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L’objectif de cet ouvrage structuré en huit chapitres est de suivre le cheminement intellectuel et spirituel du 44e président des États-Unis pour comprendre sa vision du monde. Selon Gilles Vandal, les fondements de la doctrine Obama – dont l’existence a représenté une énigme pour de nombreux observateurs, Barack Obama, contrairement à ses prédécesseurs, n’ayant pas promulgué à un moment précis une politique qu’il aurait définie comme constituant sa doctrine même s’il a exprimé sa pensée en de nombreuses occasions – sont à rechercher dans les expériences personnelles de l’homme et ses lectures de Reinhold Niebuhr et de George F. Kennan.

Pour le montrer, Gilles Vandal procède en deux temps. Il remonte d’abord aux origines de Barack Obama et à ses premiers pas en politique (chapitre 2), qui vont le conduire au Sénat où il se forgera une stature nationale notamment grâce à son pragmatisme qui lui permet de privilégier la recherche de compromis (chapitre 3). Un tournant décisif dans ce parcours politique est la convention démocrate de 2004 où Obama est invité à prononcer un discours. Les Américains y découvrent un nouveau type de politicien : « un Afro-Américain qui ne l’est pas tout à fait, pouvant à la fois parler comme un homme d’affaires blanc et avoir les envolées oratoires d’un pasteur afro-américain » (p. 51). Lorsqu’il arrive à Washington en 2005, il est déjà pressenti comme un candidat potentiel à la présidence. Avec la publication de son deuxième ouvrage, L’audace d’espérer (Paris, Presses de la Cité, 2007), après la parution de son premier livre autobiographique, Les rêves de mon père (Paris, Presses de la Cité, 2008), il propose à ses concitoyens une nouvelle lecture de la vie politique américaine qui réconcilie les idéologies libérales et conservatrices ; une lecture optimiste qui entretient l’obamania dont il bénéficie déjà et qui l’accompagnera, de l’annonce officielle de sa candidature en février 2007 jusqu’à son élection en novembre 2008.

Vandal explique ensuite comment Obama découvre le réalisme chrétien ou éthique de Niebuhr, considéré par beaucoup comme le plus grand penseur américain du vingtième siècle (chapitre 4), et comment sa vision du monde peut être rattachée au réalisme politique de Kennan (chapitre 5). De la pensée politique niebuhrienne, Barack Obama retiendra essentiellement l’acceptation de l’existence du mal et l’adoption d’une attitude humble et modeste pour l’éliminer. Une philosophie qui va grandement influencer une approche des relations internationales qui repose sur « l’idée maîtresse que, comme jamais dans l’histoire, nous vivons au XXIe siècle dans un village global et que nous partageons un destin commun » (p. 105). Et pour relever les nouveaux défis mondiaux, Obama propose une stratégie de leadership plutôt que d’hégémonie. Si, à l’instar de Kennan, il se refuse d’être prisonnier d’une « doctrine qui pourrait servir d’autocollant ou de passe-partout à toutes les situations ou tous les défis » (p. 115), sa réponse à toutes les menaces actuelles à la sécurité internationale « ressemble étrangement à la politique d’endiguement mise en place après la Deuxième Guerre mondiale » par le célèbre politicologue américain.

Pour le professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, les aboutissements de la doctrine Obama peuvent être illustrés par les prises de positions de l’homme sur les guerres en Irak (chapitre 6) et en Afghanistan (chapitre 7). Tout comme Niebuhr et Kennan ont fermement critiqué la guerre au Vietnam, Obama s’est vigoureusement opposé à l’invasion américaine ; une « guerre stupide » et « cynique » imaginée par des « guerriers de weekend » (p. 120). A contrario, il a défendu l’intervention en Afghanistan qu’il a même jugée « nécessaire pour défendre l’héritage de la civilisation et lutter contre la tyrannie et l’agression » (p. 146). Et pour cause, contrairement à Saddam Hussein qui ne constituait pas, pour lui, une menace imminente et directe à la sécurité nationale américaine, d’autant que son régime était déjà sous le coup de sanctions internationales, Ben Laden et Al-Qaïda représentaient, pour les États-Unis et le monde contemporain, un défi sécuritaire majeur. N’hésitant pas à comparer les attaques terroristes de 2001 au déferlement des troupes nazies de 1940 qui firent basculer le monde dans une ère de barbarie, il considérait alors qu’il fallait faire face à la menace terroriste incarnée par Al-Qaïda qui a trouvé refuge en Afghanistan tout comme, en son temps, la communauté internationale s’était mobilisée pour mettre fin à l’horreur nazie. Si l’invasion américaine en Irak reposait sur une logique passionnelle, l’intervention en Afghanistan était moralement et légitimement justifiée, une position qui s’inscrit dans la théorie de la guerre juste définie par saint Thomas d’Aquin et réhabilitée par Niebuhr.

Puisque l’ouvrage porte essentiellement sur la période précédant l’accès au pouvoir de Barack Obama, le lecteur qui s’attendrait au cours de ces deux chapitres empiriques à une analyse de la mise en application effective de la doctrine Obama risque d’être quelque peu déçu. Mais pas pour longtemps, car Gilles Vandal a d’ores et déjà promis un nouveau livre qui s’attèlera à l’exercice dans le cadre de la guerre en Afghanistan qui, « va devenir le premier endroit où [elle] sera réellement mise à l’épreuve » (p. 190). En attendant cette nouvelle parution, le présent ouvrage pourra utilement trouver une place aussi bien dans la bibliothèque du chercheur spécialisé sur les États-Unis que dans celle du simple passionné de l’histoire des présidents américains. Alors que de nombreuses ressources sur le parcours et les idées de Barack Obama sont disponibles en anglais, Gilles Vandal a le mérite de rendre accessibles ces informations en français dans un style simple et clair. Certes, on peut reprocher à l’auteur des propos quelquefois répétitifs. Mais cette critique s’estompe très vite si l’on considère que le professeur était guidé, dans son écriture, par un objectif pédagogique. Enfin, dans sa narration, Gilles Vandal peut aussi donner l’impression d’être parfois fasciné par Obama. Mais on ne peut trop lui en vouloir quand on sait que « la carrière politique de Barack Obama est l’un des phénomènes les plus étonnants de l’histoire récente des États-Unis » (p. 62). Finalement, cette remarque, somme toute mineure, n’entache en rien la qualité de l’ouvrage qui, il faut le dire, est basé sur une recherche bibliographique très fouillée.