Résumés
Résumé
Ce texte propose une recension critique des événements qui ont déclenché la crise financière de 2007-2008 afin d’évaluer le rôle des politiques d’accès à la propriété du gouvernement américain. En 1994, le président américain annonçait la dont le but était d’élever le taux de propriétaires occupants au pays, particulièrement celui des défavorisés, et confiait au U.S. Department of Housing and Urban Developmen le soin de développer, en partenariat avec l’industrie financière et tout ce qui gravite autour du milieu immobilier, des produits hypothécaires levant les obstacles à l’octroi de financement hypothécaire aux défavorisés. Parallèlement, le fut modifié de manière telle que les banques furent forcées de démontrer qu’elles avaient fait preuve de créativité pour augmenter le financement en milieu défavorisé. En outre, les Fannie Mae et Freddie Mac, qui achètent la moitié des hypothèques américaines avec une garantie gouvernementale implicite, ont été obligées d’octroyer des proportions minimales de financement aux défavorisés. Pour satisfaire ces exigences, on assista à une baisse généralisée des critères d’obtention du crédit.
Avec la politique d’argent facile de la Banque de réserve fédérale qui s’est accentuée à partir de 2003, des problèmes d’agence importants sur le réseau bancaire parallèle où ces prêts à risque étaient distribués sont apparus. Les intérêts des courtiers en hypothèques qui négociaient les prêts, des prêteurs hypothécaires spécialisés qui les autorisaient, des grandes banques d’investissement qui les titrisaient et des agences de notation qui en évaluaient le risque ont convergé vers une prise de risque excessive. Cependant, ce texte soutient que sans les exigences imposées par le gouvernement américain, la qualité du crédit n’aurait sans doute pas été détériorée à ce point et la crise n’aurait pas atteint l’ampleur qu’elle a connue.
Abstract
In 1994, the U.S. president announced the National Homeownership Strategy, which aimed to raise the rate of homeowners in the United States, focused primarily on the disadvantaged. The U.S. Department of Housing and Urban Development was given the task of developing, in partnership with the financial industry and everything that revolves around the real estate community, mortgage products that eliminated the obstacles to granting mortgage financing to the disadvantaged. Meanwhile, the Community Reinvestment Act was modified in such a way that banks were forced to demonstrate that they have been creative in increasing funding in disadvantaged areas. In addition, government-sponsored enterprises Fannie Mae and Freddie Mac, who buy half of U.S. mortgages with an implicit government guarantee, were forced to provide minimum proportions of funding for the disadvantaged.
With the easy money policy followed by the Federal Reserve between 2003 and 2006, significant agency problems developed on the shadow banking system where subprime loans were originated prior to securitization. The interests of mortgage brokers who negotiated the loans, specialized mortgage lenders that would allow them, large investment banks that securitized these loans, and rating agencies that evaluated the risks of these securities all converged toward excessive risk-taking. However, this paper argues that without the requirements imposed by the U.S. government, it is unlikely that the credit quality would have been affected as much and that the crisis would have reached such a magnitude.
Corps de l’article
On attribue communément à Wall Street – sous-entendre la grande finance – la responsabilité de la crise financière de 2008 qui a plongé l’économie mondiale dans la pire récession de l’après-guerre. De fait, il est notoire que c’est le développement exagéré du crédit hypothécaire à haut risque (subprime) qui a gonflé la bulle immobilière américaine à des niveaux insoutenables. Son inévitable éclatement a détruit la valeur des actifs garantissant ces emprunts et poussé à l’insolvabilité tant les ménages qu’un bon nombre de sociétés financières. On a largement documenté que le surdéveloppement de ce type de prêts fut rendu possible grâce à la mise en place de canaux de distribution des hypothèques qui contournaient le financement traditionnellement effectué par les grandes banques à dépôts. La grande majorité fut en effet négociée par des courtiers en hypothèques et autorisée par des prêteurs hypothécaires spécialisés qui n’acceptaient pas de dépôts. Ces institutions financières, qui formaient ce qu’on a appelé un système bancaire dissimulé (shadow banking system), regroupaient leurs créances hypothécaires pour les revendre sous forme de titres dont le rendement était lié à celui des hypothèques. Les émissions de ces titres étaient effectuées par les banques d’investissement américaines[2] et dûment cotées par les Moody’s de ce monde. Un véritable alphabet de la finance s’est développé, avec des acronymes tels MBS (mortgage backed securities [titres adossés à des créances hypothécaires]), CMO (collateralized mortgage obligations [obligations garanties par hypothèques]), SPV (special purpose vehicles [entités ad hoc]). Au Québec on retiendra surtout le PCAA, ou papier commercial non bancaire adossé à des actifs, de triste mémoire.
La crise a tous les éléments d’un suspense américain. Un vilain, le financier de Wall Street, ourdit à des fins d’enrichissement personnel un complot d’ampleur planétaire dont est victime la majorité de la population. Intervient alors un héros, Capitaine America lui-même, qui se met en péril pour réparer les torts. Mais a-t-on raison d’expliquer la crise surtout par l’appât du gain des financiers ? Certains voient là plutôt un argument spécieux. Selon les mots de Willem H. Buiter (2009 : 59), « Greed has always been with us and always will be. Greed can be constrained and need not lead to excess. Excess is just another word for greed combined with wrong incentives and defective regulation and supervision. » Pour paraphraser Lawrence H. White (2008), blâmer les banquiers équivaut à rendre la force d’attraction gravitationnelle responsable des écrasements d’avion. Bien qu’incontestable, une telle affirmation ferait piètre figure dans un rapport visant à établir les causes d’une catastrophe aérienne. Les avions étant conçus avec une portance suffisante pour contrecarrer leur poids, les enquêteurs cherchent ce qui a empêché les mécanismes de vol d’agir et identifient soit l’erreur humaine, soit l’avarie ou encore les conditions météorologiques. De même, comprendre pourquoi la crise s’est déclenchée aux États-Unis à ce moment exige un exercice semblable : pour quelles raisons la réglementation destinée à contrôler l’appétit des financiers a-t-elle failli à ce moment précis ?
La psychologie a pu contribuer à alimenter ce crédit facile. Nouriel Roubini (2007) évoque la théorie du cycle de Minsky. Cette théorie soutient qu’une période prolongée de stabilité économique et financière augmente la tolérance aux risques, ce qui conduit au surdéveloppement de l’effet de levier financier par une réduction progressive des normes d’octroi du crédit et de la qualité de la surveillance financière. La prise de risque exagérée prendrait donc sa source dans l’illusion créée par la « grande modération » – c’est-à-dire la réduction de la turbulence économique ayant débuté à la fin des années 1980 – que les cycles économiques étaient mieux contrôlés. Plus généralement toutefois, l’établissement d’un diagnostic sur la crise donne lieu à un curieux affrontement. D’une part, la majorité y voit une preuve de l’incapacité du capitalisme à bien fonctionner. Les gouvernements ayant dû intervenir après les excès, on en déduit une instabilité structurelle qui commande un meilleur contrôle étatique. Mais une position diamétralement opposée, moins véhiculée mais néanmoins bien documentée, s’exprime aussi, à savoir que la crise est l’aboutissement d’une intervention du gouvernement fédéral américain ayant perturbé les mécanismes habituels d’octroi du crédit dans le domaine du logement[3].
Le présent document analyse cette seconde thèse en revoyant les politiques gouvernementales américaines dans le secteur du logement depuis 1990. On verra que l’abaissement généralisé des normes d’octroi du crédit hypothécaire et les innovations financières tant décriées qui ont mené au développement du prêt à haut risque ont été encouragés dans le cadre d’initiatives du gouvernement américain visant à favoriser l’accès à la propriété résidentielle des personnes à revenu faible ou moyen. Ces initiatives ne furent bien entendu pas seules en cause. Une politique monétaire de la Banque de réserve fédérale (FED) exagérément réticente aux récessions combinée à un refus de la FED de superviser les titres adossés aux hypothèques a pavé la voie pour que des incitations perverses conduisent à une prise de risque exagérée. Les banques ont aussi obtenu un engagement tacite de la FED qu’elle leur fournirait un environnement économique de bas taux d’intérêt. Ce diagnostic se retrouve, sous une forme ou une autre, dans un grand nombre d’études[4]. Par ailleurs, la supervision des banques d’investissement américaines par la Securities and Exchange Commission (SEC) ne les empêchait nullement de prendre des risques excessifs. Si l’on ajoute à cette situation que les incitations perverses des agences de notation les amenaient à sous-évaluer le risque des titres qu’elles devaient estimer dans le marché d’accès restreint qui est le leur, la porte était ouverte pour tous les débordements. L’image finale n’est pas jolie : la défaillance de la réglementation manifeste de la complaisance, voire un aveuglement volontaire, où la protection des contribuables fut la dernière des préoccupations.
Nous traiterons dans la prochaine section les différentes mesures adoptées par le gouvernement américain depuis le début des années 1990 dans le but d’augmenter le taux de propriété des plus démunis. Nous verrons que c’est à la demande expresse du gouvernement fédéral que les banques ont développé des produits hypothécaires plus risqués. Nous présenterons ensuite le rôle des government-sponsored enterprises [entreprises soutenues par le gouvernement américain] (GSE) dans le marché du prêt hypothécaire américain, les deux principales étant familièrement appelées Fannie Mae et Freddie Mac. Nous exposerons notamment comment les GSE ont initié la titrisation des hypothèques aux États-Unis dès les années 1940 et comment les GSE ont été forcées par le gouvernement américain d’atteindre des cibles quantitatives d’octroi de financement hypothécaire aux défavorisés. Nous discuterons aussi des problèmes de risque moral inhérents à la titrisation des hypothèques, ce qui touche tant les acteurs privés que les GSE, mais pour des motifs différents. Ensuite, nous verrons pourquoi la FED a maintenu des taux d’intérêt aussi bas à partir de 2003 tout en ignorant les signaux lancés par la bulle immobilière.
La stratégie nationale sur la propriété résidentielle
En 1994, le président Bill Clinton annonça une stratégie nationale sur la propriété résidentielle (National Homeownership Strategy) visant à augmenter le taux de propriétaires aux États-Unis au niveau record de 67,5 % avant l’an 2000. Au moment de cette annonce, le taux de propriétaire occupant stagnait à 64 %, un niveau comparable à celui des années 1960 et plus faible que celui de 1979. La justification de cette politique reposait partiellement sur la présomption que la propriété résidentielle a de nombreuses retombées positives : réduction de la criminalité, revitalisation urbaine, développement d’un meilleur tissu social, etc. L’argument clé était cependant que la propriété résidentielle est le rêve américain, ainsi que Clinton l’évoqua en préambule d’une lettre enjoignant le U.S. Department of Housing and Urban Development (HUD) à mettre en oeuvre des mesures pour augmenter de manière « spectaculaire » le taux de propriété (voir la lettre en annexe 1). Tel que requis par le président, de nombreux groupes privés et publics ont participé à l’élaboration de ces mesures qui furent énoncées dans un document publié par le HUD en mai 1995, intitulé The National Homeownership Strategy : Partners in the American Dream (United States Department of Housing and Urban Development, 1995b). Ces mesures étaient endossées par 56 organisations nationales, les National Partners in Homeownership, qui s’engageaient à contribuer à la réalisation de 100 actions devant augmenter le taux de propriété. Parmi ces associations se trouvaient les suivantes : American Bankers Association, National Association of Realtors, National Association of Home Builders, Mortgage Bankers Association of America, America’s Community Bankers, American Bankers Association, Fannie Mae, Freddie Mac et d’autres du même acabit.
Cette annonce fut suivie en août 1995 d’un énoncé de politique du HUD dans lequel on rappelait l’importance de réduire les coûts et d’augmenter la flexibilité des outils de financement hypothécaire.
The National Homeownership Strategy commits both government and the mortgage industry to a number of initiatives designed to : Cut transaction costs through streamlined regulations and technological and procedural efficiencies ; Reduce downpayment requirements and interest costs by making terms more flexible, providing subsidies to low- and moderate-income families, and creating incentives to save for homeownership ; Increase the availability of alternative financing products in housing markets throughout the country.
United States Department of Housing and Urban Development, 1995a
Bref, l’industrie, la haute finance et le gouvernement unissaient leurs forces, et leurs intérêts, pour faciliter par tous les moyens possibles la propriété résidentielle.
La lutte à la discrimination raciale et le Community Reinvestment Act
Pour situer cette annonce dans le contexte, il est utile de rappeler que la Banque de réserve fédérale de Boston publia en 1992 une étude (Munnell et al., 1992) concluant que les Afro-Américains et les Hispaniques de la ville de Boston ont un taux de refus à une demande de financement hypothécaire 60 % plus élevé que celui des Blancs. Cet écart existe même lorsque les autres facteurs susceptibles d’affecter négativement l’octroi du crédit, un revenu plus faible ou un taux d’endettement plus élevé par exemple, ont été pris en compte[5]. Cette étude eut de fortes répercussions. Même si plusieurs travaux subséquents (p. ex. Bostic, 1996) sont venus mitiger la thèse de la discrimination dans l’octroi du crédit, les conséquences politiques furent fortes aux États-Unis. En effet, l’étude initiale étant parue quelques mois à peine après les émeutes meurtrières qui ont suivi l’acquittement des policiers dans l’affaire Rodney King, la discrimination à l’égard des Afro-Américains était un sujet particulièrement explosif. Peter J. Wallison (2008) rapporte que cela fut un élément clé justifiant un resserrement important en 1993 du Community Reinvestment Act (CRA), une loi adoptée en 1977 en vue de vérifier si les banques octroient suffisamment de crédit aux communautés susceptibles d’être victimes de discrimination.
Some of the context in which this was occurring can be gleaned from the following statement by Attorney General Janet Reno in January 1994 : “[W]e will tackle lending discrimination wherever and in whatever form it appears. No loan is exempt, no bank is immune. For those who thumb their nose at us, I promise vigorous enforcement.”
Wallison, 2008 : 367
Afin de vérifier le degré d’atteinte des objectifs du CRA, chaque banque reçoit un score. Wallison (2008) précise que les changements apportés en 1994, puis encore en 1997, modifient l’esprit de la réglementation qui passe d’un principe d’équité de la procédure à celui d’équité du résultat. Dorénavant, cette loi n’exigeait plus seulement de traiter de manière juste les demandes des ménages à plus haut risque. Pour atteindre les objectifs de la loi, les banques devaient désormais démontrer qu’elles avaient adopté des pratiques d’octroi du crédit innovantes ou flexibles qui rencontrent les besoins de crédit des ménages à revenu faible ou moyen. Les banques devaient donc procéder à des ajustements de leurs produits de financement car celles qui ne respectaient pas le CRA devenaient susceptibles d’être poursuivies et de payer des dommages (Lemieux, 2009). Une des plus grandes difficultés des ménages défavorisés étant leur manque d’épargne, on réduisit considérablement les exigences de versement initial tout en étant moins exigeant sur d’autres critères d’octroi du crédit.
Notons par ailleurs que le score évaluant dans quelle mesure une banque respecte la loi en desservant ces communautés est devenu un élément qui autorisait l’établissement de succursales hors État, une possibilité qui existait seulement depuis 1993. En somme, l’expansion géographique des banques exigeait désormais qu’elles montrent patte blanche en ce qui a trait à l’atteinte de résultats élevés dans l’application du CRA. Soulignons enfin qu’à la suite de l’adoption en 1999 du Gramm-Leach-Billey Act qui permet aux banques commerciales, aux banques d’investissement, aux courtiers en valeurs mobilières et aux compagnies d’assurance de consolider leurs opérations sous un conglomérat financier, le champ d’application du CRA va de facto s’élargir à un plus grand nombre de prêteurs.
Il est difficile encore aujourd’hui d’estimer l’importance réelle du CRA dans le développement de la crise du crédit. Wallison (2008) estime que le volume des prêts hypothécaires accordés aux ménages ciblés par le CRA n’a jamais été suffisant pour créer une crise d’une ampleur comparable à celle qui a frappé l’économie américaine, un argument aussi repris par Eric Belsky et Nela Richardson :
The evidence of CRA having played at best a minor role is strong. First, the total share of all lending done by CRA lenders in their CRA assessment areas was a small and declining share of total mortgage lending during the 1990s. Second, only a tiny share of all higher-priced loans was made by CRA lenders in their assessment areas.
2010 : 3
En effet, selon Kevin Park (2008), seulement 9 % de la valeur des nouveaux financements hypothécaires à taux d’intérêt élevé consentis entre 2004 et 2006 l’ont été dans des régions désignées comme défavorisées par le CRA, par des banques assujetties au CRA[6].Plus de 90 % du crédit à taux d’intérêt élevé a donc été accordé soit par les banques sans que le CRA ne les contraignent (37 %), soit par des prêteurs hypothécaires non bancaires qui n’étaient pas contraints par le CRA (54 %).
Cependant, il est trompeur d’estimer l’importance des prêts CRA en se concentrant uniquement sur les prêts à taux d’intérêt élevés accordés aux régions ciblées. White (2008) soutient que le resserrement des exigences du CRA s’est accompagné de pressions exercées par le Department of Housing and Urban Development (HUD) sur les prêteurs pour assouplir les conditions d’octroi du crédit. Comme il aurait été difficile d’établir des normes moins sévères pour des groupes à plus haut risque tout en maintenant des exigences strictes pour les groupes favorisés, l’impact net de la lutte à la discrimination fut un relâchement généralisé des normes qui a eu pour conséquence d’accroître le crédit disponible pour tous les ménages et dans toutes les régions du pays. Par ailleurs, dans son témoignage devant la Commission des services financiers de la Chambre des représentants en septembre 2009[7], Edward Pinto (2009) a déclaré que plus de 90 % des prêts CRA consentis entre 1993 et 2007 étaient considérés conventionnels en raison de leurs taux d’intérêt relativement faibles, et ce, même s’ils avaient pour la plupart des caractéristiques de prêts à risque (documentation incomplète, faible mise de fonds, taux d’endettement élevé, etc.). Il estime le volume cumulé des crédits admissibles au CRA qui ont été consentis pendant cette période à près de 6000 milliards de dollars, soit 680 fois le montant total accordé entre 1977 et 1992. En 2007, les prêts CRA représentaient selon ses estimés 19 % de tous les prêts conventionnels consentis aux USA. Son témoignage, sur lequel nous reviendrons plus loin, indique que pour estimer l’impact du CRA, il faut aussi considérer le rôle joué par les GSE.
Le rôle des government-sponsored enterprises (GSE)
Le HUD disposait d’un outil important pour réaliser les objectifs de la stratégie nationale, les GSE, dont les deux principales sont la Federal National Mortgage Association (communément appelée Fannie Mae) et la Federal Home Loan Mortgage Corporation (communément appelée Freddie Mac).
Fannie Mae fut créée en 1938 avec le mandat de développer un marché secondaire des hypothèques. À cette fin, Fannie Mae n’a pas le droit d’accorder directement des prêts, mais seulement celui d’acheter des créances hypothécaires émises par des initiateurs (banques et autres prêteurs) pour les conserver dans son portefeuille ou encore pour les revendre à des investisseurs sous forme de titres. Loin d’être une initiative nouvelle, la titrisation des hypothèques est présente depuis longtemps aux États-Unis. Cette mesure, lancée pendant la dépression des années 1930, était vue comme une manière de relancer l’économie en rendant les créances hypothécaires plus liquides. Une des raisons de la popularité des GSE est que, contrairement aux banques qui étaient jusqu’aux années 1990 confinées aux frontières d’un seul État, les GSE ont dès le début eu la possibilité d’opérer sur l’ensemble du pays, bénéficiant d’une meilleure diversification géographique des risques de crédit.
Au départ agence gouvernementale, Fannie Mae fut en grande partie privatisée en 1968, tandis que le reste de ses activités, surtout le portefeuille destiné aux familles défavorisées, demeurait au sein d’une nouvelle agence gouvernementale appelée Government National Mortgage Association (Ginnie Mae). Afin d’augmenter la concurrence dans le marché secondaire des hypothèques, le gouvernement fédéral américain autorisa en 1970 la création de Freddie Mac avec le même mandat que Fannie Mae. Bien que privées, ces sociétés sont sous la supervision d’un organe du HUD depuis 1992, l’Office of Federal Housing Enterprise Oversight. Très marginales avant 1970, ces GSE ont pris beaucoup d’importance après la débâcle des Savings and Loans au début des années 1980. Elles assuraient le financement d’un tiers environ des hypothèques aux États-Unis au début des années 1990, part qui s’est accrue jusqu’à atteindre environ 50 % entre 2000 et 2002. Par la suite, les GSE ont subitement cédé près de 10 points de pourcentage de parts de marché aux émetteurs privés de titres adossés aux hypothèques « subprime » entre 2003 et 2005. La figure 1, reprise de Richard Green et Susan Wachter (2007), montre l’évolution de ces parts de marché. Notons que les grandes banques commerciales occupent une part légèrement inférieure à 20 % qui n’a que peu varié depuis 50 ans.
Pour comprendre ces développements, il faut voir comment le marché des GSE a évolué. Les prêts qu’ils achètent doivent respecter certaines normes de conformité : l’emprunteur doit fournir une documentation prouvant les renseignements qu’il déclare, débourser un versement initial suffisant et présenter un score de crédit FICO (Fair Isaac Corporation) dépassant un niveau minimal fixé par une GSE. Le produit typique est une hypothèque de 30 ans à taux fixe comportant l’option de prépaiement sans pénalité, dont la valeur ne dépasse pas un maximum admissible ajusté selon l’évolution des revenus moyens et des conditions du marché. Si la valeur du prêt dépasse 80 % de la valeur de la résidence, il requiert des mesures de rehaussement de crédit (ex. : être assuré par un tiers, avoir une garantie additionnelle). Les prêts qui respectent ces normes sont dits conformes et se négocient à un taux d’intérêt plus faible d’environ 0,30 % que les prêts dépassant le seuil, les prêts dits « jumbo » qui, eux, ne sont pas admissibles à être rachetés par les GSE. Le taux d’intérêt plus faible des prêts conformes découle en partie de leur grande négociabilité. Une autre raison, selon Wayne Passmore (2005), est une subvention implicite valant environ 0,06 %.
D’où vient cette subvention implicite ? Même si Fannie Mae et Freddie Mac sont devenues des sociétés privées, elles ont conservé des liens privilégiés avec le gouvernement fédéral, comme ceux de disposer d’une ligne de crédit du Department of the Treasury ou de pouvoir faire escompter des créances (i.e., encaisser des sommes dues avant terme) par la FED. Bien que le gouvernement fédéral américain ne se porte pas explicitement garant des dettes des GSE, il est depuis longtemps reconnu qu’une garantie implicite du gouvernement américain leur est acquise. Selon Passmore (2005), cette relation ambiguë avec le gouvernement fédéral équivalait à une subvention combinée pour les deux compagnies dont la valeur capitalisée se situait entre 122 et 182 milliards de dollars pour la période 2001-2003. Cette subvention augmentait par ailleurs leur capitalisation boursière d’un pourcentage variant entre 44 % et 89 %, le reste étant approprié par les emprunteurs hypothécaires. En contrepartie de ces avantages, les GSE sont tenues de poursuivre certains buts sociaux et de consacrer un certain pourcentage de leurs opérations aux besoins des ménages à revenu moyen ou bas. Passmore estime également que, sans cette garantie, leur portefeuille contiendrait beaucoup moins de titres adossés aux hypothèques tout en ayant un taux de capitalisation plus élevé. La relation ambiguë qu’entretiennent les GSE avec le gouvernement fédéral est un cas typique d’un problème de risque moral. Étant donné que le risque marginal pris par une GSE est assumé par le contribuable, les décisions de gestion mènent à une prise de risque accrue dans le but d’augmenter le rendement espéré des actionnaires. Ces décisions consistent à détenir des actifs plus risqués mais ayant un rendement espéré plus fort tout en augmentant le levier financier.
Les GSE étant sous la supervision du HUD, ce dernier a le pouvoir de cibler les proportions qu’elles doivent consacrer aux ménages à revenu moyen ou bas. Saul S. Le Vine et Arthur M. Magaldi (2009) expliquent comment ces directives ont amené les GSE à s’impliquer dans les prêts à haut risque.
In 1995, the GSE began receiving government incentive payments for purchasing mortgage backed securities which included loans to low income borrowers. Thus began the involvement of the GSE with the subprime market. Subprime mortgage originations rose by 25 % per year between 1994 and 2003, resulting in a nearly ten-fold increase in the volume of subprime mortgages in just nine years. The relatively high yields on these securities, in a time of low interest rates, were very attractive to Wall Street, and while Fannie and Freddie generally bought only the least risky subprime mortgages, these purchases encouraged the entire subprime market.
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C’est à compter de 1996 que le HUD a commencé à imposer aux GSE des cibles de financement hypothécaire dédié aux ménages ayant un revenu inférieur au revenu médian. Initialement fixé à 42 % en 1996, ce pourcentage a été progressivement augmenté pour atteindre 50 % en 2000. L’arrivée à la présidence de Georges Bush en 2000 n’a pas mis un frein à la stratégie, bien au contraire. Démocrates et républicains se sont entendus comme larrons en foire dans la commission bipartisane appelée Millenial Housing Commission mandatée par le Congrès américain en 2000 pour actualiser cette politique. Le rapport final intitulé Meeting Our Nation’s Housing Challenges publié en mai 2002 reprend les arguments sur les externalités de la propriété résidentielle et évoque la contribution positive du marché du logement à la croissance économique. Il vante également la stabilité inhérente au système de financement hypothécaire basé sur un fort marché secondaire des hypothèques. Cependant, le rapport indique que la propriété demeure toujours peu accessible aux ménages à faible revenu, surtout en raison des exigences de versement initial des prêteurs que les ménages qui n’ont pas d’épargnes n’arrivent pas à satisfaire. Le rapport met par ailleurs l’accent sur un soutien plus prononcé au logement social. La foi dans la propriété résidentielle a été renouvelée par l’administration Bush en 2003 quand ce dernier fit du thème Ownership Society un élément clé de la campagne à la présidence de 2004. Les valeurs libérales furent alors réitérées, entre autres l’expansion de la propriété résidentielle et, particulièrement, celle des minorités, étant établie comme un objectif de la présidence. On ne s’étonnera donc pas que la part du financement hypothécaire dédié aux ménages ayant un revenu inférieur au revenu médian imposée aux GSE ait été encore accrue, atteignant 52 % en 2005 pour être portée graduellement à 56 % en 2008. Des cibles quantitatives étaient également fixées à des régions en difficulté, comme on peut le voir au tableau 1 extrait du rapport annuel 2005 de Fannie Mae.
Pour leur permettre d’atteindre ces cibles quantitatives, les exigences de versement initial des GSE sont passées en quelques années de 10 % à 0 % (Rosner, 2001), tandis qu’on assouplissait les mesures de rehaussement de crédit. On remarque par exemple que dorénavant l’assurance hypothécaire pouvait être incluse dans le taux d’intérêt. Le fait de ne plus exiger le paiement de la prime d’assurance dès l’octroi du prêt mais de le répartir tout au long du remboursement du prêt a pour effet de transférer le fardeau implicite du risque aux contribuables américains. Josh Rosner (2001) attribue le boom immobilier de la fin des années 1990 à ces mesures. De fait, le volume des prêts touchés par le resserrement des cibles quantitatives de logement social est considérable. Selon Edward Pinto (2010), si les crédits destinés au logement social avaient continué de représenter 30 % du financement des GSE, comme c’était le cas avant 1992, les GSE auraient acquis 3,5 trillions de dollars de prêts hypothécaires destinés au logement abordable entre 1992 et 2007 et non pas les 6,3 trillions de dollars qu’elles ont achetés pendant cette même période. Il estime donc que ce sont jusqu’à 2,8 trillions de dollars de plus qui ont été dirigés vers le logement social par les GSE en raison des exigences accrues imposées par le gouvernement fédéral. Pour proportionner ces chiffres, rappelons que l’encours total des prêts hypothécaires avoisinait les 10 trillions de dollars en 2008.
En septembre 2003, en raison d’allégations de malversations dans la préparation des états financiers de Fannie Mae[8], la Commission sur les services financiers de la Chambre des représentants entendit des représentations afin d’étudier la possibilité de transférer la surveillance et la réglementation des GSE au Département du Trésor. Ces audiences montrent que les parlementaires américains ne remettaient en doute ni la capacité du HUD à surveiller les GSE, en dépit du conflit d’intérêts potentiel, ni la solidité des GSE et leur pertinence dans l’atteinte des objectifs nationaux de propriété. Il est instructif de résumer certains témoignages des participants pour saisir l’état d’esprit des élus. Ainsi, le représentant du Massachusetts, Barney Frank, nie la possibilité de toute crise fiscale liée aux GSE, puisqu’aucune garantie gouvernementale n’est associée aux engagements de ces dernières. De plus, même si Fannie Mae et Freddie Mac ont contribué à rendre le logement plus abordable en réponse à une mission qui leur fut confiée par le Congrès, il soutient que le gouvernement n’en a pas encore assez fait et devrait même accentuer la pression exercée sur les GSE. Il craint finalement qu’en transférant la supervision au Trésor, le HUD se trouve démuni pour atteindre les objectifs de logement abordable. Melvin Watt, représentant de la Caroline du Nord, craint lui aussi que ce transfert de supervision réduise la voix des défavorisés (United States House of Representatives, 2003)[9]. Finalement on ne fit rien.
En fait, du point de vue gouvernemental, le programme était un succès inespéré puisque l’augmentation du taux de propriété allait de pair avec la hausse de la construction résidentielle, qui créait une vague générale de prospérité. En plus de l’effet direct de la construction, le gonflement des valeurs immobilières soutenait également la consommation. En 2006 par exemple, au sommet de la bulle, les estimations convergent en général vers la conclusion que ces gains en capital soutenaient plus de 800 milliards de dollars de consommation, soit environ 6 % du PIB (produit intérieur brut) américain. Pourquoi aurait-il fallu écouter les Cassandre dont les recommandations auraient signifié une hausse du coût du crédit ? En plus, les politiciens étaient parfaitement conscients que privatiser entièrement les GSE, ou réduire les incitations en place, aurait pour conséquence d’augmenter le coût du financement, réduisant ainsi l’accès au logement.
Le ciblage du « subprime » envers les classes défavorisées et sa responsabilité dans la crise trouvent une confirmation dans Atif Mian et Amir Sufi (2009). En se basant sur les codes postaux pour localiser les immeubles dont l’achat a été financé par les prêts hypothécaires, ceux-ci trouvent que les communautés les plus pauvres et qui avaient le plus haut taux de refus des demandes de crédit en 1996 sont celles qui ont connu la plus forte augmentation du nombre de prêts hypothécaires et de leur encours en proportion du revenu entre 2001 et 2006. Ce sont aussi malheureusement ces mêmes régions qui connaîtront à compter de 2007 les plus forts taux de défaillance de crédit.
En septembre 2008, devant les pertes qui s’accumulaient et la difficulté grandissante que rencontraient les GSE à lever du capital, Fannie Mae et Freddie Mac furent mises sous curatelle du gouvernement américain. Avec plus de 5 trillions de dollars de financement hypothécaire, c’est 50 % du crédit hypothécaire qui se voyait dorénavant garanti explicitement par le gouvernement fédéral. Sans cette mesure exceptionnelle, le financement hypothécaire aurait été presque complètement anéanti, entraînant en chute libre le prix des logements. Parallèlement à cette curatelle, Daniel H. Mudd, président et chef de la direction de Fannie Mae, fut congédié. Dans une entrevue réalisée le 30 octobre 2008 par le Ceoworld Magazine, Mudd explique comment, avec le recul, il regrette d’avoir répondu aux exigences du HUD sans avoir obtenu de précisions sur la manière d’y répondre. Il ajoute que la pression des concurrents privés dans le segment des hypothèques à taux variable, hypothèques qui n’étaient pas conformes aux exigences des GSE, ont affecté ses choix (voir l’annexe 2).
On aurait tort de considérer l’action des GSE indépendamment de l’effet du CRA. De nouveau, le témoignage de Pinto au Comité des services financiers montre comment ces deux interventions s’imbriquaient. Pinto précise que la très grande majorité des nombreux prêts à risque consentis pour rencontrer les exigences du CRA n’étaient pas à taux d’intérêt élevés pour la simple raison que les banques pouvaient les revendre immédiatement aux GSE afin que ces dernières puissent rencontrer leurs cibles de logement abordable.
CRA originations were of significant assistance to the GSEs in meeting their affordable housing (AH) goals : it is estimated that the GSEs purchased about 50 % of CRA production to help meet their AH goals ; the combination of CRA originations and non-overlapping GSE AH acquisitions totaled over $7 trillion over the period 1993-2007 […] CRA created the supply and the GSEs created the demand.
Pinto, 2009 : 4
Par ailleurs, Pinto (2010 : 14), démontre l’évolution parallèle des prêts CRA et des engagements des GSE au logement social au-delà des 30 % historiques qui, partant de presque rien en 1992, cumulent pour se situer entre 2,5 et 3 trillions de dollars en 2007[10].
La politique monétaire de la Banque de réserve fédérale (FED)
Nous avons vu comment les politiques d’accès à la propriété ont accru le financement aux ménages. Le coût du crédit représente cependant aussi une dimension importante. Quelle fut la responsabilité de la FED dans la bulle immobilière ? A-t-elle été complice de la politique d’accès à la propriété ? Il est clair qu’au tournant des années 2000, Alan Greenspan, le président de la FED, se félicitait de la hausse du taux de propriété et des innovations financières qui la rendaient possible. Ce long extrait d’un discours qu’il prononça en novembre 1999 devant des banquiers américains fait ressortir cette position ainsi que le devoir que se donnait la FED de fournir un environnement favorable à la volonté de soutenir l’accès à la propriété résidentielle énoncée par le gouvernement américain.
The recent rise in the homeownership rate to over 67 percent in the third quarter of this year owes, in part, to the healthy economic expansion with its robust job growth. But part of the gains have also come about because innovative lenders, like you, have created a far broader spectrum of mortgage products and have increased the efficiency of loan originations and underwriting. Ongoing progress in streamlining the loan application and origination process and in tailoring mortgages to individual homebuyers is needed to continue these gains in homeownership […] Community banking epitomizes the flexibility and resourcefulness required to adjust to, and exploit, demographic changes and technological breakthroughs, and to create new forms of mortgage finance that promote homeownership. As for the Federal Reserve, we are striving to assist you by providing a stable platform for business generally and for housing and mortgage activity.
Federal Reserve Board, 1999
L’interaction entre la politique monétaire et le prix des logements se formule fondamentalement en deux questions. D’une part, la politique monétaire doit-elle tenir compte du prix des actifs dans ses mesures d’inflation ? D’autre part, quelle est l’importance du marché du logement comme mécanisme de transmission de la politique monétaire ? Greenspan et la FED se sont longuement interrogés sur la manière dont la politique monétaire devait intégrer dans ses mesures d’inflation les hausses possiblement exagérées du prix des actifs. Dès les années 1990, la question de l’exubérance irrationnelle les préoccupe en raison de l’appréciation boursière. La réponse habituellement retenue est que le prix des actifs est pris en compte seulement dans la mesure où il influence les prix à la consommation. Quant à savoir si la politique monétaire influence le prix des logements, Greenspan va généralement se cantonner dans la position que les marchés attribuent une valeur adéquate aux actifs. La raison pour laquelle les logements avaient pris de la valeur après 2003 était, selon lui, la liquidité accrue des créances hypothécaires découlant de la titrisation. Cette liquidité étant valorisée par les épargnants, elle justifiait que le taux de financement soit plus faible. La FED nie toutefois que sa politique ait encouragé la bulle immobilière et évoque plutôt la thèse de l’excès mondial d’épargne (savings glut), une position reprise plus tard par son successeur à la présidence du FED, Ben Bernanke. Greenspan a argumenté avec raison que les taux de long terme, ceux qui comptent d’après lui pour le financement hypothécaire, ne sont pas directement influencés par la politique monétaire.
En tant que banquier central, la FED confie au Federal Open Market Committee (FOMC) le soin de prendre des décisions sur le coût des fonds fédéraux, une mesure de ce qu’il en coûte aux banques pour financer les liquidités pendant une journée. Ce sont principalement les décisions sur ce taux, aussi appelé taux directeur, qui orientent la politique monétaire dans la direction souhaitée par la FED : expansionniste en l’abaissant et restrictive en l’augmentant. Bien que guidée formellement par des considérations plus complexes, une régularité empirique appelée la Règle de Taylor montre comment le taux des fonds fédéraux est gouverné par deux variables principales, soit l’écart du PIB par rapport à son potentiel et la différence entre le taux d’inflation actuel et la cible d’inflation à long terme[11]. Plus l’activité économique est faible par rapport à son potentiel et l’inflation basse par rapport à sa cible, plus le taux des fonds fédéraux devrait être bas. Or, à partir de 2001, le taux choisi par la FED est devenu nettement plus faible que nécessaire. En fait, d’après les estimations mêmes de la Banque de réserve fédérale de St. Louis, la période 2001-2006 est le plus long épisode de déviation par rapport à la règle qu’on ait observé[12].
Pourquoi la FED a-t-elle jugé important de conduire une politique monétaire plus expansionniste que nécessaire ? La gestion de la politique monétaire américaine du début des années 2000 était fortement marquée par l’expérience japonaise pendant la décennie 1990. Touchée par l’éclatement d’une bulle sur la plupart des actifs en 1990 qui a poussé en défaillances les banques japonaises en 1992, l’économie du Japon a en effet vécu ce qu’on a appelé la « décennie perdue », caractérisée par une croissance anémique du PIB, un chômage élevé et une déflation lente mais prolongée. Au début de 2003, la guerre contre l’Irak était attendue et la Corée du Nord menaçait avec son programme nucléaire, éléments que Greenspan jugeait susceptibles de créer une perte de confiance. Dans ce contexte incertain, Greenspan présenta le témoignage suivant pour justifier les décisions du FOMC.
This is one reason the FOMC has adopted a quite accommodative stance of policy. A very low inflation rate increases the risk that an adverse shock to the economy would be more difficult to counter effectively. Indeed, there is an especially pernicious, albeit remote, scenario in which inflation turns negative against a backdrop of weak aggregate demand, engendering a corrosive deflationary spiral. Until recently, this topic was often regarded as an academic curiosity. Indeed, a decade ago, most economists would have dismissed the possibility that a government issuing a fiat currency would ever produce too little inflation. However, the recent record in Japan has reopened serious discussion of this issue. To be sure, there are credible arguments that the Japanese experience is idiosyncratic. But there are important lessons to be learned, and it is incumbent on a central bank to anticipate any contingency, however remote, if significant economic costs could be associated with that contingency.
Federal Reserve Board, 2003
Cependant, même en considérant le niveau anormalement bas des taux d’intérêt entre 2003 et 2006, la contribution de la politique monétaire à la bulle immobilière ne peut pas être clairement établie. Jane Dokko et ses collaborateurs (2009) présentent des simulations qui démontrent que l’impact de ces faibles taux d’intérêt sur les déboursés mensuels des hypothèques traditionnelles n’a pas été suffisant pour expliquer la forte hausse du prix de l’immobilier. Ils divulguent également des analyses internationales qui font ressortir que de faibles liens sont observés entre les déviations par rapport à la règle de Taylor et l’inflation immobilière. Ils imputent plutôt la bulle immobilière à la popularité grandissante des hypothèques à taux variable et à la réduction des normes d’octroi du crédit, deux aspects qui ne relèvent pas de la politique monétaire.
On ne saurait quand même absoudre la FED de toute responsabilité dans la détérioration des pratiques d’octroi du crédit. La réaction agressive de la FED en 2003 à une perte de confiance anticipée répétait des prises de position antérieures semblables où la FED réagit fortement aux crises. Ce fut le cas par exemple lors de la défaillance de Long Term Capital Management en 1997, lorsque la FED abaissa de façon préemptive les taux d’intérêt aux États-Unis. En 2001, les taux d’intérêt furent là aussi fortement réduits en réponse à l’éclatement de la bulle des télécommunications et aux attentats terroristes. La répétition de ces actions et l’engagement implicite de la FED à soutenir les banques dans leurs innovations financières en fournissant un environnement stable ont pu encourager la prise de risque excessive, car cela créait sur le marché le sentiment qu’en cas de coup dur on peut toujours compter sur la FED. La popularité croissante des hypothèques à taux variable et de la titrisation privée pourrait donc s’expliquer en partie par le fait qu’en maintenant si longtemps un différentiel important entre le financement à court terme et celui à long terme, la FED a rendu particulièrement attrayantes les hypothèques à taux variable. Un tel écart de taux favorisait aussi l’apparition d’un mauvais appariement sur le marché secondaire des hypothèques. En effet, même les hypothèques à taux fixe étaient titrisées à court terme sur le marché monétaire. Une telle stratégie procure un fort profit espéré lorsque les taux à court terme sont bas, mais fait apparaître en contrepartie un risque de liquidité et un risque d’intérêts[13]. En bref, la forte croissance de la titrisation privée à compter de 2003 a été implicitement encouragée par la politique monétaire expansionniste.
L’information asymétrique et la titrisation privée
S’il fait peu de doute que les GSE ont abaissé leurs critères d’admissibilité aux prêts hypothécaires sous la pression directe du gouvernement américain et sous les directives explicites du HUD, elles ne sont pas seules responsables de la détérioration accélérée de la qualité du crédit entre 2003 et 2006. La titrisation privée donna lieu à toutes sortes de pratiques de financement qui, bien que créatives, étaient incroyablement risquées. La théorie de l’agence se révèle d’une aide précieuse pour identifier ces problèmes.
Le tableau 2 montre que, à partir de 2004, la part des prêts à taux flexible (adjustable rate mortgage ARM) déjà forte s’est encore accrue. On s’est également mis à accepter des prêts où le principal n’était pas remboursé (interest only IO), un phénomène inconnu en 2001. Plus significatif encore, l’approbation simplifiée (streamlined) des prêts a fait en sorte que la moitié des prêts était accordée sans qu’on vérifie les informations des emprunteurs (Low-No-Doc ou LND). Dans le même temps, les paiements représentaient plus de 40 % du revenu (payments to income ratio PTI). Des taux aguicheurs étaient devenus possibles. Dans ces prêts appelés « 2/28 », le taux des deux premières années était très bas mais devenait plus élevé pour les 28 années suivantes. De plus, dans les prêts ballons, les paiements des deux premières années étaient parfois moindres que les intérêts, de sorte que le montant financé à compter de la troisième année était supérieur au prêt initial, faisant ainsi gonfler le principal selon un schème appelé « amortissement négatif ». Ainsi, bien des ménages étaient dans l’impossibilité d’effectuer les paiements des 28 dernières années de ces hypothèques.
Prendre de tels risques n’est pas envisageable pour une banque qui désire conserver le prêt dans son portefeuille. La titrisation change fondamentalement la donne, car elle offre la possibilité au prêteur de ne pas entrer dans une relation de long terme avec l’emprunteur et de partager le risque du produit avec les autres intervenants sur les marchés financiers. Ce faisant, les mécanismes devant empêcher la prise de risque excessive ont été entravés par la recherche du profit immédiat qui produit des incitations perverses tout au long de la chaîne de distribution de ces produits découlant de l’information asymétrique[14]. Obnubilées par les avantages en termes de réduction de risque et de liquidité accrue offerts indubitablement par la titrisation, les autorités semblent avoir négligé ces effets pervers, car ces émissions sont restées sans surveillance.
Pour comprendre ces incitations perverses, il faut rappeler que la probabilité de défaillance conditionne le taux d’intérêt requis pour compenser la perte attendue. Or, comme le prêteur ne possède pas gratuitement l’information pour établir la probabilité que l’emprunteur faille à ses engagements, il va consentir des ressources pour évaluer la probabilité de défaillance seulement s’il espère en tirer un avantage de rendement. Si le prêt est revendu à des tiers, comme c’est le cas dans la titrisation, acquérir de l’information coûteuse devient non rentable. Or, en l’absence de surveillance, l’asymétrie d’information sur le marché des hypothèques exacerbe les problèmes de sélection adverse et de risque moral. L’effet de sélection vient du fait que puisque l’emprunteur connaît mieux que le prêteur la probabilité qu’il puisse rencontrer ses obligations, le taux d’intérêt exigé en fonction du risque moyen décourage davantage les « bons » emprunteurs que les « mauvais ». Le risque moral découle pour sa part du fait que l’emprunteur est incité à la prise de risque excessive car il profite entièrement des gains résultant de la manière dont il utilise l’argent, mais n’assume pas la totalité des pertes. La réduction des exigences de versement initial a des effets importants sur les incitations des emprunteurs. En effet, ceux-ci bénéficient des gains en capital éventuels réalisés sur la maison. Par contre, en l’absence de versement initial, les pertes en capital seront en bonne partie transférées à une tierce partie, surtout lorsque les recours des prêteurs pour couvrir une perte résiduelle découlant de la défaillance de l’emprunteur, comme la saisie et la vente d’une résidence, sont limités et coûteux à exécuter. En offrant du crédit sans versement initial et sans vérifier de manière diligente la documentation, un phénomène s’est répandu que certains ont décrit familièrement par liar loans ou, de manière plus scientifique, par un comportement de predatory borrowings.
Plusieurs solutions, toutes imparfaites, sont données à ces problèmes. Tout d’abord des prêteurs expérimentés font une meilleure évaluation des risques. On réduit le risque moral en surveillant l’emprunteur ou en indiquant certaines obligations dans des contrats. On réduit les incitations à la prise de risque excessive en rendant l’emprunteur responsable d’une partie des pertes, ce qui peut se réaliser en le faisant partager le financement (versement initial) ou en nantissant des biens. Tous ces mécanismes sont amoindris ou éliminés dans la titrisation, car le fait qu’un pool d’acheteurs acquiert une même émission réduit l’effort de surveillance de chacun. La surveillance de la qualité de l’émission est un bien public qui profite à tous les acheteurs. Comme chacun profite de la surveillance des autres, le phénomène du passager clandestin se manifeste quand chacun des prêteurs réduit son effort de surveillance. Cette réduction de surveillance va en retour rendre les problèmes de risque moral et de sélection adverse plus importants que dans les cas où un seul prêteur assure le financement. Cela est documenté par Mian et Sufi (2009), qui observent que les prêts titrisés vendus à des groupes d’investisseurs ne possédant pas les compétences pour évaluer la qualité du crédit ont connu un taux de défaut plus élevé que ceux vendus à des banques commerciales.
The results […] hint at undetected moral hazard on behalf of originators selling for the purpose of securitization as a potential cause for higher mortgage default rates. Originator incentives are likely more closely aligned with affiliated versus non-affiliated investors, and the estimate […] shows that an increase in mortgage sales to affiliates does not lead to higher default rates. Likewise, […] zip codes in which originators sell more mortgages to other commercial banks do not experience an increase in default rates. Given that commercial banks have specialized screening abilities, these results suggest that originators only sold bad loans to unaffiliated investors lacking the skills to judge loan quality. The increase in default rates from 2005 to 2007 is concentrated only in zip codes where originators increased sales for the purpose of securitization or increase sales to non-financial firms that are likely securitizing loans.
p. 26-27
Si l’évaluation du risque dépasse les capacités des investisseurs, ces derniers peuvent acheter l’expertise d’une tierce partie spécialisée dans l’établissement des probabilités de pertes. C’est le rôle joué par Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch, les seules agences autorisées à établir les risques des différentes émissions. Or, ces agences de notation ont clairement surévalué la qualité des prêts titrisés. Pourquoi les agences ont-elles ainsi erré ? Étant payées par les émetteurs, elles risquent de perdre de la clientèle en donnant de faibles notes aux émissions. Par ailleurs, elles ne sont nullement pénalisées quand les investisseurs essuient des pertes.
C’est le souci qu’ont les agences de maintenir leur réputation qui en théorie protège le marché du biais favorable résultant de ce conflit d’intérêts, puisqu’une perte de réputation leur ferait perdre des parts de marché. Malheureusement, ces trois agences jouissent de facto d’une forme d’oligopole qui empêche la discipline de marché de bien fonctionner. En effet, d’une part, toute émission doit être notée par une agence reconnue nationalement (NRSRO pour Nationally Recognized Statistical Ratings Organizations) par la SEC. D’autre part, pour être reconnue par la SEC, une agence de notation doit jouir de la reconnaissance nationale des principaux émetteurs. Comme le fait remarquer Katie Benner (2007), ces derniers étant requis de faire affaire avec une firme de notation reconnue, le problème de l’oeuf et de la poule fait que la présence dominante des trois agences n’est pas contestable et qu’elles ne sont par conséquent pas pénalisées si leur réputation est entachée par une notation fantaisiste des titres.
Par ailleurs, les notations fantaisistes découlent en bonne partie du fait que les modèles de risque ne tiennent pas suffisamment compte du risque systémique et surtout du fait que ce dernier grandit avec le niveau d’intermédiation financière. Avec le développement rapide de l’endettement qui a caractérisé les années 2000, cela a conduit à la sous-évaluation de la probabilité d’événements extrêmes[15]. En bref, la titrisation et le réseau de distribution de ces hypothèques à risque présentaient de nombreux problèmes d’incitations perverses que nous présentons de façon synthétique au tableau 3. Il est clair que les agences de réglementation et la FED ont négligé de les prendre en compte.
Conclusion
Il ne fait pas de doute que la stratégie nationale d’accès à la propriété résidentielle du gouvernement fédéral américain a contraint les GSE à accroître leur financement hypothécaire aux défavorisés. En parallèle, le durcissement du CRA a forcé les banques à développer des produits financiers mieux adaptés aux besoins des défavorisés. C’est dans ce contexte que les hypothèques à haut risque, comportant des plans d’amortissement non traditionnels et des exigences de versement initial réduites, ont été élaborées. Le crédit est alors devenu plus accessible non seulement aux défavorisés, mais à tous les groupes de la société, résultant en une expansion sans précédent du volume d’argent investi dans la construction résidentielle. Lorsque la titrisation privée s’est développée, on l’a laissée se développer sans mettre en place des mesures de contrôle adéquat des risques.
Deux choses n’avaient pas été prévues. Tout d’abord, on a ignoré les incitations perverses qui ont accompagné le développement de la titrisation des prêts à très haut risque tout au long de la chaîne de distribution. Des prêts de moindre qualité ont été systématiquement vendus aux GSE, tandis que ceux de la pire qualité ont été mis en vente auprès d’investisseurs n’ayant pas les moyens d’apprécier leur qualité réelle et dont les évaluations de risque par les agences de cotation étaient bien trop complaisantes. Ce qui est aussi circonstanciel, c’est que la FED a pratiqué au même moment des taux d’intérêt trop bas en voulant se prémunir contre les risques d’une possible déflation à la japonaise tout en négligeant l’inflation immobilière et la rapide expansion du crédit.
Bien entendu les banques américaines d’investissement, tout en respectant strictement les exigences de capitalisation auxquelles elles étaient soumises, ont fait des milliards en finançant les émissions de créances hypothécaires titrisées. Si la qualité intrinsèque des produits hypothécaires n’avait pas été compromise par la stratégie nationale, il fait peu de doute que les problèmes de risque moral et de sélection adverse qui ont créé les comportements délinquants n’auraient pas atteint un niveau épidémique. L’aveuglement des autorités à l’égard de ces pratiques demeurera sans doute longtemps une grande source d’interrogation. On ne peut affirmer que les autorités ont été sciemment complices de ce laissez-faire, mais elles ont fait preuve d’une myopie coupable en croyant qu’une prospérité durable pouvait se bâtir sur des considérations à courte vue. Des promesses de rendement ne peuvent se matérialiser que si le capital physique créé par le capital financier fournit des services réels d’une valeur suffisante pour payer le rendement promis aux épargnants. Du capital immobilier destiné à loger des personnes qui n’ont pas des revenus assez élevés pour effectuer leurs paiements pendant toute la durée de vie du capital ne peut que créer des pertes qui, d’une manière ou d’une autre, incomberont à des tierces parties. C’est évidemment encore pire lorsque ces logements demeurent inoccupés. C’est l’essence même des plans de sauvetage que la différence entre les services réels du capital immobilier et les rendements promis soit assumée par la collectivité et se retrouve ultimement dans la dette publique.
Face à ce diagnostic, il est inquiétant de constater que la participation du gouvernement fédéral américain au marché hypothécaire n’a, depuis 2008, fait que s’accroître. Quand on regarde ce que la politisation du marché du crédit hypothécaire a produit comme résultat et comment les politiciens américains ont aisément fait porter tout le blâme sur les banquiers alors que leur rôle a constamment été passé sous silence, il faut sans doute craindre que le redressement pourtant nécessaire des pratiques d’octroi du crédit ne soit de nouveau éventuellement compromis par des visées électoralistes.
Parties annexes
Annexes
Annexe 1. Lettre du président Bill Clinton au secrétaire Henry Cisneros de HUD[16]
Dear Henry:
Homeownership is the American Dream. Our nation has embraced this dream since the National Housing Act of 1949 made “a decent home and a suitable living environment for every American family” a goal of national policy. The United States is the first major industrial country to make homeownership a reality for a majority of its people. Thanks to effective cooperation between industry and government, the doors of homeownership have been opened to millions of families in the past 45 years. However, since 1980, the national homeownership rate has been declining. Reversing this trend is vital to American families, to communities, and to our economy. Homeownership strengthens families and stabilizes communities. It encourages savings and investment and promotes economic and civic responsibility. Expansion of homeownership is an integral part of the Administration’s economic plan. It spurs new investment, strengthening the economy and creating jobs. A stronger economy in turn enables more people to buy homes. For all these reasons, it is in our national interest to expand homeownership opportunities for all Americans.
Today, I am requesting that you lead an effort to dramatically increase homeownership in our nation over the next six years. I would like you to work with the Assistant to the President for Economic Policy, the Assistant to the President for Domestic Policy, the Secretary of Agriculture, the Secretary of Veterans Affairs, and other private and public sector partners you may designate to develop a National Homeownership Strategy that will carry us into the 21st century. I request that you report back to me within six months, with a concrete strategy involving the private and public sectors, and all levels of government, that builds on the base of the more than 1.5 million additional families who have been able to buy their own homes since the beginning of this Administration. Your program should include strategies to ensure that families currently underrepresented among homeowners—particularly minority families, young families, and low-income families—can partake of the American Dream.
In the course of developing this strategy, you should explore ways to combine private and public sector resources and commitment to:
* Cut Costs, including financing, production, and transaction costs and fees, to make homeownership more affordable and financing more accessible;
* Open Markets, to increase choice and remove discriminatory and regulatory barriers, making homes, financing, and insurance more accessible and affordable to all Americans, and;
* Expand Opportunities, to make homeownership a reality for more people through education, information, technology, and community involvement.
Previous cooperation between the private sector and the federal government has opened the doors to homeownership to tens of millions of American families, and has been one of America’s greatest success stories. This new initiative to dramatically expand homeownership by the end of this century is in keeping with our nation’s bipartisan tradition of public-private partnership in this arena. I welcome your commitment and involvement in this important task. I know that working together, we can make the dream of homeownership a reality for millions more families and build a better future for all Americans.
Sincerely,
Bill Clinton
Annexe 2. Extrait d’une entrevue réalisée avec Daniel H. Mudd, ex-président de Fannie Mae[17]
Question: “What were your main mistakes?”
Mudd: “I wish I’d said ‘no’ to more of the things the company was asked to do. We were asked—or required—to expand lending, to conserve capital while providing liquidity, to meet housing goals for the underserved, to serve shareholders and homeowners alike. In a crisis of these proportions, something had to give. I should have gone to the government and gotten a clear answer to the question: What do you want—more capital or more lending?”
Question: “Why was such a large portion of your business in riskier types of loans?”
Mudd: “We had fierce debates on how to remain relevant to the market, which was moving rapidly away from us. Our market share had been halved as lenders concentrated on adjustable-rate mortgages and Alt-A and sold those loans through securities created by Wall Street firms. Meanwhile, the Department of Housing and Urban Development had set affordable-lending quotas for us that ratcheted up every year. That forced us to reconsider our down-payment and credit-score requirements. We didn’t accept everything our bank customers were originating, nor did we meet every single lending goal the government set. We struck a balance based on everything we knew at the time.”
Note biographique
Mario Fortin est professeur au Département d’économique de l’Université de Sherbrooke depuis 1988, membre du Groupe de recherche en économie et développement international et, depuis 2010, vice-doyen à la recherche à la Faculté d’administration de l’Université de Sherbrooke. Ses intérêts de recherche récents portent principalement sur les mesures de performance du système bancaire, sur l’économie du logement et sur la demande de prêts hypothécaires.
Notes
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[1]
Ce texte est une version remaniée d’une conférence intitulée « Gouverner dans la tempête » présentée au colloque du réseau des chercheurs francophones en politiques publiques qui s’est tenu au Mont-Orford les 11 et 12 décembre 2009. Je remercie les participants au colloque ainsi que les deux arbitres anonymes pour leurs commentaires et suggestions hautement pertinents. Mes remerciements s’étendent aussi à Attia Byll pour son aide efficace à la recherche de données pertinentes.
-
[2]
Les cinq grandes banques d’investissement américaines étaient Bear Stearns, Lehman Brothers, Merrill Lynch, Goldman Sachs et Morgan Stanley.
-
[3]
Voir par exemple Lemieux, 2009.
-
[4]
Voir par exemple Taylor, 2009.
-
[5]
L’étude se basait sur des données obtenues en vertu du Home Mortgage Disclosure Act (HMDA). Dans sa version initiale de 1975, cette loi forçait les banques à divulguer la localisation de leurs prêts afin de rendre plus difficile la discrimination à l’égard de certains quartiers. Cette loi fut modifiée en 1989 pour y ajouter également l’obligation de dévoiler, entre autres, la race, le sexe et le revenu de chaque demandeur de crédit afin de faciliter la détection d’éventuelles pratiques discriminatoires.
-
[6]
Ces calculs sont basés sur les données du HMDA, lequel ne définit pas des catégories de prêts selon leur niveau de risque, mais exige seulement des prêteurs qu’ils indiquent si le taux d’intérêt sur un prêt excède de trois points de pourcentage le taux d’intérêt sur des titres gouvernementaux de durée comparable. Un prêt peut être à taux d’intérêt plus faible et présenter néanmoins des caractéristiques de prêt à risque.
-
[7]
Dans son témoignage, Edward Pinto, ancien vice-président et responsable en chef du crédit à Fannie Mae (jusqu’à la fin des années 1980), a souligné avoir consulté plus de 40 000 pages de documents pour estimer le volume des prêts CRA et leur performance, une tâche qu’il a qualifiée d’opaque et difficile. Il a en outre suggéré aux parlementaires de s’interroger sur les raisons de cette difficulté à obtenir ces données : « Why don’t bankers know and disclose how their different products are performing ? Why is it that the Federal Reserve, the OCC [Office of the Comptroller of the Currency], the OTS [Office of Thrift Supervision, ancien nom de l’OCC] and other regulators appear to have no idea how CRA loans are actually performing over the last few years ? » (Pinto, 2009 : 7)
-
[8]
Franklin Raines, président et chef de la direction de Fannie Mae, fut congédié en 2004 et condamné à payer 24,7 millions de dollars en règlement d’une poursuite civile l’accusant d’avoir embelli les états financiers de Fannie Mae sur une période de six ans afin de recevoir des primes de performance plus alléchantes.
-
[9]
Voir le témoignage de Frank (p. 3-4) et celui de Watt (p. 41).
-
[10]
Dans les 169 pages de ce document de travail, Pinto fait un long réquisitoire soutenant la thèse de la responsabilité des politiques gouvernementales dans le développement de la crise du crédit.
-
[11]
Voir Taylor, 1993.
-
[12]
Le taux des fonds fédéraux et le taux établi selon la règle de Taylor sont montrés à la page 10 de Monetary Trends, Federal Reserve Bank of St. Louis, novembre 2009.
-
[13]
Les hypothèques à taux fixe engagent l’emprunteur à payer pendant une longue période, par exemple 30 ans, une mensualité constante. Ces promesses étaient revendues dans des titres dont l’échéance était souvent de 90 jours, signifiant qu’après aussi peu que trois mois, la totalité de l’émission doit être vendue à de nouveaux investisseurs pour rembourser ceux qui ne désiraient pas renouveler leur placement. Si le taux d’intérêt généré par les hypothèques ainsi titrisées cesse d’être compétitif, ce qui survient en cas de remontée des taux d’intérêt de court terme, il peut devenir impossible de vendre avec profit les titres arrivant à échéance.
-
[14]
L’asymétrie d’information lors d’un échange se produit quand certains des participants disposent d’informations pertinentes à l’évaluation juste du bien échangé que d’autres n’ont pas.
-
[15]
Le risque global dépend du degré de dépendance entre les rendements des actifs, ce qu’on peut expliquer par l’analogie suivante. Si on aligne un très grand nombre de dominos sur une table et que chacun a une probabilité constante de tomber, le risque d’en voir tomber plusieurs simultanément dépend de la mesure dont la chute de l’un entraîne celle d’un autre. L’accroissement du niveau d’endettement équivaut à densifier davantage les dominos, augmentant la probabilité de chutes simultanées. Si les modèles de risque sont calibrés sur l’expérience historique où le levier financier est plus faible, ils peuvent sous-estimer le risque systémique. En termes statistique, le levier accru cause un épaississement des queues de la distribution des rendements, soit un accroissement de la fréquence des événements extrêmes. En outre, comme l’ont démontré Dominique, Rivera-Solis et Des Rosiers (2011), le recours à la distribution normale pour modéliser le risque se traduit également par une sous-estimation de la fréquence de ces mêmes événements.
-
[16]
Source : Weiss, National Housing Policy in the U.S. for the 21st Century.
-
[17]
Voir Bhushan, 2008.
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