Recensions

La démocratie au péril de l’économie, sous la dir. de Marc Humbert et Alain Caillé, Presses universitaires de Rennes, 2006, 367 p.[Notice]

  • René Audet

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  • René Audet
    Département de sociologie, Université du Québec à Montréal

Dans un récent discours prononcé devant les distingués invités du président malais, le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Pascal Lamy, affirmait que « l’ouverture des marchés étendra potentiellement la liberté, la capacitation, la démocratie, l’innovation, les échanges sociaux et culturels, tout en offrant des opportunités inédites pour le dialogue et la compréhension mutuelle   ». Le libre commerce, en d’autres mots, garantirait le déploiement de la démocratie à l’échelle de la planète. Cette solution toute trouvée ne saurait donc être remise en question. Or, c’est pourtant ce que font un nombre croissant de groupes et d’individus appartenant tout autant aux institutions parlementaires et universitaires qu’à la constellation de citoyens, d’ONG (organisations non gouvernementales) et de mouvements sociaux que l’on appelle couramment la société civile. La critique du discours « néolibéral » occupe donc une part importante de l’activité intellectuelle de ces groupes qui veulent, reprenant la formule des forums sociaux, « créer un autre monde possible » ou entendent, selon le réseau dont il sera question ici, « penser autrement les activités économiques et concevoir les moyens pour faire de la terre une planète humaine et solidaire ». Ce réseau international dénommé Political and Ethical Knowledge on Economic Activities (PEKEA), notamment sa branche francophone à l’origine de la publication de l’ouvrage recensé, porte l’ambition de la « re-construction d’un paradigme » (p. 15) pouvant revisiter le rapport entre démocratie et économie autrement qu’à la manière d’un Pascal Lamy. Son point de départ consiste à associer à l’entreprise la tradition française de l’économie humaine et sociale, dont les origines, décrites par Marc Humbert dans un savant chapitre préliminaire, sont à la fois anciennes et peuplées d’initiatives avortées, de possibilités non explorées et d’une timidité toute conformiste. Ce n’est qu’après un demi-siècle d’effort de théorisation – deux décennies après La grande transformation de Karl Polanyi – que des économistes (André Marchal, François Perroux, Jean Bancal, etc.) ont formulé l’idée d’une économie imbriquée dans le reste de la société, d’une économie comme fonction sociale parmi d’autres et pouvant très bien s’exprimer de différentes manières dans différentes sociétés. Cette « découverte » des économistes français constituait donc une mise en garde contre toute compréhension universaliste – en l’occurrence libérale et marchande – de l’économie. De là, comme le proposent les auteurs, surgissent de nouvelles avenues pour l’étude des rapports entre économie et démocratie. C’est donc ainsi qu’est lancé l’objectif de la première partie du livre sur les conceptualisations de l’économie et de la démocratie et sur leur statut contradictoire ou complémentaire. La question de leurs rapports joue d’ailleurs comme le malaise à surmonter – voire à assumer –, puisqu’il semble devenu impossible de penser la démocratie sans l’associer au capitalisme. C’est Alain Caillé lui-même qui propose la thèse provocante que la démocratie et le capitalisme sont liés à la fois historiquement, puisque « c’est le mouvement démocratique moderne qui impulse le capitalisme » (p. 42) ; ontologiquement, car le capitalisme « apparaît comme le bras séculier qui a pour charge de tenir la promesse démocratique » (p. 43) ; et dialectiquement, parce que leur destin ultime est lié dès que l’équilibre est rompu par la démesure de l’accumulation et de l’inégalité économiques. Comment donc revivifier l’idéal démocratique si ce n’est en installant un nouvel étau normatif autour du capitalisme (Caillé pense à l’instauration d’un revenu minimum et d’un revenu maximum) ? Et si, puisque le capitalisme n’est qu’une forme économique parmi d’autres, l’espoir se trouvait non pas dans son encadrement démocratique, mais bien dans l’intrusion de la démocratie au sein des différentes sphères de l’économie ? Bien qu’elle puisse sembler futile, cette …

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