Corps de l’article

Pour un parti, le fait de choisir qui figurera sur ses listes électorales est crucial. Une des raisons d’être de la plupart des partis politiques est effectivement d’obtenir un maximum de sièges dans les assemblées parlementaires. Les processus de sélection des candidats sont dès lors considérés comme des éléments centraux dans la vie des partis. Cet article confirme les résultats de précédentes recherches empiriques qui révélaient que les partis politiques belges ne sélectionnaient pas leurs candidats de la même manière (De Winter, 1988). À cet égard, il est judicieux de s’interroger sur les implications éventuelles de ces variations en termes de modes de sélection.

Cet article offre une exploration au-delà du « jardin secret de la politique » (Gallagher et Marsh, 1988). Nous présentons une analyse fouillée des processus de sélection des candidats dans dix partis politiques belges[2], classant ces processus selon le degré d’inclusivité et de centralisation du sélectorat. Chaque parti est analysé deux fois : la première lors d’une élection normale (les législatives de 2007), la deuxième lors d’élections anticipées (les législatives de 2010). Cette double analyse offre une variété intéressante, étant donné que certains partis ont opté pour un mode de sélection plus exclusif d’une élection à l’autre, en fonction du caractère normal ou anticipé de l’élection.

L’objectif de notre recherche est d’établir le lien pouvant exister entre les modes de sélection des candidats et le degré de congruence idéologique entre les masses et les élites politiques. Nous interrogeons l’effet qu’un mode de sélection pourrait, le cas échéant, exercer sur la représentation politique substantive, c’est-à-dire la représentation en termes idéologiques et programmatiques. Nous analysons spécifiquement la proximité idéologique entre les candidats aux élections et leurs électeurs. Démarrant de la constatation que des hypothèses contradictoires ont été présentées dans la littérature, nous cherchons à explorer la relation de l’un avec l’autre.

Nous commençons par évoquer les principales perspectives théoriques sur la sélection des candidats et sur la congruence idéologique entre masses et élites ; ces perspectives nous amènent à présenter les recherches existantes qui relient les deux. Nous détaillons ensuite la méthodologie qui a conduit à la construction d’une typologie des modes de sélection des candidats, puis nous présentons les processus de sélection concrets de chaque parti. Dans la section suivante, nous exposons notre conceptualisation ainsi que notre opérationnalisation de la congruence entre masses et élites, pour finalement analyser la relation entre les modes de sélection des candidats et la proximité idéologique. Nous discutons nos résultats dans la dernière section.

Cadre théorique

Perspectives sur la sélection des candidats

Si nous acceptons l’hypothèse de base que l’objectif principal des partis politiques est d’exercer une influence sur les politiques en occupant des fonctions électives (Müller et Strøm, 1999), la sélection des candidats constitue un processus crucial au sein d’un parti. Les candidats sont en effet les seuls citoyens pouvant devenir titulaires d’un mandat électif. Personne ne devient mandataire politique sans avoir été d’abord un candidat. Ainsi, nous supposons que les partis attachent une importance majeure à la sélection de ceux-ci. Les élus constitueront une grande partie de l’image externe du parti ; ils représenteront le parti et parleront en son nom (Katz, 2001). Dès lors, les recherches ayant trait aux partis politiques se doivent d’accorder une attention particulière à ce processus. La sélection des candidats a effectivement des conséquences directes sur la composition des parlements. L’exemple le plus marquant est celui des candidats sélectionnés pour des places éligibles[3] – c’est-à-dire lorsqu’il n’y a aucun doute sur le fait que le parti gagnera le siège. En déterminant quels individus occuperont ces places, les sélecteurs au sein des partis influencent directement la composition de l’assemblée. Les modes de sélection des candidats influent également sur le processus de délégation dans la démocratie représentative contemporaine (Rahat, 2007) et reflètent aussi ceux qui détiennent les ressources clés au sein d’un parti (Schattschneider, 1942). En somme, la sélection des candidats est l’une des principales fonctions qu’un parti politique doit exercer.

Michael Gallagher et Michael Marsh ont réalisé une recherche prépondérante à propos de la sélection des candidats dans le livre Candidate Selection in Comparative Perspective (1988), dans lequel neuf pays sont analysés conjointement. Selon eux, la sélection des candidats est « le jardin secret de la politique ». Ils suggèrent ainsi que c’est un processus particulièrement difficile à comprendre de l’extérieur. En effet, les partis politiques hésitent à permettre à des personnes externes au parti d’analyser leur organisation. Notre propre recherche a souvent rencontré ce problème d’opacité, entre autres parce que les partis politiques ne semblent pas respecter pleinement ce que leurs propres statuts prescrivent. Non seulement il est compliqué de creuser plus loin que la simple analyse des règles formelles, mais cela ne garantit pas une compréhension complète des processus en cours. Vingt-cinq ans après la publication de leur ouvrage central, la sélection des candidats semble rester un jardin secret, et ce, également en Belgique (Obler, 1974 ; De Winter, 1980 ; De Winter, 1988 ; Put et Maddens, 2011 ; Vandeleene 2014 ; Vandeleene 2016 ; Vandeleene et al., 2016).

Plus récemment, Gideon Rahat et Reuven Hazan (2001) ont étudié en profondeur la sélection des candidats. Une partie de leur recherche séminale est consacrée à l’élaboration d’une typologie qui catégorise les sélectorats suivant différentes dimensions. Les sélectorats, qui représentent l’acteur ou les acteurs chargé(s) de la sélection des candidats, peuvent être caractérisés selon leur degré d’inclusivité et de centralisation. Le degré d’« inclusivité » (inclusiveness) mesure le nombre de personnes constituant l’électorat. Le sélectorat le plus inclusif est composé de tous les citoyens/électeurs désireux de participer à la désignation des candidats. En Belgique, les électeurs ne peuvent pas participer au choix des candidats. Le sélectorat le plus inclusif dans ce pays est donc composé par les membres d’un parti. À l’autre extrême du spectre, le sélecteur le plus exclusif est le/la chef du parti lui-même. Il existe également des sélectorats exclusifs comprenant plusieurs chefs de parti. Entre ces deux extrêmes, différentes formules existent, par exemple un organe de parti spécialement constitué pour sélectionner des candidats (un comité ad hoc ou un comité de liste). Un autre type de sélectorat intermédiaire correspond aux délégués des membres étant appelés à se prononcer sur les listes (généralement avec un mandat non contraignant). Outre l’inclusivité, les sélectorats sont souvent classés selon la dimension de la centralisation (Lovenduski et Norris, 1993). Un sélectorat centralisé fonctionne au niveau national, pour l’ensemble du parti. Inversement, un sélectorat décentralisé ou localisé intervient au niveau de la circonscription, ou même à un niveau plus local (en Belgique, les fédérations), sélectionnant des candidats uniquement pour la liste de leur circonscription ou pour certaines places sur la liste.

Néanmoins, les processus de sélection des candidats sont souvent plus complexes, car ils impliquent plus d’une catégorie d’acteurs (même collectifs). Souvent, la sélection ne s’effectue pas à un seul moment par un seul sélectorat. En effet, on peut également discerner les méthodes de sélection de candidats « différenciés » (assorted), « à étapes multiples » et « pondérés » (Hazan et Rahat, 2010). Dans la méthode différenciée, différents sélectorats sélectionnent les candidats. Ainsi, le parti se retrouve avec une liste où tous les candidats ne sont pas issus du même processus de sélection. Le choix de cette méthode résulte souvent de la volonté de sélectionner différemment les candidats pour les places éligibles et les autres candidats – les sélecteurs plus exclusifs participant plus activement à la sélection des premiers. La méthode à étapes multiples implique différents sélectorats qui choisissent les mêmes candidats, mais de manière successive. Enfin, lorsque le parti utilise la méthode pondérée, des poids différents sont attribués aux choix réalisés par les différents sélectorats.

Outre les sélectorats, les candidats sont bien sûr également des acteurs importants dans le processus. Les partis eux-mêmes ou des règles juridiques peuvent restreindre les conditions d’accès à la candidature. Le réservoir des candidats possibles peut être plus ou moins important, variant de l’ensemble des citoyens/électeurs jusqu’aux membres remplissant certaines conditions (Rahat et Hazan, 2001). Par exemple, être membre du parti depuis un certain temps est une condition traditionnellement requise par les partis, à côté de la condition de l’âge (maximal) du candidat.

Perspectives sur la congruence entre masses et élites politiques en termes d’enjeux politiques

Cette recherche a pour objectif de dépasser l’analyse approfondie de la sélection des candidats. Nous entamons une exploration au-delà du « jardin secret de la politique » en étudiant conjointement les modes de sélection des candidats et la question de la congruence de ces derniers avec leurs électeurs en termes de leur position sur des enjeux politiques.

Il y a une longue tradition de recherche sur la congruence entre les masses et les élites politiques. Rudy Andeweg définit cette congruence comme « la façon dont les politiciens élus agissent en conformité avec les préférences de leur électorat »[4] (2011 : 39). Comme il le remarque, le concept ne connaît pas de conceptualisation ni de mise en oeuvre homogène. Trois modèles de congruence ont été principalement explorés dans la littérature : la congruence entre masses et candidats, entre masses et partis, et entre masses et gouvernement. Matt Golder et Jacek Stramski (2010) conceptualisent aussi la congruence de trois manières différentes : one-to-one, many-to-one et many-to-many. Ces trois conceptualisations amènent évidemment des mesures différentes, puisqu’on ne peut mesurer les positionnements d’un seul acteur (par exemple : un parti ou un représentant) de la même manière que ceux de plusieurs acteurs (par exemple : plusieurs candidats ou le Parlement). Parmi les différents problèmes identifiés par Andeweg (2011), la définition de qui sont les représentants, qui sont les électeurs ainsi que celle de la méthodologie sont les plus importants.

Concernant la méthodologie, la congruence idéologique est souvent mesurée dans la littérature au moyen de la distance entre les positionnements moyens des candidats ou des députés et des électeurs, des partis et des électeurs, ou entre le gouvernement et les électeurs. Or, si l’utilisation de mesures tenant compte de la moyenne ou de la médiane est appropriée dans certains cas, comparer l’électeur médian et le représentant médian n’est pas nécessairement le meilleur outil méthodologique pour analyser la congruence masses–élites (Golder et Stramski, 2010). Dans le cas d’un parti centralisé, bien organisé et cohérent, la comparaison de la congruence entre la position médiane ou moyenne des deux types d’acteurs peut être acceptable. Par contre, dans la situation d’un parti moins centralisé qui laisse davantage d’espace aux représentants pour des positions polarisées, l’usage de la tendance centrale peut occulter les riches variations existant au sein du parti et de l’électorat (Andeweg, 2011). Comparer les moyennes ou les positionnements médians ne suffit donc pas. Au contraire, Golder et Stramski (2010 : 96) préconisent de comparer les distributions des deux composantes et ils postulent que plus les distributions sont similaires, plus la congruence sera haute. De trop nombreuses recherches ont conçu les électeurs ou les représentants dans leur ensemble, sans tenir compte de la variation existant au sein de ces populations (Smith et Tsutsumi, 2016).

Par ailleurs, au-delà de ces différentes méthodes utilisées pour opérationnaliser et mesurer la congruence idéologique, il faut déterminer sur la base de quelle(s) dimension(s) elle sera conceptualisée. Beaucoup de recherches se focalisent uniquement sur les positionnements sur l’échelle gauche–droite. Or, Jacques Thomassen (2012) considère qu’il est nécessaire de calculer la congruence sur différentes dimensions, la dimension gauche–droite ne couvrant pas, dans le cas des Pays-Bas, l’ensemble des enjeux. Même si certains chercheurs considèrent que la dimension gauche–droite constitue une « super dimension » (Inglehart, 1984) couvrant tous les autres dimensions et enjeux, nous considérons, à l’instar de Thomassen (2012), que cette dimension n’est pas suffisante pour rendre compte de la congruence entre les électeurs et les candidats, du moins dans le cas belge (Rihoux et al., 2014). Thomassen (2012) a fait valoir que si la dimension autoritarisme–libertarisme semble corrélée avec la dimension gauche–droite au niveau des élites, cela n’est pas toujours le cas au niveau des électeurs. En effet, les électeurs des partis de gauche semblent être plus autoritaires que les élites de ces mêmes partis.

L’application au cas belge met clairement en évidence cette différence de (in-)congruence entre les électeurs et les candidats sur les deux dimensions (comme la gauche et la droite ou autoritarisme-libertarisme) et, par ailleurs, il y a une différence entre les partis eux-mêmes sur ces deux dimensions.

Perspectives conjointes sur la sélection des candidats et la congruence masses–élites

Si le domaine de recherche sur la congruence masses–élites est relativement développé, la littérature sur la relation entre les modes de sélection des candidats et la congruence masses–élites est pour sa part moins étendue et moins riche. Certaines recherches traitent néanmoins du lien entre les modes de sélection et les caractéristiques idéologiques des candidats. Par exemple, Nathaniel Persily (2001) affirme que des sélectorats inclusifs produisent des candidats qui poursuivent des positions plus proches de l’électeur médian. Il prend comme exemple les primaires américaines, affirmant que lorsque des non-membres sont impliqués dans le processus de sélections, les candidats sélectionnés ont tendance à être plus modérés. L’idéologie du parti serait affaiblie par la participation des non-membres dans la sélection des candidats. Cette approche se distingue de la nôtre étant donné que nous n’étudions pas la position des candidats par rapport à l’électeur médian, mais bien par rapport aux électeurs de leur propre parti. Un autre exemple est celui de Daniel Smith et Hidenori Tsutsumi (2016), qui explorent le lien entre le recrutement[5] des candidats et la congruence de ces derniers avec leurs électeurs. Même s’ils ne traitent pas explicitement de la sélection des candidats au sens strict, mais plutôt de leur recrutement, cela démontre l’intérêt récent envers la sélection des candidats (au sens large) et l’effet qu’elle pourrait produire sur la congruence idéologique entre ces derniers et leurs électeurs.

Sur la base de considérations théoriques, Reuven Hazan et Gideon Rahat (2010) ont formulé une hypothèse concernant la relation entre sélection des candidats et congruence masses–élites, notant qu’elle doit être vérifiée empiriquement. Ils affirment que plus le processus de sélection des candidats est inclusif, plus conformes seront les positions idéologiques des candidats par rapport aux opinions de leurs électeurs. Le degré d’inclusivité serait donc positivement associé au degré de congruence entre candidats et électeurs. Par après, Dennis Spies et André Kaiser (2012) se sont également penchés sur ce lien en analysant les dynamiques de la congruence entre les partis et les électorats dans 53 partis sur une période de 30 ans (1970-2000). Ils concluent leur article en précisant que « la dimension de l’inclusivité […] est pertinente pour le degré de représentativité des partis » (2012 : 16). Leurs résultats indiquent que moins le mode de sélection des candidats est inclusif, plus les partis sont congruents avec les électeurs. Ces résultats contredisent l’hypothèse de Hazan et Rahat. Spies et Kaiser expliquent que des sélectorats moins inclusifs permettent aux partis de mieux représenter l’électeur médian, même si les partis ont apporté des réformes concernant la transparence de leur fonctionnement interne, entre autres en ce qui concerne la sélection des candidats (voir aussi Andeweg, 2011).

Pour résumer, nous nous trouvons face à deux hypothèses contradictoires quant au lien entre les modes de sélection des candidats et la congruence masses–élites en termes d’enjeux politiques : celle suggérée par Hazan et Rahat (2010) (H1) et celle démontrée par Spies et Kaiser (2012) (H2).

  • H1 : Des sélectorats plus inclusifs sélectionnent des candidats plus congruents avec leurs électeurs.

  • H2 : Des sélectorats moins inclusifs sélectionnent des candidats plus congruents avec leurs électeurs.

Processus de sélection des candidats

Cette section s’attache à décrire la méthode utilisée afin d’établir une typologie des modes de sélection des candidats pour les élections fédérales belges de 2007 et de 2010. Nous analysons quels ont été les acteurs de la sélection des candidats dans dix partis en Belgique. Bien que les processus soient complexes, nous avons réduit cette complexité à une échelle à laquelle correspondent tous les partis politiques analysés. Cette analyse débouche sur une typologie des modes de sélection variant, sur une échelle en cinq points, du plus exclusif au plus inclusif, tout en prenant en compte le degré de décentralisation du processus. Cette échelle sera utilisée dans la partie de l’article visant à établir le lien entre le mode de sélection des candidats et la congruence idéologique entre les candidats et les électeurs.

Catégoriser les modes de sélection (2007)

La sélection des candidats n’a rien d’un processus trivial. Sur la base d’une analyse approfondie des statuts des partis, de la presse locale et nationale[6], ainsi que des réponses fournies par les candidats à une enquête postélectorale, nous avons pu déterminer quels ont été les processus de sélection des candidats dans chaque parti pour les élections fédérales de juin 2007. Tous les partis impliquent dans leur processus plusieurs acteurs, de différentes sortes. De plus, ils ont tous mis en place un processus de sélection en plusieurs étapes.

Dix partis sont pris en compte dans notre recherche. Outre les huit partis appartenant aux quatre principales familles politiques de chaque côté de la « frontière linguistique » (c’est-à-dire les verts, les socialistes, les chrétiens-démocrates et les libéraux), nous analysons également le parti nationaliste flamand N-VA et le parti séparatiste flamand d’extrême droite VB (voir annexe pour la liste détaillée des partis).

Nous avons réalisé un examen détaillé des statuts des partis en vigueur en 2007. Pour chaque parti, nous avons déterminé les acteurs qui ont été impliqués dans le processus de sélection, ainsi que la composition de l’assemblée ou du comité, le cas échéant. Ensuite, nous avons établi le niveau de pouvoir de chaque acteur – l’acteur est-il positionné au niveau national, au niveau de la circonscription ou à un niveau inférieur à la circonscription[7] ? Ce processus a abouti à la création d’une variable permettant de classer les partis selon deux critères : le degré d’inclusivité (quelle est la taille du sélectorat en termes d’individus) et le degré de centralisation (à quel niveau de pouvoir l’acteur joue-t-il un rôle). Par ailleurs, puisque les sélecteurs peuvent intervenir à différents stades du processus de sélection, il était judicieux de distinguer les phases principales. Nous en avons différencié trois, à savoir la proposition, l’adoption et l’évocation. La première phase consiste en l’établissement d’une proposition de liste (appelée model list dans certains partis). Une autre phase comprend l’adoption finale de la liste, c’est-à-dire que c’est l’acteur qui a le dernier mot. Entre ces deux phases, il y a souvent la phase d’évocation pendant laquelle un acteur peut intervenir en cours de route pour modifier la liste. Ce droit de modifier la liste varie grandement, depuis le strict droit de véto jusqu’à un simple droit d’effectuer quelques modifications à la marge. Toutefois, il est important de noter que les processus présents dans les partis belges en 2007 et en 2010 sont bien plus complexes que ces processus en trois phases. Nous avons cependant résumé et simplifié l’information en catégorisant les partis sur cette base. Enfin, il faut aussi souligner qu’il existe parfois des différences entre les circonscriptions pour un même parti, étant donné que des règles édictées au niveau de la circonscription complètent pour certains partis les règles nationales. Notre décision finale a tenu compte de ces divergences, mais a néanmoins résulté en la définition d’un processus de sélection unique pour chaque parti, et ce, sur la base du processus prédominant, pour les deux phases principales, c’est-à-dire la proposition et l’adoption.

Cette analyse approfondie des statuts des partis a été complétée par les réponses fournies par les candidats eux-mêmes lors d’une enquête postélectorale réalisée à la suite des élections fédérales de 2007[8]. Les deux questions posées ici aux candidats concernaient l’acteur principal de leur sélection (les membres, des délégués, des dirigeants ou un autre acteur) ainsi que le niveau de décision (niveau inférieur à la circonscription, niveau de la circonscription, niveau national ou autre niveau). Outre les réponses des candidats, la presse locale et nationale a été consultée ainsi que des sources d’information produites par les candidats (par exemple des blogs personnels). Sur base de ce large recoupement de sources d’information, il a été possible d’allouer une réponse définitive pour chaque parti quant au mode prédominant de sélection des candidats.

Grâce à un travail de réduction des variables[9] ne conservant que les variables discriminantes, nous obtenons cinq modes différents de sélection des candidats dans les partis politiques en Belgique en 2007, pouvant être classés de manière ordinale. Notre échelle unique combine deux dimensions centrales du cadre d’analyse développé par Hazan et Rahat (2010), à savoir le degré d’inclusivité et le degré de centralisation. Le mode de sélection le plus exclusif de notre échelle correspond à une situation où seuls les dirigeants sélectionnent les candidats. La deuxième catégorie regroupe les partis pour lesquels les candidats sont sélectionnés par un groupe élargi de dirigeants. Ces acteurs sont plus inclusifs qu’un bureau de parti, mais ne comprennent cependant pas de délégués des sections décentralisées. Dans la troisième catégorie, les candidats ne sont pas sélectionnés directement par les membres, mais bien par une conférence de délégués des membres (leur nombre dépend de la taille de la section locale). Les quatrième et cinquième catégories sont les plus inclusives, car les membres participent au processus de sélection. La quatrième catégorie est un rien plus exclusive que la dernière étant donné que les dirigeants nationaux du parti possèdent un droit de regard sur les décisions finales et interviennent le cas échéant. Enfin, la catégorie la plus inclusive rassemble les partis faisant appel à la technique du poll[10], selon laquelle tous les membres participent à l’approbation d’un projet de liste.

Figure 1

Échelle d’inclusivité du mode de sélection des candidats (2007)

Échelle d’inclusivité du mode de sélection des candidats (2007)

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Il est bon de garder à l’esprit que des processus de sélection appelés ici « inclusifs » ne correspondent pas à l’idéal type d’un sélectorat inclusif, puisqu’aucun parti ne donne tous les pouvoirs à ses membres. Notre typologie fait l’économie de l’étape commune à tous les partis, à savoir la préparation d’un projet de liste par un groupe restreint de personnes, étant donné qu’elle est non discriminante. Nous n’analysons que l’acteur intervenant par après : les membres, des délégués et/ou des dirigeants. Les degrés d’inclusivité sont dès lors relatifs. Les paragraphes suivants expliquent les processus qui ont conduit à la désignation des candidats dans chacun des partis, du processus le plus exclusif au plus inclusif.

Sélection des candidats par des dirigeants

Sur la base de nos recherches empiriques, nous plaçons trois partis dans cette catégorie (MR, N-VA et VB, trois partis de droite). Moins de trois mois avant les élections, les présidents de chaque composante du MR (une fédération de quatre partis) se sont rassemblés afin de déterminer la tête de liste – ensuite chargée de composer sa propre liste. La N-VA formait en 2007 un cartel avec le CD&V. Des négociations entre les dirigeants des deux partis ont abouti à une répartition des places éligibles entre les deux formations. Au sein de la N-VA, les organes au niveau de la circonscription avaient pour tâche de proposer un projet de liste, qui devait ensuite être approuvé à la majorité simple au niveau national par le conseil de parti, composé d’un groupe élargi de personnes occupant un poste à responsabilité dans le parti. Le VB a également utilisé un processus relativement exclusif et centralisé. Le bureau de parti était responsable de la proposition de la liste et le conseil du parti, composé de manière similaire à celui de la N-VA, a adopté la liste finale.

Sélection des candidats par des délégués

Seuls les deux partis socialistes correspondent à cette catégorie, en raison probablement de leur modèle propre aux partis de masses de démocratie par délégation. Le PS offre une marge de manoeuvre considérable aux dirigeants au niveau de la circonscription, voire au niveau inférieur. En théorie, un poll pouvait être organisé au niveau de la circonscription, ce qui n’a pas été le cas bien que le PS ait été coutumier de l’usage des polls (voir De Winter, 1988). Un comité au niveau de la fédération a composé le projet de liste, approuvé ensuite par le congrès composé des délégués des sections locales. Les socialistes flamands du sp.a connaissent un processus légèrement plus centralisé que leurs homologues francophones. Les bureaux de circonscription ont décidé d’un projet de liste sur lequel le bureau national devait donner son accord. Finalement, une conférence de délégués (c’est-à-dire le congrès) au niveau de la circonscription s’est tenue afin d’approuver la liste.

Sélection des candidats par les membres

Deux groupes se distinguent parmi les partis qui font appel aux membres en fonction de l’intervention ou non du niveau national. Pour Groen !, une assemblée des membres a été tenue afin de confirmer le choix des candidats en tête de liste. Cette méthode est inhabituelle pour un parti chérissant les principes de la « basis-demokratie » – la démocratie de base (Deschouwer, 1996 ; Rihoux, 2001). Par après, un poll a été organisé dans chaque circonscription pour voter sur les listes complètes. Au cdH, un comité spécial de circonscription a préparé le projet de liste. Le bureau politique national possédait un droit d’évocation. Les membres, enfin, ont ratifié la liste finale. Les candidats Écolo aux places stratégiques (c’est-à-dire « plus éligibles ou visibles », selon leurs statuts) ont été déterminés par le comité de liste de circonscription, et leur nomination a été approuvée par l’assemblée de circonscription (composée des membres). Une conférence de délégués au niveau national possédait un droit d’évocation. Les chrétiens-démocrates flamands du CD&V ont utilisé un processus décentralisé. Les membres du parti ont approuvé la liste composée par le bureau de circonscription. En conséquence du cartel formé avec la N-VA, le processus a été davantage centralisé en 2007, à la suite de la décision prise par les dirigeants au sujet de la répartition des places éligibles entre les deux formations. Enfin, l’Open Vld fonctionne également de manière décentralisée. Un groupe de travail a préparé le projet de liste. Le bureau de circonscription a approuvé le projet, sur lequel les membres étaient appelés à voter. Si aucune majorité n’était atteinte, les membres devaient voter à nouveau en classant les candidats (ce qui ne s’est pas produit).

Au regard des différents processus développés ci-dessus, il semble que même si cinq partis accordent à leurs membres le droit d’intervention directe dans la décision de sélection, les membres n’utilisent pas ce pouvoir pour modifier la décision prise par d’autres acteurs moins inclusifs. Cela peut vouloir dire que les dirigeants restent dans chaque parti les acteurs clés de la sélection des candidats. Cependant, nous pouvons présumer que les dirigeants, en prenant leur décision, ont à l’esprit le fait que les membres doivent approuver la liste des candidats et, le cas échéant, la refuser. Le fait que les membres refusent rarement, voire jamais le choix fait par les dirigeants pourrait suggérer que ces derniers anticipent bien les préférences de leurs membres.

En conclusion, les familles idéologiques restent relativement homogènes quant au mode de sélection des candidats. Les verts et les chrétiens-démocrates sont inclusifs. Les socialistes font appel à des congrès de délégués. Les partis de droite utilisent des méthodes plus exclusives. Seuls les partis libéraux diffèrent à cet égard. Les Flamands de l’Open Vld tendent vers l’inclusivité et la décentralisation, tandis que les francophones du MR sont davantage exclusifs et centralisés.

Notons également que l’actuel mode de sélection des différents partis reflète assez bien les racines des partis, c’est-à-dire le modèle organisationnel de leur « période formative ». Bien que la plupart des partis aient évolué vers le modèle « électoral professionnel » (Panebianco, 1988), le « modèle génétique » de chaque famille de partis reste traçable. Ainsi, pour la sélection des candidats au sein des partis socialistes, les délégués des sections subnationales jouent un rôle prédominant, ce qui est typique pour le modèle de « parti de masse » (De Winter, 1992). Chez les démocrates-chrétiens, « partis confessionnels interclassistes » et de mass integration, les représentants de différents courants/factions demeurent importants (Dumont et De Winter, 2002). Chez les libéraux, « partis de notables » par excellence, les personnalités locales sont centrales (De Winter, 2000). Chez les écologistes, les membres sont au coeur du processus (modèle de basis-demokratie, Rihoux, 2001). Enfin, les nationalistes flamands, un moderne kaderpartij – parti de cadre moderne –, donnent un rôle prépondérant aux cadres supérieurs du parti (Koole, 1992 ; De Winter, 2006).

Adaptations en raison des élections anticipées de 2010

Le 22 avril 2010, l’Open Vld a décidé de retirer sa confiance au gouvernement de coalition en place. Le Roi Albert II a accepté la démission du gouvernement le 26 avril, et le Parlement a décidé le 6 mai de tenir des élections le 13 juin. Les partis politiques ont donc dû présenter leurs listes finales au plus tard le 14 mai. La sélection des candidats a dû être réalisée en trois semaines, et non en plusieurs mois comme en 2007. Les processus de sélection ont évidemment été affectés par ce manque de temps. Les positions des partis sur notre échelle en cinq points ont été revues pour certains partis. Une méthode de travail identique a été utilisée pour analyser la sélection des candidats en 2010 : les règles se trouvant dans les statuts des partis concernant les élections anticipées, les réponses des candidats à une enquête postélectorale[11] et la presse locale et nationale ont été consultées.

Les paragraphes qui suivent décrivent brièvement les changements apportés aux modes de sélection en raison du caractère anticipé des élections de 2010. Les dix mêmes partis sont pris en compte, notre analyse allant du plus exclusif au plus inclusif.

Le MR n’a pas changé sa méthode de sélection, car le caractère exclusif de ses procédures n’exige que peu d’adaptations en cas d’élections anticipées. Leurs statuts ne prévoient d’ailleurs aucune règle particulière à cet égard. Alors qu’en 2007 seuls deux partis correspondaient à la deuxième catégorie du « groupe élargi de dirigeants », un troisième parti s’est joint à la N-VA et au VB qui n’ont pas changé leurs procédures. Le cdH a abandonné la méthode du poll en cas d’élections anticipées. Le bureau politique au niveau national (composé de dirigeants et de parlementaires) a décidé des listes en 2010.

Le parti socialiste flamand sp.a a sélectionné ses candidats en 2010 en faisant appel à une conférence de délégués. Le PS a également réuni des congrès de fédération (composés de délégués). Les listes du CD&V ont été approuvées par l’assemblée générale, composée, elle aussi, de délégués. Ce parti a donc réduit l’ampleur de son sélectorat, étant donné que ses membres n’ont plus participé au processus.

L’avant-dernière catégorie regroupe les partis où les membres participent, avec un rôle dévolu au niveau national du parti. C’est Groen !, déjà dans cette catégorie en 2007, qui a la procédure la plus institutionnalisée en termes d’élections anticipées, étant donné qu’un document officiel y est consacré. Par contre, les dirigeants de l’Open Vld n’ont eu en 2007 aucun pouvoir formel quant à la sélection, ce qui avait pourtant été le cas en 2010 où la procédure a été davantage centralisée et exclusive.

Figure 2

Échelle d’inclusivité du mode de sélection des candidats (2010)

Échelle d’inclusivité du mode de sélection des candidats (2010)

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Finalement, un seul parti a fait appel à la méthode la plus inclusive, bien que les élections aient été anticipées. Écolo a organisé une sélection en deux principales étapes, comme en 2007 : préparation du travail par un comité de liste, puis approbation par les membres réunis en assemblée générale.

En bref, trois des dix partis analysés ont modifié leur mode de sélection en raison du caractère anticipé des élections. Les deux partis chrétiens-démocrates n’ont plus fait appel au vote direct des membres, tandis que l’Open Vld a quelque peu renforcé le pouvoir formel des dirigeants du parti.

Quelle relation entre la sélection des candidats et la congruence ?

Opérationnalisation de la notion de congruence

Afin de répondre à cette question, nous avons utilisé plusieurs bases de données reflétant les positions des candidats et des électeurs. Pour 2007, deux sources de données ont été utilisées. Pour les candidats, les données proviennent du Comparative Candidate Survey [CCS] – Belgium[12] ; 35,1 % des candidats à la Chambre des représentants interrogés nous ont retourné leur questionnaire. Ils constituent un échantillon représentatif. Pour les électeurs, nous avons utilisé les données provenant du European Social Survey [ESS] (4e vague). L’échantillon est de 1091 personnes.

Tableau 1

Degré de congruence (en pourcentage) sur les deux dimensions pour chaque parti (2007)

Degré de congruence (en pourcentage) sur les deux dimensions pour chaque parti (2007)

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Tableau 2

Degré de congruence (en pourcentage) sur les deux dimensions pour chaque parti (2010)

Degré de congruence (en pourcentage) sur les deux dimensions pour chaque parti (2010)

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En 2010[13], les données pour le positionnement des candidats proviennent aussi du CCS – Belgium ; 42,5 % des candidats à la Chambre des représentants interrogés ont répondu à l’enquête, ce qui constitue également un échantillon représentatif[14]. Un total de 1085 personnes ont participé à l’enquête du ESS (5e vague).

Étant donné notre souhait de comparer les positions des électeurs et des candidats sur différentes dimensions, nous n’avons retenu que des échelles de mesures comparables ; nous avons donc gardé les dimensions gauche–droite et un enjeu lié à la dimension d’autoritarisme–libertarisme (enjeu de l’immigration). Comme mentionné plus haut, et nous appuyant sur les travaux de Jacques Thomassen (2012) et de Rory Costello, Jacques Thomassen et Martijn Rosema (2012), nous ne nous sommes pas limités à l’échelle gauche–droite afin d’avoir une mesure plus pertinente de la proximité idéologique entre les électeurs et les élites d’un parti. En 2007, la formulation des questions et l’étalonnage de l’échelle sont identiques pour la dimension gauche–droite, mais pas pour la seconde dimension. Cela n’empêche par la comparaison dans ce dernier cas[15]. En 2010, la formulation des questions et les échelles utilisées pour mesurer cette congruence étaient quant à elles identiques[16].

Nous avons donc calculé pour chaque parti le degré de congruence entre les électeurs et les candidats, d’une part, sur l’échelle gauche–droite (graduée de 0 à 10) et, d’autre part, sur l’échelle mesurant la dimension autoritarisme–libertarisme (graduée de 1 à 5). Tel que mentionné précédemment, l’avantage d’inclure plusieurs dimensions dans le concept, et donc la mesure de congruence, réside dans le fait que nous observons des degrés de congruence qui varient, parfois fortement, entre la dimension gauche–droite et la dimension autoritaire–libertaire. Le tableau 1 indique bien ce qui avait été démontré par Thomassen (2012) : les partis de gauche (dans le cas de la Belgique, le PS et le sp.a) ont une congruence plus faible sur la dimension autoritaire–libertaire. Cela s’explique par le fait que les élites des partis dits « de gauche » sont bien plus libertaires que leurs électeurs. Nous ne sommes toutefois pas en mesure de le confirmer avec les analyses de 2010.

La congruence a été calculée selon la méthode many to many discutée par Matt Golder et Jacek Stramski (2010). La congruence est représentée dans les graphiques 2 et 3 par la « partie commune en dessous des courbes » (Andeweg, 2011). Cette « partie commune » est obtenue en prenant en compte les pourcentages les plus bas entre les électeurs et les candidats pour chaque position de l’échelle (Andeweg, 2011) – représentés en ordonnée sur nos graphiques, sous le label « densité ». Le degré de congruence a été calculé pour les deux dimensions. Le pourcentage sur lequel se basent nos analyses représente donc le pourcentage moyen dans chaque dimension. Cette technique est la plus pertinente dans le cas présent. En effet, nous comparons ici les positionnements des candidats et de leurs électeurs. Il nous paraît donc important de mettre en relation les distributions des positionnements des masses et des élites plutôt que d’utiliser des mesures de tendance centrale, ces seules mesures étant insuffisantes pour capter la variance des positionnements qui peut exister au sein des deux ensembles étudiés. Or, il nous importe de pouvoir analyser finement les positionnements des candidats et des électeurs[17]. Un pourcentage élevé représente un haut degré de congruence entre les électeurs et les candidats. À l’inverse, un faible pourcentage représente un degré moindre de congruence. Les résultats des calculs de congruence se trouvent aux tableaux 1 et 2[18].

Afin d’illustrer graphiquement de quelle manière les élites et les électeurs d’un parti peuvent être congruents, les représentations de deux distributions (candidats et électeurs) sont exposées au graphique 1 pour l’enjeu lié à la dimension d’autoritarisme–libertarisme. Nous avons produit ce graphique pour deux partis présentant des profils différents sur nos deux variables d’intérêt.

Le graphique 1 présente les distributions pour les candidats et les électeurs du MR, parti libéral de droite avec un mode de sélection exclusif. Sur la dimension autoritarisme–libertarisme, ce parti a une congruence presque parfaite entre les candidats et les électeurs (90,52 % de distribution partagée sur cet enjeu). Ce graphique illustre deux choses : d’une part, les partis dits de droite sont a priori plus congruents avec leurs électeurs sur les enjeux liés à la dimension d’autoritarisme–libertarisme (Thomassen, 2012) ; d’autre part, un parti dont le processus de sélection des candidats est plus exclusif tend à être plus congruent, ce qui constitue l’une de nos hypothèses (H2).

Par ailleurs, le graphique 2 montre les distributions pour les candidats et les électeurs Écolo pour la même question en 2010. Le degré de congruence est faible : 46,84 % de distribution partagée sur cet enjeu. Ce graphique, exemplatif, montre donc que les candidats du parti Écolo se situent plus à gauche que leur électorat. Par ailleurs, son mode de sélection est très inclusif, ce qui pourrait expliquer ce faible degré de congruence entre les candidats et les électeurs. À nouveau, cet exemple va dans le sens de notre deuxième hypothèse.

Graphique 1

Distribution des candidats MR (n=26) et de leurs électeurs (n=82) sur la dimension autoritarisme–libertarisme

Distribution des candidats MR (n=26) et de leurs électeurs (n=82) sur la dimension autoritarisme–libertarisme

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Graphique 2

Distribution des candidats Écolo (n=31) et de leurs électeurs (n=54) sur la dimension autoritarisme–libertarisme

Distribution des candidats Écolo (n=31) et de leurs électeurs (n=54) sur la dimension autoritarisme–libertarisme

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Analyse et discussion

Afin de tester notre hypothèse et vu le faible nombre d’observations dont nous disposons, nous avons produit, pour chaque année, des corrélations bivariées (Spearman) entre les deux variables qui nous occupent : le mode de sélection et le degré de congruence. Il aurait été difficile d’obtenir des résultats significatifs si nous avions fait des analyses multivariées, compte tenu du plus grand nombre de variables inclus dans ce type de modèle et du faible nombre d’observations. Chaque observation (chaque parti) est donc caractérisée par son degré de congruence et sa position sur l’échelle d’inclusivité. Si tous les partis varient quant à la congruence, seuls trois partis changent de position sur l’échelle d’inclusivité, en raison des procédures différentes appliquées en cas d’élections anticipées. Nous avons donc pour 2007 un échantillon de neuf partis (car nous ne pouvons distinguer les électeurs qui ont voté pour les candidats N-VA étant donné que ce parti était en cartel avec le CD&V), et pour 2010 un échantillon de dix partis (la N-VA n’étant plus en cartel avec le CD&V).

En analysant les coefficients de corrélation Spearman entre nos deux variables pour les deux années, nous trouvons en 2007 une relation faiblement négative (-0,137) et statistiquement non significative, ce qui nous laisse penser que le degré d’inclusivité des sélectorats serait faiblement corrélé avec le degré de congruence idéologique entre masses et élites, mais ce type d’outil statistique n’offre toutefois pas de certitude absolue. Nous obtenons des résultats très différents pour l’année 2010, puisque la relation est cette fois fortement négative (-0,673) et, de plus, significative (sig. = 0,033), ce qui tend à montrer que plus le sélectorat est exclusif, plus les candidats sont congruents avec leurs électeurs (H2).

Les trois partis qui ont changé de mode de sélection entre les élections de 2007 et de 2010 – cdH, CD&V et Open Vld – confirment tous les résultats de nos analyses. Ces trois partis ont adopté des procédures de sélection plus exclusives et sont devenus plus congruents. Nous devons cependant être très prudents quant à cette analyse, puisque la question liée à la dimension autoritaire–libertaire n’est pas la même, ce qui rend hasardeuse la comparaison entre les deux années.

En combinant les observations de 2007 (n = 9) et de 2010 (n = 10), nous obtenons des résultats qui soutiennent notre hypothèse. En effet, le coefficient de corrélation Spearman est négatif (-0,5) et significatif (sig. = 0,029), ce qui montre qu’il existe une relation négative entre la congruence idéologique des candidats et de leurs électeurs et les modes de sélection. Plus les modes de sélection sont exclusifs, plus le niveau de congruence sera élevé.

Ces résultats invitent à la prudence. D’une part, ils résultent d’une analyse bivariée qui ne tient pas compte de certaines variables de contrôle – telles que l’intérêt politique au niveau micro (Walgrave et Lefevere, 2013) ou la taille du parti au niveau méso (Louwerse, 2012) – que nous aurions pu inclure dans le modèle. D’autre part, le coefficient n’est pas significatif pour 2007, bien qu’il le soit fortement pour 2010 ainsi que pour l’analyse combinée des deux années. Avec de si petits échantillons, il est parfois difficile d’obtenir des résultats statistiquement significatifs. En tenant compte de ces limites, force est tout de même de constater que nous obtenons dans les trois cas des coefficients négatifs (ce qui va dans le sens de notre deuxième hypothèse), mais avec des coefficients de corrélation différents en termes d’intensité de la relation. Ces résultats, de nature exploratoire, indiquent que la deuxième hypothèse pourrait être confirmée, les modes de sélection des candidats auraient donc un effet sur la représentation substantielle. Ces résultats sont exploratoires et méritent d’être confirmés par le biais d’analyses multivariées, sur de plus grands échantillons. Nos conclusions rejoignent celles de Spies et Kaiser (2012), en utilisant des mesures de congruence et d’inclusivité plus fines. Plus le sélectorat est exclusif, plus les candidats et leurs électeurs sont congruents. Il semble donc que les hypothèses formulées par Hazan et Rahat (2010) ne tiennent pas pour le cas belge, du moins pour l’année 2010 ni lorsque nous combinons les données des deux années.

Notre recherche montre que le degré d’inclusivité des sélectorats est corrélé avec la proximité idéologique. Les candidats sélectionnés par un plus petit groupe de sélecteurs seraient plus congruents avec leurs électeurs que les candidats sélectionnés par un groupe plus large (principalement par les membres). Cette situation pourrait être expliquée par le fait qu’il existe des connexions plus fortes entre les électeurs et les dirigeants des partis, à travers les médias par exemple. D’une part, les dirigeants des partis seraient mieux informés des préférences de leur électorat (grâce à l’information sophistiquée sur l’opinion publique fournie par exemple par des enquêtes) et choisiraient dès lors des candidats de manière plus « électoraliste ». En outre, les dirigeants politiques des partis seront jugés responsables du bon ou mauvais résultat électoral de leur parti. Ainsi, ils sont davantage électoralistes (vote-seeking) et pragmatiques. D’autre part, les membres de partis n’ont pas accès aux études précises sur l’opinion publique et seront donc plus influencés par leurs pairs. Enfin, en tant que militants du parti, les membres seront plus policy-seeking, c’est-à-dire plus idéologiques ou programmatiques. Ces derniers seraient conséquemment plus radicaux que les dirigeants des partis, qui seraient quant à eux plus stratégiques et pragmatiques. Cette réflexion va dans le sens de la loi de disparité curvilinéaire développée par John May (1973 ; voir aussi Norris, 1995), bien qu’elle ait été critiquée (Kitschelt, 1989).

Notre recherche est par ailleurs limitée à plusieurs égards. Premièrement, et comme déjà mentionné, les conclusions bénéficieraient d’être basées sur davantage de cas – un plus grand nombre de partis et donc plus d’enquêtes comparables – afin d’établir plus fortement la relation entre nos deux variables. Bien que la Belgique connaisse le système de partis le plus fragmenté d’Europe occidentale, nous sommes relativement limités en termes d’unités d’analyses. En effet, les effectifs des enquêtes électorales et des enquêtes candidats ne nous permettent pas de descendre au niveau des onze circonscriptions, ce qui aurait pu nous permettre d’augmenter le nombre d’observations. Cette étude possède dès lors un caractère plus exploratoire qu’explicatif. Nos résultats posent néanmoins question et incitent à approfondir les analyses dans le cadre d’autres recherches.

Deuxièmement, cette recherche est limitée par notre mesure de congruence. Il est en effet établi que les dimensions gauche–droite et d’autoritarisme–conservatisme sont importantes pour étudier la congruence idéologique, mais nous ne pouvons pas nous limiter à ces deux dernières. Les électeurs qui appuient leur vote sur des enjeux ne le font pas uniquement sur la dimension gauche–droite et sur leur degré de conservatisme, ils se basent également sur d’autres dimensions ayant émergé plus récemment. Comme montré précédemment, l’échelle de conservatisme n’est pas parfaitement corrélée avec la dimension gauche–droite, tant au niveau des élites que celui des électeurs. Il faudra bien évidemment tenir compte de ces limitations pour les recherches à venir, surtout en ce qui concerne le cas belge puisqu’il est caractérisé, outre le clivage gauche–droite socioéconomique classique, par de multiples clivages (flamand–francophone, catholique–laïc, et le clivage « GAL-TAN », c’est-à-dire vert–alternatif–libertaire versus traditionaliste–autorité–nationaliste) (De Winter et al., 2009).

Enfin, les résultats que nous obtenons pour l’année 2007, pris individuellement, ne donnent pas de résultats significatifs, ce que plusieurs éléments permettent d’expliquer. D’abord, nous disposons d’un échantillon légèrement plus petit que celui de 2010. En effet, la N-VA est absente dans notre échantillon de 2007. C’est pourtant un parti qui utilise des processus de sélection très exclusifs et qui est fortement congruent avec son électorat. Ensuite, la question que nous utilisons pour l’année 2007 n’étant pas la même que pour l’année 2010, il peut exister un biais à ce niveau.

Conclusion

Cette recherche aura permis des réflexions intéressantes, sur les plans tant empirique que théorique et méthodologique. Tout d’abord, en explorant le « jardin secret de la politique » (Gallagher et Marsh, 1988), nous avons découvert qu’en plus d’être secret, il était aussi embrouillé. Il est effectivement indispensable de croiser les informations afin d’obtenir la vue la plus nette et globale possible des mécanismes de sélection des candidats, car cette sélection est un processus complexe, avec différentes étapes caractérisées par des pouvoirs décisionnels différents, des règles différentes qui peuvent s’appliquer pour la sélection des candidats aux places éligibles et non éligibles et des modifications des processus en cas d’élections anticipées. Tout cela engendre bien des complications pour les études de cas et les recherches comparatives sur les effets de la sélection des candidats.

Notre recherche empirique approfondie a démontré que les partis politiques belges ont sélectionné leurs candidats pour les élections législatives selon des procédures différentes les uns des autres, mais que tous les partis se rejoignent lors de la phase de préparation des listes (qui est réalisée par un groupe relativement exclusif dans tous les cas). Ils se distinguent par contre quant à l’acteur chargé d’approuver les listes. En 2007, la moitié des partis ont fait appel aux membres pour adopter les listes finales, tandis que deux d’entre eux ont fait appel à des délégués des membres. Les autres partis, tous de droite, ont utilisé des procédures plus exclusives en laissant ce pouvoir d’adoption uniquement à un nombre plus ou moins grand de dirigeants. Les élections anticipées de 2010 ont amené certains changements aux procédures de sélection des candidats. Trois partis sur dix ont réduit la taille du sélectorat, tendant vers un sélectorat plus exclusif. Néanmoins, malgré l’urgence, trois partis ont tout de même organisé un vote des membres.

Nous avons aussi étudié la congruence idéologique entre candidats et électeurs. Nous soutenons que celle-ci est mesurée de la manière la plus adéquate lorsque les distributions des deux groupes sont comparées, et non lorsque des mesures de tendance centrale sont utilisées. Les candidats et les électeurs peuvent effectivement être considérés comme proches idéologiquement s’ils se répartissent de manière plus ou moins identique sur les échelles idéologiques.

Nous avons ensuite abordé la question de la relation potentielle entre les modes de sélection des candidats et la congruence idéologique entre les masses et les élites. Nous avons trouvé dans la littérature des hypothèses contradictoires à ce sujet. Nos résultats vont dans la direction d’un lien existant entre les modes de sélection et de la proximité idéologique entre candidats et électeurs. L’hypothèse qui se confirme de manière significative pour 2010 est celle d’une croissance conjointe de l’exclusivité du groupe de sélecteurs et de la congruence idéologique entre masses et élites politiques. Nos données se basent sur les positions des candidats et des électeurs sur l’échelle gauche–droite ainsi que sur une question liée à l’échelle de conservatisme.

Notre étude se voulait exploratoire, étant donné la rareté des études empiriques existantes sur la question. De futures recherches pourraient certainement apporter davantage de clarté sur cette problématique. En raison de faiblesses dans les bases de données dont nous disposons pour 2007 et 2010, la présente recherche n’a pas pu affirmer avec force l’existence d’un impact. Certains signes sont néanmoins révélateurs. Il semble qu’une relation existe entre la manière dont les candidats sont sélectionnés par les partis et la congruence idéologique entre ces candidats et les électeurs du parti. Une collecte de données sur les opinions des candidats et des électeurs ainsi que sur les modes de sélection effectuée de manière concertée et lors d’une même élection permettrait de peaufiner ces réflexions.