Recensions

Décroissance. Vocabulaire pour une nouvelle ère, sous la dir. de Giacomo D’Alisa, Federico Demaria et Giorgos Kallis, Montréal, Écosociété [traduit de l’anglais], 2015, 376 p.[Notice]

  • Simon Guertin-Armstrong

…plus d’informations

Dirigé par trois chercheurs affiliés à l’Université autonome de Barcelone, Décroissance. Vocabulaire pour une nouvelle ère est une introduction à la critique de la croissance indéfinie du produit économique indifférencié. L’ouvrage auquel ont contribué 56 co-auteurs présente en 57 courts chapitres autant de concepts, de courants de pensée, de propositions concrètes et d’acteurs permettant de circonscrire le projet politique de la décroissance. Un chapitre d’introduction et un épilogue, rédigés par les directeurs, Giacomo D’Alisa, Federico Demaria et Giorgos Kallis, donnent une cohérence à l’ensemble et présentent de manière succincte l’argument en faveur de la décroissance. Les textes de quelques pages, rédigés dans une langue accessible, mais néanmoins appuyés par quelques références en bonne et due forme, sont la marque d’un ouvrage écrit par des universitaires et destiné au grand public. Puisqu’il n’est ni aisé, ni particulièrement utile de résumer un glossaire, ce compte-rendu rapporte et évalue plutôt les principales idées articulées dans l’introduction et l’épilogue. La décroissance est un terme polysémique. Dans le contexte de cet ouvrage, elle ne désigne pas strictement l’arrêt puis le renversement de la croissance économique, mais un projet politique plus vaste. Ce projet, on pourrait le qualifier d’union des programmes progressistes, tant il fédère un grand nombre de courants de la nouvelle gauche : critique du développement, critique de l’utilitarisme, critique de la marchandisation, critique de l’extractivisme, d’une part, et propositions féministes, écologistes, conviviales et délibératives, d’autre part. Pour la suite de la discussion, retenons les trois principales composantes du projet décroissantiste, à savoir le réalisme écologique, la critique de la croissance et l’idéalisme anticapitaliste. Le réalisme écologique est une posture à la fois ontologique, épistémologique et normative qui enjoint de prendre acte des limites biogéophysiques de l’écosphère au sein desquelles, par nécessité, les hommes inscrivent leur existence. Il s’agit de l’exact opposé de l’exemptionnalisme humain, une posture qui conçoit les activités humaines comme émancipées des contraintes écologiques, en large partie grâce à la puissance technique. Le réalisme écologique marque un retournement majeur dans la philosophie occidentale de l’environnement : la puissance infinie de la nature, longtemps considérée comme une donnée invariante de l’expérience humaine, a fait place au cours du XXe siècle à la fragilité de l’écosphère. Soulignant de manière symbolique cette transition, une nouvelle catégorie de chronologie géologique, l’Anthropocène, marque l’accession de l’humanité au rang de principale force écologique. Par voie de conséquence, les communautés soucieuses de leur pérennité et conscientes de leur dépendance existentielle à la stabilité du climat et à la santé des écosystèmes agricoles et sylvicoles, inter alia, doivent examiner leur relation au monde naturel. Une économie politique capable de soutenir indéfiniment les communautés doit adopter une activité économique adaptée aux rythmes écosystémiques de génération des ressources et de dégradation des matières résiduelles. Cette activité économique durable a pour appellation « état stationnaire », une expression offerte par l’un des pères de l’économie politique, John Stuart Mill. Voilà, en quelques mots, la première composante de la décroissance. De cette prise de conscience émergent des interrogations politiques incontournables. Par exemple, quels arrangements sociaux sont compatibles avec l’impératif écologique ? Ce qui semble évident, c’est que l’usage croissant de ressources et d’énergie que requiert la croissance du produit intérieur brut (PIB), et la génération associée, également croissante, de matières et d’énergie résiduelles, sont à rejeter. La critique de la croissance, seconde composante du projet politique, identifie au sein des économies avancées une institution qui exerce une pression génératrice de croissance : le prêt à intérêt. Le prêt à intérêt est une relation sociale qui exige en contrepartie d’un crédit le remboursement des sommes prêtées avec intérêt, de manière à compenser …