Recensions

G.I. contre Jihad : le match nul, de Pierre-Alain Clément, Québec, Les Presses de l’Université du Québec, 2010[Notice]

  • Ali G. Dizboni

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  • Ali G. Dizboni
    Collège militaire royal du Canada, CIDP
    Université Queens
    dizboni-a@rmc.ca

Pendant longtemps, le cadre conceptuel dans lequel on a étudié le terrorisme et la guerre antiterroriste a été dominé par des recherches qui ont mis l’accent sur les discours, les idéologies et les histoires des protagonistes. Peu de gens se sont intéressés à mettre en avant de nouvelles réflexions prospectives sur la nature de cette guerre et sur ses tendances lourdes. Or, il faut sortir des sentiers battus définis par les courants d’idées dominants, souvent renforcés par une certaine complaisance médiatique, tout en gardant la rigueur scientifique qu’exige le sujet. Ce livre y réussit. Conscient de l’évolution du terrorisme contemporain, l’auteur nous offre une réflexion critique, méthodique et conceptuelle sur l’essence des enjeux que pose celui-ci. Il conclut non seulement que le « match » entre les deux adversaires reste ouvert, mais qu’il sera toujours un « match nul ». Tout d’abord, comme le souligne à juste titre la préface, la guerre anti-terreur se prête difficilement à une analyse polémologique classique sur la guerre, qui est soit interétatique soit intra-étatique, avec un casus belli clair (souvent lié à des disputes territoriales) et un espace circonscrit. La nature même de la confrontation entre les G.I. [soldats] américains sous les conservateurs et Al-Qaïda (que l’auteur appelle organisation clandestine), de leurs objectifs et de leurs moyens, ne mène qu’à un match sans gagnant où les actions de l’un ne peuvent que radicaliser celles de l’autre. Du côté américain, les moyens adoptés sont insoutenables, les coûts exorbitants et les résultats négligeables. Unilatérale si nécessaire, multilatérale si possible, forcément planétaire, variant de l’attaque éclair et des opérations drones jusqu’à l’occupation et la consolidation nationale (nation building), l’action américaine a le but déclaré de gagner les coeurs et les esprits sans pour autant accepter aucune des demandes d’Al-Qaïda. Pour ce dernier, les objectifs ne sont pas moins utopiques que ses moyens sont paradoxalement limités. Engagée dans un conflit asymétrique planétaire, l’« organisation clandestine » s’est donné des objectifs de grande ampleur mais flous : remplacer les gouvernements arabes vassaux par des gouvernements islamiques, repousser la présence militaire américaine, éliminer Israël et unifier l’oumma, la communauté des musulmans du monde. Pour y arriver, toutes les cibles sont permises. Le conflit entre ces deux universalismes ne permet aucune victoire, ni militaire ni politique. Leur messianisme suit des logiques que Clément tente d’interpréter, entre autres, par des schémas conceptuels, empruntés à la théorie des jeux, ce qu’il fait tout en mettant en garde le lecteur contre les modèles quantitatifs, dont la force d’explication reste limitée par rapport aux rationalités terroriste et antiterroriste. D’ailleurs, le lecteur n’est pas très convaincu par l’auteur que la notion de rationalité instrumentale s’applique aux opérations kamikazes. Au coeur des stratégies de deux adversaires, on trouve un appel permanent à l’opinion publique et à des pratiques cherchant le maximum d’efficacité communicationnelle. Or, malgré tous les efforts déployés, aucun des deux n’a gagné la campagne de charme. Cette impasse pourrait expliquer, du moins partiellement, le printemps arabe qui a éclaté après la publication du livre. La révolte des masses arabes au nom des élections libres, de la liberté et de la dignité s’inscrit en faux contre les objectifs d’Al-Qaïda, même si les deux mouvements partagent certaines revendications. De plus, on ne peut pas se laisser aller à l’euphorie et à l’optimisme à cause du déclin relatif du terrorisme et de la mise en place de gouvernements représentatifs à la suite du printemps arabe, car la transition vers la démocratie n’est pas uniforme. Si l’on peut se sentir encouragés par ce qui se passe en Tunisie ou en Égypte, il y a …