Recensions

La gauche et la droite. Un débat sans frontières, d’Alain Noël et Jean-Philippe Thérien, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2010, 335 p.[Notice]

  • J. Rémi Carbonneau

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Avec le réalignement partisan au sortir des élections fédérales de 2011 et le conflit étudiant au Québec en 2012, la valeur heuristique de la dichotomie gauche-droite paraît une fois de plus attestée comme point de repère dans le monde des idées politiques. Toujours d’actualité, ce clivage représente l’objet de La gauche et la droite. Un débat sans frontières, essai d’Alain Noël et de Jean-Philippe Thérien publié en 2010. Il s’agit de la traduction française de l’édition originale anglaise, parue deux ans plus tôt. Animée par une approche herméneutique inspirée du constructivisme, la thèse des auteurs part de trois postulats : 1) le monde se construit à travers des débats ; 2) la politique aujourd’hui se pense à l’échelle planétaire ; 3) il existe une structure dans les désaccords sociétaux qui donne à la politique contemporaine son intelligibilité. Ce vocabulaire structurant, c’est celui du « débat continu entre la gauche et la droite » auquel se jouxtent tous les autres clivages (p. 14-15). De manière générale, les deux professeurs de l’Université de Montréal parviennent à bien démontrer leur thèse centrale, soit l’effet ordonnançant du clivage gauche-droite dans le discours politique moderne et la « politique-monde ». Accessible à un large lectorat, leur ouvrage représente un exercice d’introduction et de vulgarisation probant. Ils y retracent le parcours étymologique du clivage en remontant à ses sources révolutionnaires françaises, tout en exposant ses évolutions sémantiques ultérieures. Bien documenté, l’argumentaire de l’ouvrage repose sur un imposant corpus de penseurs politiques et de sources institutionnelles. L’essai comporte huit chapitres. Les trois premiers constituent ce qu’on pourrait nommer l’état des lieux. Le premier chapitre s’attarde sur la nature du clivage lui-même et son enjeu central : le débat sur l’égalité. Basé sur les données de la Word Values Survey (WVS), le deuxième chapitre affirme le caractère universel de la dichotomie gauche-droite en parvenant à ranger les répondants provenant de régions culturellement très différentes dans « l’un des deux camps », leurs réponses reflétant « les positions attendues sur l’égalité, la redistribution et le rôle de l’État » (p. 55). Enfin, le troisième chapitre présente « Les deux récits de la mondialisation » : d’abord celui de la droite des « satisfaits », qui voit le verre du bien-être humain déjà à moitié plein ; puis celui de la gauche des « insatisfaits », qui focalise sur ce qui reste à faire, alors qu’elle dresse un portrait plutôt sombre de la mondialisation prônée par l’autre camp. Les trois chapitres suivants racontent les tribulations conflictuelles de la gauche et de la droite depuis l’apparition de ces concepts. La période couverte au chapitre 4 (1776-1945) correspond à celle où deux camps distincts émergent graduellement des débats de société autour de quatre enjeux politiques inhérents à la modernité : la démocratie ; la guerre et la paix ; le capitalisme et le socialisme ; l’entreprise coloniale. Le chapitre 5 recouvre la période du consensus keynésien et l’âge d’or de l’État providence (1945-1980), tandis que le chapitre 6 aborde la période d’hégémonie de la droite néolibérale (1980-2007) en réponse aux ratés économiques de la gauche durant les « Trente glorieuses ». Les deux derniers chapitres portent sur l’actualité. Le chapitre 7 traite d’un rapprochement idéologique entre la gauche et la droite au tournant du XXIe siècle, l’une ayant en quelque sorte appris des erreurs de l’autre vis-à-vis de l’État providence. C’est ici qu’aboutit la lecture dialectique des auteurs amorcée dans les chapitres précédents. Ainsi, de ces deux camps distincts on passe à un compromis keynésien entre capitalisme et socialisme, puis à une période d’hégémonie du néolibéralisme en réponse aux …