Recensions

Identité nationale et multiculturalisme. Deux notions antagonistes ?, de Sabine Choquet, Paris, Classiques Garnier, 2015, 455 p.[Notice]

  • François Rocher

…plus d’informations

Le multiculturalisme a mauvaise presse dans plusieurs pays européens et les critiques formulées à son endroit ne manquent pas au Québec et au Canada. Identité nationale et multiculturalisme permet de jeter un éclairage nuancé sur ce débat. Il aborde le lien entre l’identité nationale et le multiculturalisme, ce dernier étant perçu par plusieurs comme un vecteur alimentant une crise identitaire qui traverserait bon nombre de démocraties avancées. Sabine Choquet soutient que cette crise est plutôt celle des représentations de l’identité nationale et non le résultat de la diversité culturelle présente au sein des communautés politiques nationales. L’argument qui guide l’analyse est que les identités collectives nationales ou communautaires sont par définition le fruit d’un processus d’imposition et de normalisation de l’individu par le collectif. Elle entend démontrer que le lien identité/multiculturalisme est problématique, notamment parce que les penseurs de l’identité nationale ont surtout appréhendé l’identité de la nation sur le même mode que celui des individus, pour en saisir les éléments de permanence et d’unité. Ce modèle organique met de l’avant une production figée des identités et des pratiques auxquelles elles donnent lieu, nourrissant ainsi un sentiment d’exclusion de la part des minorités qui ne s’y reconnaissent pas. La première partie du livre propose un parcours philosophique visant à clarifier le concept d’identité. La deuxième se penche sur les enjeux de la reconnaissance en France, au Canada et au Québec. Comme le souligne l’auteure, il s’agit moins de comparer ces cas que de présenter les contextes qui ont résulté en des formes de gestion différentes de la diversité s’expliquant en grande partie par les particularités de l’histoire des constructions identitaires nationales. Ce choix méthodologique qui favorise le parallélisme plutôt que la comparaison s’inscrit « dans une perspective critique à l’égard de certaines productions contemporaines en philosophie politique qui privilégient l’argumentation partisane au détriment d’une analyse de fond des contextes dans lesquels ont été forgées ces représentations » (p. 19). Ce choix est judicieux et on ne peut que le saluer et souhaiter qu’il soit repris plus souvent par les intellectuels thuriféraires du multiculturalisme canadien ou de l’interculturalisme québécois, tout comme par leurs opposants qui s’inscrivent la plupart du temps dans une croisade idéologique contre tout mouvement cherchant à prendre en compte l’aménagement sociopolitique de la diversité dans des sociétés plurielles. L’ouvrage débute par une riche réflexion portant sur le thème de l’identité. Choquet discute à la fois des philosophes de l’Antiquité (Plutarque, Aristote, etc.), de l’ère des Lumières (Leibniz, Descartes), de l’idéalisme allemand (Hegel, Kant, Fichte, Herder) et de ceux qui sont le plus souvent évoqués par les contemporains (notamment Taylor, Ricoeur, Foucault). Ce tour d’horizon lui permet de dégager les « trois strates » de l’identité. La première renvoie à la cohabitation politique d’un ensemble de citoyens sur un même territoire. La seconde est celle de la solidarité qui s’y développe et qui engendre une conscience de soi du peuple qui se pense comme une nation. La troisième strate est celle de l’identification subjective des citoyens à leur collectivité nationale et à la production d’un ensemble de représentations mêlant mythes et croyances. Les enjeux sur lesquels le reste du livre se penche sont ceux de la flexibilité des représentations qui se côtoient au sein d’un même espace national, du degré d’ouverture ou de fermeture à l’endroit des différences culturelles et religieuses, des conditions fixées à l’intégration (ou l’assimilation) pour renforcer les solidarités, des politiques publiques de reconnaissance (ou non) de cette diversité et son encadrement juridique. En somme, comme l’auteure le souligne, « faire abstraction des différences ou les reconnaître pour mieux les intégrer, telle est la question que …