Recensions

Penser le sacré. Les sciences humaines et l’invention du sacré de Michel Carrier, Montréal, Éditions Liber, 2005, 151 p.[Notice]

  • Charles Deslandes

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  • Charles Deslandes
    Département de science politique, Université du Québec à Montréal

Michel Carrier enseigne au Département des sciences religieuses de l’Université du Québec à Montréal. Il est également chercheur associé au Groupe de recherche sur l’imaginaire politique en Amérique latine à la même université. Son livre Penser le sacré. Les sciences humaines et l’invention du sacré interroge la « volonté de savoir » de la pensée occidentale qui l’amène à théoriser le sacré. Plus spécifiquement, ce sont les réponses au problème politique moderne du vivre-ensemble qui, par l’analyse discursive des pensées à l’oeuvre, se révèlent être l’objet au coeur des théorisations du sacré. S’inspirant des thèses de Michel Foucault sur la folie, Carrier soutient que « la construction de l’idée du sacré est intimement liée à la question politique fondamentale – comment et sur quels fondements les hommes réussissent-ils à vivre ensemble ? » (p. 11). En un mot, ce sont les sciences humaines qui construisent l’objet du sacré. La pertinence d’interroger ce qu’on dit du sacré pour arriver à la manière de penser le vivre-ensemble vient du fait que la notion du sacré mène à la charnière de la pensée, là où les paradoxes apparaissent dans leur éclat, révélant l’architecture ontologique et épistémologique des pensées conservatrice, postmoderne et radicale. Le livre comprend quatre chapitres dont l’axe principal départage les pensées nomiques du sacré (celles dont la théorisation du sacré équivaut au maintien d’un ordre) de la pensée anomique (celle pour qui le sacré est impensable, source de désordre). Dans un premier temps, M. Carrier discute des thèses de la sécularisation de la pensée. Les deux chapitres qui suivent concernent la pensée nomique du sacré qui regroupe les pensées conservatrice (phénoménologique et sociologique) et postmoderne. Le livre se termine sur la présentation des thèses de George Bataille et de leur mise en opposition avec les pensées de l’ordre. Si la pensée sécularisée requiert qu’on s’y attarde, c’est qu’« il faut en quelque sorte avoir la prétention d’être muni d’une pensée sécularisée pour discourir sur des idées telles que la “sécularisation” et le “sacré” » (p. 19). C’est que, pour M. Carrier, les discours sur le sacré et sur la sécularisation circulent à l’intérieur d’un même horizon épistémologique. Dès lors, ils sont tautologiques dans la mesure où ils font de la sécularisation la condition épistémologique nécessaire à l’étude du processus de sécularisation. La question soulevée est alors « comment les sciences humaines pensent-elles la sécularisation et pourquoi la pensent-elles ainsi ? » (p. 21). Pour y répondre, l’auteur présente trois types de pensée sécularisée ou sécularisante : l’empirisme systématique, l’interprétation continuiste et la sécularisation renversée. Afin de démontrer comment la pensée se sécularise, l’empirisme systématique met en relief les effets empiriques de la rationalité moderne de l’Occident. Le désenchantement du monde et l’effacement du sacré se vérifient par le déclin de l’influence des institutions religieuses sur le vivre-ensemble (le comment). Pour l’interprétation continuiste d’influence wébérienne, le désenchantement du monde est un processus qui lie la modernité et les religions judéo-chrétiennes (le pourquoi). Or, tant l’empirisme systématique que l’interprétation continuiste confondent institutions religieuses et religion. À l’opposé, la thèse de la sécularisation renversée de Danièle Hervieu-Léger échappe à cette aporie conceptuelle. Pour elle, la modernité est à la fois productrice de la sécularisation et des modes de croire religieux ou non religieux qui caractérisent la religion en Occident contemporain. Cependant, cette thèse de la sécularisation soutient que le rabattement sur l’autonomie individuelle qu’induisent les modes de croire et leur rattachement à l’autorité d’une tradition entraîne conséquemment une dépolitisation du vivre-ensemble. Au contraire, déclare M. Carrier avec sa thèse, les sciences humaines produisent certes des discours sur le sacré, mais …