Recensions

L’État néopatrimonial. Genèse et trajectoires contemporaines, sous la dir. de Daniel C. Bacc et Mamoudou Gazibo, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2011, 377 p.[Notice]

  • Frédérick Guillaume Dufour

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  • Frédérick Guillaume Dufour
    Département de sociologie, Université du Québec à Montréal
    fgdufour@gmail.com

La recension d’un ouvrage collectif comporte toujours une part de risques ; en traiter l’ensemble mène soit à un survol superficiel, soit à d’importantes simplifications. Inversement, mettre l’accent sur un nombre limité de contributions crée une distorsion qui rend rarement justice au livre. J’espère rendre justice à cet ouvrage en mettant en relief les trois grandes divisions qu’en ont proposées les directeurs tout en attirant l’attention sur les deux divisions qui me semblent intéressantes et, dans une certaine mesure, contre-intuitives parce qu’elles devraient retenir l’attention d’un lectorat qui va au-delà des cercles habituels de recherche sur l’État néopatrimonial. Les directeurs de cet ouvrage, Daniel C. Bach et Mamoudou Gazibo, ont regroupé les contributions à ce collectif sous trois grandes rubriques. La première, « Sens et pertinence des concepts », propose cinq interventions qui explorent et font la genèse des enjeux théoriques autour des concepts de patrimonialisme, de néopatrimonialisme et d’entrepreneur politique. On y trouve des contributions sous la plume de Hinnerk Bruhns, Daniel C. Bach, Daniel Compagnon, Mamoudou Gazibo et Alice N. Sindzingre. La deuxième section, « Le renouvellement des problématiques en Afrique », comporte quatre interventions qui explorent la relation entre patrimonialisme, démocratie et économie politique dans le contexte africain. On y trouve des interventions de Nicolas van de Walle, Morten Bøås et Kathleen M. Jennings, Chris Albin-Lackey et Mahaman Tijdani Alou. Enfin, une troisième et dernière section, « La diversité des interprétations et des transcriptions : comparaisons internationales », propose des analyses pointues de dynamiques politiques aux Philippines, au Brésil, en Italie et en France qui forcent à repenser le concept de néopatrimonialisme au-delà du seul contexte africain. La deuxième division de l’ouvrage est probablement celle qui est la moins contre-intuitive pour les chercheurs s’intéressant aux dynamiques néopatrimoniales. En effet, la carrière du concept de néopatrimonialisme débuta alors que le sociologue comparativiste Shmuel N. Eisenstadt le forgea afin de désigner des régimes politiques qui ont des caractéristiques de ce que Max Weber qualifiait de patrimonialisme, mais cela, tout en partageant plusieurs caractéristiques d’un État rationnel-légal et en défiant sérieusement la caractérisation temporelle d’un État « pré-moderne ». La carrière du concept prit cependant son envol alors que Jean-François Médard l’employa pour caractériser le Cameroun qu’il étudiait en 1978. La marque de commerce était lancée. En gagnant en popularité, le concept devint de plus en plus dilué et relayé dans le monde de la recherche, comme dans celui des organisations de la société civile. Au fur et à mesure que le concept devenait presque interchangeable d’« État situé en Afrique », des voix se firent entendre pour exiger des comptes à ce concept vedette au contenu incertain. C’est à cette reddition de compte que nous invite la deuxième section de l’ouvrage qui cherche à redonner une singularité et une heuristicité au concept de néopatrimonialisme en le mettant en dialogue avec l’idée de démocratie ; en analysant ce qui le distingue du concept de Godfatherism ; et en en étudiant la dynamique économique. Il m’apparaît important d’attirer l’attention sur les deux autres divisions de l’ouvrage qui intéresseront un lectorat que le titre de l’ouvrage aurait pu laisser indifférent. Je pense ici autant aux chercheurs aux inclinaisons plus théoriques qu’aux lecteurs oeuvrant à la frontière de la politique comparée et à l’étude des relations internationales. La première section, plus théorique, comporte notamment une contribution de Hinnerk Bruhns sur l’histoire des concepts de patrimonialisme, et par extension de patriarcat, dans la pensée de Weber. Généralement, le lecteur francophone de Weber doit reconstruire l’évolution du concept de patrimonialisme en collant bout à bout des extraits de Le savant et le politique, d’ …