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Sexualité et politique en francophonie : état des lieux et perspectives de recherche[Notice]

  • David Paternotte et
  • Bruno Perreau

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Affirmer que la sexualité est une question politique semble, au premier abord, relever de l’évidence : non seulement il existe des politiques publiques dont le principal objet est la sexualité (contraception, prostitution, prévention des maladies sexuellement transmissibles, éducation sexuelle, etc.), mais de nombreux mouvements sociaux se sont également constitués autour de ces enjeux (prévention du harcèlement et des violences domestiques, luttes pour la liberté sexuelle et contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle, mobilisations pour le droit à l’avortement, etc.). Ces thèmes ont pourtant été assez peu analysés par la science politique, en particulier dans l’espace francophone. Cet évitement doit être pensé dans le contexte de l’institutionnalisation de la science politique : discipline encore jeune, la science politique a dû consolider sa légitimité face à d’autres disciplines plus anciennes. Se constituer autour de thèmes stigmatisés socialement, tel celui de la sexualité, risquait donc, par homologie, de la disqualifier et, partant, pouvait menacer son propre développement. Ce phénomène est particulièrement marqué en France où la science politique a d’abord analysé le pouvoir d’État avant d’étendre progressivement son périmètre. Par ailleurs, interroger la dimension politique de la sexualité, c’était s’exposer au déplacement des frontières public/privé, autour desquelles la science politique avait progressivement construit son imaginaire. Comme le rappelle Mark Blasius à propos des questions lesbiennes, gaies, bisexuelles et transsexuelles (LGBT), Enfin, et plus radicalement encore, penser la sexualité implique d’interroger l’histoire de la production des catégories sexuelles et des modes de nomination de soi (Lamoureux, 1998, 2009) et, partant, de déconstruire les analogies corporelles qui autorisent la croyance en l’existence d’un corps social (Mathieu, 1991). Ce travail invite à la déconstruction des représentations organicistes et libidinales de la citoyenneté : les communautés humaines ne constituent pas un simple agrégat des désirs individuels d’appartenance, mais plutôt l’imaginaire même de ce transfert. Soutenir que la sexualité est une question politique requiert donc d’engager une réflexion épistémologique profonde sur la formation des objets, des méthodes et des concepts de la science politique contemporaine. Il ne s’agit ici ni de plaider pour la reconnaissance d’un sous-champ, ni de chercher « la normalisation » de la sexualité en science politique, mais bel et bien de s’ouvrir à la possibilité d’une réflexion sur les processus de « disciplinarisation ». Le desserrement du stigmate associé à la sexualité a bien sûr concouru au développement des recherches sur cette question depuis une quinzaine d’années, mais il serait trompeur de croire que la sexualité présente un intérêt pour le politiste simplement parce qu’il s’agirait d’une question d’actualité susceptible de constituer une nouvelle strate d’interprétation du politique. Non seulement la dimension politique de la sexualité est au coeur des réflexions sur la vie de la cité depuis l’Antiquité (Collin et al., 2000 ; Borrillo et Colas, 2005) et a également servi à justifier la frontière privé/public dans la pensée des Lumières (Pateman, 2010), mais ces réflexions ne se sont, en outre, jamais limitées au monde académique (d’Eaubonne, 1970 ; Hocquenghem, 2000). Prétendre à l’innovation reviendrait à balayer du revers de la main, du haut des savoirs universitaires, des décennies de travail conceptuel dans les espaces militants, mais aussi, et plus largement, le sens pratique qui accompagne toute forme de subjectivation. Ce numéro s’efforce au contraire de proposer une analyse critique des mécanismes à travers lesquels sexualité et politique se coproduisent dans des espaces de savoir/pouvoir à la fois multiples, entremêlés et mobiles. Nous montrons que si la dimension politique de la sexualité n’est pas une question nouvelle, en revanche, les formes prises par la politisation de la sexualité aujourd’hui (au sens de sa mise en politique) s’avèrent tout à …

Parties annexes