Recensions hors thème

Raison et déraison du mythe : au coeur des imaginaires collectifs, de Gérard Bouchard, Montréal, Les Éditions du Boréal, 2014, 230 p.[Notice]

  • André Bernier

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Gérard Bouchard, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les imaginaires collectifs, est historien et sociologue à l’Université du Québec à Chicoutimi. L’essai de sociologie culturelle qu’il propose est motivé par un constat, exposé en introduction de l’ouvrage : la sociologie et les sciences sociales dans leur ensemble ont délaissé l’étude du mythe dans les sociétés contemporaines. Pourtant, l’auteur soutient que le mythe occupe toujours une place fondamentale dans le monde actuel. Il rejette donc d’emblée le positionnement confinant le mythe aux collectivités pré-modernes, selon lequel la modernité aurait graduellement réduit le territoire du mythe comme peau de chagrin, ne laissant subsister que quelques vestiges voués à disparaître. Pour lui, le mythe demeure un incontournable mécanisme social pour toute société qui cherche à se penser, se poser ou se projeter de façon efficace dans le temps et l’espace. L’essai s’articule autour d’un questionnement central, soit expliquer pourquoi certaines idées parviennent à « acquérir un rayonnement et une autorité confinant au sacré, de telle sorte qu’elles pourront s’imposer aux consciences et influer durablement sur les comportements individuels et collectifs » (p. 13). Ce faisant, il montre comment le mythe, situé à la charnière du social et du culturel, travaille en profondeur la société en usant de puissants ressorts émotifs. Dans le premier chapitre, Bouchard situe le mythe au sein de l’univers de la culture en ayant recours au concept d’imaginaire collectif. Même si ce concept peut être appliqué à diverses échelles, de la famille à la nation en passant par l’organisation, Raison et déraison du mythe se concentre sur la société et la nation. L’imaginaire collectif, tel que le conçoit l’auteur, se compose de quatre dimensions. La première est celle de l’inconscient, des pulsions et des instincts, la seconde concerne les substrats cognitifs et les archétypes, ensuite viennent les catégories analytiques et, enfin, la dernière dimension recouvre les schémas culturels ou les représentations collectives socialement produites. C’est dans ce dernier niveau que s’inscrit le mythe. Le deuxième chapitre précise l’objet de la réflexion en définissant le concept de mythe social. En effet, si plusieurs types de mythes peuvent être identifiés (social, religieux, philosophique, allégorique, scientifique), c’est le premier qui se situe au coeur de l’analyse. Notons ici que la typologie proposée montre rapidement ses limites, comme le concède d’ailleurs l’auteur. Le mythe social est défini comme une représentation collective historiquement et socialement située, fondée sur des archétypes, stratégiquement produite et utilisée, amalgamant la vérité et la fiction, mue par l’émotion davantage que par la raison, et qui est porteuse de sens, de valeurs et d’idéaux. De plus, et c’est ici l’attribut le plus important pour le distinguer des représentations non mythiques, le mythe dispose d’un caractère sacré, dont il tire une autorité qui lui permet d’échapper aux remises en question. De ce fait, il bénéficie généralement d’une grande longévité. Précisons que Bouchard distingue le mythe social de l’idéologie, laquelle est une construction argumentative se voulant davantage rationnelle et cohérente, avec une orientation politique claire qui comporte une dimension programmatique, car elle fait la promotion d’une voie d’action. Néanmoins, les idéologies entretiennent une relation étroite avec les mythes, puisque c’est en s’appuyant sur eux qu’elles obtiennent une part de leur force de persuasion et de leur capacité à mobiliser les populations. Le mythe sert en quelque sorte de ressort symbolique, pour lequel l’argumentation n’est pas nécessaire. Dans le troisième chapitre, le plus volumineux de l’essai, Bouchard examine le processus d’élaboration du mythe, la mythification, où interviennent huit éléments distincts : la construction du sujet désigne le public auquel s’adresse le mythe ; l’ancrage est le renvoi à au moins un …