Recensions

Éric Marty, Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux ?, Paris, Seuil, 2011, 439 p.[Notice]

  • Julie Paquette

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Cet ouvrage magistral du professeur Éric Marty – éditeur des oeuvres de Roland Barthes – présente de manière succincte, voire didactique, les différents visages que prend le marquis de Sade au vingtième siècle. Notons cependant que le siècle ici est presque strictement français et commence en 1947 pour se clore une trentaine d’années plus tard avec Pier Paolo Pasolini, en 1975. Dans cet ouvrage, Marty s’attache aux lectures de Sade qu’il juge les plus importantes, suggérant le plus souvent un Sade résolument aristocrate et monarchiste. Pour ce faire, il propose un parcours de l’histoire littéraire au cours duquel défilent les Klossowski, Bataille, Blanchot, Adorno et Horkheimer, Foucault, Deleuze, Lacan, Barthes, Sollers et finalement Pasolini. Toute la virtuosité de cet ouvrage tient à son approche synoptique qui nous permet d’apercevoir les variations autour de la figure de Sade. Variations qui participent de ce que Marty nomme la « mythologie sadienne » (p. 13) et qui s’érigent, faut-il le préciser, parallèlement aux différents événements qui marquèrent le vingtième siècle. Ce véritable panorama s’ouvre en 1947, année où paraît le célèbre Sade mon prochain de Pierre Klossowski, mais aussi La littérature et le mal, où Georges Bataille consacre un chapitre entier au marquis, « La raison de Sade » de Maurice Blanchot, ainsi que le texte de Theodor Adorno et Max Horkheimer, « Juliette ou la raison morale », qui prend place dans La dialectique de la raison. Nous sommes alors aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et Sade est « pris au sérieux » puisque, comme le dit Bataille, « il n’est plus possible de plaisanter après les camps » (p. 10). Ces lectures s’inscriront en faux contre celles qu’avaient déjà proposées les surréalistes, André Breton en tête (p. 16), qui voyaient en Sade l’apologiste de la libération sexuelle. Sade sera donc peint sous les traits d’un homme intégral à visages multiples : d’abord comme celui pouvant purger le mal sociétal originel (Klossowski), puis s’édifiant contre l’homme normal dans une société où règne l’anarchie du pouvoir (Bataille), ensuite comme cette figure intégrale niant toute médiation, dans le silence des lois et l’absence de l’autre (Blanchot), pour finalement devenir cet homme intégral préfigurant le fascisme (Adorno et Horkeimer). En 1961, l’oeuvre de Sade est reléguée à l’arrière-plan. On l’aborde désormais par mythologies interposées. Cette année-là paraît Présentation de Sacher-Masoch de Gilles Deleuze et Jacques Lacan donne son grand séminaire, L’Éthique de la psychanalyse (1959-1960), où « surgit la figure de Sade » (p. 24) qui occupera une partie importante des réflexions du penseur qui mèneront à la publication, en 1963, du célèbre « Kant avec Sade ». Deleuze propose de prendre une certaine distance avec l’ironie sadienne en se tournant vers l’humour de Leopold von Sacher-Masoch, tandis que Lacan interroge le rapport fantasmatique envers la plastique commune à Justine et à Antigone (p. 235). Cette même année paraît aussi Histoire de la folie de Michel Foucault, qui voit en Sade une « contestation fondamentale qui hante le langage en le brûlant » (p. 133), jouant le « jeu limite de la transgression » (p. 25). Ce que l’on questionne au fond pendant cette période, c’est le rapport de Sade à la loi et à l’excès : transgression de la loi pour Foucault, loi cruelle et vide pour Deleuze, impératif catégorique de jouissance chez Lacan. L’année qui précède 1968 marque un troisième tournant. Sade devient sujet, « partenaire de jeu », voire complice. Cette année-là paraît le célèbre numéro de la revue Tel quel consacré à Sade, où l’on note la participation de Roland Barthes, Philippe Sollers et Klossowski (un Klossowski …

Parties annexes