Recensions

La contre-démocratie de Pierre Rosanvallon, Paris, Éditions du Seuil, 2006, 345 p.[Notice]

  • Benoit Décary-Secours

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  • Benoit Décary-Secours
    Université du Québec à Montréal

Dans cet ouvrage, Pierre Rosanvallon tente fondamentalement d’élaborer « une théorie renouvelée des formes de la démocratie à partir de l’observation minutieuse de la contre-démocratie » (p. 321). Pour ce faire, il se concentre sur l’une des trois composantes principales de l’univers de la démocratie représentative : la contre-démocratie. L’auteur avance ainsi que la tendance impolitique à l’oeuvre dans nos démocraties ne pourra réellement être surmontée que par une repolitisation de la démocratie qui doit passer par une action réflexive du politique. Pour P. Rosanvallon, l’expérience démocratique comprend trois piliers : le gouvernement électoral-représentatif qui assure l’assise institutionnelle, la contre-démocratie qui assure une certaine vitalité contestataire et le travail réflexif du politique qui assure une densité historique et sociale à la démocratie. Ces trois dimensions de l’expérience démocratique intègrent cependant des pathologies qui doivent pouvoir être surmontées. Le gouvernement électoral-représentatif tend à se transformer en aristocratie élective alors que la contre-démocratie est hantée par le populisme et l’antipolitique et le travail réflexif du politique risque d’être aspiré par la facilité décisionniste ou par un certain formalisme délibératif. C’est pour amorcer une dynamique vertueuse en se complétant les unes les autres que ces trois dimensions de la démocratie devront s’insérer au sein d’un régime mixte à l’image de l’idée de constitution mixte du Moyen Âge. Les dysfonctionnements des démocraties représentatives contemporaines se trouvent toujours au coeur de plusieurs ouvrages de science politique qui invoquent la baisse de la participation électorale, la montée de l’individualisme, le déclin de la volonté politique ou bien le mythe du citoyen passif. Dans la même logique, il serait pertinent de se demander s’il ne pourrait pas y avoir déclin de la participation électorale et accroissement de la participation non traditionnelle. La démocratie d’élection pourrait-elle se trouver en baisse alors que les démocraties d’expression, d’implication et d’intervention se déploieraient ? C’est dans ce même ordre d’idées que P. Rosanvallon, dont plusieurs ouvrages ont porté sur l’histoire de la démocratie, affirme que le mythe du citoyen passif doit être restitué dans une analyse élargie des mutations des formes de l’activité démocratique et propose une réflexion sur la contre-démocratie qui s’attaque, selon lui, au véritable problème de la démocratie contemporaine : l’impolitique. L’auteur réfute ainsi le mythe du citoyen passif et défend une thèse selon laquelle le problème des démocraties contemporaines serait causé par le caractère impolitique de la contre-démocratie qui superpose une activité démocratique et des effets proprement non politiques. Les démocraties représentatives affichent une dissociation problématique entre la légitimité, assurée de manière mécanique par le processus électoral, et la confiance, qui revêt un caractère invisible. En effet, cette confiance fait les frais d’une érosion peu de temps après une élection et établit un écart à combler entre légitimité et confiance. Cet écart a historiquement été compensé au sein des démocraties représentatives par l’organisation de la défiance. Cette dernière se scinde en deux courants ; d’abord l’organisation de la défiance libérale, qui est de caractère institutionnel, puis de manière non institutionnelle grâce à l’organisation de la défiance démocratique. La seconde forme de défiance, incarnée par un contre-pouvoir social informel, est le principal objet de l’ouvrage de P. Rosanvallon. La défiance démocratique, ou contre-démocratie, « n’est pas le contraire de la démocratie, c’est plutôt la forme de démocratie qui contrarie l’autre, la démocratie des pouvoirs indirects disséminés dans le corps social, la démocratie de la défiance organisée face à la démocratie de la légitimité électorale » (p. 16). L’objectif de cet ouvrage est principalement d’aborder la défiance démocratique en épousant une perspective d’ensemble, par le biais de sa caractérisation et son évaluation, comme faisant système avec les institutions démocratiques …