Un constat est à l’origine de ce dossier thématique : les travaux sur la participation ne cessent de se multiplier depuis plusieurs années, tandis que le renouvellement des concepts, des thèmes et des questions de recherche peut parfois sembler s’essouffler. Il serait ici impossible de citer de façon exhaustive tous les indices qui attestent d’une multiplication réelle des productions scientifiques sur la participation : thèses de doctorat, numéros thématiques de revues, ouvrages généralistes, travaux spécialisés sur un domaine, recherches sur la participation à un niveau local, national ou international. Au sein de la communauté francophone, la création de la revue Participations en 2011 illustre le souci de fédérer des chercheurs sur ces questions et de rassembler les travaux dans une démarche cumulative. Le visage actuel des dispositifs participatifs eux-mêmes et leurs modalités d’institutionnalisation au sein des politiques publiques ne peuvent plus se décrire avec les mêmes termes que ceux utilisés dans les années 1960 et 1970. De même, la logique qui prévaut à leur tenue depuis les années 1990 demande à être mise en perspective. Il est devenu relativement courant de signaler que l’on cherche à éviter tant la naïveté d’une approche idéalisant la participation que le cynisme d’une démarche attachée à dévoiler la facticité de la participation (Blondiaux et Fourniau, 2011). Le souci du terrain, de la combinaison des méthodes d’enquête, est aussi partagé par un grand nombre de travaux qui montrent que l’analyse des différentes formes de participation ne se résume pas en quelques entretiens hâtifs et en une observation de quelques séquences. La discussion approfondie des points méthodologiques acquiert même de l’importance ; elle permet d’inscrire plus fortement le travail sur la participation au coeur des questionnements fondamentaux des sciences politiques et sociales. On le voit bien, les analystes de la participation sont les premiers à s’inquiéter du manque de réflexivité, des limites de leurs outils et démarches. Leur proximité avec les dispositifs participatifs qu’ils étudient, voire leur contribution au développement de notions, d’instruments et d’outils en vigueur dans diverses assemblées politiques ont également été la source de malentendus. Plus que des réticences et des défis, une série de confusions, d’approximations, de fausses évidences a affecté les conditions de réflexion publique, de discussion et de description de ce qu’est la participation citoyenne. Sans se lancer dans un plaidoyer béat, Loïc Blondiaux (2007a) a tenu à répondre en privilégiant un argumentaire qui rappelle les acquis, les limites et les problèmes de la participation. Nous y voyons une invitation à une saisie à la fois réaliste et fine de ce qui fait problème avec la participation. Au lecteur de juger si cette piste renouvelle la réflexion. Dans un tel contexte, explicitons le contenu de notre dossier thématique. Notre objectif n’est ni de proposer un bilan ni de dresser un état des lieux de la vaste littérature, ce que d’autres ont entrepris avec fruit (Delli Carpini, Cook et Jacobs, 2004 ; Blondiaux et Fourniau, 2011 ; pour le Québec, voir Gariépy et Morin, 2011). Ce dossier thématique ne s’organise pas selon une spécialisation sectorielle ou géographique. Il donne plutôt la voix à des travaux empiriques et théoriques qui témoignent d’une démarche ouverte au dialogue entre disciplines (science politique, sociologie politique, philosophie), mais en se situant également entre plusieurs espaces-temps. Nous entendons ici ouvrir une discussion autour de quelques pistes de réflexion actuelles et de fronts problématiques qui décentrent ce qu’est et ce que fait la participation. En un mot, il s’agit de se défaire de ce qui est devenu normal, évident, routinier, quand désormais l’on traite la participation sans plus vraiment l’interroger. Le lecteur croisera au fil de sa lecture …
Parties annexes
Bibliographie
- Bachrach, Peter et Morton S. Baratz, 1962, « Two Faces of Power », American Political Science Review, vol. 56, no 4, p. 947-952.
- Baiocchi, Gianpaolo, 2011, « Participation, Activism, and Politics : The Porto Alegre Experiment and Deliberative Democratic Theory », Politics & Society, vol. 29, no 1, p. 43-72.
- Barber, Benjamin, 1984, Strong Democracy. Participatory Politics for a New Age, Berkley, University of California Press.
- Berger, Mathieu, 2009, Répondre en citoyen ordinaire, thèse de doctorat en sociologie, Université libre de Bruxelles.
- Blatrix, Cécile, 2001, « Devoir débattre. Les effets de l’institutionnalisation de la participation sur les formes de l’action collective », Politix, vol. 15, no 57, p. 79-102.
- Blondiaux, Loïc, 2007a, « La démocratie participative, sous conditions et malgré tout. Un plaidoyer paradoxal en faveur de l’innovation démocratique », Mouvements, no 50, p. 118-129.
- Blondiaux, Loïc, 2007b, Le nouvel esprit de la démocratie, Paris, Seuil.
- Blondiaux, Loïc et Jean-Michel Fourniau, 2011, « Un bilan des recherches sur la participation du public en démocratie : beaucoup de bruit pour rien ? », Participations, no 1, p. 8-35.
- Boltanski, Luc, 2009, De la critique, Paris, Gallimard.
- Breviglieri, Marc, 2012, « L’espace habité que réclame l’assurance intime du pouvoir », Études ricoeuriennes, vol. 3, no 1, p. 34-52.
- Callon, Michel, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe, 2001, Agir dans un monde incertain, Paris, Seuil.
- Cantelli, Fabrizio, 2007, L’État à tâtons, Bruxelles-Berne-Oxford, PIE Peter Lang.
- Chambers, Simone, 2004, « Behind Closed Doors : Publicity, Secrecy and the Quality of Deliberation », The Journal of Political Philosophy, vol. 12, no 4, p. 389-410.
- Charles, Julien, 2012, Une participation éprouvante, thèse de doctorat en sociologie, Université catholique de Louvain.
- Dahl, Robert, 1961, Who Governs ?, New Haven, Yale University Press.
- Delli Carpini, Michael, Fay Cook et Lawrence Jacobs, 2004, « Public Deliberation, Discursive Participation, and Citizen Engagement : A Review of the Empirical Literature », Annual Review of Political Science, vol. 7, p. 315-344.
- Eideliman, Jean-Sébastien, 2008, « Spécialistes par obligation ». Des parents face au handicap mental : théories diagnostiques et arrangements pratiques, thèse de doctorat en sociologie, Paris, École des hautes études en sciences sociales.
- Friedberg, Erhard, 1993, Le pouvoir et la règle, Paris, Seuil.
- Fung, Archon, 2003, « Survey Article : Recipes for the Public Sphere : Eight Institutional Design Choices and Their Consequences », Journal of Political Philosophy, vol. 11, no 3, p. 338-367.
- Fung, Archon, 2004, « Deliberation’s Darker Side : Six Questions for Iris Marion Young and Jane Mansbridge », National Civic Review, vol. 93, no 4, p. 47-54.
- Fung, Archon, 2011, « Reinventing Democracy in Latin America », Perspectives on Politics, vol. 9, no 4, p. 857-871.
- Fromentin, Thomas et Stéphanie Wojcik, 2008, Le profane en politique. Compétences et engagements du citoyen, Paris, L’Harmattan.
- Gariépy, Michel et Liane Morin, 2011, « Les écrits sur la participation publique au Québec : une première cartographie », Télescope, vol. 17, no 1, p. 173-193.
- Garon, Francis, 2009, Changement ou continuité ? Les processus participatifs au gouvernement du Canada 1975-2005, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval.
- Gaxie, Daniel, 2008, « Les profanes en politique : réflexions sur les usages d’une analogie », dans Thomas Fromentin et Stéphanie Wojcik (sous la dir. de), Le profane en politique. Compétences et engagements du citoyen, Paris, L’Harmattan, p. 289-302.
- Genard, Jean-Louis, 2007, « Capacités et capacitation : une nouvelle orientation des politiques publiques ? », dans Fabrizio Cantelli et Jean-Louis Genard (sous la dir. de), Action publique et subjectivité, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence (LGDJ), vol. 46, p. 41-64.
- Genard, Jean-Louis et Fabrizio Cantelli, 2008, « Êtres capables et compétents : lecture anthropologique et pistes pragmatiques », SociologieS, avril, consulté sur Internet (http://sociologies.revues.org/1943) en juin 2013.
- Genard, Jean-Louis et Fabrizio Cantelli, 2010, « Pour une sociologie politique des compétences », Politiques sociales, nos 1-2, p. 103-120.
- Giraud, Olivier et Philippe Warin, 2008, « Les politiques publiques : une pragmatique de la démocratie », Politiques publiques et démocratie, Paris, La Découverte, p. 7-34.
- Godbout, Jacques, 1983, La participation contre la démocratie, Montréal, Éditions coopératives Albert Saint-Martin.
- Goodin, Robert et Joseph Dryzek, 2006, « Deliberative Impacts : The Macro-Political Uptake of Mini-Publics », Politics & Society, vol. 34, p. 219-245.
- Hibbing, John et Elizabeth Theiss-Morse, 2002, Stealth Democracy. Americans’ Beliefs about How Government Should Work, Cambridge, Cambridge University Press.
- Jauffret-Roustide, Maris, 2005, « L’auto-support des usagers de drogues : une ‘compétence de vie’ reconvertie en expertise », dans Laurence Dumoulin, Stéphane La Branche, Robert Cécile et Philippe Warin (sous la dir. de), Le recours aux experts. Raisons et usages politiques, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, p. 401-425.
- MacPherson, Crawford Brough, 1985, Principes et limites de la démocratie libérale [trad. par André D’Allemagne], Paris, La Découverte.
- Mohan, Gilles, 2006, « Beyond Participation : Strategies for Deeper Empowerment », dans Bill Cooke et Uma Kothari (sous la dir.de), Participation : The New Tyranny ?, London, Zed Books, p. 153–167.
- Mouffe, Chantal, 1988, « American Liberalism and Its Critics : Rawls, Taylor, Sandel and Walzer », Praxis International, vol. 8, no 2, p. 193-206.
- Mutz, Diana, 2006, Hearing the Other Side. Deliberative Versus Participatory Democracy, Cambridge, Cambridge University Press.
- Nadeau, Jean-Guy, 2000, « Enchevêtrés dans des histoires de pouvoir », Théologiques, vol. 8, no 2, p. 3-13.
- Neveu, Catherine, 2011, « Démocratie participative et mouvements sociaux : entre domestication et ensauvagement ? », Participations, vol. 1, no 1, p. 186-209.
- Nonjon, Magali, 2005, « Professionnels de la participation : savoir gérer son image militante », Politix, vol. 2, no 70, p. 89-112.
- Papadopoulos, Yannis et Philippe Warin, 2007, « Major Findings and Path for Future Research : A Concluding Note », European Journal of Political Research, vol. 46, p. 591-605.
- Pateman, Carole, 1970, Participation and Democratic Theory, Cambridge, Cambridge University Press.
- Rabeharisoa, Vololona et Michel Callon, 1999, Le pouvoir des malades, Paris, Presses de l’École des Mines.
- Ricoeur, Paul, 1990, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil.
- Sanders, Lynn, 1997, « Against Deliberation », Political Theory, vol. 25, no 3, p. 330-347.
- Schiffino, Nathalie et Steve Jacob, 2011, « Risk, Democracy and Schizophrenia. The Changing Roles of Citizens in Risk Policy-making. Putting GMO Policy to the Test », Journal of Risk Research, vol. 14, no 8, p. 883-893.
- Sintomer, Yves, 2008, « Du savoir d’usage au métier de citoyen ? », Raisons politiques, vol. 3, no 31, p. 115-133.
- Terzi, Cédric, 2005, « ‘Qu’avez-vous fait de l’argent des juifs ?’ Problématisation et publicisation de la question ‘des fonds juifs et de l’or nazi’ par la presse suisse, 1995-1998 », thèse de doctorat en sociologie, Paris, École des hautes études en sciences sociales.
- Thévenot, Laurent, 2006, L’action au pluriel, Paris, La Découverte.
- Warren, Mark, 2009, « Citizen Participation and Democratic Deficits », dans Joan Debardeleben et Jon Pammett (sous la dir. de), Activating the Citizen. Dilemmas of Participation in Europe and Canada, Houndsmill, Basingstoke, Palgrave MacMillan, p. 17-40.
- Weber, Max, 1971 [1922], Économie et société, Paris, Plon.
- Wright Mills, Charles, 1956, The Power Elite, New York, Oxford University Press.