Recensions hors thème

Le républicanisme social : une exception française ?, sous la dir. de Stéphanie Roza et Pierre Crétois, Paris, Publications de la Sorbonne, 2014, 220 p.[Notice]

  • Simon Poirier

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Des anciens à Hannah Arendt, le courant républicain est un incontournable de la pensée politique. Dans son itération contemporaine et grâce à l’école de Cambridge, cette tradition philosophique a longtemps été perçue comme étant plutôt anglo-saxonne. C’est ce mythe que l’ouvrage dirigé par Stéphanie Roza et Pierre Crétois tente de déconstruire. Selon eux, la France fait figure d’exception par le contenu social qu’elle donne à son républicanisme. L’hypothèse de travail qui sous-tend l’ouvrage est que la question sociale est plus centrale que la question de la liberté des individus dans la version sociale française, tandis que ce serait l’inverse dans la version cambridgienne. De plus, le recours au peuple n’a plus seulement comme but la limitation du pouvoir, mais servirait plutôt à refonder l’exercice même de ce pouvoir. Malgré ces deux différences marquées, il fait peu sens que la déclinaison sociale française du républicanisme soit ignorée par l’école de Cambridge. Afin de bien comprendre ce que cela implique, je vais résumer les différents chapitres de l’ouvrage pour ensuite présenter les forces et les faiblesses d’un tel projet. Les différentes contributions à l’ouvrage sont présentées chronologiquement, de la première partie qui aborde le mouvement du républicanisme européen à la Révolution française, à la République postrévolutionnaire, en passant par une étude de la République avant et en révolution. Il semble évident pour Crétois (chap. 3) que le moment prérévolutionnaire français jette la base d’une nouvelle conception de la république. Lorsqu’il décrit l’égalité comme étant partie prenante de la définition même de la non-domination républicaine, il franchit le pas souvent jugé « radical » d’inclure les considérations économiques dans le républicanisme. C’est la question du traitement de ces inégalités comme condition à la non-domination qui, selon Crétois, fait l’exception française. Arnault Skornicki (chap. 4) va dans un sens semblable lorsqu’il dénote les deux limites de l’école de Cambridge : 1) elle ne parle pas des penseurs en économie politique française du dix-huitième siècle et 2) elle ne parle pas d’une économie critique qui va en dehors du modèle du marché concurrentiel. En étant en opposition à cette vision qui allait devenir dominante, est-ce que le républicanisme social s’est ancré dans un chemin différent ? Il semble que cette insistance sur l’indissociabilité du besoin d’une égalité de conditions élémentaires et du bon fonctionnement de la république fonde le républicanisme comme étant franchement différent de sa variante anglo-saxonne. La Révolution est utilisée par François Brunel (chap. 5) comme mise en pratique de ce républicanisme social. Il note que chez Robespierre l’exercice de la souveraineté populaire est inséparable d’une égalité civile et politique. L’une ne peut pas être atteinte sans l’autre. La possibilité de refonder une « république véritable » découle de cette possibilité qu’offre la Révolution pour restructurer les rapports inégalitaires en refondant le droit à la propriété. Cette « vraie » république ne peut émerger que si la Révolution devient morale et matérielle. Ces changements matériels, pour Yannick Bosc (chap. 6), sont conceptualisés par Condorcet. La préoccupation de ce dernier pour les problèmes sociaux ne serait pas étrangère à sa conception de la nécessité d’un aspect social au républicanisme. Son étude de Paine, ce « radical », démontre que la liberté va encore plus loin en nécessitant celle d’autrui pour se réaliser. Bosc résume cette conception de la liberté à celle de Robespierre, qui conçoit ladite liberté comme un rapport social, créant ainsi un pléonasme lorsqu’on parle de la république sociale. Pour Stéphanie Roza, qui analyse Rousseau, ce ne sont pas les conditions d’émergence de la souveraineté qui importent, mais leurs conditions d’exercice. Dès que le gouvernement usurpe la souveraineté du peuple, le contrat …