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La sélection des candidats par les partis politiques est un moment clé du processus politique dans tout régime démocratique. Elle constitue une des fonctions centrales des partis politiques, fonction qui opère comme un filtre entre les citoyens-électeurs, d’un côté, et le personnel politique exécutif ou législatif, de l’autre. La fonction de sélection du personnel politique des partis trouve donc à s’exprimer le plus concrètement dans cette opération délicate qu’est la désignation des candidats aux élections, que ce soit suivant une procédure d’investiture dans un scrutin uninominal ou la constitution de listes dans des scrutins proportionnels. La façon dont s’opère la sélection des candidats dans les partis politiques a connu, ces dernières années, des changements importants ; en particulier, elle a été soumise à un mouvement de démocratisation caractérisé par une implication accrue des adhérents, des sympathisants et, même, des électeurs de ces partis. Ce sont les conséquences de ces évolutions que les contributions réunies dans ce dossier se proposent d’interroger de manière comparative. Dans les pages qui suivent, nous commençons par un survol rapide des travaux sur la sélection des candidats, pour discuter ensuite les effets ambigus de la démocratisation des procédures de sélection ; puis nous approfondissons plus spécialement la question au coeur de ce numéro, à savoir le lien entre sélection et représentation.
La sélection des candidats, jardin de moins en moins secret de la politique ?
La science politique a manifesté un intérêt tardif mais croissant pour la sélection des candidats considérée comme le « jardin secret de la politique » (Gallagher et Marsh, 1988). Malgré sa richesse (Rahat et Kenig, 2011), la littérature sur les modes de sélection des candidats reste relativement limitée en ce qui concerne sa portée empirique et ses dimensions d’analyse. La dimension la plus explorée est celle du fonctionnement formel et des règles régissant le processus de recrutement politique, dont la sélection des candidats constitue la phase cruciale (Norris, 1997). Ces analyses s’articulent autour de trois sous-dimensions : les règles qui régissent les candidatures (candidacy) ; le degré de décentralisation fonctionnelle et territoriale des modes de sélection ; le degré d’inclusivité du « sélectorat » et les méthodes de sélection (nomination ou élection) (Bille, 2001). Ce type d’analyse aboutit généralement à une catégorisation des différents modes de sélection basée sur une ou plusieurs de ces sous-dimensions. La deuxième dimension analytique qu’il est possible d’explorer, celle des conséquences des différents modes de sélection, est significativement moins explorée et se limite principalement à l’étude du cas américain (Ranney, 1972 ; Gerber et Morton, 1998 ; Shomer, 2017).
Les écrits sur les modes de sélection des candidats sont rarement de nature empirique. L’ouvrage de référence en la matière, celui sur la démocratie dans les partis publié par Reuven Y. Hazan et Gideon Rahat (2010), élabore un cadre analytique pour étudier tant le processus de sélection des candidats que ses effets. Toutefois, ce cadre d’analyse n’est appliqué empiriquement qu’à la catégorisation des différents modes de sélection sur la base du degré d’inclusivité et de décentralisation du processus. La plupart des études sur les conséquences des modes de sélection se limitent à proposer une analyse purement descriptive ou à définir un cadre analytique et méthodologique (Barnea et Rahat, 2007 ; Rahat et al. 2008) qui n’est pas systématiquement testé empiriquement (Obler, 1974 ; Spies et Kaiser, 2014).
Les publications sur les modes et procédures de sélection des candidats portent majoritairement sur un cas d’étude, les États-Unis (Ranney, 1972 ; Ware, 2002 ; Cohen et al. 2008), et, plus marginalement, sur Israël (Rahat, 2009). Les études comparées sont moins nombreuses, d’autant que la recherche s’est globalement focalisée sur l’analyse d’un cas précis, qu’il s’agisse d’un parti, d’un système politique ou bien d’une élection ou sélection en particulier (Bochel et Denver, 1983 ; De Luca et al., 2002 ; Dolez et Laurent, 2007 ; Lefebvre et Roger, 2009 ; Daddieh et Bob-Milliar, 2012 ; Indridason et Kristinsson, 2015). Ce qui semble manquer à la littérature sur les modes de sélection des candidats est donc une étude comparée appliquant au niveau empirique et de manière rigoureuse un cadre analytique commun.
Un processus de démocratisation aux effets ambigus
Ce dossier thématique de Politique et Sociétés a pour objectif limité de contribuer à la recherche sur la sélection des candidats en éclairant la question jusqu’ici négligée des effets concrets engendrés par les différentes méthodes de sélection. Les travaux les plus récents ont en effet souligné l’émergence d’un processus de démocratisation de ces procédures et plus généralement des structures organisationnelles des partis. Le degré d’inclusivité des modes de sélection semble augmenter non seulement aux États-Unis, mais aussi dans la plupart des pays démocratiques. Les adhérents, les militants et parfois les électeurs sont aujourd’hui intégrés dans ces procédures de sélection et ont la possibilité, sinon de décider, du moins d’influencer la procédure en faisant entendre leur voix (Caul et al., 2003 ; Rahat, 2009).
Une étude récente sur les élections primaires – qui constituent un des modes de sélection les plus démocratiques et inclusifs – a montré que le nombre de partis qui utilisent cet instrument est de nos jours significatif, qu’il s’agisse de primaires fermées (celles où la participation se limite aux seuls adhérents) ou ouvertes (lorsque tous les sympathisants et les électeurs du parti peuvent participer) (Sandri et al., 2015). Le tableau 1 présente une liste des nombreux partis qui ont démocratisé leurs procédures de prise de décision interne, en particulier en matière de sélection de candidats. Précisons que le nombre de partis qui ont transformé leurs modèles organisationnels afin de promouvoir des formes de démocratie intra-partisane est en augmentation constante.
La qualité démocratique d’une élection, même s’il s’agit d’une élection interne, va bien au-delà de la dimension de la participation. Les dimensions de compétitivité, de représentation et de reddition des comptes d’une élection et de ses résultats (ou des élus issus de cette élection) aussi sont cruciales pour garantir le bon fonctionnement d’un système démocratique. Par ailleurs, des études récentes consacrées aux arènes intra-partisanes ont montré qu’un renforcement de l’inclusivité des processus décisionnels peut se traduire en une plus faible capacité des partis à combiner un taux élevé de participation et une représentativité satisfaisante des élus, et que cela peut engendrer des distorsions dans les mécanismes de redevabilité du personnel politique ainsi que des élections internes moins compétitives (Kenig, 2009 ; Cross et Katz 2013).
Dans le prolongement de ces travaux, la question de la portée réelle de ces changements traverse l’ensemble des contributions réunies dans ce numéro : Quelles sont les conséquences empiriques des divers modes de sélection des candidats utilisés par les partis politiques ? Plus particulièrement, quelles sont les conséquences d’une démocratisation de ces procédures ? Les effets observés correspondent-ils toujours aux attentes des acteurs et des observateurs ? N’a-t-on pas placé des attentes démesurées dans l’ouverture de ces procédures, notamment dans l’organisation de primaires ?
Pour être plus précis, il faut distinguer plusieurs dimensions dans les effets potentiels des différents modes de sélection. En premier lieu, la sélection des candidats est susceptible d’avoir des conséquences sur les partis politiques eux-mêmes, et surtout sur le degré de cohésion et de factionnalisme parlementaires. La littérature nord-américaine a en effet démontré l’existence d’une corrélation directe entre le degré d’inclusivité des modes de sélection des candidats, en particulier des primaires, et le degré de factionnalisme (Bowler, 2008 ; Siavelis et Morgenstern, 2008).
Les différents modes de sélection sont, en deuxième lieu, susceptibles d’affecter le résultat électoral, le score des partis et le niveau de participation. Les principales hypothèses théoriques sont là aussi issues de travaux nord-américains (Norrander et Smith, 1985). Et l’évaluation empirique des effets de la démocratisation des modes de sélection des candidats sur les résultats électoraux a produit jusqu’ici des résultats controversés (Wichowsky et Niebler, 2010).
En troisième lieu, la « démocratisation » des règles de sélection du personnel politique affecte les dynamiques de représentation politique. Selon le mode de désignation retenu, les candidats seront plus ou moins représentatifs de leur électorat et de leur sélectorat. La littérature nord-américaine a en particulier soulevé la question de l’échange entre le caractère inclusif des procédures de sélection des candidats et le positionnement idéologique de ces derniers (Hirano et al., 2010). Toutefois, la nature de cette relation est plutôt controversée en termes de résultats empiriques (Ansolabehere et al., 2006).
Peut-on généraliser les hypothèses théoriques issues des écrits sur les États-Unis à d’autres systèmes politiques, notamment aux régimes parlementaires ? Les études qui ont appliqué les mêmes cadres théoriques et méthodologiques aux terrains européens (ou non américains), surtout pour ce qui concerne la question de la représentativité, sont très rares (Narud et al., 2002 ; voir Gauja et Cross, 2015, pour une application au cas australien et Pruysers et Cross, 2016, pour le Canada). De plus, l’application des hypothèses théoriques issues de la littérature nord-américaine à ces terrains nécessite un travail d’adaptation du cadre méthodologique assez conséquent (Ware, 2015). Les structures organisationnelles des partis, par exemple, varient sensiblement entre le cas étasunien et les cas européens et canadien, tout comme la nature de l’adhésion partisane et, évidemment, le contexte institutionnel et politique.
Sélection et représentation
Ce numéro thématique vise donc à répondre à un double déficit – théorique et empirique – dans la connaissance et la compréhension des mécanismes de sélection des candidats et, plus précisément, de leurs effets en termes de dynamique représentative. Un premier enjeu, sous-jacent aux différents textes ici réunis, porte sur l’analyse des procédures de sélection et la manière de théoriser leur démocratisation. Plusieurs contributions abordent frontalement la question de l’étude formelle des procédures de sélection : c’est notamment le cas du texte d’Audrey Vandeleene, Conrad Meulewaeter, Lieven De Winter et Pierre Baudewyns, ainsi que de celui d’Oscar Barberà, qui discutent la littérature sur la dimensionnalité des procédures de sélection. Ces contributions ouvrent de nouvelles pistes de recherche, y compris sur un plan méthodologique, qui permettent de saisir plusieurs niveaux d’analyse en même temps ou, en tout cas, de se différencier de l’approche stato-centrique dominante dans les études antérieures. Il apparaît en effet qu’en termes de dynamiques purement intra-partisanes, les deux dimensions d’analyse des modes de sélection des candidats – la décentralisation et l’inclusivité – ne sont pas entièrement autonomes et indépendantes. Il faut donc se pencher davantage, sur le plan tant théorique qu’empirique, sur les enjeux et les conséquences de leurs interactions.
Les divers types d’élections offrent, par ailleurs, une variété de structures d’opportunité politique. En conséquence, les motivations des partis peuvent changer selon l’élection : des élections différentes, à différents niveaux de pouvoir, amènent-elles les partis à sélectionner leurs candidats différemment ? Il convient de privilégier une approche multiniveau attentive à la manière dont les partis gèrent la sélection des candidats aux divers paliers de pouvoir. Les partis recrutent-ils des profils différents (ou non) pour des élections différentes ? Quels effets la nature de « second ordre » des élections locales, régionales ou européennes a-t-elle sur le choix des méthodes de recrutement des candidats ? Et sur les profils des candidats sélectionnés ?
Cela conduit à considérer un deuxième aspect particulièrement significatif qui justifie la nécessité de développer de nouvelles pistes de recherche sur la sélection des candidats qui tiennent compte non seulement des multiples dimensions d’analyse, mais aussi de la pluralité des niveaux de gouvernement, ce qui signale l’importance du contexte institutionnel. Il faudrait en effet pouvoir adapter ces schémas d’analyse aux structures constitutionnelles complexes des États membres de l’Union européenne (UE) ou d’autres systèmes politiques multiniveaux comme le Canada. La multiplicité des niveaux de gouvernement dans un grand nombre de régimes démocratiques peut jouer un rôle crucial en ce qui concerne la demande et donc les profils des candidats et leur carrière. De surcroît, l’importance croissante des élections locales et régionales et la dévolution graduelle de pouvoir aux autorités infra-étatiques ont rendu plus attractifs les mandats infranationaux, ce qui a conduit certains hommes et femmes politiques à privilégier une carrière locale ou régionale plutôt qu’un mandat national. Cependant, les efforts d’élaboration théorique sur la sélection des candidats se sont concentrés sur le niveau national, à quelques exceptions près (Detterbeck, 2013). Il faudrait donc combiner les cadres théoriques et analytiques fournis par la littérature sur les modes de sélection des candidats et celle sur le fédéralisme et les dynamiques politiques multiniveaux, car le contexte institutionnel affecte significativement les structures d’opportunité politique à la disposition des partis et des aspirants candidats. La comparaison avec le cas canadien apparaît ici particulièrement pertinente.
En plus d’esquisser ces différentes pistes de recherche, ce dossier thématique se centre sur le lien entre les procédures de sélection et la représentativité du personnel politique, qu’il s’agisse de la représentativité sociale (Barberà et Deiss-Helbig) ou politique (Vandeleene et al.). Le texte de Laure Squarcioni interroge lui le périmètre de la sélection en intégrant à l’analyse non seulement le parti comme sélecteur, mais aussi ceux qui font l’objet même de la sélection, les élus en quête de resélection. L’apport des textes de ce numéro spécial concerne le développement de nouvelles études sur un objet précis et moins exploré de façon comparée, à savoir les profils des candidats choisis et des aspirants candidats, afin d’évaluer l’effet des différentes méthodes de sélection sur le niveau de représentativité des candidats et des élus. Les contributions portent attention aussi à l’offre de candidats, par exemple pour vérifier si les femmes et les personnes d’origine étrangère aspirent moins à devenir candidats ou si certains modes de sélection en favorisent l’entrée en politique. Cela permet de mieux comprendre la facette du modèle consacrée à l’offre, tout en la liant à la facette qui se penche sur la demande, c’est-à-dire les modes de sélection, afin d’établir un lien entre modes de sélection et profil des candidats.
Il y a peu d’études qui tiennent compte de l’effet des procédures de sélection sur la représentativité des candidats et des élus (et elles se penchent toutes sur le niveau européen ; voir par exemple : Dalton, 1985 ; Faas, 2003 ; Hix, 2004). D’autres études récentes, comme celles de Dennis C. Spies et André Kaiser (2014) et de Jessica Fortin-Rittberger et Berthold Rittberger (2015), ont testé empiriquement la relation entre inclusivité, décentralisation et représentativité des modes de sélection des candidats aux élections européennes et nationales, mais leurs résultats sont significatifs seulement pour ce qui concerne la dimension de l’inclusivité de la sélection (moins d’inclusivité, plus de représentativité). Il faudrait donc élaborer des cadres analytiques spécifiquement dédiés à analyser l’effet et les interactions entre ces deux dimensions et se concentrer en particulier sur l’arbitrage entre représentation/représentativité des profils des candidats et des élus (et des positions idéologiques des élus et des candidats) et la dimension de la participation démocratique (et donc de l’inclusivité des méthodes de sélection).
La publication d’un numéro spécial sur la sélection des candidats a, parallèlement à son objectif théorique, une visée plus directement empirique. Le choix de terrains européens (la France, l’Espagne, l’Allemagne et la Belgique) et canadien permet de porter un regard comparatif sur des espaces politiques diversifiés, mais tous traversés par des interrogations et des tensions quant à leurs institutions démocratiques. Les textes rassemblés explorent une multiplicité d’effets induits par les modes de sélection des candidats, mais qui tous se rattachent à la question du lien représentatif.
Le premier article, de Laure Squarcioni, interroge la portée des règles formelles de sélection au regard des pratiques des élus. L’article d’Oscar Barberà porte sur la sociologie des élites régionales en Espagne, tandis que celui d’Elisa Deiss-Helbig traite de la représentation des minorités d’origine étrangère en Allemagne. Une analyse diachronique permet, à partir du cas belge, d’évaluer les effets de plusieurs méthodes de sélection sur la congruence idéologique entre masses et élites (Audrey Vandeleene, Conrad Meulewaeter, Lieven De Winter et Pierre Baudewyns). Enfin, l’étude des débats entourant le processus de sélection des candidats au Canada et au Québec montre bien que l’ouverture du système de sélection des candidats doit avant tout se lire comme une réponse au déclin du militantisme (Eric Montigny et Charles Tessier). Cette évolution pourrait d’ailleurs s’expliquer au Canada et au Québec, mais peut-être aussi ailleurs, par une recherche de légitimité plus que par une véritable démocratisation interne des partis.
En définitive, les contributions réunies dans ce dossier thématique fournissent une vision plus exacte et plus fine des effets des différentes procédures et méthodes de sélection. Elles tendent à relativiser et, en tout cas, à spécifier les conséquences d’une démocratisation de ces procédures. L’intérêt de ce numéro spécial est alors de contribuer à nourrir la réflexion sur une des questions les plus fondamentales pour nos systèmes démocratiques, celle des effets potentiels de la démocratisation de la sélection des candidats comme réponse à la crise de la représentation.
Parties annexes
Notes biographiques
Julien Navarro est maître de conférences en science politique à l’École européenne de sciences politiques et sociales (ESPOL) de l’Université catholique de Lille. Il est également professeur à l’Académie diplomatique de Vienne où il dirige la Chaire francophone de science politique en études européennes et internationales. Ses recherches s’inscrivent dans le champ des études sur l’Union européenne, les pratiques parlementaires et les élites politiques. Elles ont fait l’objet de publications dans la Revue française de science politique, French Politics, la Revue internationale de politique comparée et le Journal of Legislative Studies.
Giulia Sandri est maître de conférences en science politique à l’École européenne de sciences politiques et sociales (ESPOL) de l’Université catholique de Lille et collaboratrice scientifique à l’Université libre de Bruxelles (CEVIPOL). Elle a été Research Fellow au Christ Church College et au Department of Politics AMD International Relations de l’Université d’Oxford. Ses travaux ont fait l’objet de publications dans Politics AMD Policy, Acta Politica, Comparative European Politics, Religion, State AMD Society, Ethnopolitics, Italian Political Science Review, Regional AMD Federal Studies et Cultures et Conflits. Elle a récemment publié (avec Antonella Seddone) un ouvrage intitulé Party Primaries in Comparative Perspective (Routledge, 2015). Ses recherches s’inscrivent dans le champ des études sur les partis politiques, la qualité de la démocratie, les élites politiques et les collectivités territoriales en Europe.
Bibliographie
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