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Cet ouvrage, dirigé par Stéphane Roussel et Greg Donaghy, est le résultat d’un long processus qui a commencé à la suite d’une conférence tenue au musée McCord en 2008. Bien que publié quatre ans plus tard, en 2012, ce recueil composé de neuf chapitres rédigés par des auteurs provenant d’horizons divers parvient à conserver sa pertinence. Surtout, soulignons que ce livre offre une contribution certaine dans deux domaines bien précis : la politique étrangère canadienne et les relations internationales de manière plus générale. Il faut mentionner tout d’abord que l’oeuvre collective est divisée en deux sections : la première décrit les actions et les stratégies de différents ambassadeurs du Canada en poste à Paris (six chapitres) et la deuxième analyse d’un point de vue plus structurel la relation triangulaire entre la France, le Canada et le Québec (trois chapitres).
La première partie s’avère particulièrement intéressante car elle permet de déconstruire l’idée que l’État fédéral canadien est un tout unitaire et cohérent. Au contraire, on observe l’espace d’autonomie relative que les ambassadeurs canadiens ont su cultiver pour leurs actions afin d’atteindre leurs buts. Cet exercice permet aussi de complexifier certaines idées populaires en politique étrangère canadienne. Par exemple, le premier chapitre décrivant l’action de l’ambassadeur Philippe Roy, en poste à Paris de 1911 à 1938, présente un Canada de l’entre-deux-guerres pratiquant une diplomatie culturelle dynamique, loin de l’attitude isolationniste prêtée au Canada pendant cette période. Le chapitre 4, rédigé par David Meren, représente un autre excellent exemple de cette contribution. L’auteur décrit les dilemmes auxquels a fait face l’ambassadeur Jules Léger, en poste de 1964 à 1968. Encore une fois, dans une période historique où le comportement internationaliste du Canada semblait primer, Meren fait entrevoir l’ombre du nationalisme canadien qui plane sur l’action internationale canadienne.
Toutefois, cette focalisation sur les ambassadeurs canadiens comporte par moments de sérieuses lacunes analytiques. En effet, cet angle d’approche aurait pu pousser plus loin la réflexion dans le débat principal-agent ayant cours en relations internationales. Ce débat a eu pour avantage de complexifier le lien qui unit un gouvernement central et ses émissaires (ambassadeurs, représentants) : le représentant de l’État reçoit un mandat de son gouvernement, mais il possède aussi une certaine latitude pour interpréter et mettre en application ce mandat, ces objectifs. L’intérêt d’un tel agenda de recherche consiste en une théorisation des pressions imposées par des structures et l’autonomie des individus impliqués. Deux chapitres de la première section prennent en considération les deux variables de l’équation : le chapitre de Magali Deleuze sur la guerre d’Algérie et celui de David Meren sur la période 1964-1968 et les nationalismes canadiens, québécois et français réussissent à offrir une contribution intéressante au débat, en traitant autant les pressions imposées par le principal sur l’agent que le niveau de latitude de l’agent face au principal. Par contre, les quatre autres chapitres de la première section déçoivent à cet égard. Les chapitres décrivant les apports de Georges Vanier et de Gérard Pelletier entre autres renvoient davantage à une approche biographique laissant une grande place à l’agent sans décrire de manière satisfaisante les structures pesant sur lui. Une admiration pour ces deux individus est détectable dans ces deux chapitres, laissant peu de place à une analyse complète et satisfaisante.
La deuxième section de l’ouvrage présente une analyse plus structurelle du triangle Ottawa-Paris-Québec. Les chapitres de Justin Massie et David Haglund, Anne Légaré et Jérémie Cornut sont de nature complémentaire, détaillant chaque axe de ce triangle. Légaré étudie les dynamiques fédérales (axe Canada-Québec) tandis que Cornut offre un chapitre informatif sur ce triangle vu de France (axes France-Québec et France-Canada). Ces deux chapitres fournissent une description chronologique solide des événements et des positions des différents acteurs au fil des quarante dernières années. Si la description est pertinente, nous pouvons regretter de ne pas avoir trouvé un argumentaire original ou des données nouvelles dans ces deux chapitres afin de faire avancer le débat sur la relation triangulaire Canada-Québec-France.
Le chapitre de Massie et Haglund a l’avantage de s’avancer davantage en soumettant l’hypothèse originale que « la France représente un allié singulier d’Ottawa, du fait de l’abandon du mythe de l’abandon dans la mémoire collective québécoise » (p. 161). Les Canadiens français partageaient l’idée que la France les avait abandonnés lors de la Conquête, permettant aux autorités britanniques de s’imposer sur le continent nord-américain. Cette perception empêchait toute identification forte entre les Québécois et la France, du fait de la trahison passée. Les auteurs ciblent la chute de la France pendant la Deuxième Guerre mondiale pour situer cette idée d’abandon dans l’imaginaire québécois. Massie et Haglund pointent cet événement comme un déclencheur permettant la création d’une « francosphère transatlantique » (p. 155). Le rôle de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) dans la relation triangulaire est analysé de belle façon, bien que la démonstration de l’argument principal ne soit pas complète. En effet, on observe une focalisation sur la manière dont la politique étrangère et de sécurité du Canada a perçu le partenaire français dans l’Alliance, mais très peu de développement empirique sur le fait que l’idée d’abandon perd de sa force dans l’imaginaire collectif québécois après la Deuxième Guerre.
En conclusion, Mission Paris s’avère salutaire dans un domaine, la politique étrangère canadienne, où les livres en langue française ne sont pas légion. De plus, ce recueil offre des analyses portant sur les trois acteurs de la relation triangulaire, ce qui vient complémenter une littérature qui a mis l’accent jusqu’à maintenant sur la variable Québec de l’équation au détriment des deux autres.