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À chaque nouvelle élection, on voit soudainement poindre un regain d’intérêt envers les jeunes et la politique. Les médias, notamment, multiplient les articles et les entrevues sur les grandes questions liées à la participation électorale des jeunes : votent-ils, et pour qui ? Quels sont les enjeux qui les accrochent ? Que font les partis pour stimuler leur intérêt ? Les médias sociaux peuvent-ils les « accrocher » à la politique ?

Cet intérêt pour les jeunes en particulier n’est pas anodin. Partout en Occident, l’intérêt envers la faible participation électorale des jeunes électeurs a franchi les barrières du milieu de la recherche, lequel multiplie déjà sérieusement depuis une quinzaine d’années les études décortiquant les facteurs qui retiennent les jeunes à la maison le jour des élections.

Car les jeunes, faut-il le rappeler, vont peu voter. Élections Canada estime le taux de participation des 18-24 ans pour l’élection de 2011 à 38,8 %, soit 22 points de moins que la moyenne nationale[1]. Au Québec, l’élection de 2012 était plutôt encourageante à cet égard, avec un taux de participation des 18-24 ans de 62,1 %, soit seulement 12,5 points sous la moyenne provinciale de 74,6 %, ce qui constitue l’écart le plus faible depuis l’élection de 1989 (Gélineau et Teyssier, 2012). Est-ce un effet de la multiplication des interventions encourageant les jeunes à saisir cette occasion de faire entendre leur voix ? Il est trop tôt pour dire si cette remontée n’était que spécifique à l’élection québécoise de 2012.

Outre les interventions auprès des jeunes électeurs, de multiples efforts sont faits en amont, visant les jeunes qui n’ont pas encore l’âge légal de voter. Aux États-Unis, plusieurs études ont montré l’importance de prendre l’habitude de voter, ainsi que le fait que les jeunes prenaient au contraire depuis quelques décennies l’habitude de ne pas voter (Plutzer, 2002 ; Franklin, 2004 ; Franklin, Lyons et Marsh, 2004). Martin Wattenberg (2007), prenant en compte 18 démocraties établies, a montré que le ratio électeurs âgés / jeunes électeurs a beaucoup changé entre le début des années 1970 et l’an 2000[2]. Alors qu’au début de cette période on dénombrait de nombreux pays où il y avait un électeur âgé pour un jeune électeur (onze pays sur seize), le ratio au début des années 2000 était plus couramment de un et demi pour un. Quatre pays seulement avaient en 2000 un ratio de un électeur âgé pour un jeune électeur, dont deux où le vote est obligatoire (Belgique et Australie). Il s’agit donc d’inverser cette tendance, en faisant prendre aux jeunes le plus tôt possible l’habitude de voter.

Au cours des dernières années, les pouvoirs publics ont à cet effet développé différents projets ciblant les jeunes. Pour augmenter leur niveau de participation aux élections quand ils atteignent 18 ans, une simulation du vote appelée Électeurs en herbe[3] (programme financé notamment par le gouvernement du Québec et Élections Canada) se tient dans les écoles secondaires participantes, et ce, lors de chaque élection. Le programme s’appuie sur l’idée que si les adolescents prennent l’habitude de s’intéresser aux partis, de s’informer sur les candidats et de voter, ils seront plus enclins à répéter ces actions dans le futur. Les plus jeunes sont aussi mis à contribution. Élections Canada (2013) met en effet à la disposition des enseignants du primaire différentes trousses afin de les aider à montrer « la pertinence et l’importance de nos institutions parlementaires et démocratiques aux élèves – les électeurs de demain ». Les plus petits peuvent ainsi choisir la mascotte de leur classe (Choisissons notre mascotte) et les plus grands élire leur conseil étudiant (Aux Urnes, Canada !). Ces trousses, tout comme le programme Électeurs en herbe ou les consultations budgétaires auprès des élèves canadiens organisées par l’organisme Civix, ont pour objectifs de familiariser les jeunes à la sphère électorale et aux grands enjeux politiques, de les informer sur le fonctionnement des partis politiques, du mode de scrutin et du processus décisionnel politique.

Parallèlement à ces actions touchant la sphère électorale, on se penche aussi de plus en plus sur les autres options de participation, celles qui ne concernent pas la politique partisane (sinon de loin). Manifestations, boycotts, signatures de pétitions, partage d’information, d’images et de vidéos sur les réseaux sociaux virtuels, implication dans les groupes de pression… les possibilités sont multiples et les jeunes, dès l’adolescence, sont très encouragés à s’impliquer. Par exemple, l’Institut du Nouveau Monde (INM) invite chaque année quelques centaines de jeunes de 15 à 35 ans à son école d’été pour discuter d’enjeux citoyens[4] ; la Marche 2/3 d’Oxfam-Québec réunit annuellement des milliers de jeunes du secondaire pour une grande manifestation contre la pauvreté[5] ; Élections Canada a lancé dans le cadre de la nouvelle Semaine canadienne de la démocratie le défi national jeunesse où les jeunes de 14 à 30 ans sont invités à raconter comment ils contribuent à la démocratie au-delà du vote[6] ; dans le cadre des élections municipales de novembre 2013, les Forums jeunesse régionaux du Québec ont mis sur pied un conseil municipal virtuel, notamment pour encourager les jeunes à échanger leurs idées sur la démocratie municipale[7]. Certaines initiatives se font même à long terme. Ainsi, en Estrie, la polyvalente Louis-Saint-Laurent d’East Angus est devenue en 2006 une Cité-école, misant sur une éducation à la citoyenneté au quotidien afin de favoriser l’engagement des jeunes dans leur communauté respective et contrer le décrochage scolaire.

Un des objectifs à la base de ces initiatives est d’amener les jeunes, dès l’adolescence, vers la politique, à travers une participation citoyenne axée sur l’apprentissage, la discussion, l’action. L’image de la politique qui y est transmise est positive, stimulante, engageante.

Cette image correspond-elle à celle qu’ont les adolescents de la politique ? Ceux-ci voient-ils généralement la politique comme quelque chose de bien, ou comme un mal nécessaire ? Une vision négative les empêchera-t-elle de s’intéresser à la politique, de désirer s’y engager ? Ces questions sont au coeur de notre étude. Celle-ci s’insère dans le courant d’intérêt envers les jeunes et la politique, mais situe la réflexion en amont, sur le plan des attitudes : plus fondamentalement, au-delà des personnalités et des événements, quels termes utilisent-ils pour définir la politique ? Nous abordons en effet une question moins souvent étudiée, soit celle de la vision qu’ont les adolescents de la politique. Ceux-ci voient-ils la politique positivement ou négativement ? Quels termes (bien commun, pouvoir, conflit…) sont pour eux les plus « parlants » pour évoquer la sphère politique ? Nous souhaitons discuter de ces éléments afin de mieux saisir les particularités de certaines visions de la politique, et l’influence de celles-ci sur une attitude, soit l’intérêt pour la politique. Pour étudier ces questionnements, communs pour ceux qui s’intéressent aux représentations sociales (Roussiau et Bonardi, 2001), nous utilisons des données provenant d’une étude effectuée auprès d’adolescents, ce qui nous permet d’approfondir une perspective de recherche intéressante dans l’étude de l’intérêt pour la politique.

L’intérêt politique

L’intérêt pour la politique est un concept étudié depuis longtemps, sous plusieurs angles d’approche. Certains se sont penchés sur la définition de l’intérêt, sur ce que signifiait « être intéressé » par la politique (White, Bruce et Ritchie, 2000 ; Henn, Weinstein et Wring, 2002). Pour Arthur Lupia et Tasha Philpot, l’intérêt pour la politique est ainsi « la volonté d’un citoyen de porter attention aux phénomènes politiques au possible détriment des autres sujets » (2005 : 1122)[8].

D’autres chercheurs se sont attardés aux déterminants de l’intérêt pour la politique (Bennett et Bennett, 1989 ; Gidengil et al., 2004). Ils ont fait ressortir un certain nombre de caractéristiques sociodémographiques qui sont fortement liées à cet intérêt. Parmi celles-ci, Elisabeth Gidengil et ses collègues (2004) notent que les gens ayant un revenu supérieur ou un plus haut niveau d’éducation sont plus susceptibles de s’y intéresser. Markus Prior (2009) aussi remarque l’effet de l’éducation. Le sexe est une autre caractéristique importante. Au Canada, toutes catégories d’âge confondues, les femmes sont moins intéressées par la politique que les hommes (Gidengil et al., 2004). Cette différence n’est pas exclusivement canadienne. Dans une étude portant sur les jeunes en Grèce[9], Maria Pantelidou-Maloutas et Ilias Nicolacopoulos (1994) montrent que 39 % des jeunes femmes de 18 à 29 ans s’intéressent beaucoup ou assez à la politique, alors que ce pourcentage est de 47 % chez les jeunes hommes, un écart de 8 points. L’écart est beaucoup plus élevé chez les répondants plus âgés (26 points). Kent Jennings et Richard Niemi (1981), grâce au format panel de leur étude, confirment ce type de résultats. Ils observent en effet que si l’écart au niveau de l’intérêt est minime en dernière année d’école secondaire entre les adolescentes et les adolescents, il augmente de façon significative dans les années qui suivent. Les jeunes hommes, en l’espace de huit ans, ont développé un plus grand intérêt pour la politique que les jeunes femmes.

Depuis quelques années, plusieurs chercheurs ont repris à leur compte les questionnements soulevés par Jennings et Niemi (1974, 1981) et ont abordé la question de l’intérêt sous l’angle de son développement (Dostie-Goulet, 2009 ; Neundorf, Smets et Albacete, 2009 ; Prior, 2008, 2009). Gidengil et ses collègues (2004), mesurant l’intérêt pour la politique chez quatre générations d’électeurs en 2000, concluent que la différence s’explique par des effets de cycle de vie. Leurs données révèlent une augmentation graduelle de l’intérêt à mesure qu’on passe de la post-génération X à la génération X, puis aux babyboomers et aux pré-babyboomers. Les jeunes sont moins intéressés que les plus âgés, et leurs observations portent à croire que ce ne serait pas seulement une question de génération.

Anja Neundorf, Kaat Smets et Gema Garcia Albacete (2009) ont exploré cette question du lien entre le cycle de vie et l’intérêt pour la politique. Leurs résultats, obtenus à l’aide d’un panel allemand couvrant la période de 1985 à 2007, montrent que les événements associés au cycle de vie, tels que l’entrée sur le marché du travail ou le fait de se marier, n’ont pas d’effet direct sur le développement de l’intérêt. Ils sont bel et bien liés au niveau d’intérêt, mais ne sont pas responsables de son changement. Il semblerait plutôt que, dès l’âge de 17 ans, les gens soient prédisposés à ces événements, et que ce soit cette prédisposition qui détermine si ceux-ci auront plus ou moins tendance à être politiquement engagés. L’effet des événements du cycle de vie sur le développement de l’intérêt est donc indirect.

Prior s’intéresse lui aussi à la question du développement de l’intérêt pour la politique. Il a compilé une quantité impressionnante de données provenant de plusieurs études longitudinales. Ses résultats, contrairement à ceux présentés plus haut, indiquent une très grande stabilité de l’intérêt à l’âge adulte. Selon lui, l’intérêt serait déjà assez stable avant même que les citoyens atteignent la mi-trentaine. Il en conclut qu’il est nécessaire de se tourner vers les plus jeunes si l’on veut comprendre d’où vient la variation dans l’intérêt pour la politique (2008 : 21).

C’est par ailleurs ce que nous avons fait (Dostie-Goulet, 2009) lorsque nous avons sondé des jeunes du secondaire, en trois vagues, afin d’étudier l’impact du réseau social de ces jeunes sur le développement de leur intérêt pour la politique entre 14 et 16 ans. Selon ce qui a été observé dans cette enquête, le niveau général d’intérêt envers la politique bouge peu à l’adolescence lorsqu’on agrège les résultats obtenus. Cependant, cette stabilité cacherait des variations importantes sur le plan individuel. Beaucoup de jeunes développeraient un intérêt pour la politique, pendant que d’autres s’en désintéresseraient, ces deux tendances s’annulant lorsque tous les jeunes sont pris en compte. Sara White, Clarissa Bruce et Jane Ritchie (2000) sont aussi allées rencontrer des adolescents et de jeunes adultes britanniques. Elles ont questionné longuement 193 d’entre eux concernant leur conception de la politique et de plusieurs éléments s’y rapportant. Leur étude apporte un éclairage différent sur les jeunes et la politique. Elles remarquent trois types de réponses quant à la définition du terme politique. Le premier, associé à un faible intérêt pour la politique, démontre une absence totale d’idée sur cette question ou, au mieux, une mince connexion avec le terme gouvernement. Le deuxième type est plus commun : associant la politique avec les partis, le premier ministre, le Parlement, le gouvernement, les politiciens, ils ont donc une conception très « électorale » de la politique. Les auteures ne font pas de lien entre l’intérêt des jeunes pour la politique et l’association à ce deuxième type de réponses. Le troisième type correspond à une vision beaucoup plus large (les impôts, le budget, certains enjeux…) et est surtout présent chez les jeunes qui se disent assez intéressés par le sujet et chez les répondants de 20 ans et plus.

Heather Bastedo et ses collègues (2009) se sont eux aussi intéressés de façon qualitative à ce que pensent les jeunes électeurs de la politique, en étudiant les conceptions de la citoyenneté et le lien entre ces conceptions et la participation électorale des jeunes. Ils concluent que lorsque les conceptions sont complètement formées et que celles-ci comportent un attachement fort aux normes de la citoyenneté, cela est positivement lié à l’intention de vote. Les abstentionnistes ont donc en général une conception plus étroite de la citoyenneté, alors que les jeunes qui votent ont tendance à inclure une touche d’engagement et d’émotion (notamment de la fierté) dans leur conception de la citoyenneté.

Ces études sur la conception de la politique, sur les différents sens qui y sont donnés et sur les conséquences de ceux-ci, posent la question du niveau d’intérêt « réel » des jeunes pour la politique. En général, dans les enquêtes par questionnaire, on demande aux gens de décrire eux-mêmes leur niveau d’intérêt pour la politique. Le niveau est alors un jugement subjectif du répondant lui-même, selon les considérations qu’il a en tête à ce moment précis, selon ce que le terme « politique » représente pour lui. Ainsi, alors qu’il y a une distinction claire entre, par exemple, voter et s’abstenir, chaque personne voit son propre intérêt pour la politique d’une façon bien particulière. C’est d’ailleurs pourquoi Matt Henn, Mark Weinstein et Dominic Wring (2002) concluent dans leur étude sur les jeunes Britanniques que ceux-ci sont intéressés par la politique, mais que la conception qu’ils en ont est différente de celle des adultes. Et c’est parce qu’ils sont intéressés par un type différent de politique, moins formel, qu’on en déduit souvent qu’ils sont désengagés. Il devient dès lors fort pertinent de savoir ce qu’ont exactement en tête les jeunes lorsqu’on leur parle de politique.

Visions de la politique

L’image que l’on se fait de la politique est une construction sociale. Plus précisément, on peut construire la politique de multiples façons, qui n’auront pas la même signification selon le groupe social auquel on appartient. C’est le propre des représentations sociales, ces « [ensembles organisés et hiérarchisés] des jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore à propos d’un objet » (Abric, 1996, cité dans Roussiau et Bonardi, 2001 : 15).

Denis Barbet le montre bien lorsqu’il décortique le sens donné au mot « abstention » dans le cadre de la participation électorale en France. Il remarque que celui-ci résulte « d’un long travail social d’imposition de la norme et d’inculpation du devoir électoral » (2007 : 64), travail d’imposition particulièrement bien effectué de la part des journalistes. De la même façon, le terme « politique » est construit par la famille, les amis, l’école, les médias, tout agent de socialisation qui transmet un peu de son sens du mot politique au jeune, qui, lui, finalise la construction du concept.

Quels effets ces représentations sociales ont-elles sur l’intérêt, la participation, l’engagement citoyen ? Lorsqu’une vision positive de la politique prédomine, c’est-à-dire une vision par exemple basée sur la coopération, le partage ou le bien commun, cela a-t-il le même impact qu’une vision axée sur des aspects négatifs comme la corruption, la collusion ou le conflit ?

L’aspect positif versus l’aspect négatif d’un construit a été largement étudié dans le domaine de la communication politique, où plusieurs auteurs se sont penchés sur les publicités négatives durant les campagnes électorales. Toutefois, les conclusions ne démontrent pas clairement le désavantage de ce genre de publicité lors des élections. Bien qu’il y ait parfois un effet dit de « boomerang », où un ressentiment est développé pour le messager plutôt que pour la cible, « la publicité négative et la publicité positive ne présentent pas de différences significatives quant à leurs effets sur l’intérêt des électeurs pour la campagne, sur leur intention d’aller voter et sur l’attention qu’ils peuvent porter par la suite à la couverture médiatique de la campagne » (Gosselin, 1997 : 12). Janine Dermody et Richard Scullion (2005), dans une étude portant spécifiquement sur les jeunes, soulignent même que la publicité en général semble renforcer l’idée qu’on ne peut faire confiance à la politique, particulièrement chez les jeunes qui sont déjà désengagés.

Au-delà de la publicité, certaines attitudes (positives ou négatives) pourraient avoir un effet sur l’intérêt ou l’engagement plus général. Cette approche sur les attitudes a déjà été explorée. Des attitudes politiques négatives peuvent avoir une influence sur plusieurs autres attitudes, par exemple le cynisme, une attitude alimentée par l’impression que le gouvernement ne se soucie pas de ce que les gens pensent. On dit notamment d’une personne qu’elle est cynique lorsqu’elle considère que les gouvernements sont irresponsables, lorsqu’elle a perdu confiance dans la politique et les politiciens (Blais et al., 2002 : 108). Vu le sentiment anti-parti que le cynisme entraîne souvent, les cyniques sont plus susceptibles de voter pour un tiers parti. Éric Bélanger (2004) soutient à ce sujet que les électeurs mécontents du rôle et de la performance des partis et du processus politique sont attirés par les partis non établis[10], qui servent de courroie de transmission pour exprimer leur désaffection. Bien que certaines études aient montré que les jeunes ne sont pas aussi cyniques qu’on le croit souvent, du moins le sont-ils moins que les adultes (Jennings et Niemi, 1968 ; Blais et al., 2002), ceux qui sont cyniques sont moins susceptibles d’être intéressés par la politique (Dermody et Hamner-Lloyd, 2004 ; Dostie-Goulet, 2009).

Ainsi, certains des « mots » utilisés dans le cadre de la présente étude[11] pourraient être perçus comme étant plutôt négatifs, ou plutôt positifs. La corruption par exemple : en associant politique et corruption, on ne fait aucune distinction entre les individus, qui parfois peuvent avoir des comportements douteux, et le système politique dans son entièreté, qui pourtant a maintes fois mis de l’avant de nouvelles lois pour justement rendre son fonctionnement le plus transparent possible[12]. Le terme conflit, bien qu’étant moins directement lié au cynisme, peut tout de même y mener lorsqu’on a l’impression que la politique n’est que chicanes, où ce qui prime n’est pas la recherche du bien commun mais bien des intérêts partisans. Ces deux termes sont plus souvent associés à une vision négative de la politique.

Au contraire, le « bien commun » rappelle une vision positive de la politique, fondée sur des valeurs elles-mêmes liées à l’égalité et à la solidarité (Guay, 2004). Quant au terme compromis, il réfère à un aspect plus pragmatique. Ainsi en est-il de l’idée mille fois reprise que « la politique, c’est l’art du possible ». La notion de compromis réfère aussi à la discussion et à la conciliation, par opposition à l’entêtement, voire à l’autoritarisme. Dans les modèles de leadership, il s’agit souvent d’une qualité recherchée (Blake et Mouton, 1964). Cependant, le compromis pourrait aussi être perçu comme un renoncement à ses idéaux, une façon de régler une question sans quelle soit réellement satisfaisante pour tous. Dans ce cas, le terme « compromis » prend une connotation plus négative. Le terme « pouvoir », enfin, est théoriquement neutre. Bien qu’il pourrait tout autant être perçu comme positif que négatif, il est plus souvent associé à des termes négatifs.

Ce sont ces cinq mots, réunis sous deux visions de la politique (une négative et une positive), que nous utilisons dans le cadre de cette recherche d’éléments explicatifs à l’intérêt pour la politique, dans l’objectif de déterminer dans quelle mesure la politique positive peut servir de levier à l’intérêt politique et dans quelle mesure la politique négative lui nuit.

C’est particulièrement l’impact de la construction sociale de la politique sur l’intérêt qui nous préoccupe. D’autres attitudes ou comportements pourraient être affectés, mais nous cherchons principalement à voir si une construction négative ou positive de la politique influence l’intérêt des jeunes pour la politique. Par exemple, dans le cadre d’une construction négative, les jeunes pourraient être moins portés à s’intéresser à cette activité qui leur apparaît comme étant « mauvaise » en soi. Au contraire, une vision positive de la politique devrait être positivement liée à l’intérêt. White, Bruce et Ritchie (2004) montrent d’ailleurs que les jeunes qui s’intéressent le plus fortement à la politique font une description plutôt positive des politiciens et qu’ils considèrent la politique comme quelque chose d’excitant.

Plus précisément, nous commencerons par vérifier si certains termes associés à la politique se rejoignent effectivement dans une vision positive ou négative. Si cela s’avère être le cas, nous postulons que tous les jeunes ne définiront pas la politique de façon identique ; il pourrait s’agir principalement d’une vision positive, principalement d’une vision négative, ou même d’un amalgame des deux. Enfin, nous croyons que les jeunes qui priorisent des termes positifs pour décrire la politique devraient être plus susceptibles de s’intéresser à la politique.

Données et méthodologie

Pour étudier cette question, nous avons opté pour un échantillon d’adolescents. Les adolescents n’ont pas encore le droit de vote, mais ce n’est qu’une question de quelques années avant qu’ils ne puissent prendre part aux élections, sans compter qu’ils ne sont pour l’instant pas totalement exclus de la sphère politique puisqu’ils peuvent prendre part à des manifestations, signer des pétitions et même faire du bénévolat pour les partis politiques. C’est un bon moment pour développer leur intérêt pour la politique (Dostie-Goulet, 2009), pour leur faire prendre l’habitude de la participation. D’autres études se sont penchées sur des jeunes de ce groupe d’âge (Jennings et Niemi, 1974, 1981 ; Fournier, Duggan et Hudon, 2004 ; Zuckerman, Dasović et Fitzgerald, 2007 ; Mahéo, 2008).

Quatre écoles secondaires de Montréal ont été sélectionnées : deux écoles publiques et deux privées. L’enquête par questionnaire a été menée auprès de tous les groupes d’élèves de la même cohorte de chacune de ces écoles. Ceux-ci ont été rencontrés une fois par année, au printemps, durant trois années successives (2006 à 2008). Dans le cadre de la présente étude, seules les données concernant la troisième vague seront utilisées, c’est-à-dire un échantillon de 699 répondants sondés en avril et mai 2008. Les jeunes étaient alors âgés de 16 ou 17 ans. Les jeunes du secondaire, étant tenus d’être en classe, constituent un public captif, ce qui constitue un avantage certain. Un questionnaire sur papier, distribué à tous les élèves sans exception, permettait d’avoir une bonne idée de l’opinion et du comportement politiques des jeunes, autant les non-intéressés que les intéressés. Les gens qui acceptent de répondre à un sondage ont tendance à être plus intéressés par le sujet à l’étude (Brehm, 1993).

Le questionnaire comportait 85 questions. En plus de celles portant sur l’intérêt pour la politique, les visions de la politique et la socio-démographie, s’y trouvaient des questions sur leurs préférences partisanes, leur consommation médiatique, leur engagement politique, leur niveau d’information politique, leur sens du devoir et leur niveau de cynisme. Quelques questions concernaient par ailleurs leur réseau social (parents, amis, école), principalement en lien avec l’intérêt pour la politique et les préférences partisanes.

La méthodologie utilisée pour cette recherche est variée. Nous débuterons par une analyse exploratoire, de type factoriel, pour illustrer la tendance quant aux liens entre les conceptions de la politique, puis entre les visions positives ou négatives émanant de ces concepts et l’intérêt pour la politique. Nous enchaînerons avec une analyse de régression qui nous permettra de déterminer (le cas échéant) laquelle, de la vision négative ou de la vision positive, a l’impact le plus important sur l’intérêt pour la politique.

Six variables seront principalement utilisées. La première est l’intérêt pour la politique. Nous avons demandé aux répondants d’indiquer leur intérêt pour la politique québécoise, canadienne et internationale sur une échelle de 1 à 10. La variable « intérêt politique » est la somme des trois réponses, divisée par trois. La moyenne des répondants se situe à 4,98 sur une échelle de 1 à 10[13].

Les cinq autres variables correspondent à différentes conceptions possibles de la politique[14]. Dans les cinq cas, nous demandions aux jeunes répondants de préciser à quel point le terme politique correspond à chacun de ces mots, sur une échelle de 1 à 10 où 1 signifie qu’il ne correspond pas du tout, et 10 qu’il correspond parfaitement[15]. L’analyse factorielle présentée au graphique 1 permet d’observer le placement de ces cinq mots les uns par rapport aux autres. Elle indique nettement la présence de deux dimensions distinctes, orthogonales, donc indépendantes : d’un côté la vision positive de la politique avec les termes de bien commun et de compromis, et de l’autre la vision négative où les mots pouvoir, conflit et corruption sont très rapprochés, confirmant la connotation négative du terme pouvoir pour les jeunes de cette enquête. Non seulement les termes sont liés par couples, mais surtout ils ne sont pas corrélés avec les termes de l’autre couple, comme si deux univers cognitifs s’étaient constitués séparément.

Graphique 1

Analyse en composantes principales (les cinq visions)

Analyse en composantes principales (les cinq visions)

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Le tableau 1 présente la moyenne de chaque mot, sa corrélation avec l’intérêt pour la politique, de même que l’alpha de Cronbach et la covariance entre les mots correspondant à une vision soit négative, soit positive.

Tableau 1

Les mots de la politique

Les mots de la politique

* = significatif à 95 % de confiance

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Visiblement, ces mots ne résonnent pas tous de la même façon auprès des jeunes. On voit que le mot « pouvoir » fait plutôt consensus, avec une moyenne de près de 8 sur 10. À noter que plus de 25 % des jeunes lui ont donné une note de 10, signifiant ainsi que, pour eux, la politique correspond parfaitement à ce qualificatif. Seulement 5 % des répondants considèrent au contraire que la politique correspond parfaitement bien avec le terme « bien commun ».

Le fait que les moyennes des mots soient toutes plutôt semblables (à l’exception de pouvoir) cache la diversité sur le plan individuel. Par exemple, près de 33,3 % des répondants donnent une note assez forte (plus de 7 sur 10) à la fois aux mots négatifs et aux mots positifs. Près de 20 % accordent plutôt une faible notation à tous les mots, indiquant ainsi que la politique ne correspond pour eux à aucune des définitions proposées.

Il ressort enfin qu’il y a une relation particulière entre les mots négatifs et l’intérêt (corrélation très faible et négative), qui n’est pas la même que celle qu’on retrouve avec les mots positifs (faible corrélation positive, un peu plus forte tout de même pour « bien commun »). Par ailleurs, on constate que les corrélations sont pratiquement identiques lorsqu’on compare l’intérêt pour la politique québécoise et l’intérêt pour la politique canadienne (plutôt que l’échelle composée des trois variables d’intérêt). Les corrélations sont toutes un peu plus faibles lorsqu’on utilise l’intérêt pour la politique internationale de façon individuelle. La plus grande différence concerne la corrélation entre l’intérêt et le mot « bien commun ». Elle est de 0,18 lorsqu’on regarde l’intérêt pour la politique internationale, alors qu’elle est de 0,27 et 0,28 respectivement pour la politique canadienne et québécoise.

Les déterminants des visions de la politique

La vision positive de la politique correspond pour chaque répondant à la somme des réponses sur les mots compromis et bien commun, divisée par deux. La vision négative de la politique correspond quant à elle à la somme des réponses sur les mots conflit, corruption et pouvoir, divisée par trois. La moyenne des répondants se situe à 6,0 sur une échelle de 1 à 10 pour la vision positive, et 6,8 pour la vision négative. Lorsqu’on regarde le résultat attribué aux visions positive ou négative de la politique par tous les répondants, il appert que 65 % d’entre eux considèrent que la politique correspond à des concepts plutôt positifs (un score d’au moins 5,5 sur 10), alors que 74 % considèrent qu’elle correspond à des concepts plutôt négatifs.

Deux analyses de régression linéaire, où les visions sont utilisées comme variables dépendantes, permettent de faire quelques observations intéressantes concernant les liens pouvant exister entre certains comportements et ces visions. Six variables ont été sélectionnées, dont le sexe du répondant et le statut de son école (privée ou publique). Trois variables représentent les discussions politiques dans le réseau social du répondant, soit le fait que ses parents, ses amis ou ses enseignants parlent de politique (sur une échelle de 0 à 1, où 0 signifie jamais et 1 signifie souvent). Enfin, la variable médias est une échelle composée de trois sous-variables, soit la fréquence à laquelle le répondant lit la section politique ou internationale dans les journaux ou sur Internet, écoute les nouvelles à la radio ou regarde les nouvelles à la télévision. La variable médias est la somme des trois réponses, divisée par trois. La moyenne des répondants se situe à 0,32 sur une échelle de 0 à 1, où 0 signifie que le répondant ne suit jamais l’actualité sur aucun de ces médias, alors que 1 signifie qu’il suit tous les jours l’actualité sur les trois médias.

Les résultats présentés au tableau 2 indiquent que deux des variables indépendantes choisies, soit le fait que les enseignants parlent de politique en classe et la consommation médiatique, sont positivement liées à une vision positive de la politique. Dans le premier cas, l’effet est assez faible : le fait d’avoir des enseignants qui parlent souvent de politique augmente en moyenne de 0,36 le score sur l’échelle de la vision positive de la politique, qui va de 1 à 10, comparé aux étudiants dont les enseignants ne parlent jamais de politique. Il est cependant très intéressant que ce soit la seule variable de discussion qui ressorte, et cela rappelle l’importance du rôle que peut jouer l’école dans l’éducation à la citoyenneté (Claes, Stolle et Hooghe, 2007 ; Dostie-Goulet, 2009). L’effet est un peu plus important en ce qui concerne la consommation des nouvelles, avec un coefficient de 1,11.

Tableau 2

Les visions de la politique (MCO)**

Les visions de la politique (MCO)**

* = significatif à 95 % de confiance.

** Méthode des moindres carrés ordinaire.

Note : Les variables sur la discussion politique (parents, amis ou enseignants parlant de politique) étant codées de 0 à 1, le coefficient indique la différence entre le minimum (ne parle jamais de politique) et le maximum (parle souvent de politique). Les coefficients correspondent aux béta non standardisés.

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En ce qui concerne la vision négative de la politique, trois coefficients sont statistiquement significatifs à 95 % de confiance. Encore une fois, la consommation des nouvelles joue sur la vision négative, mais cette fois négativement. Ainsi, ceux qui suivent tous les jours l’actualité sont moins susceptibles d’avoir une vision négative de la politique que ceux qui ne la suivent jamais. De même, les hommes sont moins susceptibles que les femmes d’avoir une vision négative de la politique, et ceux dont les parents parlent souvent de politique sont aussi moins susceptibles d’avoir une vision négative que ceux dont les parents ne parlent jamais de politique. Dans ces trois cas, l’effet est assez faible, le plus important étant l’effet des médias avec un coefficient de -0,56. Il semble donc que les visions de la politique, positive et négative, ne se réduisent pas à l’une ou l’autre de ces variables liées à l’environnement des jeunes.

L’observation la plus intéressante est probablement le fait que les deux visions ne semblent pas s’opposer. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une variable a un effet positif sur la vision positive de la politique qu’elle a nécessairement un effet négatif sur la vision négative. Cette indépendance entre les deux visions devrait normalement se refléter dans l’effet que celles-ci peuvent avoir sur l’intérêt pour la politique. C’est ce que nous allons maintenant examiner.

La relation entre les visions de la politique et l’intérêt

Les corrélations bivariées ont pu nous donner un aperçu de la relation entre les mots représentant la politique, et l’intérêt. Il est cependant intéressant de mettre ces variables en relation multivariée, afin d’observer à la fois les liens entre les différents mots composant chaque vision et la relation de ceux-ci avec l’intérêt pour la politique. La première analyse démontrant cette relation est une analyse en composantes principales, où les mêmes variables qu’au graphique 1 sont incluses, mais où cette fois nous avons ajouté l’échelle d’intérêt pour la politique. Les deux premières dimensions rendent compte de 63 % de la variation totale.

Nous retrouvons avec le cercle des corrélations (graphique 2) les deux dimensions présentées précédemment. Nous constatons rapidement que la construction d’une vision négative, liant la politique à la corruption, au conflit ou au pouvoir, n’augmente ou ne diminue en rien l’intérêt pour la politique. C’est plutôt une vision positive qui met l’accent sur le bien commun et le compromis qui est positivement liée à l’intérêt pour la politique.

Graphique 2

Analyse en composantes principales (les variables)

Analyse en composantes principales (les variables)

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Le tableau des contributions sur les deux dimensions (tableau 3) montre très nettement la prépondérance de la notion de bien commun sur la deuxième dimension.

Tableau 3

Contribution de chacune des variables aux deux premières dimensions

Contribution de chacune des variables aux deux premières dimensions

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L’analyse en composantes principales ne permettant pas de chiffrer l’effet de chaque vision sur l’intérêt pour la politique, nous avons aussi fait une analyse de régression linéaire où nous cherchons à déterminer dans quelle mesure les variables indépendantes principales, soit les deux visions de la politique (positive ou négative), influencent l’intérêt (tableau 4).

Tableau 4

L’impact des visions de la politique sur l’intérêt (MCO)**

L’impact des visions de la politique sur l’intérêt (MCO)**

* = significatif à 95 % de confiance.

** Méthode des moindres carrés ordinaire.

Note : Les coefficients correspondent aux béta non standardisés.

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Les coefficients liés aux variables « vision négative » et « vision positive » sont tous deux significatifs à 95 % de confiance. Nous pouvions nous douter, dès les corrélations, et encore plus avec l’analyse factorielle, de la direction que prendrait la relation. Il est tout de même intéressant de quantifier l’effet de cette relation, notamment parce que bien que la vision négative joue sur l’intérêt pour la politique, la vision positive joue beaucoup plus. Ainsi, les jeunes ayant une vision centrée sur le pouvoir, la corruption ou le conflit sont en moyenne moins intéressés par la politique, mais cet effet n’est pas aussi important que le fait de se représenter la politique de façon positive. Alors que dans le premier cas on se situe en moyenne 0,10 point plus bas sur l’échelle d’intérêt pour chaque augmentation d’un point sur l’échelle de la vision négative, on se situe au contraire en moyenne 0,23 point plus haut sur l’intérêt pour chaque augmentation d’un point sur l’échelle de la vision positive. L’effet de la vision positive peut donc être considéré comme étant deux fois plus important que celui de la vision négative. Les deux méthodes statistiques, bien qu’elles se nourrissent de présupposés différents, convergent.

Par ailleurs, en ce qui concerne l’analyse en composantes principales, si l’on opère une analyse hiérarchique (graphique 3), on voit se dessiner cinq ensembles qui, sans s’opposer, se distinguent. La partie supérieure du graphique regroupe les scores d’intérêt les plus élevés, tout comme le graphique 1 montrait que plus on est haut, plus on a une vision assez positive de la politique. Le cluster 2 est donc celui regroupant les gens intéressés et qui de surcroît définissent positivement la politique, alors que le cluster 4 regroupe les gens qui définissent négativement la politique tout en étant plutôt intéressés. Ce regroupement est sans doute le plus intéressant. Il rappelle qu’une représentation de la politique axée sur le pouvoir et le conflit n’est pas nécessairement antinomique à l’engagement. On peut présumer qu’il s’agit d’une posture de contestation, associée à une volonté de changement. Le mouvement des carrés rouges au Québec en 2012 ou celui des indignés en 2011[16] peuvent ainsi trouver leurs racines dans une telle posture cognitive. D’une manière générale, les deux clusters du haut renvoient probablement à deux types d’action collective – la mobilisation consensuelle et la mobilisation contestataire, comme cela a été fait dans de nombreuses recherches, à la fois théoriquement et empiriquement (Chazel, 2003 ; Sainsaulieu, 2012).

Graphique 3

Analyse hiérarchique (plan des individus selon cinq regroupements)

Analyse hiérarchique (plan des individus selon cinq regroupements)

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La partie centrale du graphique renvoie à tous les individus qui ne montrent aucun signe d’intérêt et qui ne définissent ni négativement, ni positivement la politique. Celle-ci semble pour eux relever d’un ensemble flou, voire indéterminé. Les autres clusters regroupent les répondants peu intéressés à la politique qui se caractérisent par des scores faibles quant à l’utilisation des différents termes pour définir la politique (cluster 1), ou qui la définissent négativement (cluster 5).

La relation entre les visions de la politique et la volonté d’engagement dans l’avenir

Chacun des clusters présentés au graphique 2 correspond d’une certaine façon à un idéal-type, selon que les jeunes soient intéressés ou non, et selon la vision qu’ils ont de la politique. Comment ces idéaux-types voient-ils leur participation politique future ? C’est cette différence dans la probabilité de s’engager que nous illustrons plus clairement avec l’histogramme du graphique 3. À la suite d’une régression logistique, où la variable dépendante était la possibilité de se présenter un jour comme candidat lors d’une élection, nous avons fait des simulations de prédictions où les valeurs données aux répondants correspondaient à la tendance de chaque cluster.

La variable « candidat » est une variable dichotomique codée 0 lorsque le répondant indique qu’il n’y a aucune chance qu’il se présente un jour comme candidat lors d’une élection, et 1 s’il y a ne serait-ce qu’une faible chance. Au total, 37 % des jeunes répondants se disent au moins faiblement intéressés à se présenter un jour comme candidat.

La corrélation entre l’intérêt pour la politique et la volonté d’engagement futur est assez forte, soit de 0,41. Les adolescents qui, à 16 ans, n’excluent pas totalement la possibilité de se présenter un jour comme candidat lors d’une élection ont au moins un certain intérêt pour la politique. Si par ailleurs on utilise la volonté de s’engager en politique comme étiquette pour les points dans le graphique d’analyse en composantes principales, les répondants qui envisagent de devenir candidat (1), par opposition à ceux qui n’ont pas ce projet d’engagement (0), se situent dans la zone du deuxième cluster, caractérisée par une vision positive de la politique.

Ainsi, l’histogramme du graphique 4 représente la probabilité de dire qu’on souhaite se présenter un jour comme candidat, en association avec les caractéristiques de chaque cluster. Dans une situation (simulée) où tous les répondants sont très intéressés (à 9 sur l’échelle de 1 à 10), qu’ils associent fortement la politique à des termes positifs (toujours 9 sur l’échelle de 1 à 10), mais faiblement à des termes négatifs (2 sur 10), la probabilité moyenne de s’engager est de 86 %. Cela représente le cluster 2, dans le coin supérieur gauche. Le cluster suivant (le quatrième) regroupe les gens qui définissent autant négativement que positivement la politique, tout en étant plutôt intéressés, ce qui amène la probabilité moyenne à 71 %. Le troisième cluster (celui du centre) représente ceux qui ont une valeur moyenne de 5 sur tous les éléments (probabilité moyenne de 38 %).

Graphique 4

La probabilité de s’engager selon les cinq clusters

La probabilité de s’engager selon les cinq clusters

Note : Chaque cluster représente un idéal-type. Par exemple, le cluster 2 correspond à une situation (simulée) où les jeunes seraient grandement intéressés par la politique, où la politique serait fortement décrite selon des termes positifs et faiblement selon des termes négatifs. Leur probabilité d’engagement est alors de 86 %.

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Dans une situation (toujours simulée) où tous les répondants sont faiblement intéressés (2 sur 10), et où tous donnent de faibles scores autant aux termes positifs que négatifs (toujours 2 sur l’échelle de 1 à 10), la probabilité moyenne de s’engager est seulement de 18 % (premier cluster). Comment expliquer qu’il y ait encore une probabilité d’engagement de 18 % alors qu’il n’y a rien pour l’encourager ? Le fait qu’il n’y ait ni intérêt, ni vision positive, ne favorise certes pas l’engagement, mais l’absence d’une vision négative permet à tout le moins de ne pas nuire à l’engagement. Enfin, lorsque tous les répondants ont un intérêt faible, une vision positive faible et qu’en plus ils ont une forte vision négative de la politique (9 sur 10), alors la probabilité de s’engager tombe à 8 %.

Bref, bien que l’intérêt soit certainement un important prédicteur de l’engagement, au-delà de l’intérêt, une vision positive de la politique peut avoir un effet non négligeable.

Conclusion

En travaillant sur la vision positive ou négative de la politique qu’ont les jeunes, cette étude souhaitait analyser l’un des leviers susceptibles d’expliquer l’intérêt pour la politique, puis la volonté d’engagement. Cette approche, qui rappelle les études sur les représentations sociales, n’a, à notre connaissance, jamais été utilisée selon cette perspective.

Les résultats, obtenus par une triangulation méthodologique, montrent que la façon dont est construit le terme « politique » est liée à l’intérêt des jeunes pour celle-ci. Cependant, si une vision positive de la politique est clairement associée à un plus grand intérêt, une vision négative n’est pas aussi fortement liée à une diminution de l’intérêt. Les deux visions ont des impacts différenciés sur l’intérêt. Soulignons de plus que l’influence peut se présenter dans les deux sens : si une vision positive de la politique peut contribuer à la construction de l’intérêt pour la politique, celui-ci peut à son tour encourager les jeunes à avoir une vision plus positive de la politique.

Enfin, nous avons aussi démontré que l’engagement, illustré par la volonté de se présenter (ou non) comme candidat lors d’une élection, dépend bien sûr de l’intérêt pour la politique, mais aussi d’une vision positive ou négative de la politique.

Plus largement, l’étude montre que les déterminants cognitifs jouent un rôle spécifique et contribuent à façonner une image d’un monde dans lequel les jeunes peuvent ou non s’engager. Il n’y a cependant pas homogénéité. L’engagement peut être consensuel ou conflictuel. Inversement, quand l’indifférence l’emporte, l’engagement politique perd de sa signification. Les institutions et les groupes préoccupés de la faible participation des jeunes à la sphère politique peuvent ainsi travailler sur cette dualité, et non sur un simple plaidoyer univoque, forcément réducteur et moins porteur de la dualité ici repérée.