Recensions hors thème

Aliénation et accélération. Vers une critique de la modernité tardive, de Hartmut Rosa, Paris, La Découverte, 2014, 153 p.[Notice]

  • Guillaume Durou

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Le livre Aliénation et accélération représente un formidable travail de synthèse des travaux de Hartmut Rosa. Considéré par plusieurs observateurs comme faisant partie de la troisième génération d’intellectuels critiques de l’École de Frankfort, Rosa a publié son ouvrage le plus connu en 2005, qui a été traduit en français : Accélération. Une critique sociale du temps (La Découverte, 2010). Il a ensuite engagé un débat avec d’autres intellectuels allemands sur le phénomène d’accélération (Beschleunigung), notamment avec Stefan Lessenich et Klaus Dörre dans Soziologie, Kapitalismus, Kritik. Eine Debatte (Suhrkamp, 2009), l’amenant à peaufiner ses idées et, surtout, à reconnecter sociologie et philosophie. C’est dans le cadre de cette ambition que son ouvrage, d’abord écrit en anglais puis traduit chez les éditions La Découverte, présente une pensée claire à laquelle chacun saura trouver la pertinence. Depuis le début de notre siècle, les études sur le temps suscitent un incroyable intérêt chez les intellectuels et les chercheurs universitaires. Annoncé par les cultural studies dont Edward Palmer Thompson représente une figure influente, ce champ d’études a ensuite été occupé par la sociologie avec Norbert Elias ou encore l’histoire avec Peter Laslett et Jacques Le Goff. Dans ce champ d’études pourtant, Rosa semble faire classe à part. D’abord parce qu’il ne semble pas suivre l’héritage des premières recherches sur le temps, ne serait-ce que celles de Fernand Braudel, et ensuite parce qu’il ne participe pas du débat sur le courant appelé critique de la valeur (Wertkritik), courant marxiste éclectique ayant fait du temps un élément incontournable de la critique du capitalisme moderne et dont Moishe Postone, Robert Kurz et Anselm Jappe représentent les figures de proue. L’ouvrage qui se présente comme un essai se scinde en trois parties et quatorze chapitres de longueur très variable. La première partie se concentre sur l’aspect théorique du temps en mobilisant des notions pertinentes. Rosa y définit les différents concepts nécessaires à une théorie critique de la modernité. S’appuyant entre autres sur les analyses de Max Weber, Georg Simmel et Reinhart Koselleck, il propose d’expliquer ce que représente l’accélération sociale. Elle se divise à son avis en trois composantes : l’accélération technique, l’accélération du changement social et l’accélération du rythme de vie. Sa deuxième partie se consacre à se positionner théoriquement par rapport à l’héritage critique des penseurs allemands, notamment de l’École de Frankfort. Enfin, la dernière partie s’engage dans une critique plus générale de la sociologie et tente de démasquer les contradictions de notre époque que sont les normes sociales dissimulées de la temporalité ou encore les promesses de la modernité. Commençons par résumer les grandes lignes de la théorie du temps chez Rosa pour ensuite nous attarder sur les deux autres parties de l’ouvrage. La dimension technique de l’accélération suppose l’apparition d’un nouveau « régime spatio-temporel » de la société (p. 19) dont témoignent la vitesse des transports, de la communication, et la révolution des biotechnologies. Puis, le changement social renvoie à une « compression du présent » (Gegenwartsschrumpfung) définie par « l’accélération des vitesses d’innovation culturelle et sociale » (p. 21). Enfin, l’accélération du rythme de vie renvoie à une « augmentation du nombre d’épisodes d’action ou d’expérience par unité de temps » (p. 25). Ce constat amène Rosa à poser la question de la décélération. Pourquoi accélération au lieu de décélération ? Si les « forces décélératoires » existent dans la modernité, elles s’avèrent secondaires par rapport aux forces dominantes de la vitesse (p. 56). Cette vitesse, rappelle-t-il, opère comme une « force normative silencieuse » transformant notre « rapport au monde » (Weltbezüge) (p. 59). Dès …