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Ce livre est un ouvrage de référence presque incontournable pour toute personne intéressée par la vie politique en Belgique. Il est offert dans un format pratique muni d’une table des matières très détaillée. Six chapitres charpentent le livre. L’auteur, qui a déjà publié sur ce sujet, présente de nombreux détails historiques et contemporains sur la réalité politique belge. Les sources documentaires qu’il utilise sont nombreuses, variées, récentes et publiées tantôt en français ou en anglais, tantôt en néerlandais. Voyons maintenant comment Pascal Delwit construit son argumentaire.

Dans son introduction, Delwit parle de la crise politique de 2007, mais on peut presque aussitôt l’appliquer à la situation qui prévaut au sein du gouvernement fédéral depuis juin 2010. Ce livre nous éclaire donc sur ce qui se passe encore aujourd’hui en Belgique. L’auteur annonce que son texte s’articule autour de trois axes d’analyse : le système politique belge, son cadre institutionnel et les partis politiques. Il analyse ces trois dimensions en proposant le découpage historique suivant : de 1831 à 1893, de 1894 à 1945, de 1946 à 1965 et de 1965 à aujourd’hui. Au fil du temps, on observe que la Belgique est passée d’un bipartisme à un multipartisme « fort » et « extrême » (p. 9).

Le chapitre I énumère les principaux enjeux entourant la formation du royaume de Belgique vers 1830. Le chapitre suivant présente les bases de la construction d’un État belge. En établissant ce cadre politico-institutionnel, le rôle clé du roi au sein du royaume est précisé. L’émergence du Parti libéral en 1846, qui sera suivie quelques années plus tard de la naissance d’un Parti catholique, engendre une « confrontation bipartisane » qui se poursuivra de 1848 à 1894 (p. 25). L’auteur identifie des enjeux du dix-neuvième siècle ; par exemple, c’est en 1846 qu’on a procédé à une « première évaluation du poids et de la répartition des langues en Belgique » (p. 37). Il nous explique pertinemment les conséquences de cette action : « Sous l’angle législatif, l’unilinguisme officiel total de l’État belge est battu en brèche à la fin du dix-neuvième siècle. En août 1873, le néerlandais est introduit en matière judiciaire […] En d’autres termes, préciser où s’appliquent l’unilinguisme francophone et le bilinguisme en Flandre. La notion de frontière linguistique est en germe. » (p. 39)

Le chapitre III caractérise une époque associée à la révolution industrielle et au développement économique de la Belgique. Ce phénomène se vit à des rythmes différents dans le sud par rapport au nord du pays. L’auteur dresse un bilan des législations relatives au monde du travail au tournant du vingtième siècle (p. 48). Cette mise en contexte nous apprend les conditions entourant la naissance du Parti ouvrier belge (p. 49) ainsi que des débuts d’un Parti socialiste flamand et brabançon (p. 50). L’obtention du droit de vote (p. 54) et les débuts de la « pilarisation » en Belgique représentent deux faits historiques d’importance (p. 60). Ce chapitre couvre une période historique ponctuée de plusieurs événements de taille. Pensons à ce qui a entouré la Première Guerre mondiale et à ses conséquences sur les plans social, syndical et politique. L’entre-deux-guerres a aussi marqué la vie politique belge, car il y a eu « ouverture » et « diversification du paysage politique ». « Des familles politiques naissent et croissent tandis que d’autres sortent de la marginalité » (p. 83). Plusieurs tableaux aident à saisir la mouvance de ces diverses formations politiques qui se transforment.

Le chapitre IV, qui a pour titre « 1944-1965 : le bipartisme imparfait » (p. 105-150), expose quatre idées principales. La première est relative aux changements qui ont accompagné l’après-guerre. Pensons notamment aux « deux grands partis, socialiste et catholique, [qui] changent leur dénomination, leur leadership et leur mode d’affiliation » (p. 105) et aux femmes qui obtiennent le droit de vote aux élections législatives en 1948. D’autres questions retiennent aussi l’attention, comme le fait que « de 1945 à 1958 la vie politique belge est suspendue à deux questions explosives : l’éventuel retour sur le trône du roi Léopold III et la question scolaire. Toutes deux confirment la prégnance du clivage laïque-catholique, sur lequel s’opère une polarisation forte » (p. 117). La quatrième idée principale qui est examinée dans ce texte a trait au positionnement économique et linguistique qui s’observe au début des années 1960. On assiste à l’adoption de trois lois linguistiques en 1963, à un « réalignement libéral » (p. 131), et on voit naître des partis politiques communautaires (p. 143). Delwit nous informe pertinemment des différentes étapes franchies par des formations politiques comme la Volksunie, le Front démocratique des Bruxellois francophones (FDF) (p. 149) et le Rassemblement wallon (RW), pour n’en nommer que quelques-uns (p. 143-150).

Le chapitre V, qui forme en fait le coeur de ce livre, couvre la période 1965-2009. Des partis politiques communautaires entrent en scène dès les élections de 1965, ce qui marque le passage d’un bipartisme « imparfait » (p. 151) au multipartisme. Le recours au concept de « démocratie consociative » pour qualifier la Belgique est remis en cause avec l’arrivée de ces nouveaux acteurs sur la scène politique et électorale (p. 153-154). On observe une fragmentation accrue entre des partis politiques régionaux et nationaux. L’« affaire de Louvain », mouvement d’opposition entre étudiants francophones et néerlandophones de l’Université catholique de Louvain, conduit au dédoublement de cette institution en 1968 et à la scission en deux partis politiques distincts du Parti social chrétien (p. 158). Cette tendance s’observe aussi du côté de la formation socialiste et libérale. « Dans les années soixante-dix, les partis régionalistes ont beaucoup pesé sur le débat institutionnel » (p. 187). À la fin des années 1970, on observe l’entrée en scène de partis écologistes : Écolo (associé au « spectre francophone ») et Agalev (associé à la Flandre) (p. 207). À l’aide de plusieurs exemples, l’auteur démontre jusqu’à quel point la vie interne d’un parti politique est façonnée de multiples tensions. À titre indicatif, il présente un historique condensé du Vlaams Blok, un des partis politiques d’extrême droite (p. 215-222), qui, lors de l’« élection communale de septembre 1994 scelle son enracinement politique » (p. 218). Les années 1990 sont qualifiées d’« années douloureuses » (p. 230), car des événements comme l’« affaire Dutroux » (où des adolescentes sont séquestrées et assassinées par Marc Dutroux, chef d’une bande de malfaiteurs), la contamination à la dioxine de poulets d’élevage, le regain de tensions communautaires et d’autres problèmes relatifs à la fiscalité et à la sécurité sociale enveniment la vie politique. L’élection du 13 juin 1999 représente un « scrutin de rupture ». Delwit écrit : « Avec celles de 1965 et de 1981, l’élection de 1999 restera dans les annales de l’histoire politique belge d’après-guerre comme ayant le plus bouleversé le paysage politique et les rapports des forces entre partis et familles politiques. » (p. 257) Il évoque plusieurs raisons pour expliquer ce changement de situation.

Le chapitre VI, qui sert aussi de conclusion, s’intéresse aux mutations politiques contemporaines du système politique. Elles se résument principalement à trois idées-forces : un premier clivage est relatif à l’écart philosophique entre laïcs et catholiques, un deuxième a trait aux « possédants-travailleurs » (p. 321) et un troisième, qu’il qualifie de « clivage centre-périphérie », est associé à la « querelle linguistique » (p. 321). Notons que l’auteur met en relief que ces mutations peuvent être caractérisées à partir de plusieurs facteurs. Il mentionne deux indicateurs, « l’indice de fragmentation et le nombre effectif de partis » (p. 324), ajoutant qu’au fil du temps on a observé un changement quant au comportement électoral. On y voit un double mouvement : les partis politiques dominants déclinent alors que la population appuie de plus en plus de nouvelles formations politiques. Après l’adoption de la Loi sur le financement public des partis politiques, en 1989, on assiste à « la mise en place de regroupements politiques ou de cartels électoraux » (p. 323). Delwit identifie par ailleurs d’autres réformes du système électoral.

De ces éléments, il ressort que le « système politique belge est […] confronté à des partis qui changent d’essence et d’ossature organisationnelle » (p. 350). Delwit explore les multiples facettes de cette idée qui semble correspondre au fil conducteur de son argumentation. La présence de plusieurs tableaux enrichit sa démonstration. Par contre, il aurait été utile qu’il dresse une liste des sigles utilisés pour désigner les partis ou les formations politiques qui se sont transformés au fil du temps, car le lecteur s’y perd un peu. Une autre limite se glisse dans ce texte : le chapitre V est un peu trop important en comparaison des autres chapitres et aurait pu faire l’objet d’un livre à lui seul. Si l’on veut essayer de comprendre la spécificité de la vie politique de la Belgique actuelle et si, de plus, on veut se plonger dans les méandres de l’histoire complexe de ce pays souvent mis à l’épreuve par divers événements, on a tout intérêt à lire ce livre.