Recensions

Affirmation identitaire du Canada. Politique étrangère et nationalisme, de Jean-François Caron, Outremont (Québec), Athéna, 2014, 130 p.[Notice]

  • Manuel Dorion-Soulié

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Dans Affirmation identitaire du Canada, Jean-François Caron espère corriger l’idée supposément erronée selon laquelle « la politique étrangère et de défense du Canada n’est plus pensée autour des prémisses de l’internationalisme pearsonien et qu’elle est devenue inextricablement liée à celle de son voisin du Sud » (p. 125). Plus précisément, c’est le passage de missions de maintien de la paix, identifiées aux Casques bleus, à des missions plus coercitives, qui ferait croire à une « vassalisation » (p. 58) de la politique étrangère canadienne (PEC). La politique étrangère (PE) étant un lieu privilégié d’affirmation de l’identité nationale, un alignement sur la PE américaine soulèverait une question capitale : « Le Canada, en tant que communauté imaginée distincte des États-Unis, est-il menacé ? » (p. 17) Il n’en est rien, de l’avis de Caron, et la crainte de « l’américanisation » découle en fait de deux erreurs de compréhension : la première, qu’il rapproche de la pensée de George Grant, consiste en une vision faussée de l’identité canadienne ; la seconde consiste en une incompréhension de l’évolution des missions de maintien de la paix depuis la fin de la guerre froide. Caron cherche à éclairer les « lamentations contemporaines sur la fin du Canada » à la lumière du célèbre ouvrage de Grant, Lament for a Nation (McGill-Queen’s University Press, 1965). Pour Caron, Grant « lamentait » la mort du Canada en raison de la rupture avec la Grande-Bretagne, qui aurait rendu impossible la préservation d’un « ordre social stable » (p. 30). Libéré du lien impérial, le Canada se serait « laissé séduire par les valeurs et principes propres aux États-Unis » (p. 36). Caron affirme que cette crainte était infondée, car les Canadiens n’ont jamais souhaité être engloutis par la république voisine : l’antiaméricanisme est devenu le nouveau ciment de l’identité canadienne et le Canada s’est redéfini, sous Lester B. Pearson, par des politiques soulignant l’opposition aux principes américains. En politique intérieure, cela aurait pris la forme d’une série de politiques publiques sociales-démocrates. En PE, le maintien de la paix et, plus largement, l’internationalisme, centré sur le multilatéralisme, l’impartialité et l’aide au développement, auraient contribué à reconstruire la communauté imaginée canadienne, évitant ainsi l’assimilation culturelle que redoutait Grant. L’internationalisme a façonné l’identité canadienne à tel point que Caron parle du « mythe » du maintien de la paix, devenu « un objet de révérence » (p. 51). Mais au cours des quinze dernières années, écrit-il, de nombreuses décisions ont poussé les observateurs à parler d’un alignement sur la PE américaine : intervention en Afghanistan, soutien inconditionnel à Israël, hausse du budget militaire, etc. Cet alignement est « fortement contesté par la population » (p. 62), qui y voit le rejet de l’image de « peuple pacifiste, solidaire et sans velléités impérialistes » (p. 51) liée à l’internationalisme. Ce « renouveau de la politique étrangère canadienne tend à ébranler les colonnes du temple identitaire » (p. 63), et les Canadiens réclament un retour à leur rôle international d’antan. Or, dit Caron, les missions de maintien de la paix appartiennent au monde de la guerre froide et elles sont révolues dans la multipolarité. Les missions auxquelles le Canada prend part depuis la fin de la guerre froide, par exemple au Kosovo et en Afghanistan, exigent l’emploi de moyens plus coercitifs que les opérations de maintien de la paix : dans les États en déliquescence, la paix doit être imposée avant que l’on puisse implanter la démocratie et la « bonne gouvernance ». Si ces missions ont souvent l’apparence d’un alignement sur la PE américaine, elles servent néanmoins, selon Caron, les …