Recensions

Hard Diplomacy and Soft Coercion : Russia’s Influence Abroad, de James Sherr, Londres, Chatham House, 2013, 137 p.[Notice]

  • Erik Burgos

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Introduit pour la première fois par l’Américain Joseph Nye dans un ouvrage universitaire publié en 1990, développé de manière plus systématique dans ses publications ultérieures, le concept de soft power a connu un essor fulgurant depuis les deux dernières décennies, à tel point que la notion est souvent utilisée – à tort – pour désigner des stratégies très différentes. C’est le constat duquel part James Sherr dans cet ouvrage succinct où le pouvoir et la puissance de la Russie sont jaugés à travers son influence effective à l’étranger. D’entrée de jeu, l’auteur postule que l’exercice de l’influence russe se manifeste moins par un recours systématique aux instruments classiques du soft power que par une véritable propension à adopter des méthodes plus coercitives. Telle est la thèse principale que cet expert de la sphère postsoviétique et chercheur associé à la Chatham House cherche à mettre en exergue à partir du concept générique de soft coercion, qu’il qualifie d’influence indirectement coercitive reposant sur des méthodes opaques (infiltration, corruption, intimidation) et sur de nouvelles formes de pouvoir, tel l’approvisionnement énergétique, qu’il est malaisé de définir en termes de hard ou soft power (p. 2). Cette étude de portée résolument critique est construite autour de trois parties – peu ou prou délimitées dans le corps de l’ouvrage – présentant chacune un aspect symptomatique de la soft coercion russe. Afin d’étayer sa démonstration, l’auteur se propose dans un premier temps de retracer l’évolution historique de la culture stratégique russe. Ainsi, la prégnance de pratiques d’influence coercitive s’explique par une culture politique qui porte l’empreinte de principes idéologiques, de doctrines et de traditions découlant essentiellement d’un passé tsariste et soviétique (p. 17). En outre, des contradictions politiques non résolues (absence de frontière ethno-nationale clairement définie, présence d’une culture distincte et fière mais manquant d’autonomie et d’autosuffisance) par les différents cercles de pouvoir successifs ont fait émerger au cours de l’histoire russe ce que l’auteur appelle des « besoins sécuritaires » (p. 41) pour pallier un décalage par rapport à la plupart des puissances américaines et européennes. Ainsi, de l’héritage impérial à la « seconde révolution russe » de 1991, en passant par l’ère stalinienne et la période gorbatchévienne, certains postulats de politique étrangère sont de nos jours admis comme des vérités intangibles : l’élargissement des paramètres de défense nationale limite les menaces extérieures plutôt que de les amplifier ; l’instillation de la peur à l’étranger est bénéfique pour la sécurité intérieure ; l’influence et la manipulation de l’étranger ne peuvent être efficaces sans une bonne connaissance de celui-ci. La deuxième partie de cette monographie apporte un éclairage institutionnel sur l’exercice de l’influence russe. Alors qu’une stratégie de soft power appelle une logique horizontale d’opérations, les structures russes de pouvoir accusent plutôt une configuration verticale dont la clé de voûte réside en la personne de Vladimir Poutine (p. 121). Sherr souligne dans la foulée que l’absence de réseaux de communication latérale entraîne des déformations et des carences politiques qui sont directement imputables à la stratégie du « diviser pour régner », inhérente à la culture russo-soviétique du pouvoir (p. 114). Or, cette même stratégie imprègne chacun des principaux vecteurs d’influence (commerce, énergie, culture) dont dispose la Russie contemporaine. La création de sociétés écrans, la formation d’alliances économiques temporaires et conditionnelles, la menace effective ou fallacieuse d’interruption des approvisionnements gaziers ou encore la manipulation informationnelle et/ou linguistique servent toutes un intérêt commun : celui de conforter les intérêts économiques et politiques de la Fédération russe dans le monde (p. 115). Par ailleurs, la plupart des champions nationaux tels que Vnesheconombank (secteur banquier), Rosatom (nucléaire), Gazprom (gazier), Rosneft …