Recensions

Géopolitique d’une périphérisation du bassin caribéen, de Romain Cruse, Québec, Les Presses de l’Université du Québec, 2011, 153 p.[Notice]

  • Olivier Mbabia

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L’ouvrage de synthèse que commet le géographe Romain Cruse s’avère utile pour comprendre les trajectoires des pays du bassin caribéen et leur évolution dans la longue durée. Rares sont les travaux qui traitent la question de la Caraïbe dans l’espace francophone. Allant au-delà de la vision superficielle d’exotisme qui maquille la région, l’auteur se propose de décrire et d’analyser le phénomène de « périphérisation » du bassin caribéen, c’est-à-dire à en exposer les déterminants, les objectifs, les variantes et enfin les manifestations. Car « derrière cette parure, cependant, se dévoile à qui prend la peine d’observer un visage profondément marqué par une exploitation frénétique des ressources et de la population de la Caraïbe » (p. 2). L’auteur charpente son argumentation autour du concept explicatif de la « périphérisation » pour expliquer le contexte profondément inégalitaire qui caractérise la région aujourd’hui. Prolongement du modèle centre/périphérie, la périphérisation tend à décrire « un système spatial fondé sur la relation inégale entre deux lieux : ceux qui dominent ce système et en bénéficient, les centres, et ceux qui le subissent, en position périphérique » (p. 3). Cette approche à la fois spatiale et socioéconomique lui permet de mettre en exergue les causes exogènes de ce processus, en l’occurrence la recolonisation des Grandes Antilles au cours du vingtième siècle par les États-Unis – un nouveau centre qui s’est habilement substitué aux puissances coloniales européennes – couplée à l’imposition de zones franches économiques par les institutions financières internationales et les organismes américains d’assistance au développement. La situation de profonde dépendance économique et géostratégique des pays étudiés (Petites et Grandes Antilles, Guyane, Guyana, Surinam, Colombie et Venezuela) par rapport au centre régional, les États-Unis, ne peut guère s’expliquer par la seule insularité. L’auteur identifie donc une combinaison de facteurs pour rendre compte de la mise à la périphérie des sociétés caribéennes du système-monde : l’histoire, le système économique colonial et les enjeux géopolitiques. Ce faisant, Romain Cruse échappe au piège du tout « géographique » et s’attèle à une véritable genèse d’un phénomène qu’il faut, selon lui, absolument inscrire dans la longue durée. En comparant le bassin de la Caraïbe à une méditerranée, à l’instar de la mer Méditerranée et de la mer de Chine, l’auteur souligne le rôle que ce bassin peut assumer dans le système-monde. De ce point de vue, le bassin caribéen représente en effet une zone naturelle de contact migratoire ou non (des centaines de millions de touristes chaque année, transit des drogues illicites) qui borde la première économie mondiale, attire les habitants de la région, fournit un marché immense de consommation de drogues illicites et catalyse le commerce illicite transaméricain (p. 23). Par ailleurs, on ne peut pas comprendre la marginalisation des pays de la région sans en retracer les origines historiques. L’auteur le fait avec rigueur en démontrant dans quelle mesure les métropoles européennes ont façonné l’économie politique des colonies par l’imposition des spécialisations agricoles (canne à sucre, café, indigo, coton, banane, etc.) et d’exploitation minière et de main-d’oeuvre bon marché à leur propre avantage, creusant par le fait même le fossé entre elles et les colonies, d’une part, et exacerbant les clivages et les déséquilibres à l’intérieur des périphéries, d’autre part. Instaurées dans le cadre de la domination impériale, ces spécialisations sont poursuivies par les entreprises multinationales, notamment américaines, qui transforment progressivement l’économie des plantations en domaines touristiques, navires de croisière, zones de dérogations fiscales, tourisme d’enclaves. Ce qui perpétue par voie de conséquence « un nouveau système de domination encore et toujours basé sur les pseudo-avantages comparatifs et l’échange inégal et, plus que jamais, sur une intégration verticale …