien et dans les provinces de l’Atlantique sont moins favorables aux revendications nationalistes s’inscrivant dans l’esprit d’un fédéralisme asymétrique. Enfin, autant au Québec que dans le reste du Canada, l’appartenance à un syndicat, le fait de pratiquer une religion et l’échelle de revenu n’ont pas d’impact statistique significatif sur les perceptions des membres ou des électeurs potentiels du NPD quant à ces enjeux. En somme, les revenus économiques, tout comme l’appartenance à une église ou à un syndicat, ne semblent pas façonner l’attitude des membres ou des électeurs potentiels du NPD à l’égard des revendications nationalistes québécoises en lien avec le fédéralisme asymétrique.

Quels sont donc les facteurs qui ont disposé les membres et les électeurs potentiels du NPD à adopter une attitude plus favorable à l’égard des revendications nationalistes québécoises ? Il semble que les caractéristiques sociodémographiques tout comme les attitudes aient été importantes. Et, surtout, c’est la combinaison des variables « éducation » et « idéologie gauche–droite » qui ressort le plus clairement comme un facteur explicatif au tableau 4. Parmi les groupes examinés, les attitudes plus à gauche et le niveau d’éducation plus élevé sont fortement corrélés avec le fait d’avoir des dispositions plus favorables à l’égard des revendications de reconnaissance portées par les nationalistes québécois. Cela vaut pour les répondants du Québec comme pour ceux du Canada hors Québec. Les autres attitudes et caractéristiques sociodémographiques semblent également avoir des effets, mais ils sont moins forts et moins consistants que l’éducation et l’idéologie gauche–droite.

Analyse approfondie : les députés du NPD expliquent leur opinion

Les alphas des trois questions sur l’attitude à l’égard des revendications nationalistes pour les députés néo-démocrates du reste du Canada étaient trop bas pour permettre d’établir un indice. Nous avons effectué des régressions MCO en utilisant chacune des trois questions comme variables dépendantes pour les députés du NPD du RDC et pour les députés du NPD du Québec[7]. Cependant, dans les six régressions incluant chacune douze variables, il n’y avait que deux cas de coefficients significatifs pour des valeurs p inférieures à 0,05.

Nous avons donc effectué une analyse approfondie auprès des députés du NPD pour déterminer les facteurs qui expliquent leur attitude plus ou moins favorable à l’égard des revendications nationalistes québécoises. Nous leur avons également posé des questions ouvertes à la suite des trois questions fermées. Après qu’ils aient chiffré leurs sentiments à l’égard du nationalisme québécois dans la question fermée, nous leur avons demandé d’expliquer leur position sur le sujet. Après la transcription des entretiens, les données textuelles ont été codées avec NVivo 10. Au lieu de débuter par une liste prédéterminée de codes à imposer aux données, nous avons effectué un « codage ouvert », qui consiste en une lecture ligne par ligne des transcriptions de l’interview afin de générer des thèmes et des catégories suggérés par les participants eux-mêmes (Glaser, 2004 : 14 ; Saldana, 2009 : 81-85). Les résultats de ce codage ouvert paraissent au tableau 5, qui illustre le pourcentage de députés dans l’échantillon des personnes interviewées dont les réponses contenaient une longueur quelconque de texte codé sous un énoncé spécifique. Par exemple, on constate que 16 % des députés du NPD interrogés ont mentionné que les Québécois forment une nation en raison de leur histoire unique, après avoir été interrogés sur les deux déclarations contradictoires suivantes : « Les Québécois sont une nation » et « le Québec est une province comme les autres ». Afin de garder la taille du tableau plus facilement gérable, nous avons supprimé les codes relatifs à un sujet figurant dans les réponses de trois députés ou moins. Par ailleurs, la description ci-dessous fait référence à des réponses rarement mentionnées mais néanmoins intéressantes pour notre étude. Enfin, bien que le tableau 5 ne présente pas les réponses des députés divisés en québécois et non québécois, cette analyse a été menée à terme et les résultats les plus intéressants de cette analyse sont mentionnés dans le texte.

Confirmant les conclusions des tableaux 2 et 3, le tableau 5 montre que les députés du NPD sont très disposés à reconnaître le Québec comme une nation. Les différences culturelles et linguistiques avec le reste du Canada ont souvent été évoquées par les députés, de même que l’histoire unique des Québécois. De nombreux députés ont simplement déclaré qu’il est évident que le Québec est unique, constituant de fait une nation à part entière, sans besoin d’élaborer sur le sujet. Néanmoins, d’autres députés ont ressenti le besoin de préciser leur réponse. La clarification la plus courante, donnée par environ la moitié des députés du Québec et des députés non québécois, est que les Québécois forment une nation inclusive, composée de toutes les personnes vivant au Québec, ainsi que de toutes les origines ethniques et religieuses. Aucun député n’a mentionné qu’il soit nécessaire de parler français pour faire partie de la nation québécoise. Deux députés du Québec ont observé qu’il est important de s’intégrer à la culture québécoise lorsqu’on s’installe au Québec. Un petit nombre de députés, autant québécois que non québécois, ont exprimé leur incertitude quant à savoir si les non-francophones avaient le sentiment de faire partie de la nation québécoise et craignaient que ces non-francophones se sentent exclus de la société québécoise. Dans le même ordre d’idées, un petit nombre de députés du RDC ont estimé qu’il faut s’identifier en tant que Québécois pour faire partie de la nation québécoise, de manière similaire à l’auto-identification en tant que minorité visible. Plusieurs députés du Québec ont souligné qu’il est important d’être respectueux du fait que plusieurs Premières Nations du Québec se considèrent comme des nations à part entière et ne font pas partie de la nation québécoise.

Tableau 5

Réponses textuelles des députés du NPD aux questions portant sur les revendications du nationalisme québécois (2014)

Réponses textuelles des députés du NPD aux questions portant sur les revendications du nationalisme québécois (2014)

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Tout en affirmant que les Québécois forment une nation, de nombreux députés du RDC, comme du Québec, ont souhaité préciser la portée de leur réponse. Ils ont ressenti le besoin de souligner que les autres provinces aussi sont uniques ; que le Québec est une nation au sein du Canada ; que le Québec n’est pas un État souverain ; d’autres encore ont mentionné l’ancien terme de « société distincte » utilisé dans l’Accord du lac Meech.

De façon similaire aux tableaux 2 et 3, le tableau 5 fait ressortir que les députés du NPD sont résolument en faveur de traiter le Québec différemment lorsque nécessaire. Seuls 7 % des députés ont déclaré fermement que le principe d’équité exige que toutes les provinces soient traitées sur un pied d’égalité et seul un petit nombre de députés craignent que le Québec soit trop isolé du reste du Canada s’il est traité différemment des autres provinces. En fait, plus de la moitié des députés interrogés ont déclaré que l’une des raisons pour lesquelles ils souhaitent que le Québec soit traité différemment des autres provinces est la reconnaissance de son identité nationale unique. Point intéressant, ce sentiment est plus fort chez les députés du RDC : 64 % de ceux-ci ont en effet mentionné la reconnaissance de l’identité nationale québécoise comme une raison de traiter le Québec différemment par rapport à 50 % des députés du Québec qui ont exprimé le même sentiment. Les députés du Québec et ceux de l’extérieur du Québec ont exprimé leur soutien au fédéralisme asymétrique, tel qu’énoncé dans la Déclaration de Sherbrooke. Un tiers des députés du NPD (38 % des députés du Québec et 28 % des députés du RDC) ont invoqué le respect du fédéralisme asymétrique, en mentionnant parfois de manière explicite la Déclaration de Sherbrooke, afin d’expliquer la nécessité de traiter le Québec différemment des autres provinces. Les raisons invoquées moins fréquemment pour traiter le Québec différemment sont la préservation de l’unité canadienne, le fait que les Québécois sont un peuple fondateur du Canada et le respect de la juridiction provinciale. Cependant, certains députés ont ressenti le besoin de nuancer leur soutien à l’égard d’un traitement différent du Québec en affirmant que toutes les provinces canadiennes sont uniques et méritent donc d’être traitées différemment.

Le texte de la Déclaration de Sherbrooke indique clairement que le gouvernement provincial du Québec devrait pouvoir se retirer des dépenses fédérales de compétence provinciale, telles que celles concernant les programmes sociaux et les infrastructures municipales, avec pleine compensation s’il le souhaite. Dans de tels cas, la déclaration stipule « qu’il ne devrait pas y avoir de conditions ou de normes appliquées au Québec sans son consentement » et que toute norme nationale ne serait valide que si le Québec y avait consenti par le biais de consultations et de négociations avec le gouvernement fédéral. Cependant, 45 % des députés néo-démocrates en 2014 ont déclaré partager le sentiment que le gouvernement fédéral devrait subordonner le financement des programmes sociaux des provinces de manière à respecter les normes de base établies par le gouvernement fédéral, ce qui est contraire à l’esprit de la Déclaration de Sherbrooke (voir tableau 5). Bien qu’un tel sentiment soit plus répandu parmi les députés du Canada hors Québec (56 %), cette position a également été défendue au sein de la section québécoise du caucus du NPD (35 %). Un petit nombre de députés (10 % de ceux du Québec et 16 % de ceux du RDC) ont également ajouté qu’il serait impératif que le gouvernement fédéral garantisse à tous les Canadiens l’accès aux mêmes services, peu importe leur lieu de résidence, une situation qui n’est pas garantie par la Déclaration de Sherbrooke.

La politique du droit de retrait des programmes fédéraux a rencontré un certain soutien parmi les députés néo-démocrates fédéraux interviewés. Les interprétations de cette politique étaient cependant assez variées. La version la plus minimaliste, à savoir que le Québec devrait pouvoir se retirer avec compensation de certains programmes uniquement (par exemple la garde des enfants, mais pas les soins de santé), a été soutenue par seulement 11 % des députés (10 % des députés du Québec et 12 % de ceux du RDC). Plus du tiers des députés (39 % des députés du Québec et 28 % de ceux du RDC) ont souscrit à une interprétation plus populaire de la politique du droit de retrait, que l’on pourrait appeler « la conception de la Déclaration de Sherbrooke ». Cette clause, contenue dans la Déclaration de Sherbrooke, permet au seul gouvernement provincial du Québec de se retirer avec indemnisation intégrale et de ne pas se voir imposer de normes auxquelles il n’a pas consenti. L’interprétation la plus forte de la politique du droit de retrait, mentionnée par 20 % des députés du NPD, dont 26 % des députés du Québec et 12 % des députés du RDC, était que toutes les provinces devraient être autorisées à se retirer occasionnellement des programmes fédéraux avec une exemption des normes fédérales et une indemnisation financière totale. Un tel cadre créerait un fédéralisme extrêmement décentralisé permettant aux provinces de s’inscrire ou de se soustraire aux programmes fédéraux, probablement par le biais de négociations avec le gouvernement fédéral. Il faut rappeler que si le gouvernement fédéral donnait le droit de retrait à toutes les provinces, il ne s’agirait plus d’un fédéralisme asymétrique. En effet, c’est une façon de ne pas traiter le Québec différemment des autres provinces. Lorsque nous leur avons demandé d’expliquer leur soutien à la politique du droit de retrait, les députés néo-démocrates du Québec ont signalé que cela constitue un élément essentiel de la Déclaration de Sherbrooke, garantissant l’autonomie provinciale, tandis que les députés néo-démocrates du reste du Canada sont plus sensibles au fait que cela permettrait une gestion plus facile de la fédération.

Comme on peut le constater, les réponses des députés du NPD à cette question étaient moins claires et précises. Bon nombre des réponses des députés, en particulier ceux du Canada hors Québec, ont mis en évidence l’écart entre les principes et les politiques discutés ci-dessus. Ils ont insisté sur le fait qu’ils soutiennent les principes d’un fédéralisme asymétrique et du droit de retrait du Québec des programmes fédéraux tout en défendant une politique prônant des normes fédérales strictes qui seraient appliquées à tous les gouvernements provinciaux par le gouvernement fédéral comme condition d’accès aux transferts fédéraux. Dans de tels cas, les réponses ont fini par être « à double codage », car un même député pouvait exprimer des positions contradictoires consistant à soutenir à la fois le retrait et des normes fédérales minimales contraignantes. Les députés néo-démocrates du RDC sont plus susceptibles d’adopter de telles positions contradictoires que leurs collègues du Québec. De nombreux députés du RDC (environ 40 %) ont tenté de justifier cette position contradictoire en affirmant qu’ils ne voient aucun problème dans le retrait du Québec, puisque, dans la majorité des cas, les programmes sociaux du Québec sont soumis à des normes bien plus strictes que celles appliquées dans le reste du pays. Leurs réponses suggèrent la possibilité, exclue dans la Déclaration de Sherbrooke, que le retrait puisse avoir lieu seulement si le programme social provincial en question atteignait ou surpassait la qualité des programmes des autres provinces.

Conclusion

Notre analyse contribue à la littérature sur la relation entre le NPD et la question du statut du Québec. Elle se distingue d’analyses plus classiques issues de l’histoire intellectuelle, en mettant en relief trois éléments rendus visibles par notre recherche quantitative et statistique.

Premièrement, l’histoire intellectuelle décrit les controverses au sein du NPD autour de deux éléments : le niveau approprié de centralisation de la fédération canadienne et la reconnaissance des Québécois en tant que « nation ». Elle a cependant du mal à expliquer les causes de cette controverse. Nous soutenons que le faussé entre les principes et les pratiques entre les députés et les membres du parti hors Québec est en cause dans ces controverses. En utilisant des enquêtes de masse, notre étude montre qu’il existe un écart entre les principes et les politiques concernant la reconnaissance du Québec dans un fédéralisme asymétrique. Cet écart est profondément ancré dans l’idéologie des députés néo-démocrates du ROC et chez les membres anglophones du NPD. Les deux groupes révèlent avoir de la difficulté à aligner leurs positions politiques sur leurs principes. Ils souscrivent à l’importance philosophique et politique de reconnaître à la fois l’autonomie du gouvernement du Québec et la nation québécoise. Cependant, comme sociaux-démocrates, ils favorisent des programmes sociaux de grande qualité à travers le Canada et la redistribution des richesses dans toutes les provinces. Conséquemment, ils considèrent que les normes fédérales, qui confèrent au gouvernement fédéral un rôle de premier plan dans l’application d’une égalité économique pour tous les Canadiens, sont une composante essentielle d’une social-démocratie canadienne. Ils peuvent affirmer que les québécois forment une nation et que le Québec devrait être traité différemment lorsque nécessaire, mais ils ont plus de difficulté à accepter la pratique du retrait des programmes sociaux avec compensation parce qu’elle pourrait créer des différences entre les programmes sociaux des provinces. De plus, les membres et députés néo-démocrates du RDC peuvent craindre que cette concession à l’égard du Québec puisse entraîner un coût électoral auprès de leur électorat (voir tableaux 2 et 3). Ainsi, leur conception de la social-démocratie et leur pragmatisme politique freineraient la mise en application de leurs principes à l’égard du nationalisme de reconnaissance du Québec. En fait, cette incapacité à aligner principes et pratiques crée des tensions entre l’aile québécoise du NPD et celle du reste du Canada, celle du Québec étant la seule qui adhère complètement à la théorie et à la pratique du fédéralisme asymétrique.

Deuxièmement, l’histoire intellectuelle tend à minimiser les controverses au sein du NPD depuis l’adoption de la Déclaration de Sherbrooke. Nos enquêtes de masse anonymes font voir une réalité plus complexe. Nous notons chez les députés et les membres québécois du NPD moins de divergence entre principes et politiques que leurs homologues du ROC (voir tableaux 2 et 3). En ce qui concerne les questions fermées et les questions ouvertes qui n’ont été posées qu’aux députés (voir tableau 5), les réponses indiquent un niveau supérieur d’acceptation de la politique du droit de retrait, qui correspond aux principes de la reconnaissance d’une nation québécoise et d’un traitement différent du Québec par le gouvernement fédéral quand cela s’avère nécessaire. Cette différence cruciale entre les composantes québécoises et celles du NPD hors Québec suggère que les tensions sur la centralisation/décentralisation de la fédération et les conséquences politiques de la reconnaissance des québécois en tant que nation ne se sont pas complètement apaisées, malgré le soutien important reçu pour la Déclaration de Sherbrooke lors du congrès du NPD en 2006 et le soutien public des élites du NPD envers cette Déclaration au cours de la dernière décennie. En effet, les députés et les membres néo-démocrates du Canada anglais semblent avoir encore du mal à accepter les implications de la Déclaration de Sherbrooke selon lesquelles le gouvernement du Québec devrait pouvoir se retirer des programmes fédéraux avec une indemnisation intégrale et le droit de ne pas respecter les normes fédérales. Au vu des résultats de cette étude, il semble que la question du statut du Québec dans la fédération reste un enjeu qui pourrait faire l’objet de discussions au NPD.

Troisièmement, l’histoire intellectuelle ne révèle pas qui au sein du NPD et parmi ses électeurs potentiels est plus disposé à être favorable au contenu de la Déclaration de Sherbrooke. En utilisant des enquêtes de masse et les statistiques, la régression MCO au tableau 4 montre que, au Québec et dans le ROC, les membres et les électeurs potentiels du NPD plus instruits et plus à gauche sont plus disposés à être favorables à ces revendications. Il faut noter que la plateforme électorale du NPD pendant l’élection de 2019 était plus à gauche qu’en 2011 et 2015 (McGrane, 2020) et que le parti a perdu la moitié de ses sièges en plus de voir son vote populaire diminuer. Il est possible qu’un NPD plus à gauche soit plus unifié derrière les luttes de reconnaissance du Québec et le fédéralisme asymétrique. Comme on a vu, les membres du NPD et les électeurs du NPD plus à gauche sont plus favorables au nationalisme de minorité nationale des Québécois. Mais il faut aussi reconnaître qu’avec seulement un siège et 10 % du vote populaire, le NPD n’est plus une force politique au Québec en 2020. Comme presque tous ses sièges et ses électeurs sont dans le reste du Canada, ce sont les membres et les députés anglophones qui dominent le discours et la position stratégique du NPD à propos de l’ensemble des enjeux, y compris ceux qui concernent le Québec. Donc, le NPD pourrait s’aligner avec la tendance dominante des néo-démocrates au Canada anglais, c’est-à-dire en faveur des revendications nationalistes en principe, mais pas en pratique. Une autre possibilité est que le NPD se divise encore publiquement. C’est possible que les membres plus à gauche et la petite section québécoise tentent publiquement de pousser le caucus à la Chambre des communes en faveur de revendications nationalistes en principe et en pratique. En fin de compte, beaucoup dépend des enjeux qui structureront les différentes formes de nationalisme. Enfin, il est important de rappeler certains aspects de la relation entre le NPD et les nationalismes au Québec qui n’ont pas été abordés dans cet article et qui vont probablement devoir être pris davantage en compte à l’avenir. Notre analyse s’intéressait aux revendications portées par un seul type de nationalisme au Québec, un nationalisme de reconnaissance en faveur d’une conception asymétrique du fédéralisme. Or, on observe depuis plus d’une décennie au Québec une diminution de l’appétit autant pour la question de la souveraineté du Québec que pour les enjeux constitutionnels. Ainsi, si notre analyse permet d’évaluer d’éventuelles controverses au sein du NPD sur la question du fédéralisme asymétrique, nous ne pouvons pas en conclure que les électeurs potentiels, les membres ou les députés du NPD considèrent que ces enjeux sont suffisamment importants pour être des enjeux électoraux durant les prochaines années. Il est également difficile de prédire si ces enjeux resurgiront de manière importante dans le débat public et en période électorale durant les prochaines années. De plus, notre enquête ne s’attardait pas aux attitudes et aux perceptions des électeurs potentiels, des membres et des députés du NPD à l’égard des revendications très différentes portées par les courants nationalistes homogénéisants et les courants nationaux-populistes au Québec qui occupent de plus en plus de place à la Coalition avenir Québec (CAQ), au Parti québécois (PQ) et au Bloc québécois (BQ) depuis les années 2010 et qui ont culminé avec le projet de loi 21 quelques mois avant la dernière élection fédérale. Il est certain que la présence plus forte de ces types de nationalisme changera à terme la perception du nationalisme québécois des électeurs, des membres et des députés du NPD et mènera à d’autres types de débats. Ils pourraient aborder par exemple le port de signes religieux par le chef du parti. D’autres recherches plus sensibles aux transformations récentes des nationalismes au Québec seraient intéressantes afin d’apporter un éclairage au nouveau contexte dans lequel pourrait se dessiner la relation entre le NPD et le Québec.